Chapitre 4

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Chez les médecins, on trouve les compatissants, les tendres, ceux qui vous rassurent et voient leurs examens comme une source potentielle de douleur, alors ils prennent des précautions. Lorsque leurs mains s'approchent de vous, ils mettent leur masque boostés aux sourires et aux yeux réconfortants.

Et puis, il y a l'autre genre, ceux qui font claquer le latex de leur gant contre leur poignet en vous jetant un regard lourd de sens, le genre de regard qui vous balance au visage « Maintenant, ça va chier ». Ce soir, la demoiselle interne gynéco de garde est de cet acabit. Un terne rideau gris me sépare de ma sublime épouse lorsque je l'entends crier ce « ouch », cette grossière onomatopée venue du fond du bas-ventre pour recracher par la gorge jusqu'à l'inaudible.

Dans ce « ouch », j'ai perçu :

- Des paupières compressées les unes sur les autres

- Des mains crispées sur l'alaise

- Des dents serrées

- Un corps qui gesticule le moins possible pour que l'invasif examen soit écourté autant que faire se peut.

Dans ces moments-là, le papa vit ce que j'appelle le syndrome de la plante verte. Je suis sûr que la plupart d'entre vous sont déjà allés chez un proche pour, au détour d'une porte ou d'un couloir, buter sur un pot de fleur mal placé. La plante se met alors à gigoter comme les fanfreluches d'une danseuse brésilienne qui secoue ses fesses au rythme d'une samba déchaînée. C'est à cet instant que vous jetez, à votre hôte, un regard mêlé d'excuse (Désolé d'avoir bousculé ce beau végétal) et de reproche (mais t'aurais pas pu le foutre ailleurs ?). C'est un peu ce que je ressens, là, moi, futur papa. Je suis inconfortablement assis sur une petite chaise qui traîne dans le passage de la porte du bureau étriqué qui sert de salle d'examen. Sur mes genoux, on trouve : sac de maman, dossier de grossesse, veste de maman ; dans la main gauche, l'imprimé du monito qu'on vient de passer ; dans la main droite, la petite culotte jetée négligemment il y a quelques minutes. Je suis là, encombrant, encombré, et j'entends ce « ouch » crève-cœur qui me prend aux tripes. Ce qui m'attriste, c'est de ne pas pouvoir croiser le regard de ma femme, me plonger dans ses beaux yeux bleus pour qu'elle puisse voir sur mon visage un « t'inquiètes, poulette, c'est bientôt fini ! » réconfortant.

Point contraction : toutes les trois minutes.

Examen terminé, petite culotte enfilée, dossier de grossesse gribouillé, papa remercié... direction la salle de pré-travail.

Aaaah, cette salle de pré-travail... on nous l'avait bien vendue, presque aussi bien que la chambre individuelle all inclusive. « Nous mettons à disposition des futures mamans, un équipement de relaxation et de confort pour faciliter leur travail et leur permettre de préparer la venue de bébé dans les meilleures conditions ». Lors de la visite de la maternité, on nous avait même fait lorgner sur baignoire balnéo du plus bel effet. Pensez-vous ! À la maison, nous n'avons même pas de baignoire classique, alors ma femme se faisait une joie de s'y prélasser pour donner aux contractions un arrière-goût de plaisir. Quand nous avons enfin pu mettre les pieds dans cette « relax-room », ce que nous y avons découvert était assez déprimant : une baignoire balnéo, certes, mais hors-service et en guise d'accessoire confort et relaxation, un unique ballon de pilate caché dans un coin sombre.

Résultat : maman déçue ; papa énervé que maman soit déçue.

Voir du plaisir et de la joie sur le visage de ma femme, ça me fait comme un shoot d'adrénaline, comme une déferlante de douceur dans les veines, un truc qui file la pêche et vous donne envie de sourire. La voir déçue, ça fracasse mon cœur en deux.

Elle a pris le ballon de pilate, sans plus de conviction. Je me suis installé dans un fauteuil spécial papa. On a regardé l'heure. On a pris une grande inspiration et on s'est fait un beau câlin, le genre qui vous donne envie de vous endormir dans les bras de l'amour de votre vie.

Point contraction : toutes les dix minutes

Ah, tiens, elle a moins de contractions. Plus l'horloge tourne, moins les contractions sont fortes et plus elles s'espacent. Avec la disparition de la douleur, la fatigue arrive au grand galop sur son cheval cramoisi. Une bonne heure de séance de pilate plus tard, l'interne pointe le bout de son nez. Plus de contractions ? Ça arrive. La perte des eaux déclenchent des contractions, c'est systématique. Il se peut, pourtant, que virgule ne soit pas prête, à l'intérieur. Et là, vraisemblablement, c'est le cas.

Toute la pression redescend d'un coup, comme un ballon de baudruche échappé des mains d'un enfant qui n'a pas eu le temps de faire le nœud. On imagine bien le bruit que ça fait et c'est à peu de chose près celui que nous avons fait en jetant nos affaires dans la chambre individuelle tant vantée par les affichettes aux quatre coins de la maternité.

Point contraction : disparues

Nous y passerons une journée complète, dans cette chambre. Maman recevra de la visite toutes les deux heures, pour des examens vaginaux, puis pour la pose des perfusions d'antibiotiques (douze heures après la perte des eaux, pour éviter une infection à bébé), puis pour vérifier, à coups de monitos, que bébé va bien. La sage-femme du service est une perle rare. Elle nous parle comme à des enfants de quatre ans, mais ça a un côté réconfortant et apaisant. Elle explique chaque geste, chaque douleur, chaque perte de liquide avec des mots doux et posés. Sa voix est légère, nuage de sons cotonneux. Notre « petite merveille », comme elle nous le martèle, se porte bien. Future maman se porte bien. « Monsieur, vous allez bien ? Des questions ? Tenez, voilà des draps pour la nuit. » Elle est vraiment parfaite, cette dame. Elle s'intéresse même à Papa.

La journée défile. Je profite du Wifi gratuit et illimité pour dérouler du « Homeland » sur Netflix en jetant des coups d'oeil à ma femme qui dort paisiblement.

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