I.1 La Pacte d'Amour

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Cela devait bien faire deux heures. Oui, deux heures que la berline tressautait au rythme des cahots de la route et que la chaleur s’accentuait dans l’habitacle, cent vingt minutes au moins depuis que Stolas Riordan et son aîné avaient pris la route, autant de temps que la patience du garçon était mise à l'épreuve.

« Vas-tu cesser de me regarder, à la fin ? » explosa-t-il soudain contre son frère.

Klaus réagit à peine. Il était si accoutumé aux sautes d'humeur de Stolas qu'elles ne pouvaient plus le surprendre. Pour autant, lorsque son frère pinçait ses lèvres roses et serrait ses poings minuscules, les yeux grands ouverts sur ses iris bleues cristallines, il ne pouvait se résoudre à l'ignorer. Ce sale gosse était toujours outrageusement mignon.

« Ne t'énerve pas comme ça, je ne te regardais même pas, se défendit-il. J'observais ta chevalière.

— Qu'a-t-elle d'assez fascinant pour être observée si longtemps ? répondit Stolas qui ne décolérait pas.

— Je t’assure que ça ne fait qu’une minute. Je ne te l'avais jamais vue. Quand Père te l'a-t-il offerte ?

— Ce n'est pas un cadeau de Père, mais de Simon. »

Klaus reconsidéra la bague qui seyait étroitement à l'annulaire de son frère. L'anneau était fait d'or blanc, orné d'une aigue-marine ovale et portait deux lettres cursives en gravure : S.R.

« Simon Rogue et non Stolas Riordan, devina Klaus.

— Oui, cette chevalière était à lui.

— Vous... tu... ? »

Stolas comprit au balbutiement de son frère que ce dernier était sur le point d'aborder un sujet contrariant et s’y prépara de son mieux. L’aîné soupira en lui voyant l’air grave.

« Tu es bien conscient que ce garçon et toi n'êtes pas réellement en couple, n'est-ce pas ?

— Pourquoi dis-tu cela ? fit Stolas l'air exagérément vexé. Simon et moi sommes fiancés.

— Ces fiançailles ne sont qu'administratives et ne sont nullement reconnues par la Cour Céleste. Vous n’êtes encore que des enfants, Stolas.

— Klaus, ne te prononce pas au nom des dieux, c'est blasphème !

— Je ne fais que te dire les choses telles qu’elles sont. Par ailleurs, il n’est pas poli de me répondre comme tu le fais.

— Comment veux-tu que je te réponde lorsque ce que tu me dis est si désagréable ? Père a voulu ces fiançailles. Mère y a consentit. Notre union est reconnue par l’Empereur et je suis maintenant Premier Héritier de la famille. Voilà ce qui est.

— Et depuis quand cela t'intéresse ? Tu n'as toujours aspiré qu'au monde de l’Ether. Il y a un mois, encore, tu disais des affaires terrestres qu’elles étaient en-deçà des tiennes. Ton avis a-t-il changé si radicalement et si vite ?

— Il faut le croire. »

Devant l’entêtement de son benjamin, Klaus renonça au palabre. Comme son frère, il laissa son regard se perdre dans le paysage en attendant d’arriver à destination.

Les Riordan habitaient les environs du Mont Impérial, petit paradis naturel irrigué par la Veine d'Anhé. Avec les Rogue, ils étaient des rares privilégiés à y posséder des terres. Ainsi, malgré les quatre lieues qui séparaient leurs résidences respectives, les deux familles étaient voisines.

On trouvait deux demeures sur le domaine des Rogues : la maison de plaisance du chef de famille, père de Simon, puis celle principale d'Adam Rogue, l’oncle de ce dernier. Ce fut à celle-ci que Stolas et son frère arrivèrent aux environs de dix heures.

Ils marquèrent d'abord l'arrêt devant un portail. Le bruit des sabots s'étant tu, on put entendre la voix fluette de la bonne et le rire gras du cocher qui échangeaient de bons mots à l’avant de l’attelage. La grille ouverte, la berline s’ébranla de nouveau pour monter jusqu’à l’entrée de la demeure où elle freina pour de bon.

Stolas poussa violement sa portière, manquant de faucher un bras à sa bonne qui venait lui ouvrir. Il mit pied à terre en inspirant profondément, soulagé d'être enfin arrivé.

