Chapitre 5. Le mois d'août

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Quel bonheur d’arriver au bureau en plein été, lorsqu’on y dispose d’air conditionné ! Je m’affale sur ma chaise. La chemise collée à mon dos trempé de sueur. Le trajet depuis chez moi ne dure que quelques minutes à pied, mais c’est déjà insupportable. L’air est chaud, lourd. Etouffant. Je ne redoute qu’une chose : devoir y retourner ce soir à dix-huit heures, un fois ma journée terminée.

J’allume l’ordinateur et vérifie ma boîte mail. Rien de neuf. Hristov est en congés, Maria est en Espagne, et la plupart de mes collègues ont déserté la Suisse pour les plages de Méditerranée ou d’Asie du sud-est. Je suis quasiment le seul à être présent au bureau dans le couloir, je n’ai croisé personne dans l’ascenseur, et la cantine reste fermée jusqu’au quinze août.

Hors du travail, pas grand-chose à faire non plus. Lire la presse en ligne est d’un ennui absolu. Les journaux ne publient guère que les traditionnels marronniers de l’été.

« Une énième enquête exclusive au sein des arcanes du pouvoir et de la franc-maçonnerie ». Formidable. Je vais encore en apprendre, des choses. « L’impact économique de la canicule : qui sont les perdants, et les gagnants ». Encore un article payé par le lobby de la glace artisanale. « Les fonctionnaires et ce qu’ils coûtent au contribuable ». Tiens. Intéressant. De quoi anticiper les critiques et préparer ses arguments pour le réveillon de Noël. Tout ne s’applique pas aux fonctionnaires internationaux, mais c’est toujours bon à prendre. Je garde la page en favoris. Rien d’autre. Je m’ennuie ferme.

Las, j’ouvre Grindr sur mon téléphone. Histoire de voir s’il y a des collègues connectés. Des fois que j’y croiserai un visage connu, à défaut d’en croiser dans les couloirs. D’abord, rien qui ne me semble intéressant. Quelques profils sans photo. Et des visiteurs de passage. Un couple de touristes argentins qui cherchent un troisième acolyte pour passer la nuit. L’un d’entre eux me rappelle un petit peu Alvaro, mon bel uruguayen parti trop tôt (en Uruguay). Pourquoi pas… Je leur envoi un « hola, qué tal estais » sans trop d’espoir. Pas de réponse immédiate de leur part. Puis, après quelques minutes, je me rends compte qu’ils ne sont plus en ligne. Je referme l’application, m’avouant vaincu.

Dehors, le soleil inonde la rue d’une lumière crue, implacable. Il est déjà midi. Je transpire rien qu’à l’idée de devoir sortir pour acheter un sandwich. Mais je n’ai pas d’autre choix. Je prends mon courage à deux mains, m’arrache à ma chaise de bureau et me dirige vers la sortie. Je m’engouffre dehors et suis comme happé par l’air brûlant, il fait une chaleur intenable. Je me précipite jusqu’à la sandwicherie la plus proche, et repars avec une salade de tomate. Je n’ai pas le cœur d’avaler quoi que ce soit de plus consistent. De retour au bureau, j’ouvre de nouveau Grindr. Pour avoir la sensation de ne pas passer mon repas en solitaire. J’ai un message. Les argentins, j’espère ! Et non, malheureusement. C’est un profil vide. Sans nom, sans âge, sans description. Mais à seulement cinquante mètres de moi. Autant dire, dans le bâtiment. Le message est en français.

« Salut, tu vas bien ? J’ai regardé tes photos, tu me plais beaucoup, dis-donc ! On doit être les seuls encore au bureau par ce temps. Pas trop de travail ? »

Ironique, je suppose. Je réponds brièvement sur le ton de la plaisanterie. Avoue n’avoir ni envoyé ni reçu un mail de la journée. Et demande une photo en retour, tant qu’à faire. Quelques secondes plus tard, je reçois l’image d’un pénis de taille très respectable, en pleine érection. D’ordinaire, ce n’est pas le genre de photo qui m’incitent à poursuivre la conversation, mais j’opte pour jouer le jeu. Je n’ai, pour ainsi dire, que ça à faire. Je réponds :

« Joli, c’est tout pour moi ? »

« Elle est toute à toi, oui. Puisque tu t’ennuies, viens-donc la goûter ».

