Chapitre 13: Bonnes résolutions

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HANNAH

 Allongée sur mon lit, les yeux grands ouverts et le cœur battant, je fixe le plafond et effectue une série de respiration pour tenter de calmer mes nerfs. Cause perdue. Je sens la crise d’angoisse pointer le bout de son nez lorsque mon cerveau tordu se remémore pour la énième fois les évènements d’hier soir.

Suite à « l'incident du canapé », je suis remontée dans ma chambre pour m’y enfermer à double tour, effarée par mon comportement de délurée. J’ai passé la soirée à m’auto-sermonner pour cette monumentale bourde et je n’ai osé resortir de ma cachette qu’à deux heures du matin pour prendre ma douche, une fois assurée que mon colocataire - et accessoirement objet de tous mes malheurs - était bien au lit.

Après une nuit horrible où j’ai dû dormir en tout et pour tout trois heures, je me suis levée, emplie de bonnes résolutions. Je dois l’oublier. J’investirai dans un vibromasseur s’il le faut mais je dois faire taire ces fichues hormones. L'objectif risque d'être difficile à atteindre. Je dois me rendre à l'évidence. Je suis complétement accro, et l’épisode d’hier n’a rien arrangé. Pour ma défense, ce mec sait y faire. Je peux mettre au placard tous mes fantasmes des dernières semaines, car notre folie passagère de la veille bat de loin toutes les expériences sexuelles que j’ai pu connaître jusqu’à ce jour. Et ce n’étaient que des préliminaires. Une vague de culpabilité me submerge et fini de m’achever lorsque mes pensées dérivent vers Justin.

Pitié. Tuez-moi.

En pleine tourmente, je manque de tomber du lit en entendant la voix de James murmurer mon nom. Je me redresse précipitamment et jette des regards apeurés autour de moi. Bon sang, il faut vraiment que je me fasse soigner. Ce mec m’obsède tellement, que je me mets à entendre sa voix partout. Complètement déboussolée, il me faut quelques secondes pour réaliser que je suis toujours seule dans ma chambre et qu’on frappe à ma porte.

— Hannah ... ? Tu es là ?

— Euh oui ! Une minute !

Je saute du lit et me dirige vers le miroir pour inspecter mon reflet. J’ai mis plus d'une heure pour en arriver à ce résultat. Un exploit pour moi, qui d’ordinaire, me prépare en quinze minutes chrono. Je ne passe jamais plus de deux minutes à choisir mes habits et encore moins à me maquiller et me coiffer. La féminité certes, mais la simplicité avant tout. Annie disait souvent que l’élégance allait de pair avec le naturel.

Ce soir, j’ai fait un effort.

Il m’a fallu une éternité pour choisir ma tenue. J'ai pris la peine de sécher mes cheveux. Et après des lustres à tergiverser, j’en suis arrivée à la conclusion qu’un peu de fond de teint, de gloss et de mascara ne serait pas de trop, vu ma tête de zombie.

Je lisse mon haut, tourne sur moi-même pour vérifier que rien de dépasse d’un côté ou d’un autre, et remonte mes cheveux en chignon haut avant de les détacher de nouveau.

— Je … euh… Je peux revenir plus tard si tu es occupée ? marmonne-t-il derrière la porte.

— Non ! Je hurle presque. Je grimace et répète, plus calmement. Non j’arrive !

J’avance vers la porte, inspire profondément et ouvre cette dernière en prenant l’air le plus décontracté possible.

— Désolée, je finissais de m’habiller.

Son regard reste ancré dans le mien quelques secondes avant de descendre pour inspecter mon corps. Il finit par relever précipitamment les yeux et se racle la gorge avant de me répondre.

— Pas de soucis. Tu es … très jolie. En fait, reprend-t-il en se redressant comme s’il retrouvait soudain ses esprit, je voulais savoir si tu accepterais qu’on y aille ensemble ? C’est assez loin et pour tout te dire, j’ai un peu peur que tu te perdes, finit-il avec un sourire taquin. Je hausse les sourcils et le fixe, perplexe.

