Chapitre 5

6 minutes de lecture

Mardi 26 mai 02h30

Je dors à poings fermés, lorsqu'un cri de douleur me réveille : « J'ai les vraies contractions, là. Bordel ça fait mal. » Le regard flou, l'équilibre douteux, je vais au chevet de ma femme et pose une main sur son ventre pétrifié et... c'est là que je prends enfin conscience... c'est aujourd'hui que je vais être papa.

C'est parti.

Mardi 26 mai, 02h30

Lorsqu'on a passé une nuit blanche à veiller sur sa femme suivie d'une journée à s'impatienter de la venue de notre enfant, la nuit suivante, nos paupières sont lourdes. A deux heures trente du matin, ce mardi 26 mai 2015, au premier cri de douleur de ma femme, je me lève d'un bond, totalement empêtré dans le brouillard de mes rêves déjà lointains. Je titube comme je peux jusqu'au chevet de mon épouse et j'agrippe sa main. Je me souviens lui avoir demandé comment elle allait et pourquoi elle avait crié. En revanche, pas moyen de me souvenir de ses réponses. Je me souviens juste avoir compris, à cet instant, qu'un papa allait naître. A ce moment, les cris de ma femme, échos de ses douleurs, ne sont plus les mêmes. Son regard, écho de notre amour, n'est plus le même. Quelque chose flotte dans l'air, une tension, une appréhension, une peur, un truc pas vraiment définissable en fait, juste une sensation, mais je comprends que c'est pour aujourd'hui, que je vais voir le visage de ma fille pour la première fois et croiser le regard de ma femme alors qu'elle la découvre, en même temps que moi.

Je ne le sais pas encore, mais ce regard-là n'aurait pas la saveur attendue.

En l'espace d'une heure, les contractions de la future maman s'accélèrent drastiquement. Entre cette première contraction et la suivante, s'écoulent trente minutes. Entre la seconde et la troisième, quinze minutes, puis cinq minutes. A trois heures trente du matin, il ne reste plus, à ma femme, que trois minutes de répit entre chacune des contractions. Je décide alors de faire offrande de ma main droite au Dieu Contractile. Ma femme s'en donnera d'ailleurs à cœur joie pendant les prochaines heures en la compressant comme un étau et en y plantant ses jolis ongles.

Les mots de Voix-En-Coton étaient clairs et me reviennent en mémoire, il ne fallait l'appeler qu'à partir du moment où l'on serait arrivé à un espacement des contractions de cinq à dix minutes pendant une heure, voire deux.

Ah ? Je n'ai plus de main droite ? Ma femme a envie de s'ouvrir le bide à mains nues pour aller y chercher micro-naine par ses propres moyens ?

Bon... Dans le doute, je vais quand même venger la perte de sensibilité d'une de mes mains en broyant la sonnette d'alarme de l'autre.

Voix-En-Coton débarque dans la foulée, voit le regard de ma femme, sent ce je-ne-sais-quoi de tension. Toutes les trois minutes ? Ah. Un monito de trente minutes et un toucher vaginal plus tard, elle confirme que notre « petite merveille » est en route.

C'est pour aujourd'hui.

Papa, prépare-toi à t'extraire de ton cocon.

On évoque la sacro sainte péridurale et, désormais, dans le regard de ma femme, entre la douleur, la haine qu'elle éprouve de m'avoir fait l'amour pendant ces vacances et le « elle va se grouiller de sortir ses fesses de mes entrailles ? », on peut voir une lueur d'espoir à l'idée qu'un sauveur annihile cette douleur qui la torture de l'intérieur. Nous sommes invités à nous préparer. Ma femme prend une douche rapide, je m'habille (oui, j'étais en caleçon tout le long de ces instants (je me demande d'ailleurs si vous auriez lu ce texte de la même façon en m'ayant imaginé en caleçon). Lorsque je rejoins ma femme dans la salle de bain pour l'aider à se préparer, je la retrouve à quatre pattes, nue, l'eau de la douche éclaboussant sa peau à grandes eaux et le visage tordu de douleur.

Ça m'a fait beaucoup de mal de la voir comme ça.

Ces instants sont bourrés de stress. On est comme une bouteille de soda qu'on aurait secouée, bouchon fermé. Y'a toute cette pression à l'intérieur, qui pousse, qui pousse. Et l'on sait que, dès l'instant où l'on fera sauter le bouchon, ce sera l'inondation. Alors, la voir souffrir ainsi m'a broyé le cœur. Elle me dit que tout va bien, que la position la soulage et elle me demande de sortir, alors je m'assois cinq minutes dans son lit et je respire calmement par la bouche, impuissant.

