Le père et la mère

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« Il faut que tu me laisses la place ! souffla le père avec une tension proche de la panique dans la voix.

— Tu ne peux pas, tu le sais bien ! »

Le bureau était fermé, mais Melody écoutait, attentive, invisible dans un coin. Elle était anxieuse. Espionner ses parents était justifié. Elle ne faisait rien de mal. Ils ne pouvaient pas lui reprocher de s’inquiéter. Sa maman n’avait pas dormi depuis trois jours ! La pluie durait trop longtemps, même si les éclairs avaient cessé.

Les étoiles dorées sur le ciel bleu des yeux de sa mère ne brillaient plus de leur bel éclat de joie. De grands cernes marquaient son visage. Elle avait le teint pâle, la peau rêche. Ses cheveux, ternes, partaient par poignées. En trois jours, trois ans de maladies semblaient s’être abattus sur ses épaules.

« Tu ne tiendras pas une nuit de plus, Aria !

— La pluie ne s’arrête pas ! Les nuages ne bougent plus ! Toi non plus tu ne tiendras pas ! Tu n’as pas assez de pouvoir, Melvin ! »

Melody lâcha une légère plainte et les deux parents se turent. L’homme avait les poings serrés et la femme ferma les yeux.

« Melody ! souffla-t-il.

— Je veux aider Maman moi aussi… répondit la petite voix de la gamine.

— Dehors ! Sors d’ici ! »

D’un geste de la main, le père ouvrit la porte.

« Dehors ! » tonna-t-il de nouveau.

Melody courut dans le couloir en sanglotant et le bureau se referma derrière elle dans un claquement sec. Dans le salon, elle retrouva Sans. Elle se jeta contre lui et pleura toutes les larmes de son corps, lui sembla-t-il.

« Pourquoi est-ce qu’on se transfère pas ? demanda Sans.

— On peut pas. Papa dit que la pluie fait des interférences.

— Il dit la vérité ? »

La petite ne répondit pas. Non, ce n’était pas vrai. Elle serra son frère plus fort dans ses bras.

« C’est ma faute, hein ? Comme j’ai pas de magie, on peut pas se transférer ?

— Non. C’est pas ta faute », mentit naturellement Melody.

Les deux enfants restèrent dans le canapé sans bouger, en écoutant la pluie tomber sur les tuiles de la maison, inquiets.

Quand leur père les rejoignit, il s’était écoulé une longue heure. Il avait pleuré.

« On va y aller. On va se transférer loin de la pluie. Sans, va préparer tes affaires.

— Vous pouvez me transférer ? fit le garçonnet d’une voix fluette.

— On va y arriver. »

Melody lui jeta un regard inquiet avant de sauter du canapé. Son frère s’éloigna et regagna sa chambre. Il devait prendre son doudou et son sac à dos. Dès qu’il fut à l’étage, la petite demanda :

« Comment tu vas faire pour le transférer sans Maman ?

— Maman vient, et toi aussi. Nous partons tous les quatre. »

Il s’accroupit devant elle. Quand il faisait cela, elle était plus grande que lui. Mais elle n’aimait pas ça. C’était toujours pour lui parler de choses graves. Comme quand le chat était parti rejoindre Mémé dans la mort.

« Melody, Maman et moi nous n’avons pas assez de magie pour nous transférer tous ensemble, mais toi… . »

Sa voix tremblait. Il serra les dents, puis planta son regard vert dans celui de Melody.

« Moi, j’ai beaucoup de magie, murmura la fillette.

— Il va falloir que tu participes au transfert.

— D’accord. Je fais comment ?

— Tu laisses Maman et Papa faire, mais, Meldoy, cela risque de te faire mal. Mais il faudra tenir bon, d’accord ? »

Melody hocha la tête puis son père l’envoya aussi faire ses bagages et s’habiller. Comme ils sortaient, elle mit ses bottes et son manteau rose. Quand elle redescendit dans le salon, sa mère était assise dans le canapé, Sans sur ses genoux et son père debout, près d’elle. Sans avait pris son sac à dos arc-en-ciel, son préféré. Leur papa avait dessiné une sirène aux longs cheveux mauve dessus. Melody adorait ce sac. Plus jeune, elle en avait été jalouse, mais maintenant, elle avait grandi.

La petite sorcière rejoignit sa famille et son cœur se serra : de près, l’état de sa maman était encore plus préoccupant. Elle se blottit sans rien dire dans les bras de ses parents, Sans collé contre elle.

« Allons-y », décida sa mère.

Melody savait qu’elle aurait préféré dire cela d’un ton ferme. Elle fit de son mieux pour ignorer le tremblement de sa voix et la peur qu’il fit naître au creux de son ventre. Son papa l’avait avertie que le transfert lui ferait peut-être mal, mais mal comment ?

« J’ai peur, gémit-elle en glissant ses doigts dans la paume que lui tendait son père.

— Tout va bien se passer », la rassura-t-il.

Elle se dit qu’en vrai, il n’en savait rien. Sa maman referma ses bras autour de Sans, puis adressa un signe de tête à son mari et ils déclenchèrent le transfert.

Se transférer, c’était disparaître à un endroit et apparaître par magie dans un autre. Melody n’avait pas souvent eu l’occasion de le faire, mais, ce qui était certain, c’est qu’auparavant elle n’avait jamais eu à donner de sa magie comme ça. Sa maison se brouilla autour d’elle, elle eut l’impression que le monde tournait sous ses pieds, puis, soudain, elle sentit une très forte brûlure dans sa main, là où son père s’agrippait. La sensation remonta très vite dans son bras, comme s’il était tout entier en feu. Elle cria, de surprise, puis de douleur. Elle avait tellement mal qu’elle n’arrivait plus à respirer. Elle perdit connaissance.

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