Donc c’est quoi le truc ? Surtout pas plus d’un compliment à la fois. Je vais lui lancer une petite méchanceté pour équilibrer un peu tout ça… Je me suis promis de faire un effort pour être cordiale, mais franchement, ça s'annonce compliqué. Je plisse les yeux et lui réponds avec sarcasme.

— Oh ça ira, merci. Il existe des petites choses qu’on appelle GPS de nos jours. Tu sais, ce sont des petites boites, grandes comme ça, qui permettent justement aux idiotes comme moi de ne pas s’égarer. On trouve même des applications sur smartphone de nos jours, tu te rends compte !

Il m’observe en souriant quelques secondes avant de secouer la tête.

— Tu prends toujours tout au pied de la lettre n’est-ce pas ? Il rit doucement avant de continuer. Désolé, je ne voulais pas t’offusquer. Je dis juste que c’est assez loin. Et j’avoue que ça m’arrangerais qu’on y aille ensemble. Tu as dit que tu passerais seulement y faire un tour, donc je suppose que tu ne comptes pas rester tard ? Si on y va ensemble, j’aurais une excuse pour filer moi aussi. J’ai des choses à faire demain et je préférerais rentrer tôt.

— Oh...

Je reste plantée devant lui, en proie au doute. Mon instinct me susurre à l'oreille de prendre mes jambes à mon cou, et de fuir loin de lui, car Dieu seul sait ce qui pourrait arriver si on se retrouvait enfermés dans une voiture, seuls tous les deux.

Mes hormones en revanche, sont d'un tout autre avis, et l'espace d'un instant, je suis à deux doigts de l'agripper par le col pour l'entrainer de force dans ma chambre et assouvir mes pulsions de pauvre fille frustrée. Au diable les bonnes manières et mes nouvelles résolutions.

Ma raison - du moins, ce qu'il en reste - refait enfin surface.

Hé ho ! Un peu de tenue Mademoiselle ! On avait un plan tu te souviens ?!

Premièrement, faire comme si les événements d’hier ne s’étaient jamais produits. L’humiliation de la vieille a été plus que suffisante et James a été parfaitement clair à ce sujet. On oublie tout et on évite toute récidive. Tu as déconné et tu vas m'effacer ce moment de faiblesse de ta mémoire.

Deuxièmement, transformer tes relations conflictuelles avec ton cher colocataire en relations cordiales. Tu as eu tout le loisir de constater ces dernières semaines que ton attitude revêche provoquait chez lui une irrépressible envie de te faire sortir de tes gonds. Plus tu l’ignores, plus il t’emmerde. Si tu veux mettre un terme à ce cercle vicieux, tu dois changer de tactique, et vite. Pour couronner le tout et pour une raison complètement absurde, votre petite prise de tête de la vieille s’est transformée en préliminaire bizarre. Ce qui nous ramène à notre résolution numéro une. Pas de chamaillerie, moins de chance de récidive.

Troisièmement, et pas des moindres, tu dois essayer de lui pardonner. On a cogité toute la nuit la dessus, tu t'en souviens ? La principale raison de ta rancœur à son égard, c’est que tu lui en veux. Pour un milliard de raisons. En commençant par sa simple présence dans cette maison. Ou bien ses provocations incessantes. Sans oublier le dentifrice séché sur le lavabo. Mais surtout, tu lui en veux d’avoir été là pour Annie il y a trois mois, contrairement à toi. Tu étais à des centaines de kilomètres. Lui a été présent pour elle. Et pour réussir à apaiser ta conscience meurtrie, tu dois commencer par lui pardonner. Tu dois découvrir quels liens les unissaient. Et ce n’est pas en le snobant et en l’insultant à longueur de journée que tu réussiras à percer à jour ce mystère.

Saleté de conscience.

Je prends une grande inspiration et réponds enfin.

— D'accord.

— Okay ... Il me scrute, suspicieux, comme si le film qui se jouait dans ma tête était visible à des kilomètres à la ronde. Je dois avoir l'air d'une cinglée. Pendant combien de temps suis-je restée planté devant lui sans rien dire ?

