Chapitre 6 : Confessions

9 minutes de lecture

JAMIE

 Aucun doute, cette nana est tarée. Elle m'a littéralement claqué la porte au nez, mais je ne peux m'empêcher de trouver la situation comique. Je commence seulement à cerner la folle à qui j'ai à faire mais je sais déjà qu'elle va me donner du fil à retordre. Il y a une heure à peine, elle débarquait et me faisait une scène pour que j'évacue mes affaires illico-presto. Et un quart d'heure plus tard, la voilà qui revient pour m'annoncer qu'après réflexion, elle s'installe dans cette maison. Je rajoute "lunatique" à la liste d'adjectifs peu réjouissants que j'ai réussi à lui attribuer en l'espace d'une heure à peine.

Je sens que je vais devenir fou si je marche dans son petit jeu. J'ai besoin de prendre l'air. Je redescends au rez-de-chaussée où se trouve ma chambre ; qui est en réalité la chambre d'ami attitrée de cette maison ; et attrape un tee-shirt propre dans mon placard. J'empoigne mes clés de voiture et ma casquette sur le meuble de l'entrée et sort de la maison en me retenant de courir. On croirait que j'essaie de fuir le diable. Avant de démarrer ma voiture, je déverrouille mon IPhone, tape un message à Chase et appuie sur envoyer.

To Chase :

URANGAN BEACH, dans 30 min, bouges tes fesses.

Même si je sais d'avance que Chase va me bassiner encore une fois avec cette maudite soirée prévue samedi, j'ai vraiment besoin de vider mon sac. Sur la route, je cogite sur les événements de l'après-midi et j'arrive finalement à la conclusion que j'ai plus à gagner à ignorer ce petit démon qu'est Hannah Mendes, plutôt qu'à me prendre le chou avec elle. Si je dois vivre sous le même toit que Miss casse-pied, autant que notre cohabitation ne soit pas aussi désagréable que ce premier jour. Cependant, je n'ai pas l'intention de la laisser chambouler mon quotidien. Donc, je me trimbalerai à poil si j'en ai envie, et je continuerai à vivre ma vie comme si ma nouvelle colocataire n'existait pas. Je suis tiré de mes pensées par la réponse de mon meilleur ami.

From Chase :

J'y suis déjà. Grouilles-toi.

Je souris et jette mon téléphone sur le siège passager. J'avais quinze ans quand je suis arrivé dans cette ville. J'ai accumulé les conneries d’adolescents, les jobs en tout genre et les aventures d'un soir. Je m'y suis fait des amis, beaucoup, que j'ai perdu de vue au fil des années. Et quelques-uns en or, comme Chase, que je fréquente toujours aujourd'hui. Une seule constante dans ma vie depuis toujours : courir. Efficace pour se vider la tête, se défouler et s'entretenir. Je cours tous les soirs, ou presque. Seul ou avec mes potes, Chase principalement, pour qui l'unique motivation est de pouvoir mater le cul des joggeuses à volonté.

Quand j'arrive enfin devant Urangan Beach, le soleil se couche à l'horizon et la surface de l'océan est striée de traînées orange. J'attrape mes chaussures et mon short sur la banquette arrière et les enfiles. Je mets mon téléphone dans la boite à gants, fourre mes clés dans ma poche et sors de ma voiture à la hâte. Ce soir la brise est fraîche et la plage peu fréquentée. En souriant, je salue d'un signe de tête un couple qui passe devant moi, et caresse la tête de leur golden retriever qui vient me renifler les doigts en remuant la queue. Je marche quelques mètres et commence à fouler la plage avec soulagement. Je ferme les yeux, me concentrant sur la sensation du sable sous mes pas, le cri des mouettes et le vent qui caresse mon visage. Quand j'arrive sur le ponton, Chase a commencé ses étirements.

— T'en as mis du temps.

— Content de te voir aussi.

Il se redresse pour me faire une accolade et reprend son rituel tandis que j'entame mes échauffements à mon tour.

— T'as une gueule de déterré mon vieux, faudrait penser à te détendre un peu.

— Inutile de ramener le sujet sur le tapis. Je t'ai déjà dit que ta soirée d'étudiants débiles ne m’intéressait pas.

