Chapitre 9 : Dilemme

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HANNAH

Deux semaines se sont écoulées depuis mon petit show de nudiste.

Deux semaines durant lesquelles James et moi avons passés la majorité de notre temps à nous snober.

L'avantage lorsque votre vie se résume à un abysse social, c'est que vous ne rencontrez aucune complication lorsque vous décidez de tout envoyer balader pour repartir à zéro. J'ai l'impression de renaître depuis mon retour à Hervey Bay. Je me sens libre, de nouveau saine d'esprit et enfin moi-même, loin des buildings, de la pollution urbaine et de la morosité des citadins. Ma maison, la plage, le soleil et la perspective d'un nouvel avenir professionnel, tout semble enfin rentrer dans l'ordre.

Seul ombre au tableau : James Carter.

Ces derniers jours, mon colocataire s'est avéré être un enquiquineur de première, prenant visiblement un malin plaisir à envahir mon espace personnel. Il ne fait absolument aucun effort pour faciliter notre cohabitation, laissant traîner ses affaires dans toute la maison, chantant à tue-tête sous la douche à l’aurore chaque matin et monopolisant la télécommande de la télévision tous les soirs.

Pour couronner le tout, et malgré mes efforts surhumains pour le nier, il est indéniablement le type le plus sexy que j'ai jamais croisé de ma vie. Depuis notre rencontre incongrue dans le couloir, mes hormones sont en ébullition.

Je me déteste.

Je déteste avouer que cet imbécile est loin de me laisser indifférente. Je déteste la sensation de picotement qui se forme au creux de mon ventre à chaque fois que mes yeux s’égarent sur son corps. J’ai l’impression de passer mon temps à le fuir et à l'éviter du regard. Par-dessus tout, je déteste le fait qu'il en soit pleinement conscient.

Je me sens pitoyable d'éprouver du désir pour un autre homme que mon petit ami. D’accord, on n’est plus au moyen âge... D'accord, en tant que femme-du-vingt-et-unième-siècle, je suis en droit de m'autoriser quelques fantasmes érotiques. Mais tout de même, je crois en l'honnêteté et la fidélité, et je m'en veux affreusement! Ce qui est sûr, c'est que jamais de la vie je ne le lui avouerai. Il peut bien me torturer tant qu'il veut en exhibant son corps de demi-dieu devant mon nez pendant les six prochains mois, hors de question que je cède à la tentation. Je suis donc dans un état de frustration constante, et ma mauvaise humeur en sa présence est en grande partie due à la culpabilité qui me ronge de l'intérieur. Pour ma défense, mon petit ami, Justin, a déménagé à des centaines de kilomètres de chez moi, et je suis en abstinence forcée depuis plus de neuf mois. Notre vie sexuelle était loin d’être intense et extravagante, mais tout de même, zéro relation sexuelle en plus de deux-cent-soixante-dix jours, ça fait long. Très long.

Pour être honnête, avant mon retour à Hervey Bay, je n'avais absolument pas conscience d'être à ce point frustrée. Mais bien forcée de le reconnaître, au vue de mon état d'énervement et d'excitation de ses derniers jours, je suis en manque de sexe et la situation commence serieusement à affecter ma santé mentale.

J'ai bien tenté d'appeler Justin plusieurs fois. En premier lieu, j'avoue, pour me redonner bonne conscience... Tentative infructueuse. Mais j'espérai surtout pouvoir rabibocher notre histoire, qui bat de l'aile depuis quelques mois. On avait déjà un sérieux problème avant qu'il ne parte. Et la distance entre nous n'a rien arrangée. Une fois sur deux, il est occupé et promet de me rappeler. Chose qu'il ne fait jamais. Et il met toujours quatre plombes pour répondre à mes messages. Je crois que notre relation est définitivement foutue.

Il est plus qu’évident que l’un de nous doit se résoudre à mettre un terme à notre histoire, même si cette option est loin de me réjouir. Je tiens à lui et l’aime encore, d’une certaine façon. Justin et moi sommes ensemble depuis quatre ans. Nous étions dans la même université à Brisbane et suivions le même cursus d'architecture. On avait quelques amis en commun et on se croisait dans les quelques fêtes où Jen réussissait à me traîner de force. Mais nous avons réellement commencés à nous fréquenter à mon arrivée chez Stephenson Design & Arch. Apres l’obtention de notre Master en architecture, Justin a dégoté un job dans la boite quelques semaines avant moi. Il m’a fait visiter les bureaux, on s’est retrouvé pour boire quelques bières entre collègues et bam, deux mois plus tard, on emménageait ensemble. C’est la décision la plus folle et la plus impulsive que j’ai prise dans ma vie. Je l’ai d’ailleurs regretté plus d’une fois. Rapidement, la petite étincelle s’est éteinte, et ni lui ni moi n’avons fait l’effort d’arranger les choses. Quand un poste s’est libéré à Sydney dans une des filiales du groupe, il n’a pas réfléchi bien longtemps. J’en étais presque soulagée.

