Chapitre 4 : Nerfs à vif

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JAMIE

 A la seconde où la porte se referme, je pousse un grognement et jure entre mes dents.

Quelle emmerdeuse !

Cette nana est une vraie plaie ! Je n'en reviens pas de son culot. Elle débarque ici après des mois d'absence et elle me fait son numéro d’hystérique pour que je dégage ? Hors de question que je lui fasse ce plaisir ! Annie m'avait dit qu'elle vivait à Brisbane, pourquoi donc voudrait-elle récupérer la maison maintenant ? Pour la vendre ? Cette simple idée me rend malade. Après réflexion, je suis presque sûr qu'elle le fait uniquement pour m'emmerder. Ce qui semble être une de ses spécialités, à en juger par les dernières minutes passées avec elle.

Je fais les cent pas dans le salon pour essayer de me calmer. Je ne comprends même pas pourquoi je me mets dans un état pareil. J'attends la visite de cette fille depuis un mois. Je savais qu'elle viendrait et je m'y étais préparé, même si honnêtement, je pensais qu'elle se pointerait plus tôt. Une chose est sûre, jamais je ne me serais douté que la discution se serait terminé de cette façon ! Annie m'a tellement parlé d'elle que j'ai parfois l'impression de la connaître depuis toujours.

Un jour où je l'aidais à changer les draps de la chambre d'ami, elle m'avait raconté en souriant qu'en primaire déjà, Hannah refusait de quitter la maison sans avoir fait son lit et ouvert ses rideaux. Il lui était même arrivé de faire demi-tour sur le chemin de l'école pour revenir tirer ses draps à quatre épingles. En revanche, dès qu'elle s'arrêtait pour prendre un bonbon au lait dans la boite posée sur la table basse du salon, elle ne remettait jamais le couvercle en place, ce qui avait le don d'exaspérer sa grand-mère.

Je sais aussi qu'elle choisit toujours une lessive parfumée à l'Aloe Vera, peu importe la marque.

Elle déteste les cornichons. Annie continuait à ne jamais en acheter.

Elle a horreur des photos. La maison en est remplie. Toutes d'Annie, Hannah, son frère et leurs parents. Mais il n'y en a que deux sur lesquelles Hannah a plus de seize ans. Certainement l'âge à partir duquel Annie n'a plus eu aucune maîtrise sur le sujet. Il y en a une de sa remise des diplômes accrochée dans le couloir à l'étage, et une autre posée sur la table de chevet d'Annie, où ils se tiennent tous les trois par les épaules, assis sur la plage.

Elle a toujours été la première de sa classe, passait des week-ends entiers à lire et était beaucoup plus mature que la plupart des enfants de son âge.

En revanche, elle passait tous ses dimanches matin à manger des céréales en regardant des dessins-animés à la télévision, et ce, jusqu'au jour de son départ pour l'université.

Cette fille est clairement en contradiction avec elle-même !

A force d'entendre les louanges et anecdotes d'Annie, je commençais même à l'apprécier. Je secoue la tête pour tenter d'effacer rapidement cette idée ridicule de mon esprit. Je pensais qu'on aurait pu s'entendre, pour Annie du moins, car je crois que c'est ce qu'elle désirait. Mais après avoir fait connaissance avec cette peste, je doute même qu'il soit seulement possible d'envisager une relation cordiale.

Lorsque j'ai ouvert la porte et que je l'ai vu pour la première fois, je n'ai rien pu dire d'autre qu'un minable bonjour. Je suis resté planté là, à la reluquer comme un homme de Neandertal. Je savais qu'elle était plutôt jolie. Annie me l'avait assez répété, et les deux seules photos récentes disposées dans la maison étaient suffisantes pour le confirmer. Mais la voir là, devant moi, vêtue d'un simple débardeur blanc et d'un jean moulant ses jambes sublimes...

Bon sang. J'en suis resté sans voix.

Ni maquillage ni coiffure compliquée. Annie n'avait rien exagéré. Elle est naturellement belle et le charisme qu'elle dégage a de quoi intimider.

Pour une raison qui m'échappe, je me suis senti soulagé, comme si je revoyais après une éternité une personne qui m'avait affreusement manqué. Ce qui est carrément insensé car je ne la connais absolument pas. Et histoire de bousiller le peu de bon sens qu'il me restait, chaque phrase sortie de sa bouche m'a pris complément au dépourvu. Nom de dieu, toutes ses réactions semblaient démesurées et tout simplement inappropriées.

Au départ, j'avais sincèrement de la peine pour elle. Elle semblait perdue et triste. En la voyant observer avec nostalgie le moindre détail de ce salon comme si elle voulait en mémoriser chaque recoin, j'étais incapable de la quitter des yeux. Son corps élancé et bronzé ne me facilitait pas vraiment la tâche. J'étais littéralement hypnotisé par la courbe de ses épaules nues et par les petites mèches brunes qui tombait sur sa nuque.

Et puis elle s'est remise à parler.

Ce qui a suffi à me faire oublier toutes les pensées qui commençaient à surgir de mon pauvre cerveau de mâle idiot, visiblement trop facilement influençable.