— Donnes-moi juste cinq minutes pour que je prenne mes affaires et j'arrive.

— Pas de soucis, je t'attends dans la voiture.

Je lui sers un sourire coincé avant de lui refermer la porte au visage.

Tu parles d'une idée de génie.

Non mais qu'est-ce qui m'a pris d'accepter cette fichue invitation ? Je crois qu'en un sens, je voulais me convaincre que Jamie n'était plus un problème. Qu'il existait une infime possibilité pour que je puisse aller de l'avant, ignorer ce désir impulsif à son égard. Que je pouvais m'amuser, sortir, me changer les idées. Tout simplement que j'étais capable de l'oublier.

D'accord j'avoue, c'était peut-être aussi pour l'embêter. Un peu. J'ai bien vu à sa tête, qu'il était loin d'être enchanté que Chase m'ai invitée. C'était plus fort que moi. Même si l'idée n'est finalement pas si mauvaise, si elle peut me permettre d'en découvrir d'avantage sur mon mystérieux et agaçant colocataire.

Le trajet se fait dans un silence étouffant. Jamie n'ouvre la bouche que pour m'indiquer le nom de nos hôtes, Steve et Emilie, qui sont des amis de longue date. A ma grande satisfaction, il semble aussi déstabilisé que moi par toute cette mascarade. Comme si la courtoisie était incompatible entre nous deux. Les regards noirs et les insultes, on connait. Les courbettes et la politesse en revanche, nous mettent complétement mal à l’aise... Je le surprends à m'observer du coin de l'œil plusieurs fois et je lutte de toutes mes forces contre la sensation de plus en plus familière qui s'éveille au creux de mon ventre.

L’atmosphère dans la voiture devient vite électrique. La moindre étincelle de sa part, et je m’enflamme. Je garde mon regard scotché sur la vitre et tente sans grand succès d’ignorer les frissons qui parcourent mon corps chaque fois qu’il passe une vitesse et que sa main frôle ma cuisse. Pourquoi est-ce que je trouve ça aussi sexy ? C’est ridicule. Ce type transpire la testostérone et je me déteste. Quelle mouche m’a piquée d’accepter qu’il m’accompagne ? Dans ce minuscule habitacle, je suis inexorablement attirée par chacun de ses mouvements. Ses mains sur le volant, fermes et viriles m’obsèdent. Sa respiration calme et profonde me rappelle à quel point la mienne est irrégulière. Son eau de toilette Hugo Boss est enivrante et me fait complètement tourner la tête.

Bah quoi ? Je vis sous le même toit que Monsieur, donc forcément, certains détails ne m’échappent pas. J’ai trouvé la bouteille sur l’étagère de la salle de bain et j’ai lu l’étiquette, voilà tout ! Et puis, Je l’ai à peine reniflé, pas de quoi en faire tout un plat…

Exaspérée par mon incapacité à garder les idées claires, je tourne la tête et concentre de nouveau mon attention sur le paysage qui défile sous mes yeux. Je suis bonne pour l'asile si je ne me reprends pas toute de suite.

C'est seulement physique Hannah.

Reste loin de lui.

Garde le contrôle.

Je me répète ce mantra en boucle dans ma tête et mène un combat acharné contre moi-même pendant le reste du trajet. C’est avec soulagement que nous arrivons, moins d’une demi-heure plus tard. Je remercie encore une fois mon self contrôle et descends de la voiture. Je déteste l'avouer, mais je n’aurais jamais trouvé le chemin toute seule. Pour le coup, je lui suis reconnaissante. Finir perdue, au fin fond de nulle part, un samedi en pleine nuit, très peu pour moi… La villa qui nous fait face est de taille modeste, mais l'aspect chaleureux qui s'en dégage m'appaise immédiatement. Le jardin est parsemé de plantes exotiques et j’aperçois une petite balançoire en bois accrochée sous un arbre. Nous contournons en silence la maison et James me laisse passer devant lui tandis que nous grimpons les marches en rondin de bois menant à un faré au fond du jardin. A ma grande surprise, James se comporte en parfait gentleman. Nous sommes les derniers à arriver et il me présente patiemment à tous ses amis, qui m'accueillent chaleureusement, avant que Chase ne m’attrape allègrement pour me faire la bise. Tout le monde éclate de rire, moi y compris, amusée par cet élan d’affection inattendu et par l'expression dégoutée de James. On me propose une bière et je me retrouve, je ne sais comment assise entre Chase et lui. Mon cœur palpite lorsque sa cuisse effleure la mienne et j'ai soudain une envie irrépressible de bondir du canapé pour aller m'assoir sur celui d’en face. Loin de lui.