Je souris. Touché ! L’idée ne me déplait pas. Les bureaux sont vides. Personne ne remarquera mon absence. Personne ne nous surprendra non plus. Et le temps passera plus vite.

« Pourquoi pas. Où est-ce que se déroule la dégustation ? »

« Je suis seul dans mon bureau, je te donne le numéro si tu veux ? Mais dans ce cas tu connaîtras mon nom… Donc j’aimerais savoir le tien, si ça te va ? »

J’hésite une seconde. Est-ce bien raisonnable de me dévoiler ainsi auprès d’un collègue ? Certes, je l’ai déjà fait par le passé, sans réellement me poser la question. Mais toujours en sachant d’abord qui était la personne. Si elle me plaisait physiquement et si elle serait amenée ou non à travailler avec moi régulièrement, et si oui, avec quel rapport hiérarchique. En même temps, savoir son numéro de bureau, c’est pouvoir vérifier sa photo sur l’intranet. Celle de son visage, cette fois. Je tergiverse. Il s’impatiente, mais me rassure.

« Tout reste entre nous bien sûr. Et si tu jamais tu changes d’avis, je ne me formalise pas ».

J’abdique, et lui donne mon nom. Quelques secondes plus tard, le numéro de bureau apparaît dans son message.

« 612 ».

Je lance une recherche rapide sur l’ordinateur. Il s’appelle Nicolas. La quarantaine tout juste entamée. Une légère barbe brune, les tempes dégarnies mais le reste du crâne couvert d’une toison de jais qui me paraît encore assez dense. Des yeux sombres. Il semble mince, et plutôt attirant. Je ne suis pas déçu. Il n’est pas chef, donc aucune chance qu’il ne pipe mot à mon supérieur lors d’une réunion du senior management. Bien que j’ignore comment Hristov réagirait : outré, jaloux, ou excité ? Bref. Dernier argument en sa faveur : sa queue est vraiment appétissante. Il me demande, légèrement insistant :

« Tu es disponible maintenant ? »

« Oui, je peux monter si tu es d’accord »

« Je t’attends ».

Je referme l’appli, le cœur tambour battant. C’est un peu fort de café, quand même. En pleine journée de travail. Mais il faut bien tuer l’ennui.

*

Je quitte ma chaise et ma torpeur, et marche à bonne allure vers les toilettes de mon étage. Rapidement, je me rafraichis le visage, jette un dernier regard dans la glace, m’élance vers l’ascenseur, et me rend au sixième. Son bureau est facile à trouver, perdu au bout d’un couloir désert, en « cul de sac ». Ce qui est plutôt de bonne augure, nous ne serons pas dérangés. Je frappe à la porte, un peu nerveux tout de même.

- Oui ? dit une voix masculine, quelque peu étouffée par la cloison mais claire malgré tout.

J’ouvre lentement, et le découvre assis à son bureau, le visage à demi caché par son écran d’ordinateur. Il est plutôt semblable à sa photo, peut-être un peu plus âgé, légèrement grisonnant. Mais ce n’est pas désagréable. Sa barbe, plus fournie qu’en photo, reste elle d’un noir de jais, et donne à son visage un air mystérieux et viril. Le teint halé d’un juilletiste tout juste revenu de vacances au bord de la mer, il est résolument à son avantage. Je referme la porte derrière moi.

- Salut, je souffle, à voix basse. Tu vas bien ?

- Bien, Loïc, et toi ? Content que tu sois venu. Approche-toi, j’ai quelque chose pour toi.

Il s’écarte de son bureau, et révèle l’entrejambe déboutonné de son pantalon en lin, duquel s’échappe son sexe déjà fièrement dressé.

