Chapitre 1. Le concours

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Le décollage est prévu à cinq heures trente. Du matin, précision utile. Dans le hall de l’aéroport de Nantes errent quelques âmes en peine, des hommes et femmes d’affaires, le regard cerné, la tenue soignée et la mini-valise à roulette pleine à craquer de dossier. Et moi. Regardant compulsivement l’écran où les départs sont affichées. Les mains crispées sur les bretelles de mon sac à dos. Sans doute plus nerveux que je ne l’ai jamais été. Ce n’est pas tant la journée d’entretiens, de présentations et de tests en série que je m’apprête à affronter qui m’effraie. Mais tout simplement la peur de ne pas arriver jusqu’à Genève. La météo est capricieuse en ce début de printemps. La veille, de nombreux vols ont été annulés à cause des intempéries, et le moindre retard me serait fatal. J’aurais été mieux inspiré de faire le trajet en train, la veille. Mais les tarifs imbattables de EasyJet m’en ont convaincu autrement. Quel idiot. A peine quelques euros économisés pour sans doute une à deux années d’espérance de vie perdues à en juger par ma fébrilité.

Finalement, le vol ouvre à l’embarquement, quelques minutes seulement après l’heure indiquée sur mon billet. C’est plutôt bon signe. Je me hisse en tête de la file d’attente, m’attirant les foudres des passagers de classe affaires, qui me passent un à un devant, le visage empreint de mépris. Le vol décolle à cinq heures quarante, et le temps de vol annoncé est plus court que prévu. « Le vent souffle dans la bonne direction et nous portera vers Genève avec un peu d’avance », annonce le pilote. En espérant qu’il en aille de même pour mon concours. Les amateurs de métaphores climatiques apprécieront.

*

Une fois atterri à Genève, je commande un taxi, sans hésiter. Pas question de laisser la moindre chance au hasard des transports en commun dans une ville inconnue. Un bus qui tombe en panne. Une connexion que je rate à la gare. Je préfère ne prendre aucun risque. Pour vos expliquer la hauteur de l’enjeu, je suis arrivé à la dernière étape d’un long processus de sélection au terme duquel une poignée d’heureux élus se verront attribuer le statut de fonctionnaire international travaillant pour les compte des Nations Unies. La garantie d’un travail à vie, bien payé, et a priori passionnant, ou en tout cas un statut envié et convoité. A vingt-sept ans, je suis l’un des plus jeunes candidats, cette année. Il y en avait vingt-mille au départ, nous ne sommes désormais plus que quelques centaines. La pression est donc à son maximum.

Le taxi me dépose juste devant le bâtiment officiel où se déroulent les épreuves. Elles seront aujourd’hui au nombre de trois. Un entretien devant un jury. Une présentation. Et un exercice de groupe, avec d’autres candidats venus des quatre coins du continent pour l’étape européenne de la sélection. Bref, une certaine vision de l’enfer, dans sa version administrative et cosmopolite. Je vérifie l’heure sur mon téléphone. Et pousse un soupir de soulagement. Huit heures moins le quart. Je suis largement dans les temps. « Le plus dur est fait », pensé-je, amusé. Ma hantise était bel et bien d’arriver en retard. Pour le reste de la journée, il m’appartient de donner le meilleur de moi-même. Je me suis préparé avec sérieux et application, je pense être prêt. Les dés sont déjà jetés, inutile donc de stresser plus longtemps.

Je me présente à l’accueil. On m’attribue un numéro et une couleur. Le numéro, c’est moi. La couleur, c’est le groupe au sein duquel l’épreuve à plusieurs se déroulera. Vingt-deux. Jaune. Le deux, c’est mon chiffre fétiche. Plutôt bon signe. Je me surprends à un peu de superstition, héritage familial auquel je préfère d’ordinaire renoncer par crainte du ridicule. Mais dans ce genre de circonstances, ça ne peut pas faire de mal. Alors pourquoi s’en priver ? Mon numéro et ma couleur épinglée sur la poche de ma veste de costume, je me dirige vers la salle d’attente, l’esprit étrangement serein.