C'est seulement physique Hannah.

Reste loin de lui.

Garde le contrôle.

— Hannah?

— Oui ?

Mince, elle m'a parlé, qu'est-ce qu'elle a dit ?

— Steve te demandait si ton retour en ville s'était bien passé? me répond Emilie avec un sourire encourageant. Chase nous a dit que tu avais passé ton enfanceà Hervey Bay ?

Déstabilisée, je jette un regard à James qui m'observe les sourcils froncés. L'espace d'un instant, j'ai l’horrible impression qu'il devine la raison de mon malaise et je m'empresse de détourner les yeux pour lui cacher ma gène.

— Oh, mon retour. Oui tout s'est bien passé, merci. Un peu ... mouvementé je dirais, j'ajoute en riant doucement.

— Mouvementé est un euphémisme, si j'en crois les récits de Jamie, me glisse Chase à l'oreille, avec un petit sourire en coin. Suffisamment fort toutefois pour que tout le monde l'entende. Non mais il joue à quoi là ? Qu'est-ce que James lui a raconté bon sang ?

La chaleur me monte aux joues et je tourne de nouveau la tête vers James qui me regarde les yeux exorbités. J'ai soudainement des envies de meurtre. J'entends tout le monde rire et Emilie ajouter :

 — Rien n'est jamais simple avec Jamie, mais je pense que tu as déjà dû t'en rendre compte ! Racontes nous un peu, comment se passe votre cohabitation, j'espère que tu lui mènes la vie dure ?

Bouillonnante, je reporte mon attention vers elle en rassemblant tout mon sang froid pour ne pas étriper les deux imbéciles qui m'entourent. Je tente un sourire cordial et avale une gorgé de bière en cherchant mes mots. Chase se penche de nouveau vers moi et me chuchote encore plus bas, d'un air conspirateur, avant de finir par un clin d’œil.

— Si tu veux mon avis, il n’y a pas que sa vie qui est dure depuis que tu es là...

J'avale ma gorgée de travers et repose ma bière sur la table en catastrophe avant de me mettre à tousser de la façon la moins mignonne du monde.

Non mais dites-moi que je rêve ?

Les yeux larmoyants, la gorge irritée, je cherche l'air et jette un regard sur ma droite vers Chase, qui m'observe inquiet. Il articule un silencieux "désolé" avant de reporter son attention sur sa bouteille de bière et d’en boire trois longues gorgés en regardant droit devant lui. Sur ma gauche, je sens James s’agiter. Sa respiration est de plus en plus rapide et lorsque je tente une œillade de son côté, je le surprends en train de fusiller Chase du regard. Je suis sur le point de répondre lorsque sa voix grave me devance.

— Il n’y a rien à raconter. On vit sous le même toit, ça s’arrête là. Et puis je suis sûr qu’Hannah a autre chose à faire que de lister mes défauts en termes de colocation.

Je suffoque en entendant ces mots. Il n’a pas dit une seule phrase depuis que nous sommes arrivés, et c’est tout ce qu’il trouve à dire maintenant ? Ses propos me vexent d’autant plus, car ce qu’il dit devrait être vrai. Or ce n’est pas le cas.

Je dois sortir de là, et vite.

Dans un état second, j’entends à peine ma propre voix demander le chemin des toilettes. Je me lève sans attendre la réponse d’Emilie, traverse le jardin et accélère l’allure lorsque je perçois la voix de James résonné dans mon dos.

RESTE LOIN DE LUI.

ET GARDE LE CONTROLE.

***

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