Je suis en plein dilemme intérieur au milieu du rayon fruits et légumes du supermarché lorsque la sonnerie de mon téléphone retenti. J'abandonne mon inspection des courgettes pour attraper mon IPhone dans mon sac. Je souris et secoue la tête en fixant la photo de mon frère qui apparaît sur l'écran. Ses yeux plissés et son sourire joyeux sont nettement visibles sur le cliché à moitié flou pris au mariage de notre cousine. On m'y voit coincée sous son épaule, avec une grimace qui exprime clairement mon agacement d'avoir été prise au piège par ce photographe du dimanche. Ce nigaud avait attribué cette atrocité directement à son nom dans mes contacts. Je décroche en me promettant de changer cette horreur dès que j'aurais cinq minutes.

— Salut frangine.

— Tiens donc, mon grand frère préféré daigne enfin me rappeler. Mon appel date d'il y a plus de dix jours. Tu parles d'une réactivité. Je saurai qui contacter la prochaine fois que je suis en danger de mort.

Hilare, je l'entends s'affairer à l'autre bout du fil.

— Tu as répondu à mon texto le lendemain, tu n’étais visiblement pas morte. Raille-t-il. En tout cas, tu es toujours d'une humeur aussi charmante.

— Toujours. Je rétorque en souriant. Avoue que ça te manque.

— Etonnement oui, me taquine-t-il. Sérieusement, j'ai hâte de rentrer à la maison. J'ai enfin les dates de mon vol, Ashley et Stacey seront là aussi. Elle a réussi à avoir une semaine de congé, on arrive vendredi prochain.

Il s'arrête dans sa phrase et je l'entends jurer. J'arrive toutefois à décrypter "poussette" et "saleté d'ascenseur" entre deux grommellements.

— C’est génial, j'ai hâte de vous voir aussi! Comment se passe la grossesse ?

Il ne répond rien et se contente de marmonner une nouvelle brochette de grossièretés, que je distingue à peine derrière le vacarme en arrière fond.

— Tout va bien ? Je lui demande en riant.

— ça va, c'est juste... cette saleté de poussette. Elle pèse trois tonnes et le carton passe difficilement dans l'ascenseur du magasin, je me demande comment je vais bien pouvoir la rentrer dans le coffre de la voiture! Enfin tu connais Stacey, celle-ci avait soit-disant quatre options supplémentaires.

— Tu es le seul fautif, tu ne lui refuses absolument rien - Je lui rétorque en ricanant - Alors contentes-toi de trouver un moyen de ramener le futur carrosse de ta progéniture à la maison et cesse de geindre.

Ma poule pondeuse et accessoirement génialissime belle-sœur en est à sa deuxième grossesse en l'espace de trois ans. Entre elle et Clark, ça a été le coup de foudre immédiat. En moins de cinq ans, ces deux-là ont enchaîné la maison, bébé numéro un, le mariage et bébé numéro deux - actuellement en cours de fabrication. Ce dernier ne pointera pas le bout de son nez avant trois mois, pourtant mon frère nous parle déjà de ses projets de repeupler la planète avec un troisième enfant.

Il grogne, résigné, et me lance en changeant de sujet.

— Comment s'est passé ton retour à la maison ? Dans ton message, tu me disais qu'il y avait un changement de dernière minute.

— Ouais et pas un petit - Je lui réponds en soupirant - Est ce que tu étais au courant qu'Annie avait mis la maison à louer ?

— Pas du tout. C'est quoi cette histoire encore ?

Rassurée de ne pas être la seule idiote à côté de la plaque, je continue d'un air sarcastique.

— Eh bien figures-toi que notre chère grand-mère partageait son toit avec un jeune homme qui a l'âge d'être notre frère! Et pour couronner le tout, elle lui avait fait signer un bail pour être sûr qu'on ne le mettrait pas à la porte une fois qu'elle ne serait plus de ce monde.

— Quoi ? Attends, tu veux dire qu'elle habitait avec quelqu'un ? Mais depuis quand ?

Il semble complètement abasourdi et pour la première fois depuis le début de notre conversation, c'est le calme plat à l'autre bout du fil.

— Je ne sais pas exactement, plusieurs mois. Tout ce que je sais c'est que le bail date de mars.

— J'en reviens pas. Pourquoi n’avoir rien dit ? Et puis, pourquoi est-ce qu'on a jamais croisé ce type pendant nos week-ends à la maison ?

— Bienvenu au club des "pourquoi". Je ronchonne. Je n'en sais pas plus que toi !

