Dans ce monde sans couleur, quelqu'un se décida à les récupérer, avec l'audace de sa jeunesse.

  Il courut sur les traces du spectre, retrouvant les traces de doigts sur les murs, les traces de pieds sur le sol guéri, les relents d'une odeur fétide.

  Au fil des jours, cette odeur se fit mélodieuse. Tout en parcourant le monde, le futur secoueur d'arcs-en-ciel trouva une explication aux actions de la voleuse de couleurs. 

  Et ce qui était de la haine devint de l'agacement, puis de la pitié.

  Au fil des semaines, l'écho de la voix de la voleuse de couleurs devint perceptible. Et cet écho s'approcha du coeur du jeune homme, le faisant battre plus fort.

  Et ce qui était de la pitié devint de la compassion, puis de la tendresse.

  Au fil des mois, le reflet de la silhouette élancée de la voleuse apparaissait partout. Surtout dans le cerveau du jeune homme, qui eut envie de rebrousser chemin.

  Et ce qui était de la tendresse devint trouble.

  Par une triste journée d'automne, le jeune homme trouva enfin la voleuse de couleurs. 

  La joie de la réussite éclipsa pour un instant le trouble qui avait pris toute la place dans le cœur du futur secoueur d'arcs-en-ciel. 

  Il arma son arc, et le bruit de la corde qui se tend fit sursauter la pauvre voleuse. Elle releva la tête, mais tout était trop tard. La flèche arrivait sur elle. 

  Deux flèches furent tirées en même temps. La première toucha la voleuse de couleurs sur le flanc, la seconde tomba depuis le ciel sur le jeune homme. La seconde ne tua pas, mais fut bien plus douloureuse. Cupidon se cacha de nouveau derrière un nuage. 

  La voleuse de couleurs se désagrégea, comme si elle n'avait jamais existé. Son manteau resta au sol, vide de toute vie mais contenant toujours les couleurs. 

  Le jeune homme, qui avait reçu la flèche de plein fouet, se traîna jusqu'à ce manteau, espérant y trouver sa bien-aimée. 

  Seul le vide glissa sous ses doigts meurtris.

  Alors que le secoueur d'arcs-en-ciel se mit à secouer plus fort le manteau, le suppliant de lui rendre son amour, des rayons de couleurs s'en échappèrent.

  Tout d'abord, seuls sept en sortirent. Ils firent la course jusqu'au ciel, et pour le secoueur d'arcs-en-ciel ce fut comme une constellation d'étoiles en plein jour, le dernier reflet du visage de sa chère et tendre.

  Empli d'espoir, le jeune homme continua de secouer ce vieux manteau élimé, prêt à voir de nombreux autres arcs-en-ciel. 

  C'est ainsi que la voleuse de couleurs vola les couleurs, que le secoueur d'arcs-en-ciel les rendit au monde, et leur amour tragique en inspira d'autres.