Je me dirige vers la cuisine, ouvre le frigo empoigne une bouteille d'eau glacée en continuant de râler contre moi-même et mes faiblesses masculines.

Tu es vraiment con Jamie.

J'avale quelques gorgés et grimace en repensant à la fin de la conversation. J'ai vraiment été un salaud et je regrette déjà de lui avoir balancé de telles saloperies à la figure.

J'en ai assez entendu ces derniers mois pour savoir qu'elle aimait Annie et je suppose qu'elle avait une bonne raison de ne pas avoir pu venir avant. Elle est peut-être têtue et insupportable, mais il est évident qu'elle l'adorait et qu'elle souffre. Elle semblait tellement bouleversée en entrant dans la maison que l'espace d'un instant, j'ai bien cru que j'allais devoir la consoler et essuyer ses larmes. Mais la seconde d'après, elle se met à me parler comme si j'étais un demeuré et l'homme de service de la maison ! Pour couronner le tout, elle m'accuse d'avoir profité d'Annie. J'étais furieux et franchement blessé. Non mais pour qui me prend-elle ?

Hannah est partie depuis plus de dix minutes mais l'atmosphère dans la maison est toujours électrique.

Plutôt que de ruminer des heures, je remonte à l'étage pour continuer les travaux que j'avais entamés avant que Miss casse-pied ne débarque. Cette maison est dans un bon état général, mais quelques rafraîchissements étaient nécessaires et Annie a tout de suite approuvé lorsque je lui ai proposé de m'en occuper. Je souris en repensant à ce jour, en acceptant je pensais l'aider, finalement, c'est elle qui m'a sauvé.

Je rentre dans la salle de bain que j'ai repeinte en début de semaine. L'odeur de peinture est encore imprégnée dans les murs. La chaleur est insoutenable et les émanations suffiraient à shooter un junkie. Je retire mon tee-shirt, ouvre grand la fenêtre pour aérer la pièce et m'arrête pour regarder autour de moi. Un parquet chêne blanchi recouvre le sol et les cloisons jusqu'à mi-hauteur. Pour le haut du mur et le plafond, Annie avait choisi un bleu turquoise très clair. J'étais plutôt sceptique en ressortant de la quincaillerie avec mon pot de peinture, mais en observant mon travail, je dois avouer que le rendu est plutôt pas mal. J'attrape le nouveau miroir qui est posé par terre contre le mur et le soulève pour le disposer à son futur emplacement au-dessus du lavabo. L'ancien miroir aux bordures dorées, vieux de trente-cinq ans étant piqué, j'avais pris la liberté d'en racheter un neuf, ce qui m'avait valu des réprimandes d'Annie, qui estimait que quelques minuscules taches noires ne justifiaient pas de le balancer aux ordures. En le décrochant il y a quelques jours, j'entendais encore son sermon bourdonner dans mes oreilles. Ne pouvant me résoudre à le jeter, je l'avais entreposé dans un coin du garage en attendant de lui trouver une nouvelle utilité. Après quelques tests, je trace un trait au crayon à chaque angle pour pouvoir y fixer les attaches.

Je repose le miroir sur le lavabo le temps d'aller récupérer la perceuse posée à l'autre bout de la pièce lorsque celui-ci dérape brusquement. Le miroir est à deux doigts de se fracasser sur le lavabo lorsque je tends la main par réflexe pour stopper sa chute.

Trop tard.

Ce dernier s'écrase dans un bruit assourdissant et se brise en projetant des morceaux dans toute la salle de bain.

Les oreilles sifflantes, je soulève lentement ce qu'il reste de ce pauvre miroir pour vérifier le lavabo, qui heureusement est intact. Après un rapide coup d'œil à mes pieds, je ramasse les quelques débris qui traînent à proximité. De minuscules éclats scintillants sont disséminés sur le sol de toute la salle de bain. C'est en me relevant que je remarque les tâches rouges qui parsèment le lavabo.

Génial, il ne manquait plus que ça.

Je lève ma main droite et découvre une traînée de sang s'écoulant du Mont de venus sous mon pouce, jusqu'au poignet. Je palpe la chair autour de ma plaie pour examiner les dégâts. L'entaille est profonde mais petite. J'ai connu bien pire. J'attrape le Tee-shirt jeté en boule sur le sol et enroule ma main dans le tissu avant de filer à la cuisine où est rangée la pharmacie de secours. Je descends les marches rapidement, et par précaution, place ma main en coupe sous la blessure pour éviter que le tissu, qui commence à être imbibé d'hémoglobine, ne goutte sur la moquette de l'escalier.

Au moment où j'atteins la dernière marche, la porte d'entrée s'ouvre à la volée. Hannah qui se tient sur le seuil, s'engouffre dans le couloir d'un pas décidé et avant même qu'elle ne puisse dire un mot, son regard se pose sur ma main et le tissu ensanglanté. Elle s'arrête brusquement à un mètre de moi, et me fixe de ses grands yeux noisettes, bouché bée.

***

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