- Comme promis. C’est tout pour toi, mon mignon.

Il ne perd pas de temps, ce Nicolas. Le ton salace qu’il emploie me dégoûte un peu, mais il n’est plus temps de faire machine arrière. Objectivement, l’imbécile est plutôt bien foutu. Et le regard lubrique avec lequel il me fixe ne me laisse pas complètement indifférent. Je m’approche, la démarche lascive. Lui effleure le bout de la queue de la pulpe de mes doigts. Puisqu’il veut jouer à ce petit jeu, je vais lui donner le change.

- Tu as l’air si sage, me dit-il, l’air mauvais. Et pourtant…

Il s’interrompt. Efface un léger sourire passager, pour adopter un visage plus dur. Il me désigne son sexe d’un geste du menton, et m’ordonne de m’en occuper. Je m’agenouille, le visage face à sa queue, dont l’odeur animale vient me remplir les narines. J’inspire. La chaleur du dehors a fait son effet. La chair a macéré dans un filet de sueur, emprisonnée dans le slip noir de mon hôte.

Envoûté par ce parfum empli de testostérone, je prends son sexe en bouche et commence à le sucer. Mes lèvres coulissent le long de son membre, qui disparaît petit à petit de sa vue. Il n’en perd pas une miette, son regard noir et avide plongé dans le mien. Il pousse la caricature jusqu’à déboutonner le haut de sa chemise pour laisse entrevoir son torse velu et joliment musclé. Je dois avouer que c’est légèrement intimidant.

Préférant me concentrer sur ma besogne, je détourne le regard un instant. Et m’applique à faire jouer ma langue sur son gland. Il laisse échapper un jappement aigu. Et m’empoigne le sommet du crâne pour me guider dans mon travail. Il me dompte ainsi pendant quelques minutes, emplissant ma bouche de toute sa virilité. Parfois jusqu’à la limite sa capacité. Je toussote, crache un peu de salive. Il ne s’émeut pas, et continue de gémir, enfonçant sa queue un peu plus profond encore, me tenant fermement la nuque. Je le sens gonfler, se raidir. Il ne va pas tarder à jouir. Confiant, je poursuis ma pipe, pensant qu’il me préviendra à temps.

Et puis soudain, sans aucune précaution d’usage de sa part, je sens le goût amer de son jus se répandre dans ma bouche. Je proteste, grogne. Tente de me défaire de son emprise. Mais il me force encore la main pendant quelques secondes, le temps qu’il termine de se vider en moi. Puis me relâche. Offusqué, je m’écarte de sa queue en crachotant, les lèvres et le menton luisants. Il éclate de rire.

- Excuse-moi, je n’ai pas résisté. Tu faisais ça tellement bien, ç’aurait été du gâchis de devoir me finir à la main, tu ne penses pas ?

Je ne réponds pas. Adopte une mine renfrognée. Je suis en colère. Et un peu excité aussi, malgré tout. C’était inattendu, inconsidéré, mais assez sexy, aussi, tout compte fait. Sentant qu’il m’a blessé, Nicolas cesse de ricaner, et se fait plus sérieux.

- Ne t’en fais pas, me dit-il, tu ne risques rien. Je suis clean.

Je reste muet. Impassible. Toujours indécis, partagé entre la rage et l’excitation. Perdant patience, il me soulève sous les aisselles, me lève à sa hauteur, et me projette en avant sur le bureau. Lui se dresse dans mon dos. Ses mains courent autour de ma taille, et viennent déboutonner mon pantalon. A tâtons, il vient chercher mon sexe et le sort de mon caleçon. Dur comme fer. L’épisode incongru de sa décharge dans ma douche a laissé des traces.

Il commence à me branler avec vigueur. Passe une main sous mes fesses, pour accentuer l’effet de ses va-et-vient. Je suis déjà tout près de jouir, quand il se met à genoux et fait glisser mon caleçon jusqu’à mes chevilles. Je sens alors la tiédeur de sa langue s’inviter entre mes fesses. Elle monte petit à petit, à partir de la naissance de mes testicules, jusqu’à celle de ma raie. S’attarde sur mon trou. Et y reste. Le lèche. Le titille. Le pénètre de quelques millimètres. Encore et encore.