— Allez quoi! T'as besoin de tirer un coup ! C'est évident vu ta tronche et la baraque sera blindée de petites minettes sexy et partantes !

Qu'est-ce que je disais... je suis là depuis à peine une minute. Il n'en loupe pas une...

— Eviter les flaques de vomi et écouter de la musique de taré toute la soirée ? Non merci, je vais plutôt appeler Sam et Steve pour savoir ce qu'ils ont prévus pour le week-end.

— Très bien comme tu veux !

Il lève les deux mains en l'air en signe de reddition, puis se penche en avant pour s'étirer les mollets. Il se tourne vers moi de temps à autre et m'observe intrigué, les sourcils froncés. Mais il n'insiste pas plus, ce qui m'étonne, et en dit long sur mon état. Je dois vraiment faire peur à voir pour qu'il abandonne aussi facilement. Je sais qu'il pense bien faire, mais passer une soirée dans une fraternité n'est plus mon délire du tout. Depuis au moins dix ans, contrairement à lui. Au trot, nous nous dirigeons vers la plage pour entamer notre première session, accordant notre cadence.

Les muscles de mes jambes s'échauffent doucement et la douleur familière de l'effort qui s'accentue au fil des minutes m’apaise. Mon esprit divague et je me surprends à penser que je devrais peut-être faire un tour à cette fichue soirée après tout. J'en ai bavé ces dernières semaines après la mort d'Annie. Les premiers jours, je travaillais presque jour et nuit pour oublier ma peine. Chase n'a pas tort, j'ai besoin de me détendre.

Je n'ai pas à me plaindre, ma vie n'est pas si mal. J'ai trente et un ans et je suis en bonne santé. Ma petite entreprise marche bien. Je sais que je peux compter sur mes amis et ma famille. Et je suis célibataire, ce qui me convient très bien pour le moment. Enfin je crois. Je ne suis pas du genre à baiser tout ce qui passe, même si je ne compte plus le nombre de nanas avec qui j'ai couché dans cette ville entre mes quinze ans et mes vingt-cinq ans. J'ai grandi avec deux sœurs, et Dieu sait qu'elles me couperaient les couilles si elles apprenaient le nombre de filles ayant défilées dans mon lit pendant ces années de débauches... Pour autant, je ne suis pas un salaud, on passait du bon temps, je ne leur promettais rien et la plupart du temps, ça leur convenait très bien aussi.

Ces derniers mois pourtant, j'ai l'impression d'avoir fait le tour de la question. Les coups d'un soir m'ennuient. Kate est la seule fille avec qui j'ai eu envie d'aller plus loin. Elle était drôle, mignonne, le sexe était cool et mes amies l'appréciaient. Pourtant, quand on lui a proposé un poste en Californie, ni elle ni moi ne nous sommes posés de question. On a fait l'amour toute la nuit, on s'est souhaité bonne chance et le lendemain, elle prenait l'avion. Fin de l'histoire. Notre relation a duré six mois. C'était il y a deux ans. Avec le recul, je me rends compte que notre couple n'en était pas un et que mis à part le sexe, notre amitié et les sorties entre potes, nous ne partagions rien de plus.

— Bon tu vas finir par me raconter pourquoi t'es aussi tendu ? Me lâche Chase, interrompant ma rêverie.

Autant y aller franchement, il sait que je redoutais ce moment, on avait abordé le sujet la semaine dernière.

— La petite fille d'Annie a enfin débarqué cette après-midi.

— Non !? C'est pas trop tôt ! Lache-t-il. Est-ce que son cul est aussi beau que dans mes souvenirs ?

— T'es grave mec, ton obsession pour les fesses va finir par t'attirer des ennuis... A vrai dire, j'en sais rien. Elle est restée à peine une demi-heure, et on a passé les trois quart du temps à se gueuler dessus.

Ok je mens. J'ai largement eu le temps de mater son cul magnifique. Et je me suis fait gauler comme un débutant. Je grimace rien que d'y repenser et omets intentionnellement ce détail à mon ami.

— Tu veux en parler ?

Je grogne, ne sachant par où commencer.

— Cette fille est une vraie chieuse !

— Comme quatre-vingt-dix pour cent des femmes. Tu parles d'un scoop ! Qu'est ce qui s'est passé ?

Je fixe l’horizon en cherchant mes mots.

