3 Boulevard Félix Giraud (autofiction)

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Mon père et moi revenions de Saint-Guilhem-le-Désert. Il approchait de midi. Nous recherchions une table qui puisse nous accueillir, mais nous ne rencontrions que des bars à touristes et des bouis-bouis.

Rien nous satisfaisait et finalement nous avions renoncé dans notre quête et reprenions la route vers Pézenas.

Alors que nous traversions Aniane, nous vîmes deux restaurants qui offraient des tables en extérieur sur la place du village. Nous décidâmes de nous arrêter. L’endroit était agréable, la place ombragée, l’air semblait léger, le climat respirait la sérénité. Nous étions hésitants à choisir le restaurant qui nous accueillerait, d’autant que les cartes proposaient les mêmes plats : salades, pizzas, grillades.

L’heure n’étant pas à la gastronomie, pourquoi nous en priver ?

Après avoir aussi discrètement que possible, examiné de loin la consistance des assiettes tout en essayant de traduire sur les visages des convives des impressions de béatitude ou de réprobation, nous continuâmes notre chemin vers le deuxième établissement.

Ne pouvant aller au-delà et après un rapide entretien avec la serveuse, nous avisâmes une table libre.

Une fois assis, nous jetâmes rapidement un œil autour de nous. Derrière nous, un couple de deux personnes âgées nanties de trois petits enfants. A la table d’à côté, une mère et probablement sa fille.

Je remarquais que la fille était jolie.

Elles paraissaient attendre. Devant elles, deux pizzas, déjà entamées.

On vint prendre nos commandes.

Nos gorges étant sèches, nous réclamâmes deux bières et deux pizzas.

La bière arriva vite mais la suite se fit attendre, longtemps attendre.

Nous commencions à nous autoriser des réflexions entre nous, n’hésitant pas à nous amuser de la nonchalance du personnel à haute et intelligible voix. Nous tablions sur la rentabilité de l’entreprise, heureusement compensée par la chance qu’ils avaient de ne pas être confrontés à trop de concurrence, évoquions la notion de temps qui semble ne pas avoir la même valeur selon les régions.

Je lançais en écho à mon père : « Eh oui, on est loin de Paris, ici, c’est la province ! »

Et là contre toute attente fusa une réplique de la table d’à côté qui rectifia :

- « On n’est pas en Provence ici, on est en Languedoc ! » sur un ton « avé l’accent » de la jolie fille.

Une réponse qui nous ravit autant mon père que moi !

Je me rattrapai :

- « Je n’ai pas dit Provence, j’ai dit province »

Le ton était donné, nous échangeâmes les mots, les rires, les exclamations. Mon père parlait des grands parents derrière nous qui, apparemment, avaient fort à faire avec leurs petits-enfants, évoquant du même coup le rappel de la jeunesse passée et des obligations oubliées pendant que les parents peut-être prenaient du bon temps loin des enfants.

Elle répondit du tac au tac :

- « Les grands parents servent à ça ! »

Elle s’esclaffait de toutes ses dents, ne cessait de rire sur tout, et d’un rien.

Nous constatâmes qu’elles ne terminaient pas leurs pizzas. On leur en fît la remarque, elles se justifièrent, prétendant n’être que de faibles femmes.

Encore des mots et des rires, beaucoup de rires.

Elles demandèrent à ce que la serveuse mît ce qui restait dans leurs assiettes à emporter pour le repas du soir, ce qui leur attira bien sûr nos réflexions.

Nous arrivions au terme de notre collation. Nous aussi, étions rassérénés. Nous ne pouvions terminer ce que nous avions dans nos assiettes. La jeune fille nous retourna notre remarque.

Les rires moqueurs ne cessèrent pas. Tout servait de prétexte.

Je tombai sous le charme.

Elles récupérèrent les restes de leurs pizzas dans un emballage adapté et quittèrent leur table.

Mon père me fit la réflexion que la jeune fille ressemblait à quelqu’un de nos anciennes relations, mais en beaucoup plus jolie, plus agréable, infiniment plus lumineuse et enjouée. Je confirmais et j’en rajoutais, ce qui ne manqua pas de me dévoiler et dans le même temps ce fait attisa ma convoitise.

Mais il était trop tard, elles venaient de partir !

On les vit se diriger vers une voiture et nous nous attendîmes à ce qu’elles disparaissent.

Et là, surprise ! Elles contournèrent la voiture pour entrer par la porte de l’immeuble juste en face du restaurant.

Que faire ? Avais-je seulement encore une chance, je l’ignorais.

La serveuse devait la connaître, il me restait ce moyen pour au moins savoir son prénom…

On l’interrogea :

- « Pourquoi ne pas lui avoir demandé lorsqu’elle était là ! » fit cette dernière sans se démonter.

Je lui répondis qu’il nous fallait le temps de la réflexion, aussitôt retoqué par une phrase assassine de cette même personne dédaigneuse et si peu affable :

- « Ah ça, c’est bien une réaction masculine ! »

Mon père et moi échangeâmes un regard. Nous étions habillés pour l’hiver !

Qu’importait. Elle habitait en face !

Mais je n’allais tout de même pas frapper à toutes portes. Me vint alors une idée : son nom devait être sur l’interphone ou sur une boite à lettres.

Je laissais mon père près de la voiture et me dirigeais vers l’immeuble.

J’entrais pour consulter le libellé de toutes les boites à lettres. Un nom attira mon attention : « Julie C... »

Comme une bouteille à la mer, j’y déposai une carte de visite.

Je revins et là, mon père me fit signe de me retourner. Elle était à une fenêtre du troisième étage.

Je la revis comme une apparition.

Aussitôt je me lançais et montais à l’étage.

Je frappais à la porte ; la mère ouvrit.

- « C’est pour toi ! » Lança-t-elle à l’adresse de sa fille.

Elle était dans l’autre pièce. Je ne la vis pas. Je l’entendis rire.

Je m’expliquais, balbutiais, cherchant mes mots et me lançais :

- « Voilà, je vous trouve charmante, si nous pouvions faire mieux connaissance… »

Elle me répondit :

- « Demain, j’entre au couvent… »

Je descendis les escaliers l’âme triste et rejoignais mon père.

AmourAutobiographie
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