L’excitation est à son comble. Je ne tiens plus. Et pendant que Nicolas s’évertue à me dévorer le derrière, je j’exulte sans qu’il me frôle la queue. En longs jets qui finissent leur course sur la moquette, quelques centimètres plus loin. Terrassé par le plaisir. Les jambes traversées de spasmes.

Nicolas se relève, et reboutonne son pantalon. Se désaltère d’un grand verre d’eau. J’en fais de même. Encore secoué par l’orgasme.

- Ne t’en fais pas pour ça, dit-il en désignant les tâches blanchâtre sur le sol. Je nettoierai plus tard.

Romantique, en plus. Il a vraiment tout pour plaire, ce Nicolas.

*

Je quitte la pièce sans que nous échangions un mot de plus. Dans le couloir, sur le chemin du retour, je croise Ulysse, le beau stagiaire belge au nom de navigateur antique et à l’inimitable queue de cheval tirée en arrière, vêtu d’un simple short en jeans qui lui arrive à mi-cuisse et d’un t-shirt au col évasé, peut-être un peu trop décontracté pour le bureau, mais après tout, personne n’est là pour le lui faire remarquer. Surtout pas moi. Il me salue chaleureusement.

- Salut Loïc, et bien tu as l’air d’avoir chaud !

- Oui, je réponds, un peu gêné, je reviens de l’extérieur. C’est un vrai four, dehors…

- En effet, c’est l’enfer. En tout cas, il n’y a pas grand monde au bureau, ces jours-ci.

- Non, c’est très tranquille. Trop tranquille, même. D’ailleurs, tu as suffisamment de choses à faire, de ton côté ? Si tu t’ennuies, fais-moi signe.

- Je ne suis pas contre une tâche supplémentaire. Le tableau que Hristov m’a demandé ne va pas m’occuper tout l’été…

Je promets d’y réfléchir et de revenir vers lui avec une idée de tâche à accomplir. De retour à mon bureau, je m’effondre sur ma chaise. Et remarque un nouveau mail. Tiens, le premier de la journée. C’est d’un certain Nicolas.

« Merci Loïc. On refait ça quand tu veux ».

*

La journée s’achève sans autre événement plus mémorable que mon passage au sixième étage. Ce qui est sans doute assez rassurant, tout compte fait. Je rassemble mes affaires, et m’apprête à rentrer chez moi. Regarder un film, et attendre la fraicheur de la nuit pour ouvrir mes volets, mes fenêtre, ma chemise et respirer à nouveau. En passant devant le bureau d’Ulysse, je me remémore soudain ma promesse. Quel idiot, j’ai pourtant eu le temps de réfléchir ! Je frappe à la porte. Il est toujours là, et m’indique d’entrer.

- Ulysse, je te dois des excuses. J’ai complètement oublié de penser à une tâche pour toi.

- Pas de problème, Loïc, j’ai encore à suffisamment faire.

Me sentant coupable à la vue du tableau Excel interminable que Hristov lui a demandé de compléter pendant son absence, je me risque à lui proposer un verre. Qu’il il accepte avec joie, visiblement soulagé de pouvoir consacrer du temps à autre chose qu’à copier-coller du texte dans les cases d’un tableau sans fin.

- Tu préfères aller en ville ou à la plage, me demande-t-il en passant son sac en bandoulière autour de son cou.

- Tiens, la plage, réponds-je, c’est une bonne idée ! On sera bien mieux à l’ombre au bord de l’eau que sur une terrasse en plein cagnard.