Assis dans un fauteuil de cuir noir au style résolument rétro, je scrute le reste de l’assemblée, à la recherche de candidats de mon âge, ou à tout le moins de mon groupe. Où sont les jaunes ? Je les repère, un par un. J’aperçois d’abord une femme d’âge mur, à la peau brune et au visage buriné par le soleil. Sans doute d’origine méditerranéenne. Puis deux trentenaires passe-partout, au crâne dégarni et aux lunettes en écailles. La ressemblance entre les deux est d’ailleurs incongrue tant elle est évidente. On aurait du mal à deviner leur nationalité, ils sont parfaitement irremarquables. Seul preuve de leur humanité, ils semblent aussi nerveux l’un que l’autre. Pour finir, un jeune homme au visage rond et à la chevelure dorée plaquée en arrière. Plutôt séduisant, malgré son costume d’un gris clair un peu tapageur qui lui donne un air de mafieux de rang intermédiaire. Il a les joues et le bout du nez un peu rose, sans doute un nordique ayant passé sa première après-midi au soleil de mars.

On nous fait signe de nous regrouper par couleur, puis de monter à l’étage. Les épreuves vont débuter. Le groupe jaune commencera par l’entretien individuel. Nous entrons à la file indienne dans un couloir lugubre où s’alignent cinq portes. Chacune mène à un jury différent. Nous avons tous une porte assignée. Il reste quelques secondes avant le début de l’épreuve. Nous patientons sans un bruit. La vision est résolument surréaliste : cinq candidats alignés devant cinq portes closes, l’air déterminé mais les jambes flageolantes, tentant vainement de rassembler ce qui leur reste de concentration et de courage avant d’entrer seuls dans l’arène. Une sonnerie retentit dans le couloir silencieux. Les portes s’ouvrent une à une. A ma gauche, le blond au visage rond et au bout du nez rose se tourne vers moi et m’adresse un léger signe de tête pour me souhaiter bonne chance. Je le lui rends, et entre dans la salle.

Je jury est composé de trois personnes. Au centre, une vieille femme indienne vêtue d’un sari couleur pistache, qui semble présider. A sa droite, un trentenaire, européen ou américain – blanc et blond, en tout cas - au visage bonhomme et à la carrure massive. Et à sa gauche, une minuscule sud-américaine d’un âge avancé, ratatinée sur sa chaise et saucissonnée dans un tailleur à l’imprimé franchement démodé. Tous me saluent poliment. Tous me font signe de m’assoir à la place prévue à cet effet, face à eux.

- Est-ce que vous pourriez vous présenter, s’il-vous-plaît ? me demande la femme indienne d’un ton glacial et dans un anglais à l’accent britannique.

C’est le signal. Je me lance.

- Bien sûr, bonjour à tous, je m’appelle Loïc Pennec, j’ai vingt-sept ans. Je suis français, j’ai grandi en Bretagne, dans l’ouest de la France, j’ai vécu quelques temps en Norvège, et j’ai étudié au Royaume-Uni, où j’ai obtenu un double diplôme en droit et en sciences politiques. J’ai travaillé pendant un an pour le compte de l’administration britannique, au sein du ministère du commerce international. J’ai quitté mon poste et suis revenu en France il y a quelques mois pour préparer le concours de la fonction publique internationale, parce que je souhaite changer non pas de domaine, mais de perspective. Pour moi, travailler dans une organisation internationale comme les Nations Unies, c’est travailler pour le progrès de l’espèce humaine, indépendamment de son pays d’origine. Je me sens à l’aise au sein d’un environnement multiculturel, et j’espère pouvoir mettre mon expérience, ma motivation et ma volonté d’apprendre au service des objectifs de l’organisation, tels que la coopération entre les pays, l’avancement des droits humains, et la protection de la paix internationale. Ce sont des valeurs que je partage, et pour lesquelles je suis prêt à m’engager.

