Epilogue

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Les jours qui ont suivi ma rupture avec Filip ont été particulièrement pénibles. On ne mesure pas toujours à quel point se séparer d’une personne avec laquelle on a vécu tant de choses, tant de moments, qu’ils soient gais ou terribles, et ce même si cette issue était attendue, inévitable, laisse un trou béant, dans le cœur et dans le quotidien. Il faut réapprendre à penser seul, à vivre pour soi-même, par soi-même, sans être guidé ou épaulé par les envies et les désirs d’un autre. Il faut se déshabituer des câlins routiniers, des nuits partagées à deux, des instants de tous les jours que le simple confort d’être accompagné rendaient plus agréables, plus vivables, même une fois la passion des débuts disparue, émoussée par le temps. Plusieurs fois, que ce soit au bureau, dans le métro, dans la rue, et, sans doute plus encore, dans l’intimité de mon lit devenu si grand et froid, je me suis surpris à refréner une puissante vague de mélancolie, à ravaler mes sanglots, sans toujours y parvenir.

Filip a quitté l’appartement un vendredi matin, et emporté avec lui ses cartons, la moitié de nos affaires, la quasi-totalité de la vaisselle, et un bon nombre de souvenirs heureux qui me laissent désormais seul et complètement désemparé. Nos adieux ont été cordiaux, ce constitue somme toute une petite victoire, vu la situation qui a conduit à notre séparation. Jusqu’au bout, Filip a prouvé qu’il était adulte, responsable et mature, digne dans la douleur, plus que moi, plus que je ne le serais sans doute jamais.

Pour ne rien arranger à mon piteux état, Luiz est resté parfaitement silencieux pendant ces journées, soirées et nuits difficiles. Aucun appel. Aucun message. Pas le moindre mail, même le plus évasif et inconséquent. Rien. Blessé dans mon orgueil, j’ai tenté tant bien que mal de l’effacer de ma mémoire. Et à défaut de pouvoir vraiment le faire, j’ai effacé son numéro de mon répertoire et l’ai bloqué sur les réseaux sociaux, pour ne pas être rappelé à son existence, source de tant de maux et de faux espoirs.

Pour tenter d’apaiser ma peine, je m’en suis remis aux miens, et ai passé d’innombrables heures au téléphone avec Maria. Fidèle à elle-même, mon amie a su répondre présent et n’a pas rechigné à m’épauler du mieux qu’elle le pouvait. Malgré le décalage horaire et le fait que sa vie sentimentale à elle ne soit pas franchement plus brillante que la mienne, elle a eu la patience de m’écouter, de me consoler, et de me faire entrevoir des jours meilleurs. Toutes nos conversations, sans exceptions, se sont terminées par la promesse de retrouvailles imminentes. « Car il ne sert à rien d’attendre. De remettre toujours à demain ». Plusieurs dates ont été avancées. Et au final, des billets d’avions réservés pour le printemps. J’ai si hâte de la retrouver et de pouvoir enfin penser et passer à autre chose.

En dépit de mes meilleurs efforts, je ne suis pas totalement parvenu à cacher ma détresse sentimentale à mes collègues de bureau, qui se sont montrés exemplaires à mon égard. Il faut dire que les circonstances étaient tout à fait particulières. Très vite après que l’incident lié à la fuite d’information ait été clos au sein de l’institution, et une fois l’avertissement des ressources humaines officiellement adressé à Ewelina, la rumeur sur mon implication dans l’affaire s’est répandue comme une trainée de poudre au sein de l’équipe.

Certes, il ne fallait pas être un génie pour le deviner. Après tout, c’était Sanjay en personne qui m’avait aidé à comprendre le fonctionnement du système de comptabilité des émissions de CO2, et c’était également lui qui avait partagé avec moi ses doutes quant au respect de la méthode par nombre des Etats parties à l’accord de Kyoto. Erika et Louise nous avaient vu travailler ensemble sur les logiciels et les bases de données, sans que cela n’entre dans ma fiche de poste, ni, pour être franc, dans mon champ de compétence. Et, plus simplement peut-être, personne n’imaginait véritablement Ewelina capable de comprendre une information aussi complexe, composée de formules mathématiques sophistiquées et de gigantesques bases de données, et encore moins de mettre en péril sa place au sein de l’institution en filtrant une telle information à la presse, et ainsi risquer de perdre sa seule source de revenus, et donc la possibilité de s’offrir de si belles tenues et une vie confortable, à elle et à sa famille nombreuse.

