Mars

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C'était la honte. Il avait plu sur février comme il pleuvait sur mars. Et moi, j'étais toujours soldat. J'étais toujours couard. J'étais toujours en vie... Toutes les nuits la pisse imprégnait mes draps. Elle brûlait ma peau, et c'était mille fois préférable à la honte qui me rongeait de l'intérieur. Le souvenir de Lydia et de son père me visitait à chaque fois que je fermais les yeux, même en l'espace d'un clignement de paupières. Parfois, malgré le fait que je m'interdisais d'y penser, l'image d'Alicia, ma tendre épouse, se superposait à celle de Lydia, et j'ouvrais grand les yeux de stupeur, m'enfonçant un poing dans la bouche pour ne pas hurler face à cette vision d'horreur.

Quelques fois, il m'arrivait de dormir. Mais c'était aussi rare que les opposants du régime encore en vie. Peut-être plus. Je ne sais pas comment ils font, mais j'ai toujours l'impression que lorsque l'un d'eux meurt, dix nouvelles têtes montent au front, telle une hydre ! Et malgré les protestations de colère que je laisse s'échapper de ma bouche pour faire bonne figure devant mon chef, je suis à fond avec les opposants, et j'espère qu'ils vaincront, qu'importe le temps que cela doit prendre !

Mon chef... Jamais je n'oublierai notre première rencontre. Il jouait avec ma vie comme il jouait avec un yoyo, et quand il avait dit qu'il me laissait vivre encore un peu, c'était comme s'il proclamait être Dieu et qu'il avait droit de vie et de mort sur quiconque croisait son chemin. Depuis, il me méprisait, mais, et cela il l'ignorait, pas autant que je le haïssais, lui et son régime totalitaire à la con !

Il riait en m'appelant le pisseux et, comme à la vieille époque, le matin au réveil, il me faisait faire le tour du camp en exposant mes draps souillés pendant la nuit, alors que j'étais simplement vêtu d'une couche pour bébés qu'il me forçait à enfiler pour l'occasion. Il riait aux éclats, rapidement imité par les autres, qui réagissaient soit par crainte, soit par soulagement de ne pas être la cible, soit par plaisir véritable de faire souffrir et d'humilier ceux qu'ils jugeaient « inférieurs ».

C'était comme ça, à Auschwitz ? Je ne valais pas plus qu'un juif, qu'un handicapé ou qu'un être inférieur pendant la seconde guerre mondiale ? Alors même que j'étais soldat pour « Le Parti Unique » ? Je valais et avais moins de droits qu'un chien ? Dis-moi Andorra, pourquoi je fais tout ça ? C'est ça, survivre ? Être encore en vie et nier que l'on est mort de l'intérieur, parce que l'on n'est plus rien ? Plus rien qu'un amas de cendres, vestiges de notre âme noircie par les flammes de la cruauté?

C'était la honte. L'humiliation. Et à cause d'elle, la haine enflait toujours plus en moi, moi qui m'étais toujours qualifié de partisan de l'amour !

C'était la guerre. Il pleuvait sur mars, quelque part au nord de ma vie de moins que rien.

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