— Non mais c'est qui ce mec d'abord ? Tu l'as rencontré ?

Hésitante, je cherche comment lâcher l'information. Clark ne va pas apprécier, c'est certain.

— Oui...on peut dire ça comme ça. En fait, je vis avec lui ... en ce moment.

— Quoi ? Hurle-t-il. Non mais sérieusement Hannah! T'as perdu la tête ou quoi ? Ne me dis pas que tu as emménagé à la maison alors que ce gars habite encore là-bas ?

Il a l'air hors de lui, et je suis bien contente d'être à des centaines de kilomètres. Je grimace en anticipation du savon qu'il va me mettre en arrivant à la fin du mois.

— Je sais, c'est n'importe quoi! Mais tu l'aurais vu, Il m'a fait péter les plombs ! Avec son air arrogant et suffisant, il se croyait chez lui ! C'était plus fort que moi !

Je l'entends vociférer à travers le combiné et j'éloigne le téléphone de mon oreille en levant les yeux au ciel. Quand je ramène l'appareil contre ma joue, il est toujours en train d'hurler.

— T'es inconsciente !

— ça va, ça va... Détends-toi... Je lui lâche, excédée.

— Comment veux-tu que je me détende Hannah ! Ce mec pourrait tout aussi bien être un tueur en série ou un violeur ! C'est n'importe quoi ! Râles t'il avant se taire enfin. Bon, tu ne m'as toujours pas dit comment il s'appelait.

— James Carter, je grommelle à contre cœur.

— Génial, de mieux en mieux. Ronchonne-t-il.

— Quoi, tu le connais ? Je lui demande, perplexe.

— Ouais, on peut dire ça. C'est le pote d'un pote. C'est un gars bien... Mais pour l'amour de dieu Hannah, sois prudente. Quand je l'ai connu, il s'enfilait une fille différente chaque semaine.

— Super... très poétique.

— Ouais bin la vérité est rarement poétique... Je ne l'ai pas revu depuis des lustres mais je suppose que c'est toujours un type correct. Si Annie lui avait loué la maison, j'ose espérer qu'elle s'était auparavant renseignée à son sujet.

— Euh ouais, j'ai l'impression qu'ils se connaissaient plutôt bien.

— Fais quand même gaffe à toi s'il te plait. Si j'apprends qu'il a touché ne serait-ce qu'à un seul de tes cheveux, c’est un homme mort. Dit-il d'une voix menaçante. Soudain angoissée, je lui réponds avec un ton faussement léger.

— C'est promis. Je serais prudente. Ne t’en fais pas trop. Ça ira. Et puis tu seras là dans deux semaines. Tu seras en mesure de juger par toi même s'il mérite un coup de pied au fesse ou non !

Ma tentative pour détendre l'atmosphère est un échec. Il jure et souffle bruyamment avant de me répondre.

— Je te laisse, Je dois récupérer Ashley à la crèche et je ne sais toujours pas comment je vais caser cette maudite poussette dans mon coffre ! On se rappelle dans la semaine.

— D'accord. Embrasse les filles pour moi. Bye...

Je raccroche et range mon téléphone dans mon sac. Je reste figée au milieu des rayons en réalisant soudain le ridicule de la situation. Bon sang, Clark a raison. Je suis vraiment stupide ! Non mais qu'est-ce qui m'a pris de m'installer avec un inconnu ? Je ne sais rien de ce type, mis à part qu'il prétend être un ami de ma grand-mère. Et qu'il est un "Don Juan". Merci pour l'information Clark. Je rougis à cette dernière pensée et je me sens soudain stupide d'avoir pu éprouver de l'attirance pour un mec de ce genre. Bien sûr que c'est un salaud, il est beau comme un Dieu, toutes les filles doivent être à ces pieds, c'est certain ! Je grogne d’exaspération avant de sortir du magasin en trombe en laissant mon charriot en plan au milieu des rayons. C'est bien moi ça. Agir sans réfléchir. Je vis avec un étranger depuis deux semaines et personne n'était au courant de mon idée de génie avant aujourd'hui. Je rentre dans ma voiture, jette mon sac sur le siège passager et pose mon front sur le volant, à bout de nerf. La sonnerie de mon téléphone retenti à nouveau. J'attrape mon IPhone et déverrouille l'écran.

From Clark:

J'ai déjà perdu Annie. Je ne supporterais pas qu'il t'arrive quoi que ce soit, à toi aussi.

Sois prudente, stp

Je t'aime

Clk

Je grogne et repose ma tête sur le volant. Merde, mais à quoi je pensais ? Au bout de dix minutes de tergiversation, je me redresse, déterminée. Fini les jérémiades. Il faut que j'en sache plus sur James Carter.

***

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