Chapitre 3 : Rencontre inattendue

9 minutes de lecture

HANNAH

L'homme face à moi me dépasse bien d'une tête. Il me salut brièvement après quelques secondes d'hésitation.

— Bonjour.

Il doit avoir la trentaine et m'inspecte de la tête au pied en fronçant les sourcils. Il s'appuie sur le battant de la porte et m'observe un bref instant avant de me tendre la main. Je regarde ses doigts parsemés de tâches blanches en tentant en vain de ravaler ma grimace et sors la première phrase que j'ai en tête à cet instant :

— La sonnette fonctionne ?

Pourquoi j'ai dit ça ? Evidemment qu'elle fonctionne. Bravo Hannah, tu as l'air complètement stupide. Il me regarde, le coin de la bouche frémissant, se retenant visiblement de sourire et ramène sa main sur la poignée de la porte.

— Ravi de te rencontrer également. Il s'arrête et me sourit franchement cette fois. Oui la sonnette fonctionne. Je l'ai réparé la semaine dernière.

 Ses yeux d'un marron troublant me fixent tandis que je l'inspecte sans scrupule. Ses cheveux bruns sont en pagaille comme s'il revenait de la plage et une barbe de quelques jours recouvre ses joues. Il ressemble d'avantage à un mannequin Calvin Klein qu'à un pensionnaire de maison de retraite. Son jean qui tombe bas sur ses hanches, est recouvert de tâches de peinture et mon regard s'attarde sur ses longues mains et ses avant-bras musclés. Sous son Tee-shirt fin, je devine clairement la musculature de ses épaules et de son torse. Après cette analyse rapide de son accoutrement et de son physique, plutôt bien entretenu, mon esprit logique en déduit qu'il est sportif, ou que son travail doit être physique. J'y suis. Monsieur Carter l'a certainement engagé pour effectuer quelques travaux d'entretien.

— Vous êtes là pour les travaux ?

— Oui, entre autres. Me répond-il simplement. Il continue de me fixer en souriant, et la lueur d'amusement que je devine dans son regard commence déjà à m'agacer.

— Je suis la petite fille d'Annie.

— Je sais. Hannah, c’est ça ?

Il se décale pour me laisser passer, en m'invitant à rentrer d'un signe de main. Chez moi. Ce qui m'irrite encore plus. Je suis un peu surprise qu'il sache qui je suis et m'apprête à le questionner à ce sujet, mais je perds le fil de mes pensées en m'engouffrant à l'intérieur de la maison, où des odeurs familières m'envahissent. Je passe devant lui et traverse le couloir aux murs crème qui mènent au salon. Rien ne semble avoir changé depuis ma dernière visite. L'espace d'un instant, j'ai l'impression qu'Annie n'est jamais partie. Ma gorge se serre et je tourne le dos à « mon hôte », me sentant soudain trop vulnérable. Conscient de mon malaise, il attend silencieusement avant d'ajouter :

— Je peux te servir quelque chose à boire ?

Quand je lui fais face de nouveau, il m’observe d’un air gêné, les mains dans les poches.

— Non... merci. Je...euh... suis venu pour parler à Monsieur Carter, est ce qu'il est là ?

Il se redresse et s'éclaircit la gorge, visiblement mal à l'aise. Il hoche la tête brièvement, puis s'avance face à moi.

— Bien sûr. Je ne me suis pas présenté correctement. Jamie, enchanté.

Il s'arrête et semble étudier ma réaction. Je ne comprends pas vraiment pourquoi il se présente encore une fois. Est-ce qu'il ne l'a pas déjà fait ? Je ne m'en souviens pas du tout. Comment lui faire comprendre poliment que je n'en ai rien à faire et que je veux juste parler à son employeur. Je repose donc ma question en articulant exagérément, au cas où il serait légèrement stupide ou bien à moitié sourd.

Après ce qui me paraît être un interminable silence, il se met à sourire en secouant la tête, son front plissé par le doute, semblant à la fois confus et amusé par la situation.

— Vous êtes chiant à la fin à sourire sans cesse ! Est-ce que Monsieur Carter est là oui ou non ?