La nouvelle de l’implication prétendue de la belle assistante polonaise, annoncée solennellement par Idriss lors d’une réunion d’équipe, avait donc été accueillie par un scepticisme généralisé, que mon chef n’avait d’ailleurs pas essayé d’estomper outre-mesure, conscient que ce ne serait d’aucune utilité. Coupable tout désigné, j’étais donc devenu le héros silencieux d’une équipe bourrée de convictions environnementalistes. J’étais celui qui avait osé divulguer au grand jours les preuves du crime contre le climat en train d’être commis par les puissants de ce monde.

Fort de ce nouveau statut, je n’ai eu aucun mal à trouver un peu de réconfort chez Erika, Sanjay et Louise, lorsque, à plusieurs reprises, le chagrin provoqué par la rupture d’avec Filip et l’abandon de Luiz a refait surface en pleine journée de travail. Un soir, sans doute attendrie par ma mine désespérée, Louise est venue me trouver vers dix-huit heures et, dans un élan d’empathie et de sociabilité dont elle était pourtant généralement avare, m’a proposé de l’accompagner à une soirée où elle était invitée. « Ça te changera les idées », m’a-t-elle soufflé. Et elle n’avait pas tort, loin de là

*

La soirée en question est organisée par un ami altermondialiste de Louise, un parmi d’autre. Le bar est situé dans le Bronx, et semble avoir été conçu en réponse aux établissements hipsters à succès de Brooklyn. Ici, pas de décor en bois et métal ni de bières artisanales hors de prix. De simples barriques en guise de tables, pas de sièges, de la bière à prix défiant toute concurrence à New York, et surtout, une musique de fond agressive, plutôt désagréable, que je qualifierai instinctivement de punk sans m’y connaître pour un sou. La foule se compose d’individus semblables à Louise. Quelques afro-américains pseudo-révolutionnaires, un groupe de lesbiennes latino légèrement effrayantes, et une belle brochette de britanniques et d’irlandais qui m’ont l’air d’être là pour la bière pas chère plutôt que dans l’idée de contribuer à un hypothétique « grand soir » qui ne vient jamais.

Louise me présente à quelques-uns de ses plus proches amis. Tous sont activistes au sein d’ONG environnementales ou d’organisations politiques radicales. Je me sens donc un peu comme un intrus, moi qui travaille pour une administration à la somme des pays capitalistes et en charge de maintenir l’équilibre international qu’eux souhaitent renverser. Louise précise toutefois que j’ai rendu un sacré service à la planète en divulguant quelques informations sensibles à la presse, et je suis accueilli très chaleureusement par ce groupe d’individus pour lesquels un lanceur d’alerte est à peu de chose près une semi-divinité. Me voyant quelque peu nerveux à entendre mon secret révélé de la sorte, tous me promettent de n’en piper mot, autant par solidarité que par goût pour le complot. On me sert une bière, et les discussions reprennent.

Mon attention se tourne assez rapidement sur un des membres du groupe. Un jeune irlandais, pas encore la trentaine, dont on devine encore l’adolescence tout juste révolue à la douceur des traits de son visage pâle. Une épaisse tignasse de cheveux châtains, dont la plupart semble hésiter entre le lisse et le bouclé, lui dévore une grande partie du front, mais laisse entrevoir un beau regard gris-vert qui se pose régulièrement sur moi, d’abord légèrement fuyant, puis de manière plus assumée. Il porte un t-shirt noir assez moulant, et, bien qu’il soit plutôt fin, ses bras sont visiblement musclés et ornés de tatouages assez discrets mais plutôt réussis. Il s’appelle Simon, et travaille pour une association écologiste. Il parle avec virulence, et non sans une certaine éloquence, du droit à l’éducation et à la santé gratuite, et de la nécessité de rompre avec le productivisme. Et c’est avec lui qui je vais passer la nuit.

J’ai bu beaucoup de bière, et beaucoup de ses paroles. J’ai ri à ses plaisanteries, plutôt sincèrement, d’ailleurs, et ai appuyé ses prises de position les plus impopulaires. Il m’a embrassé dans un coin du bar, une fois la musique punk remplacée par une sorte de folk indépendant plus propice aux rapprochements, ou du moins qui évite de saigner des oreilles. Il m’a proposé d’aller chez lui pour finir la soirée, et j’ai accepté car la perspective de le ramener dans mon appartement plutôt luxueux mais à moitié vide m’a semblé tout à fait incongrue. Nous nous y sommes rendus à pied. Plusieurs fois sur le chemin, Simon m’a embrassé dans le cou, et a réveillé en moi une agréable sensation de chaleur que je croyais perdue à tout jamais. Une fois arrivés dans son petit appartement, nous nous sommes rapidement dénudés, sans oublier de nous embrasser sur les lèvres, de temps à autre, un peu maladroitement.

