Epilogue

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J’ai quitté New York juste avant Noël. Mes affaires les plus précieuses rassemblées dans quelques lourdes valises placées dans la soulte de l’avion. Le reste vendu sur Craigslist, un site de petites annonces américain, où l’on peut tout acheter et vendre, jusqu’à son propre corps. J’ai l’esprit tranquille, certes un peu angoissé par l’avenir incertain, mais avec le sentiment de ne plus avoir rien à faire dans cette ville-monde dont l’horizon se rétrécit de jour en jour. Un retour en Bretagne, temporaire au moins, s’imposait. Et je ne suis pas mécontent d’y poser mes valises juste au début de la saison des tempêtes, ma préférée.

Les semaines qui ont précédé mon départ ont été consacrées aux adieux, comme le veut la tradition, et la nature humaine, sans doute. C’est à cette occasion que j’ai fait le constat suivant, cruel mais juste : à part quelques collègues et un ou deux types avec lesquels j’avais couché plus d’une fois, je ne comptais pas véritablement d’amis à New York. Filip avait définitivement coupé les ponts depuis des mois déjà. Sanjay n’était pas vraiment plus qu’un très bon collègue, et Erika était partie il y a si longtemps que le contact était déjà rompu depuis un bon moment. Idriss et Ewelina, c’était un peu différent. Nous étions liés par un lourd secret qui, il est vrai, n’avait désormais plus aucune importance. Mais il subsistait malgré tout une forme de complicité, qui a justifié que l’on prenne un verre ensemble, une fois venu le soir du dernier jour de notre vie de travailleurs newyorkais.

Et puis, quelques jours plus tard encore, alors que mes cartons étaient déjà faits et que je dormais sur un matelas gonflable, posé à même le sol dans mon appartement vidé de tout ce qui était vendable, j’ai partagé un repas avec Louise et Simon, que je revoyais pour la première fois depuis qu’il était en couple. Visiblement, ça n’allait pas fort entre le jeune irlandais et son nouveau petit ami. Il est resté très évasif en évoquant ce nouvel homme, dont il a tu jusqu’au prénom. Et je n’ai pas demandé plus de précisions, Louise non plus. Je n’étais pas entièrement sûr que ma collègue rebelle ait bel et bien conscience que moi et Simon avions partagé quelques mois de notre vie, sans attaches particulières – ou du moins, sans attaches sentimentales. Nous ne nous sommes de toute manière pas étalés sur le sujet. Gardant malgré tout un semblant de pudeur, aussi surprenant que ça puisse paraître, la britannique n’étant pas du genre à faire preuve d’étroitesse d’esprit. D’autant plus que Louise avait d’autre chats à fouetter. Des chats aux griffes bien acérées. Toujours profondément indécise quant à son éventuel retour au Royaume-Uni, cette dernière a passé une bonne partie du repas à partager ses questionnements existentiels avec Simon et moi, sans trouver beaucoup de réconfort dans les réponses un peu convenues et somme toute inexpérimentées des deux quasi-mais-pas-encore trentenaires que nous sommes, totalement dépourvus de sagacité. Finalement, la soirée s’est achevée sur une note plutôt sombre, et sans conduire à ce que j’avais espéré tout bas sans oser l’avouer tout haut, c’est-à-dire une dernière nuit passée avec Simon et sa créativité hors pair en matière de jeux de rôle. Tant pis… Dans une autre vie, peut-être.

Quelques jours avant la date fatidique de mon départ, j’ai reçu un message inattendu d’Ulysse, mon ex-stagiaire belge, me disant de regarder la page web du service d’action extérieure de l’Union européenne. En effet, ce dernier avait tout juste lancé une procédure spéciale de recrutement pour les anciens fonctionnaires européens des Nations Unies, laissés sur le carreau par le retrait de leurs pays respectifs de l’organisation internationale. J’ai également passé l’information à Maria, qui m’a assuré avoir déjà eu l’information, par Ulysse, elle aussi. J’ignorais qu’ils étaient toujours en contact, tous les deux. Le souvenir ravivé de notre voyage à New York, il y a trois ans de cela, alors que nous n’étions que de jeunes fonctionnaires et stagiaires pleins d’espoir, m’a quelque peu réchauffé le cœur. Et la perspective, même mince, que nous soyons réunis tous les trois à Bruxelles m’a redonné un peu d’espoir. Evidemment, nous ne saurions pas, Maria et moi, si nous avons été sélectionnés avant un sacré bout de temps. L’Union européenne n’était au final qu’une organisation internationale parmi d’autres, et il n’y avait pas de raison qu’elle soit immune à la pesanteur administrative qui les caractérise. Mais entre-temps, il n’était pas désagréable d’entrevoir ce futur possible. Reste encore à savoir qui d’autre nous pourrions retrouver là-bas. Qui d’autre aurait pu être intéressé par ce recrutement spécial ? C’est que je n’ai pas que des amis, parmi mes anciens collègues…

Pour l’instant, il n’est pas encore temps de s’en inquiéter. Et alors que l’avion crève l’épaisse couche de nuages qui stagne au-dessus de l’aéroport de Nantes, je savoure les derniers instants suspendus de mon périple américain en solitaire, avant de me faire rattraper par le tourbillon de la vie familiale. Et de la vie tout court.

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