*

La plage des Nations Unies est une bande de pelouse inclinée à flanc de lac, protégée des regards indiscrets (comprendre, des non-fonctionnaires) par une végétation épaisse et luxuriante. En contre-bas, un marchand de glace et de boissons fraîches, installé dans une cabane en bois. Quelques transats. Et un petit port de plaisance dans lequel flottent quelques barques à moteur, propriété des employés de l’institution. Il n’y a pas foule, ce soir. Principalement des jeunes employés ou stagiaires estivaux, comme Ulysse. Le tout est plutôt simple, bon enfant : le vrai luxe est l’exclusivité, l’accès à la plage étant réservé au personnel et à leurs familles. Je vais commander deux thés glacés à la cabane prévue à cette effet, laissant à Ulysse la responsabilité de trouver deux transats libres à l’ombre des saules. « Sinon, je brûle en plein soleil », expliqué-je en désignant ma peau blanche comme le lait. Je lui tends un thé glacé, il me remercie et me promet de m’inviter à son tour. Je ne commente pas, je connais le salaire des stagiaires et le coût de la vie à Genève.

- Je ne t’ai jamais demandé, dit-il d’un ton inquisiteur, tu vis seul, ici, à Genève ?

- Oui, réponds-je sans sourciller. Je suis venu ici tout seul. Heureusement, ce n’est pas la pire endroit pour faire des rencontres. Tout le monde est plus ou moins dans le même cas, au boulot en tout cas.

- C’est mon impression, aussi.

Nous continuons à discuter de tout et de rien. Malgré le thé glacé, la chaleur me monte à la tête, et me fait somnoler. J’ouvre ma chemise, à la recherche désespérée d’un peu d’air.

- Tu veux aller te baigner, Loïc ?

- J’en rêve ! Mais je n’ai pas mon maillot.

- Moi non plus, mais ils en ont en réserve, à la capitainerie. Viens, si tu veux on va leur demander.

- Pourquoi pas !

Nous nous levons et Ulysse me guide jusqu’à la capitainerie, où on nous propose deux maillots à notre taille, plus ou moins. Un short de plage orangé pour lui. Un slip de bain noir pour moi. Un peu trop petit, je le crains. Mais la perspective m’immerger tout entier dans l’eau glaciale du lac me semble être une aubaine trop alléchante pour faire la fine bouche sur le maillot d’emprunt.

Nous allons nous changer dans les vestiaires, un petit bâtiment blanc situé derrière la capitainerie, prévu à cet effet. Les fonctionnaires des Nations Unies ont pensé à tout. Ulysse défait sa chemise et son pantalon clair, et révèle un corps élancé, fin mais musclé, imberbe pour la partie supérieure, seules ses longues jambes élancées recouvertes d’un fin duvet châtain. J’admire le spectacle aussi discrètement que possible. Sentant peut être mon regard un peu trop insistant, il se retourne pour conserver un peu d’intimité alors qu’il passe le short orangé. Je regarde brièvement ses petites fesses rondes et blanches disparaître sous le tissu étanche.

Dans le même temps, je quitte mon accoutrement de bureau pour ce petit maillot moulant qui révèle un peu trop de ma virilité à mon goût. Certains aimeront. Moi, un peu moins. Ulysse ne s’y trompe pas, et a un petit rire moqueur en me découvrant ainsi.

- Et bien, il ne leur restait plus beaucoup de tissu, à l’usine de maillots de bain !

Je proteste sans m’offenser, et nous quittons les vestiaires pour nous jeter à l’eau.

Quel bonheur ! C’est un pur plaisir. L’eau est claire, douce, et bien plus fraiche que notre thé glacé. Le soleil qui bat son plein n’y peut rien : elle provient directement de la montagne, produit de la fonte des neiges éternelles au sommet des Alpes. La sensation est vivifiante. Je revis. Ulysse semble prendre également beaucoup de plaisir. Il prend une inspiration profonde, et plonge la tête sous l’eau. Il ressort ses longs cheveux foncés et aplatis par l’eau, tombant en cascade sur ses épaules. Il m’adresse un large sourire.

- Tu devrais en faire de même, me conseille-t-il. C’est incroyablement bon.