Mon regard énervé, mes sourcils froncés et mes mains sur les hanches n'ont pas du tout l'effet escompté. Mon interlocuteur se retrouve secoué par un fou rire et lorsquil reprend enfin sa respiration, mes joues sont en feu, et je suis à deux doigts d'attaquer le tour de la maison pour partir à la recherche de ce cher James Carter moi-même.

— Désolé ! ... Vraiment, me répond-t-il à bout de souffle, paraissant de nouveau au bord de l'éclat de rire. Navré, j'aurais dû être plus clair ! Je crois qu'on s'est mal compris. Il balaye son corps de haut en bas de sa main droite et ajoute plus sérieusement : Jamie, ou James Carter si tu préfères. En réalité, personne ne m'appelle James.

Je le fixe, encore plus désorientée, puis promène mon regard dans la pièce comme si la réponse à mes interrogations pouvait se trouver sous le coussin du canapé ou derrière un des tableaux du salon. J'ai du mal à encaisser le flot d'informations qui m'assaille depuis ce matin. J'ai l'impression d'être dans un labyrinthe sans fin, où chaque virage est ponctué d'un obstacle ou d'une énigme supplémentaire. Je crains que cette conversation ne finisse par m'achever complètement.

— C'est quoi le truc ? Vous êtes son petit fils ? Son fils ? Je ne vous suis pas là...

Dubitatif, il examine mon visage comme si j'étais une équation à résoudre et fini par siffler. En réaction à mon ton sec certainement. Ok peut être un peu trop sec. Je ne sais pas pourquoi, mais ce type m'exaspère.

– Woaw… Il grimace et se frotte la joue d'une main.

— On reprend depuis le début d'accord ? James Carter. Le seul et l'unique. Pas de grand père, ni personne d'autre dans cette maison. Annie m'avait prévenue que tu étais bornée et je dois bien avouer que tu es largement à la hauteur de ta réputation !

J'ouvre des yeux ronds et recule d'un pas lorsque mon cerveau imprime enfin.

Lui, James Carter ? Ce type-là ? C'est lui qui vivait avec ma grand-mère ?

Cette fois, c'est à mon tour d'exploser de rire. Je dois avoir l'air d'une névrosée car pour la première fois depuis que je suis arrivée, Bob le bricoleur s'arrête enfin de sourire. Il a même l'air un peu soucieux et ne fait aucun commentaire jusqu'à ce que je reprenne ma respiration et lui rétorque :

— Donc vous... vous là, vous êtes James Carter ? Le James Carter du bail ? Je hoquète en le désignant de la main d’un geste dédaigneux. Sans dire un mot, il se contente d'acquiescer d'un hochement de tête en haussant les sourcils et en plissant les lèvres, avec l'air d'être complètement désolé pour moi.

— Vous ? C'est vous qui viviez avec ma grand-mère depuis six mois ? Que... Pourquoi ? Non mais je rêve ?! Ne me dites surtout pas que vous et Annie...? Quelle horreur ! J'espère pour vous que vous n'avez pas abusé d'elle, d'une manière ou d'une autre parce que je vous promets que ...

Sans attendre que je puisse finir ma phrase, il s'avance brusquement et en trois enjambées, il se retrouve face à moi, son visage à trente centimètres du mien. Bien qu'il me foudroie du regard, le ton de sa voix est d'un calme menaçant.

— Je t'interdis de finir ta phrase. Il a l'air furibond. Je continue de le fixer mais je peux voir sa poitrine monter et descendre alors qu'il essaie de maîtriser sa respiration. Monsieur est énervé ? Parfait. Je le défi du regard et lève le menton avant de rétorquer.

— Je vous interdis de me donner des ordres.

— Annie était mon amie et jamais je ne me serais permis de faire quoi que ce soit sans son consentement. Et si tu es assez stupide pour croire qu'elle aurait laissé qui que ce soit abuser d'elle, c'est que tu ne la connaissais mal !

Son visage est tellement près du mien maintenant, que je peux sentir la chaleur irradier de sa peau. Il bouillonne de colère. Et il n'est pas le seul.

— Non mais pour qui vous vous prenez ? Annie était ma grand-mère ! C'est elle qui m'a élevée ! Je la connaissais mieux que quiconque ! Je connais ses amis et vous n'en faites pas partie !