Nous sommes désormais nus, face-à-face, dans la pénombre de la pièce unique de son studio. Je parcoure son corps d’une interminable caresse, m’attardant sur son torse sec, sur ses cuisses fermes, sur ses fesses rebondies. La douceur de sa peau, imberbe et laiteuse, me bouleverse profondément, tout comme l’épaisseur de son sexe, même au repos, particulièrement exagérée par rapport au gabarit plutôt ramassé du jeune irlandais. Je m’en approche, pour en avoir le cœur net. Impressionné par le membre de ma nouvelle conquête. « Et il n’est même pas encore bandé… », me dis-je, abasourdi.

Je ne lui en veux pas. Je suis moi-même un peu trop alcoolisé, et pas tout à fait sûr d’être capable d’avoir une érection complète. Malgré tout, je tente ma chance. Agenouillé face à Simon, je prends sa large queue ramollie entre mes lèvres, puis tente de faire mon possible pour le faire se raidir et lui arracher quelques gémissements de plaisir. A ma grande surprise, il se tend assez vite, et de la sorte, me remplit entièrement la bouche de sa chair chaude et dure. Etourdi par la bière, je le suce ainsi pendant quelques instants, jusqu’à ce que l’irlandais se lasse, et finisse par me demander si j’ai envie qu’il me prenne.

J’hésite un instant, à voir son énorme queue levée juste devant mes yeux, insolente, encore brillante de ma salive.

- Tu as un préservatif ? je lui demande d’un ton pas tout à fait rassuré, comme pour gagner du temps.

- On peut faire sans, je suis sous PrEP ! me rétorque-t-il. Pas toi ?

Je me contente de secouer la tête en guise de négative. Je n’ai pas le cœur à lui avouer que j’ai rompu il y a quelques semaines à peine avec mon petit ami. Surtout que, si je dois être honnête, avec lui comme avec moi-même, cette relation stable ne m’a pas véritablement empêché d’aller voir ailleurs, et donc la PrEP n’aurait pas été de trop.

- Tu devrais, répond-il d’un ton calme, presque professoral. Surtout qu’avec l’assurance maladie des Nations Unies, je suis sûr que tu ne paierais pas un centime. Tu sais que ça coûte une fortune aux Etats-Unis, pour ceux qui n’ont pas d’assurance ? Et il y a en a tant, ici…

Le voilà reparti sur les questions de santé publique et de sécurité sociale. Ce qui, bizarrement, parvient à m’exciter suffisamment pour me faire oublier l’épaisseur de sa queue. Me plaçant à quatre pattes sur le canapé, j’offre mon derrière à Simon qui, exceptionnellement, accepte de mettre un préservatif avant de me pénétrer lentement, plein de douceur et d’attention, recouvrant mon dos de la chaleur de son corps. La brûlure n’en n’est pas moins cuisante. Ça faisait longtemps que je n’avais pas couché avec un garçon aussi bien doté. Il fallait bien remonter jusqu’à Hristov, à bien y réfléchir. Malgré tout, mon trou s’habitue peu à peu à la largeur de son sexe, et ses saillies me procurent plus de plaisir que de douleur. Ma queue parvient enfin à se raidir, et, après m’être branlé pendant quelques minutes à peine, j’exulte dans le creux de ma main, trop épuisé par la soirée et par l’alcool pour livrer un combat plus impressionnant contre le plaisir. Puis, rapidement, Simon me rejoint dans la jouissance. Je le sens se figer dans mon dos et être traversé par quelques longs tressaillements, avant de s’effondrer sur moi, sa semence retenue au fond du préservatif.

Nous restons ainsi quelques minutes, lui sur moi, lui en moi, à s’embrasser, à se réchauffer l’un l’autre. Puis, une fois sa queue ramollie, et rétrécie, il se retire et me rend ma liberté. Je dépose encore quelques baisers sur ses lèvres fines et claires, avant de me rhabiller et de rassembler mes affaires. Alors que je m’apprête à quitter son appartement, Simon me prend la main et me dit de sa voix étonnamment grave :

- Dis Loïc, pour la PrEP, je vais te donner l’adresse d’un docteur qui est vraiment bien… Comme ça, la prochaine fois, on le fera sans capote, si ça te va ?

J’acquiesce, un large sourire aux lèvres. Trop heureux qu’il me propose de nous revoir sans la moindre hésitation. Nos numéros échangés, un dernier baiser déposé au coin des lèvres, un aurevoir chuchoté dans la cage d’escalier, et j’abandonne Simon sur le pas de sa porte, avec la certitude de ne pas en avoir fini avec le bel irlandais. Et pas mécontent d’avoir remis le pied à l’étrier. « Vivement que ça recommence », me dis-je à moi-même, ne pouvant m’empêcher de sourire dans la nuit newyorkaise.

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