Chapitre 7

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Mardi 26 mai, 13h15

Pour un accouchement d'un bébé en siège, on sent tout de suite quand les choses sérieuses démarrent. Il y a une sorte de raz-de-marée du corps médical qui s'abat sur la salle de travail. Je n'ai plus le décompte exact et je vais sûrement en oublier un ou deux, mais de mémoire : la dream-team anesthésistes, Mumure Inaudible, Sage-femminator, une deuxième sage-femme inconnue au bataillon, une sage-femme étudiante, une gynécologue étudiante, une pédiatre et un mec. Il ne s'est jamais présenté, ce mec, il n'est jamais venu auparavant, mais il était là. Peut-être avait-il vu de la lumière ? Tout ce beau monde s'est rassemblé autour des jambes bien écartées de ma femme, qui, d'habitude pudique, n'en avait plus rien à faire de la petite vingtaine d'yeux qui épiaient son intimité. Je vous avouerai que je n'en avais plus rien à faire non plus. Sauf pour le mec. C'était qui celui-là, d'abord ?

La tension est à son apogée. La bouteille de soda se transforme en bouteille de champagne. Le bouchon de liège glisse tranquillement le long du goulot, sous l'agitation des bulles, mais je le maintiens en place. Ce n'est pas encore l'heure de fêter la naissance. Sage-femminator et Murmure Inaudible se placent bien en face de ma femme. Le monito de bébé est bon, pour le moment.

C'est parti, mes chéries.

A la première poussée, ma femme donne tout ce qu'elle a, d'autant que ça la soulage. Pousser micro-naine hors de son corps allège sa douleur et rend plus supportable ces derniers instants. Il y a une chose dont je n'ai pas encore parlé dans ce récit, mais une chose qui m'a pourtant bercé tout le long du travail : les battements de cœur de virgule. Pendant ces longues heures, j'ai écouté en continu le cœur de mon enfant battre au travers du monitoring. C'était une musique plaisante et rassurante. J'en étais venu à anticiper les accélérations et les décélérations de son rythme en fonction des contractions de sa maman. Je l'avais tellement écouté à cet instant, que je le connaissais par cœur. Je le connaissais si bien que j'ai tout de suite su que quelque chose n'allait pas lorsque ma femme à entamer sa première poussée.

Le cœur du bébé s'est ralenti, drastiquement, passant de sa moyenne de 140 pulsations à la minute, à 70. Tous les visages se sont tournés vers l'affichage du monitoring mais sont vite revenus au vagin de ma femme. Première poussée finie. Le cœur de bébé reprend son rythme. On félicite madame. On reprend sa respiration. On souffle, on se détend.

Nouvelle contraction, nouvelle poussée, nouveau ralentissement du cœur, nouveaux regards vers les chiffres.

Seconde poussée finie. Le cœur de bébé reprend son rythme. On félicite madame. On reprend sa respiration. On souffle, on se détend.

Nouvelle contraction, nouvelle poussée, nouveau ralentissement du cœur, nouveaux regards vers les chiffres. En bonus, un regard que je n'oublierai jamais, échangé entre Sage-femminator et Murmure Inaudible, un regard un peu lourd, un regard inquiet. Un regard qui m'a terrorisé. A cet instant, j'ai la gorge qui se noue, comme si l'on y avait gonflé un ballon de baudruche. J'ai le cœur qui s'emballe, les larmes aux yeux et les mains qui tremblent. Pour couronner le tout, j'ai froid, si froid. Mais j'ai surtout peur, si peur.

Troisième poussée finie. Le cœur de bébé reprend son rythme. On félicite madame. On reprend sa respiration. On souffle, on se détend.

Les regards se penchent sur l'intimité de future maman et les sourcils se froncent. Murmure Inaudible prend sa plus belle voix pour demander à ma femme d'arrêter de pousser. Et ça chuchote, et ça regarde en coin, et ça murmure et ça a l'air perturbé. Atroce. Ça s'est déroulé en... quoi ? Une minute ? Mais cette minute a été l'une des plus longues de toute mon existence (la plus longue va bientôt arriver). Les voir ainsi, discuter à voix basse, a fait monter la pression d'un nouveau cran.

Pour retenir ce putain de bouchon, je devais me dominer de toutes mes forces.

Malgré les murmures, je comprends ce qu'il se passe. Enfin, je comprends qu'il y a un problème pour faire sortir le bébé. J'entends le mot « bride ». J'entends qu'ils sont étonnés de ne pas l'avoir vue avant. J'entends que ça bloque la descente de bébé. Couplez ça aux ralentissements du cœur de ma virgule et vous avez une sage-femme et un médecin qui débattent sur la façon d'aborder cette problématique, les bras gantés et levés à hauteur de poitrine, les visages masqués, un auditoire passionné et un papa dépassé.

La minute écoulée, il est décidé de couper cette bride et là, ça s'agite. Une fourmilière humaine. Chacun prend sa place, on sort la paire de ciseaux chirurgicale, de quoi suturer et Murmure Inaudible termine sa besogne en quelques coups de cisailles bien placés. On remotive madame, on lui dit que maintenant tout est bon, qu'il faut tout donner.

Nouvelle contraction, nouvelle poussée, nouveau ralentissement du cœur, nouveaux regards vers les chiffres. Nouveau regard bonus. Nouvelle montée du stress de papa.

Poussée finie. On félicite madame. On reprend sa respiration. On souffle, on se détend. Ah, tiens. Le cœur de bébé n'a pas repris son rythme. Je surprends un regard de sage-femminator sur moi qui épie ma réaction. Je pense qu'elle doit lire l'inquiétude sur mon visage.

Moi, je ne sais pas quoi faire, la plante verte dans toute sa splendeur, sauf que je fais moins classe sur un balcon.

Nouvelle contraction, nouvelle poussée, le cœur de bébé est toujours aussi lent et il n'accélère plus jamais. Cette fois-ci, le regard bonus est accompagné de murmures, de chuchotements. Je jette un œil, pas de signe des petites fesses de ma fille. Je sens, non je le sais. Cet accouchement se dirige à grande vitesse vers une césarienne d'urgence et lorsque j'ai compris ça, j'ai une telle envie de pleurer que je dois me mordre les lèvres pour ne pas y céder. C'est à mon tour de serrer la main de femme. Je l'agrippe si fort... à hauteur de toute cette peur qui me ronge. Je la regarde, elle, épuisée, fatiguée, rouge de tous ces efforts qu'elle déploie pour sortir cet enfant qui a grandi en son sein. Ma femme s'est démenée, vraiment. Elle a tout donné.

Dernière contraction. Dernière poussée. Ma femme donne tout ce qu'elle a, la moindre ressource encore disponible au fin fond de son corps meurtri. Le duo Sage-femminator et Murmure Inaudible l'encourage comme des cheerleaders enragées. Dans cette dernière poussée, je sens toutes les prières de toutes les personnes dans la pièce qui souhaitent voir apparaître la paire de fesses de virgule, mais rien n'y fera. Ni les encouragements du personnel hospitalier, ni l'ardeur de ma femme.

À ce moment précis, j'ai eu l'impression d'être spectateur d'une course de cent mètres et que le juge venait de tirer le coup de feu de départ. Le coup d'envoi de la césarienne est donné. Ma femme s'apprête à vivre le pire moment de sa vie, et moi, futur papa, je m'apprête à vivre le bouleversement émotionnel le plus violent de toute la mienne.

Oui, le bouchon va sauter. Et pas qu'un peu.

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