— Vraiment ? Et comment peux-tu en être certaine ? Le nombre de fois où tu es rentrée ces deux dernières années se compte sur les doigts de la main ! Elle nous a quittés depuis plus d'un mois et tu débarques seulement maintenant ?!

Aïe. Sa remarque me fait l'effet d'une gifle.

Ce type ne connait rien à ma vie. Lorsque j'ai perdu Annie, j'y ai laissé une partie de mon âme. Elle a été comme une mère pour Clark et moi. Elle nous a tout appris et nous lui devons tout ce que nous avons aujourd'hui. Elle nous a toujours poussés au-delà de nos limites, encouragés à aller vers le meilleur et protégés contre le pire. Quand j'ai dû déménager à Brisbane pour mes études, la séparation a été horrible pour moi. J'ai pleuré des semaines durant, mais c'est Annie, qui chaque jour au téléphone, me consolait et m'encourageait à aller de l'avant. La vie est une chance, ne la laisse pas passer. Je l'entends encore me répéter cette phrase inlassablement. Chaque jour depuis son départ, je suis rongée par la culpabilité. De ne pas avoir été là pour elle ces derniers mois. De ne pas avoir vu qu'elle était malade. Mais je sais qu'Annie n'aurait jamais voulu que je m'apitoie ainsi sur mon sort. En revanche, ce que je ne sais pas, c'est pourquoi elle ne m'a jamais parlé de l'homme qui se tient face à moi. Est-ce que le fait qu'elle ne m'ait rien dit concernant son cancer a un rapport avec lui ? A cet instant, plus que jamais, je suis dans l'incompréhension totale. Pourquoi lui ? Pourquoi ce bail ? Pour je ne sais quelle raison, il vit dans notre maison depuis six mois et il croit que ça lui donne le droit de me juger ?

Je reprends mes esprits et recule d'un pas, soudain consciente de la proximité gênante de nos visages. Il se passe la main dans les cheveux, manifestement embarrassé et se frotte la nuque, semblant chercher ses mots. Avant qu'il ne puisse m'achever avec une autre de ces remarques blessantes, je lui rétorque :

— Il est hors de question que vous restiez dans cette maison un jour de plus. Je n'ai aucune idée de la raison pour laquelle Annie a accepté de vous loger, mais si vous avez un tant soit peu de respect pour elle... et pour ceux qui lui sont chers, alors allez-vous-en s'il vous plait. Je vous laisse quarante-huit heures pour débarrasser vos affaires.

— J'ai promis à Annie que je serais présent pour elle jusqu'à son dernier jour. Et je lui ai promis de prendre soin de cette maison. Je ne partirai pas avant la fin de mon bail. C'est ce que nous avions convenu ensemble, et j'y tiens sincèrement. Il me reste six mois pour finir ce que j'ai commencé. Je ne te retiens pas, tu sais où est la sortie.

Non mais je rêve ? Ce mec est sérieusement en train de me virer de ma propre maison ? Je le regarde bouche bée et cherche une réplique cinglante pour lui clouer le bec, mais rien ne vient. Honorer ce foutu bail et m'effacer pendant six mois ? Soudain, respecter la dernière volonté de ma grand-mère me semble insurmontable. Je suis furieuse contre Annie mais surtout contre ce maudit James Carter. Je meurs d'envie de lui balancer mon pied dans l'entrejambe.

Cette dernière idée me démange et je suis si près de succomber à la tentation que je dois fermer les yeux et inspirer profondément pour me calmer et pouvoir lui répondre sans hurler à nouveau.

— Je ne plaisante pas. Je n'en ai rien à faire de votre promesse ni de ce foutu bail. Vous êtes ici chez moi. Vous avez quarante-huit heures et pas un jour de plus.

Il me regarde stoïquement et d'une main, sans me lâcher des yeux, m'indique le chemin du couloir qui mène à la porte d’entrée. Je fulmine lorsque j'emprunte la sortie et je l'entends crier « à dans six mois ! » de l'autre pièce avant que je ne claque la porte derrière moi.

***

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 1 versions.

Vous aimez lire Audrey Gart ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0