Je décide de l’écouter et disparaît à mon tour vers les profondeurs du lac. Une fois sous l’eau, j’ouvre les yeux et devine le corps d’Ulysse à travers le filtre azuré. Immense, fin, le ventre plat et nervuré. Un filet de poils qui s’échappe de son bas-ventre et court jusqu’à son nombril. Il commence à me plaire, le stagiaire. Je refais surface. Prends un copieux bol d’air et retrouve le rythme normal de ma respiration. Je m’approche d’Ulysse à la nage.

- Tu as raison, c’est incroyablement bon.

Nous ne sommes qu’à quelques centimètres l’un de l’autre. Cette proximité subaquatique n’est pas pour me déplaire. Lui, au contraire, semble légèrement tendu, peut-être même un peu confus. Je devine une lueur d’hésitation dans le coin de son regard. Son visage reste interdit.

Puis soudain, sans crier gare, il vient coller sa bouche contre la mienne. Dans un long et doux baiser, frais et complètement inattendu. Je ne m’y oppose pas, le laisse terminer son œuvre, lui répondant du bout du lèvres. Il se détache lentement, et rouvre les yeux. Et les détourne, visiblement embarrassé.

- Excuse-moi, Loïc, je ne sais pas ce qui ma prit.

Ne sachant trop quoi répondre – je n’ai pas détesté ce baiser, loin de là, mais il m’a radicalement pris par surprise – je laisser passer un léger silence. Puis réponds.

- Ne t’excuse pas ! Tu m’as pris de court, c’est tout. C’était une surprise. Mais pas une mauvaise surprise.

- Oh, je suis désolé. Je ne voulais pas... J’ai cru que…

- Peu importe, le coupé-je. Ne t’en fais pas. Je ne suis pas du genre à accorder plus d’importance que de raison à ce genre de choses. On fait comme si de rien était, pour l’instant, ça te va ?

Il semble soulagé, peut-être un peu déçu aussi. Mais il me semble que ça soit la meilleure décision, pour l’instant en tout cas. Je ne veux pas être accusé d’avoir malencontreusement séduit le stagiaire pour l’attirer dans mon lit. Enfin, je ne crois pas. Il faudra que j’y réfléchisse à deux fois. Mais pas maintenant, pas ici, pas dans ce slip de bain qui me presse le pénis plus que de raison. Si j’ai la moindre érection, il cèdera. Je ne peux pas me permettre de remonter sur la plage le derrière à l’air.

Ulysse et moi continuons à patauger quelques instant, tentant tant bien que mal d’ignore ce qu’il vient de se passer. Une fois proprement frigorifiés, nous ressortons de l’eau pour se sécher au soleil. Peu à peu, la gêne s’estompe chez le jeune wallon, et le dialogue reprend naturellement.

Puis, très vite, la nuit tombe, et avec elle se lève une douce brise d’été, rafraichie aux abords du lac par la présence de l’eau. Au loin, la ville allume ses lumières, et on aperçoit les terrasses du centre se remplir d’une foule bariolée. Notre conversation se tarit petit-à-petit, sans jamais totalement s’éteindre.

L’estomac vide, je décide finalement de rentrer chez moi, et de laisser Ulysse en faire de même. Nous échangeons une embrassade, peut-être un peu ambiguë, maintenant que j’y pense, avant qu’Ulysse n’enfourche son vélo et disparaisse dans la pénombre de la nuit genevoise.

Pour ma part, je rentre à pied. Je ne suis pas loin, et la fraicheur retrouvée me donne envie de m’éterniser dehors un peu plus longtemps. Plutôt que de m’enfermer dans un bus bondé d’étudiants qui affluent vers le centre-ville pour y boire un vin blanc face au lac. Arrivé à la maison, je me remémore la journée en me délectant d’aubergines et de courgettes grillées, seuls les végétariens comprendront. Quelle aventure… D’abord Nicolas, puis Ulysse. Heureusement, ou malheureusement peut-être, ce n’est pas tous les jours comme ça !

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