Lorsque ma femme sort, je l'aide à s'habiller, puis Voix-En-Coton revient et installe mon épouse dans un fauteuil roulant. Nous voilà en route vers le hall des naissances... la salle de travail.

Mardi 26 mai, 05h30

A notre arrivée, nous sommes accueillis par deux sages-femmes. Je me rappelle parfaitement de celle qui était en retrait, la plus âgée des deux. Elle faisait quelques blagues de temps en temps, essayait de nous rassurer, mais elle s'est vite éclipsée. En revanche, mon cerveau a complètement zappé le visage et les caractéristiques de celle qui s'apprêtait à diriger notre accouchement, à ce moment de la journée. Je ne saurais dire pourquoi. Toujours est-il qu'elles nous souhaitent toutes les deux la bienvenue, nous félicitent. Elles nous posent les questions d'usage, celles auxquelles on a déjà répondu plus d'une centaine de fois :

- C'est votre premier bébé ? (Oui)

- Fille ou garçon ? (Fille)

- Vous allez l'appeler comment ? (On ne dira que lorsqu'on aura vu sa bouille)

- Ah vous êtes de ceux qui attendent le dernier moment pour donner le prénom ? (Oui)

- Vous prenez la péridurale ? (OUI ! Et magnez-vous !)

Toucher vaginal. 4 centimètres. On peut poser la péri. C'est parti !

C'est là que débarque le Docteur-Sauveur, anesthésiste de garde de son état. On assoit ma femme sur le rebord du... comment appeler ça ? Plan de travail ? Et là, je me rends compte que future maman est en panique. Son corps tremble comme une feuille ballottée par le vent. Elle est convulsée de spasmes musculaires, rongée par le stress de la situation.

Le bouchon est prêt à péter.

Elle avait toujours appréhendé la péridurale et, à cet instant, même l'espoir de ne plus sentir le parcours du combattant de mini-nous à travers son bassin ne lui ôte pas cette appréhension.

L'équipe a été super.

Avec le recul, je me pose encore des questions sur le déroulement de l'accouchement, sur les choix qui ont été faits, je me demande encore si la souffrance de ma femme aurait pu être évitée, mais il y a une chose que je ne pourrais jamais enlever aux équipes de cette maternité, c'est leur humanité. Après avoir déroulé les sacro-saintes questions, Docteur-Sauveur, du haut de sa barbe rouquine et de ses yeux bleus pétillants de malice, décide de s'attarder sur le prénom mystère de virgule. Tout en s'affairant, il nous assure qu'il ne fera pas la péridurale si l'on ne lâche pas quelques indices sur le futur étiquetage de notre enfant. Les sages-femmes entrent rapidement dans le jeu. « Il en est capable. C'est un tyran. » Ma femme, prise dans les conversations, se calme petit à petit. Elle sourit, puis rit franchement et elle cesse bientôt de trembler. Alors qu'il demande à ma femme de courber le dos, pour inspecter sa colonne, il nous assure qu'il va deviner, même sans indice. Il se met alors à proposer des prénoms.

Une fois le corps de ma femme déplié : « Bon, je vais la poser, là. Si vous me dites le prénom maintenant, je vais aller vite. » On ne craque toujours pas, mais on rit beaucoup et ma femme se rend finalement compte que le cathéter était déjà posé. Après quelques menaces de ne jamais poser le produit anesthésique, il emporte avec lui un peu de cette tension corrosive et nous laisse seuls avec le temps qui passe.

Et le temps va passer. La péridurale, tout d'abord inefficace, mettra une bonne heure pour fonctionner, mais, étrangement, et sans que l'on s'en inquiète plus que ça, après une bonne demi heure de soulagement complet, ma femme commencera à ressentir les contractions, mais d'un seul côté.

A huit heures du matin, changement de garde. Visage-oublié rentre chez elle pour un repos bien mérité et, pour la remplacer, arrive une sage-femme cheveux châtains-avec-mèches-blondes, les traits plutôt sévères. Dans sa démarche, dans ses postures, dans le ton de sa voix, transpirent l'expérience et l'habitude de ces situations stressantes. Elle me met à l'aise, elle me rassure. On se sent entre de bonnes mains.

Je l'appellerai Sage-Femminator.

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