Je récite ma longue tirade d’un trait, tenant à montrer que je me suis préparé. Le jury reste silencieux, m’écoute respectueusement, prend quelques notes. Il y a un moment de pause. Puis celle que je soupçonne être la présidente reprend la parole.

- Merci, monsieur Pennec. Je m’appelle Pryia, je suis ici avec mes collègues Hristov et Concepción pour vous poser quelques questions sur notre institution et sur votre motivation. Vous avez déjà fourni quelques éléments, et je vous en remercie, mais nous allons approfondir un peu, si vous voulez bien.

L’interrogatoire débute. La première question est posée par la dénommée Pryia, et porte sur les articles fondateurs de la Charte des Nations Unies. Sujet que je connais sur le bout des doigts, comme la plupart des candidats, je suppose. Ma réponse, précise et concise, semble la satisfaire. A sa droite, le blond à la carrure massive hoche lentement la tête en m’écoutant parler, semblant ainsi vouloir m’encourager.

Puis c’est au tour de Concepción de me passer sur le grill. D’une voix timide, elle me demande si elle peut poser sa question en espagnol. J’accepte volontiers, conscient de l’avantage que peut représenter maîtriser à la fois l’anglais, le français et l’espagnol dans cette institution où toutes trois ont le statut de langue officielle. Elle m’interroge sur l’action des Nations Unies en Afrique dans le cadre des missions de maintien de la paix. Ce n’est pas mon sujet de prédilection, mais je formule une réponse ma foi plutôt convaincante dans un espagnol que je sais irréprochable. Je me suis entraîné. Impressionnée, elle ne trouve rien à redire, et griffonne quelques commentaires que j’espère élogieux sur sa grille d’évaluation. Le fameux Hristov semble également satisfait. Il me gratifie d’un beau sourire et d’un regard rassurant, avant de poser sa question.

- Monsieur Pennec, vous avez l’air de bien connaître notre institution, ses textes fondateurs et ses missions principales. Vous n’êtes donc sans doute pas sans savoir que notre action et notre fonctionnement sont souvent critiqués. Voilà ma question : imaginons que vous être recruté demain. Votre première mission : proposer une réforme de notre administration qui améliorera son efficacité. Quelle sera votre première mesure ?

Aïe. Je ne m’y attendais pas, à celle-là. Mon visage ne laisse transparaître aucun signe de surprise ou de panique, mais je n’en mène pas large. Mes neurones s’activent à toute vitesse. Quelques idées me viennent à l’esprit. Je dois trouver le temps de les prioriser. Il me faut être ambitieux tout en restant réaliste, à la fois idéaliste et pragmatique. Ce n’est pas une tâche aisée. Je commence un début de réponse sans vraiment savoir comment ma phrase s’achèvera, tout en continuant à réfléchir.

- Et bien, je pense que… étant donnée la difficulté que représente le financement de toutes les activités dont les Nations Unies sont aujourd’hui responsable, un budget propre, indépendant des Etats et sponsors, serait une avancée positive. Peut-être certaines sources de revenu de nature internationale pourrait ainsi être destinée au budget de l’institution. Par le biais d’un taxe sur les droits à polluer ou les activités commerciales en ligne, par exemple.

Les trois jurés se regardent. Je ne parviens pas à déchiffrer l’expression de leurs visages interdits. Ils échangent quelques mots à voix basse. Concepción écrit un court message sur un bout de papier qu’elle tend à Pryia et Hristov, lesquels lisent et acquiescent. Et par la même occasion clôt le court aparté du jury. L’homme à l’origine de la question relève le visage et me décroche un large sourire. Que j’interprète comme un signe encourageant. Je crois même le voir me jeter un rapide clin d’œil. Mais sans doute ai-je rêvé. A partir de ce moment, je ne suis plus sûr de rien.

- Très bien, Monsieur Pennec, reprend Pryia d’un ton un peu plus chaleureux qu’en début d’entretien. Ce sera tout pour le moment. Merci, et bonne chance pour la suite des épreuves.