« Mais qu’avez-vous tous, aujourd’hui ? s’agaça­-t-il en remarquant tout juste la jeune rousse. N’avez-vous rien de mieux à faire que de me fixer ?

— Ne prêtez pas attention à ses colères, la somma Klaus qui descendait après son frère. Vous le connaissez, il est d’humeur détestable les jours de grande chaleur. »

Il posa une main ferme sur l’épaule de son jeune frère. Par ce geste, il parvint à lui faire comprendre que son comportement était proche de lui valoir une réprimande.

« En effet, s’aplatit Stolas, le trajet m’a fatigué, je me suis laissé emporter. Mes excuses, Paula. »

L’employée, encore mal remise de l’épisode de la portière et comprenant tout juste qu’on s’adressait à elle, rit nerveusement.

« Ce n’est rien, Maître. Je vais descendre votre violoncelle. »

Ce qu’elle est simplette... pensa Stolas avec mépris alors que la jeune femme s’affairait à récupérer l’instrument.

Devant lui, la porte s'ouvrit sur Niclas Arel : un domestique qu’il trouvait plus désagréable chaque fois qu’il le croisait.

« Maître Stolas, minauda-t-il, nous n’attendions plus que vous. Votre frère se joint-il également à la fête ?

— Pas du tout, répondit le concerné d’un ton courant. J’ai rendez-vous en ville pour un entretien avec Sélène Tamiya.

— La propriétaire des Galeries ?

— Très exactement. Je vous confie mon petit frère, tâchez de veiller sur lui comme il se doit. Mes excuses aux maîtres de maison, je n’ai pas le temps d’entrer les saluer.

— Je leur transmettrai vos amitiés.

— Vous ferez bien. Souhaitez également un joyeux anniversaire à Marnie. »

Klaus ne s’attarda pas après ces politesses. Dès que l’attelage l’eut emporté, Stolas regagna les quelques centimètres que la présence oppressante de son aîné lui avait fait perdre.

On arriva aux portes d’un salon dont la décoration n’était pas du meilleur goût. La pièce était traversée de banderoles jaunes et bleues, noyée sous des tonnes de rubans colorés et envahie par plus de ballons qu’il n’y en avait jamais eu autre part que dans une usine de baudruche.

Sous les regards intéressés des Rogue et de leurs proches, le jeune garçon entra. L’instant d’après, il fut surpris par l’étreinte sauvage de la petite Marnie, toute heureuse de voir arriver son invité préféré.

« Stolas, je ne sais pas quel sortilège vous avez jeté à ma fille, plaisanta sa mère, mais elle n’a eu que votre nom à la bouche ces derniers temps.

— Ah, vraiment ? » feignit-il de s’intéresser.

Il essayait de se rappeler la dernière fois qu’il avait entendu la petite fille dire quelque chose d’intelligible. Elle ne s’exprimait pratiquement que par signe, il la voyait donc mal avoir quoi que ce soit à la bouche ou seulement dans la tête.

Après s’être libéré de son emprise, il s’appliqua à saluer chaque personne présente, conformément à leur statut. Il demanda ensuite où trouver Simon dont l’absence l’étonnait.

« Tel que je le connais, il doit être dans la bibliothèque. Henri, voulez-vous bien y conduire Stolas ? Lui, devrait réussir à nous le faire descendre.

— Certainement, Madame. Si le jeune maître veut bien me suivre. »

Stolas suivit en effet, jusque l’étage des combles. On le laissa devant la porte ouverte d’une pièce peu éclairée. Trois grosses étagères saturées de livres s'y serraient. D’autres ouvrages encore s’entassaient sur une table et autour du mobilier sommaire de la pièce. Au milieu de cet incroyable désordre, un garçon de dix ans, grêle et pâle, laissait pendre une longue tresse blonde par-dessus son épaule, penché sur un livre.

« Tu tombes bien, dit Simon en remarquant Stolas, j’ai une question pour toi. Les autres fées ont-elles aussi forme humaine ou ton apparence vient-elle de tes origines terrestres ? »

L’interrogé claqua la porte derrière lui.

« Moins fort ! souffla-t-il rageusement. Tu veux qu’on t’entende ? Rappelle-toi que notre accord ne tient plus si, par ta faute, on connait mon secret !

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