— Annie ne lui avait rien dit pour le bail. Elle l’a appris ce matin et elle était furieuse. Ce que je peux comprendre, mais bon sang, cette nana me met hors de moi ! Elle voulait carrément me mettre à la porte ! Je me demande comment Annie, qui était adorable, a pu engendrer une descendance aussi insupportable !

Chase ricane en secouant la tête et se tait, m’incitant à continuer :

— Je ne comprends pas pourquoi Annie ne lui a rien dit ! Elle aurait pu le faire mille fois, elles s’appelaient toutes les semaines !

— Te prends pas la tête avec ça vieux, tu ne le sauras jamais et on s’en fou ! De toute façon, elle n’y peut rien maintenant ! J’ai relu ton bail scrupuleusement et Hannah ne peux pas te foutre dehors. Tu es tranquille pour les six prochains mois.

Chase se comporte comme un adolescent puéril et en rut la plupart du temps, mais il est le crétin le plus intelligent que je connaisse. Je me demande encore comment il a réussi à décrocher son diplôme de droit alors qu’il arrivait tous les jours en cours complètement défoncé. Enfin, les jours où il se donnait la peine d’y aller. Cependant, je dois bien reconnaître qu’il a raison, Annie avait bien fait les choses. Je suppose qu'elle avait anticipé la réaction de sa petite fille. Je prends soudain conscience que je suis loin, très loin, d'être pénard pour les six prochains mois. Je la revoie encore traînant péniblement ses énormes valises dans la maison en rouspétant. Sentant la panique monter en moi, j'accélère le rythme pour tenter de me calmer.

Chase presse le pas pour me rattraper et je l'entends me héler en m'insultant :

— Ralentis un peu tu veux ! J'ai encore la gueule de bois, je n'avais pas prévu de m’entraîner pour un marathon !

Il finit par me rejoindre et à bout de souffle, me foudroie du regard avant de continuer.

— J'ai l'impression que tu ne m'a pas tout dit là ? Tu comptes cracher le morceau un jour ou je dois t'arracher les poils de cul un à un pour te faire parler ?

— Elle emménage à la maison. Je le coupe en continuant de regarder droit devant moi.

— Quoi ?! Tu déconnes ! Elle ne peut pas faire ça !

— Et bien juridiquement peut-être pas... mais techniquement, elle est en train de déballer ses valises en ce moment même.

— Non ?! Tu déconnes ?

— Tu te répètes mon vieux.

— Eh bien ! Elle a du culot la petite ! Elle n'a pas changé !

Sur ces mots, il s'arrête au milieu de la plage et se met à rire comme un idiot.

— Tu trouves ça drôle ?! Qu'est-ce que je suis censé faire moi ? Je la fous dehors ?

— Appelles les flics ! me dit-il tout sourire, comme si c'était l'idée du siècle.

— Quoi ? Non mais de quoi j'aurais l'air ? D'un mec incapable d’empêcher une minette de s'installer de force chez lui ! Jamais de la vie !

Riant de plus belle, Chase redémarre et je le suis en jurant.

— Aide-moi à trouver une solution au lieu de te foutre de moi !

— Désolé mon gars, mais cette situation est complètement barrée. J'ai l'impression de revoir Clark quand on se retrouvait pour surfer après les cours. Il arrivait en rogne une fois sur deux, sa sœur le rendait dingue, et il lui fallait bien une demi-heure à chaque fois pour réussir à se calmer ! C'est un don, je te le dis ! Cette fille à un don pour emmerder la gent masculine !

Je souffle bruyamment et soudain épuisé, je lui réponds.

— Tu sais quoi, j'ai besoin de me sortir cette peste de la tête, allons boire un verre. Tu sais où sont les autres ?

— Steve devait garder la petite, Emilie est de garde. Et Sam fini le boulot à dix-neuf heures.

— Ok, appels les, rendez-vous chez Steve dans une heure. On prendra les pizzas et la bière sur le chemin.

Le visage fendu par un sourire diabolique, Chase sort son portable tout en continuant de courir et compose le numéro de Steve. Mon esprit est déjà loin tandis que je l'entends vaguement fixer l'heure et le lieu du rendez-vous.

***

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 1 versions.

Vous aimez lire Audrey Gart ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0