*

Je quitte la salle plutôt satisfait. Et retrouve le reste du groupe jaune, dont les membres ressortent un à un de leur salle d’examen. Le seul candidat dont l’âge est sans doute comparable au mien – le fameux blond au bout du nez rose – se dirige vers moi avec un grand sourire et l’air de vouloir engager la conversation.

- Tout s’est bien passé, numéro vingt-deux ? me demande-t-il d’un ton jovial. Je m’appelle Filip, au fait.

- Très bien, réponds-je. Loïc, pour ma part.

- Breton ?

- Comment tu as deviné ?

- Je suis flamand. Comme les trois-quarts de mes compatriotes, j’ai passé toutes mes vacances d’été en Bretagne quand j’étais enfant. Donc j’en ai croisé, des Loïc…

- Ah, tu fais donc partie du célèbre gang des nudistes en caravane ?

- Tout à fait, tu veux voir mon tatouage ?

Il rit de bon cœur à ma plaisanterie pourtant douteuse. Poli, ou bon public, je ne sais pas. En tout cas, il révèle par la même occasion un magnifique sourire d’une blancheur éclatante. Pour le reste, et abstraction faite de son épouvantable costume de mafieux, il n’est pas désagréable à regarder, avec ses lèvres rondes et rose perle, et ses yeux gris clair un peu tristes comme un ciel de Belgique. Il nous reste quelques heures avant le reste des épreuves. Je décide donc de l’inviter à déjeuner.

Nous discutons assis sur le parvis du bâtiment d’examen, partageant un sandwich aux crudités hors de prix et sans saveur. Filip, puisque c’est son nom, vit à Genève. Il travaille en fait déjà pour les Nations Unies, en tant que consultant externe. Passer le concours lui permettrait de régulariser son statut et de ne plus être tributaire du renouvellement périodique de son contrat. Il est légèrement plus âgé que moi, mais n’a pas encore atteint l’âge fatidique de la trentaine à partir duquel il est socialement conseillé d’avoir un emploi stable – voire un appartement, un époux ou une épouse, une berline allemande, un enfant ou un chien. Il me donne quelques conseils utiles pour les deux épreuves qu’il nous reste à passer. Ce n’est pas sa première tentative, il était déjà arrivé à ce stade l’année passée. Je bois ses paroles et le remercie chaleureusement, comme tout bon candidat avide de réussir, et sans doute pas tout à fait sans liens avec le sourire radieux dont il me gratifie entre chaque phrase.

- Pas de quoi, me dit-il en haussant les épaules. Tu as l’air sympa, j’aimerais bien t’avoir comme collègue, et au final, c’est un peu le but de cette journée, non ?

Nous nous quittons à contrecœur pour reprendre le chemin des épreuves. Filip me laisse en tout cas un très bonne impression. Et un léger sourire sur les lèvres, tant celui qu’il arbore en permanence en ma présence s’avère être contagieux.

Trêve de rêveries, et retour au concours. Il nous faut maintenant passer l’épreuve de la présentation. Je tombe sur les décisions du Conseil de Sécurité dans le conflit israélo-palestinien, un sujet plutôt bateau et que je connais bien, ayant fait un exposé sur ce thème lors de ma dernière année d’études au Royaume-Uni. Je ressors donc quelques concepts de droit international et autres formules toutes faites qui ne manquent pas de produire leur effet parmi les membres du jury.

Puis, vient le tour de l’exercice de groupe. Les cinq candidats de « l’équipe jaune » rassemblés autour d’une table ronde, nous avons une heure pour simuler une réunion constructive et productive, à l’issue de laquelle nous devons prendre des décisions lourdes d’hypothétiques conséquences pour le futur de l’organisation. Le tout est de démontrer sa capacité à travailler en groupe. Le jury, installé derrière nous, nous observe sans intervenir. Je reconnais Pryia et Hristov de mon panel de ce matin. Ce dernier m’adresse d’ailleurs un regard appuyé avant de disparaître dans mon dos. Je le soupçonne d’un léger favoritisme en ma faveur, mais je ne vais pas m’en plaindre.

L’exercice commence. Contre toute attente, les deux chauves à lunettes perdent rapidement leurs moyens et se révèlent être parfaitement incapables de contribuer à notre réflexion commune. La femme que je pensais méditerranéenne – qui est en fait danoise, j’y étais presque – se montre plus capable, bien qu’un peu trop rigide. C’est donc véritablement Filip et moi qui menons à bien l’exercice, complémentaires l’un l’autre, dans une harmonie tout à fait étrange pour deux individus s’étant rencontrés il y a quelques heures à peine, et n’ayant échangé au préalable qu’une plaisanterie vaseuse et un sandwich infame. Il anticipe mes questions, approuve mes réponses. Et inversement. C’en est presque gênant pour le reste des candidats qui se retrouvent vite mis de côté par l’indéniable alchimie qui opère entre Filip et moi. Quand l’exercice s’achève, je suis plutôt confiant. J’ai sentiment de n’avoir raté aucune épreuve, et même d’avoir plutôt réussi les deux dernières. Nous sortons de la salle en rang, tous soulagés d’en avoir fini avec cette journée inhabituelle et harassante.

Dans le couloir, Filip vient me retrouver et pose sa main sur mon épaule. Ce contact inattendu m’électrise légèrement. L’espace d’un instant, il semble lui-même surpris de son geste. Mais très vite se ressaisit.

- Bravo Loïc, je pense qu’on s’en est bien tirés, toi et moi.

- C’est mon impression, aussi. Mais ce n’est que la première fois que je passe le concours, je n’ai pas de point de comparaison.

- Crois moi, mon expérience avec toi était bien meilleure que ma première foi ! Enfin, que ma première fois dans ce concours… Tu m’as compris.

Il bafouille, gêné. Son visage rond prend immédiatement une teinte cramoisie et il hausse les épaules pour excuser sa maladresse. J’éclate de rire. Autant amusé par ce qu’il vient de sortir que par sa mine désolée et tout à fait attendrissante.

Notre conversation se poursuit alors que nous nous dirigeons vers la sortie. Dehors, nous sommes accueillis par une pluie torrentielle et un ciel d’orage. Convaincu cette fois par la météo, et ayant la sensation de l’avoir bien mérité, je commande de nouveau un taxi pour l’aéroport. Je ne peux malheureusement pas m’éterniser : je m’envole pour Nantes le soir même. Visiblement déçu, Filip me dit sincèrement regretter de ne pas pouvoir m’inviter à prendre un verre pour fêter la fin du concours. Je dois bien avouer que la déception est partagée. Je lui donne mon numéro, au cas où nous devrions nous revoir sur Genève, une fois les résultats publiés. Après une journée pareille, l’espoir est permis. Lui me donne le sien, avec toujours le même sourire éclatant de blancheur imprimé sur les lèvres. Nous nous quittons dans une accolade appuyée avec un fort goût d’inachevé.

*

De nouveau planté devant l’écran qui annonce les départs, je peste contre la pluie. Mon vol a du retard à cause de la météo. Deux heures, déjà. Et l’avion n’a toujours pas quitté Nantes. J’envoie un rapide message à mes parents, pour qu’ils ne s’inquiètent pas. Et m’efforce de prendre mon mal en patience.

Les heures passent sans que la pluie ne baisse en intensité. Ni ici, ni à Nantes, visiblement. L’avion y est toujours cloué au sol. Je reçois plusieurs mails de la compagnie aérienne qui repoussent l’heure de départ.

Finalement, à onze heure, le vol est enfin annulé. Fin du suspense. Je dois me battre bec et ongle avec l’employé d’EasyJet pour qu’on me garantisse une place dans le premier vol du lendemain. Il finit par obtempérer, et, d’un geste hargneux, me tend mon voucher pour une nuit à l’hôtel… EasyJet. Et bien voyons ! La dernière chose dont j’ai envie, à l’instant, c’est de dormir dans un hôtel EasyJet. Le orange criard de leur logo me ressort par les yeux !

Une autre idée me vient à l’esprit. Je dégaine mon téléphone et envoie un message à Filip.

« Mon vol est annulé ! Je ne suis pas mécontent de pouvoir compter sur les éléments déchaînés pour précipiter nos retrouvailles ! S’il n’est pas trop tard pour boire un verre, je suis partant. ».

Sa réponse ne se fait pas attendre. Quelques secondes plus tard, il m’invite déjà à passer la soirée chez lui. Ou la nuit. Ce n’est pas dit clairement, dans son message. Dans tous les cas, je ne m’y suis donc pas trompé : il y avait dans notre aurevoir quelque chose de plus qu’une simple affection amicale.

*

Je me présente à sa porte sur le coup de minuit, les cheveux ruisselants de pluie et les vêtements détrempés. Le taxi ne m’a laissé qu’à quelques mètres de son d’immeuble, mais le déluge est si violent que ces courtes secondes passées dehors ont suffi à me mouiller jusqu’à l’os. Il m’accueille de son large sourire étincelant. Il a troqué son costume de mafioso sicilien contre un t-shirt et un pantalon beaucoup plus sobre. Il en est d’autant plus séduisant. J’ai déjà presque envie de l’embrasser, mais opte pour un salut plus convenu, espérant pouvoir saisir ma chance un peu plus tard. Son appartement est vaste et simplement décoré. Les murs sont nus et les meubles classiques. Sans véritable personnalité. Il n’y passe visiblement pas le plus clair de son temps.

Grand seigneur, il me débarrasse de mon manteau humide et s’enquiert de savoir si j’ai bien dîné. Je réponds positivement. J’ai grignoté à l’aéroport. Et je n’ai pas faim. Il me propose alors de prendre une douche avant de me coucher. « Sinon tu vas prendre froid », dit-il. J’accepte, reconnaissant. Sous l’eau brûlante de la douche, mon esprit, épuisé par cette journée pleine de rebondissement, commence à divaguer. Ou, pour être plus précis, à fantasmer. Sur lui. Sur Filip. J’espère de tout cœur qu’il m’invitera à partager son lit, et que je ne finirai pas sur le canapé. M’imaginer partager sa couche et me lover contre son corps tiède me fait l’effet d’une bombe dans le bas ventre. Je suis vraiment en maque d’affection… Mon sexe durcit légèrement sous l’effet de mes pensées vagabondes, et je dois le passer à l’eau froide avant de sortir de la salle de bain pour m’éviter tout embarras.

Me découvrant à demi-nu, une serviette autour de la taille, Filip semble un temps légèrement décontenancé. Mais il se reprend vite et, à mon plus grand plaisir, me propose de dormir avec lui.

- Si tu veux, bien sûr, précise-t-il en ne manquant pas d’ajouter son magnifique sourire à son offre. Je ne te force pas.

- Tu ne me forces pas du tout, Filip.

Nous échangeons un regard complice. Tout cela augure d’une nuit intéressante. Plus intéressante, en tout cas, que celle que j’aurais pu passer à l’hôtel EasyJet.

Comme je n’avais pas prévu de rester dormir à Genève, je me glisse donc sous ses draps en sous-vêtements. Il me rejoint quelques instants plus tard, affublé d’un t-shirt sans manches et d’un caleçon moulant. Laissant apparaitre à la fois ses bras blonds et musclés et une jolie bosse à son entrejambe. Pour le bonheur de mes yeux. Pendant quelques minutes, nous prétendons discuter sans arrières pensées. Pour se tester l’un l’autre, sans doute. Jouer un peu. Voir qui saura résister le plus longtemps.

Et puis très vite, sa main vient se poser délicatement sur la peau nue de mon torse. Et y imprime une douce caresse. Ses yeux gris emplis de mélancolie sondent patiemment mon visage. Un demi sourire se dessine sur ses lèvres. Il s’approche encore, se colle contre moi, et cherche ma bouche pour y déposer un baiser. Un long baiser, tendre et délicat. Je succombe. Et l’embrasse avec fougue, sentant le désir monter en moi avec une violence inouïe. J’agrippe ses épaules puissantes et le fais basculer sur moi. Lui se débarrasse de son t-shirt et me présente sa poitrine au poil doré et ses tétons rose pâle. J’y passe la pointe de ma langue, espiègle. Il marmonne quelque chose en flamand, un flot ininterrompu de syllabes gutturales qui me semblent être plutôt engageantes, bien que je n’en comprenne pas un mot.

Ma bouche passe de la sienne à son torse, inlassablement. Notre étreinte se fait de plus en plus torride. Mes mains glissent lentement vers son bas-ventre où je sens sa queue se raidir, en devine même le bout qui s’échappe timidement de son caleçon.

Ne résistant plus, je le renverse sur le dos et viens humer son entrejambe, tel un animal sauvage. Je ne suis pas déçu. La parfum masculin de son sexe réveille en moi une pulsion irrépressible. Je sors brusquement sa queue de son enveloppe trop étroite et l’avale tout entier. Ma précipitation le prend par surprise. Je l’entends pousser un petit gémissement. Engaillardi par mon enthousiasme, il accompagne les va-et-vient de ma bouche de légères saillies, pour en augmenter l’ampleur et la profondeur. C’est un peu maladroit, parfois, mais si spontané que je ne peux lui en tenir rigueur.

D’ailleurs, il ne semble pas vouloir continuer ainsi indéfiniment. De force, il m’arrache à son membre couvert de salive, et vient baisser mon caleçon déformé par mon érection jusqu’à mi-cuisse, imitant mon empressement. Il découvre ainsi mon sexe qui se lève face à lui, et lève une dernière fois les yeux vers moi, le regard plein d’envie. Je lui donne mon aval, et il se rue sur ma queue tendue pour en embrasser le pointe de l’arrondi de ses lèvres. Puis, centimètre par centimètre, je me retrouve intégralement emprisonné dans la chaleur humide de sa bouche. Filip s’y adonne avec entrain et affection. Un peu gauche, de temps à autre. Mais incroyablement doux et attentionné.

Plus d’une fois, je crois jouir en lui. Mais parviens toujours à me retenir au dernier moment. Ne sachant pas combien de temps ce dangereux manège pourra encore durer, je me retire d’entre ses lèvres et m’agenouille sur son ventre pour me finir à la main. La sienne parcoure corps et mon visage. Caresse mes lèvres, ma joue, mon front. Finalement, j’explose sur son torse, le souffle saccadé et le corps traversé de spasmes incontrôlables. Jaloux, il me suit quelques secondes plus tard, venant se vider au creux de mes reins. Epuisé, je m’effondre sur lui et embrasse sa peau moite et salée. Sans prendre la peine de nous essuyer, nous sombrons vite l’un comme l’autre dans un sommeil de plomb, bercés par le rythme de nos respiration respectives.

Quand je me réveille, à l’aube, quitter la chaleur de ses bras me crève le cœur. Je meurs d’envie de reprendre nos ébats là où nous les avons laissés hier. De harceler son membre qui somnole, avachi sur sa cuisse, jusqu’à ce qu’il se dresse tout droit et me remplisse. Mais il faut se rendre à l’évidence : nous n’avons pas le temps pour ça, et je doute qu’EasyJet accepte un tel motif de retard. Je dépose donc un dernier baiser sur sa bouche endormie et quitte son lit, son appartement, et, pour finir, Genève.

*

Quelques semaines plus tard, de retour à Nantes, j’actualise frénétiquement le site internet où les résultats du concours sont censés être affichés depuis quelques minutes déjà. Sans parvenir à charger la page. Le réseau est saturé, je n’obtiens que le même message d’erreur. Encore et encore. C’est à s’en arracher les cheveux. Frustré, et au bord de la crise de nerfs, je délaisse mon ordinateur. Peut-être aurais-je plus de chance sur mon téléphone. Je m’en saisis, la main tremblante. J’ai un message. De Filip.

« Je viens de voir les résultats. Félicitations Loïc ! Et en tête de classement en plus ! C’est bon pour moi, également. On se verra donc d’ici peu à Genève ».

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