-Chapitre 25-

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C'était différent. Différent des fois où c'était Constance ou Sarah qui prenaient les commandes de mon corps. Constance le faisait seulement en dernier recours mais comme elle le prenait de force, je me sentais toujours opprimée par un poids tandis qu'elle me laissait seule, errant dans ma tête. Sarah était bien plus violente. Je préférai de loin les poids de Constance. Avec la sœur d'Adam, j'avais la sensation que des millions de félins s'acharnaient à déchiqueter mon corps en morceau. Mais étrangement, je ne voulais pas crier de douleur quand c'était comme ça. C'était comme si mon cerveau se convainquait que rien de tout cela n'était réel mais que, d'un autre côté, la sensation de déchirement était bien là.

Or, cette fois-ci, c'était beaucoup plus doux, comme si l'esprit craignait d'affecter directement le possesseur du corps. De plus, à l'inverse des filles, l'esprit ne me cachait rien. Il me montrait volontairement ce que j'avais manqué comme un film dont on se dépêche de voir le début pour mieux comprendre et récupérer par la suite. Mais c'est une étrange sensation de s'entendre parler, tout en sachant que tout ce qui se trame sous nos yeux s'est déjà passé.

« Je vais partir, accompagnée par d'autres. Si nous voulons sauver tout le monde, il faut agir dans les plus brefs délais. »

Personne n'a l'air de remarquer que ce n'est pas moi l'auteur de ces paroles. Sauf ceux qui sont déjà au courant de mon secret : Charlie parle à voix basse avec Adam. Tout en murmurant des propos qui m'échappent, les deux me jettent des regards de tant à autres, hochant parfois la tête avant de reprendre comme si de rien n'était. C'est frustrant. De nouveau, ma bouche formule des phrases qui ne m'appartiennent pas.

« Adam a certes fait des erreurs, mais qui n'en aurait pas fait face à la situation à laquelle il se trouvait confronté. Je ne cherche pas à le traiter de victime ou le plaindre mais je tiens quand même à clarifier les choses. Ce ne serait pas juste, selon moi, de lui imputer tout ça, sous prétexte qu'il faut trouver un responsable à tous les malheurs de la meute. »

Alors que le regard d'Adam s'attardait sur moi, je pouvais voir à quel point la colère le dominait actuellement. Une colère des plus effrayantes, sourdes et grondantes. Mais pas forcément dirigée contre moi à en juger par la façon dont il semblait chercher quelque chose dans mes yeux.

« Qui me suivra ? »

Alba et Nao lèvent la main avec une leur de défi peinte sur leur visage. Les autres personnes qui les entouraient, se mirent à les observer avec amusement, comme s'ils ne les croyaient pas capable d'aller jusqu'au de leurs actes. Non loin, Charlie était également amusée mais pas pour les mêmes motifs. Elle leva la main à son tour, observant la foule avec dédain. Finn les imita puis, au grand étonnement de tous, Mme Jones fut la suivante.

Lacey, accompagnée par Minho auquel elle donnait la main, lança d'ailleurs un regard étonné à cette-dernière. Je sentis mon corps se tournait vers Mme Jones tandis que ''je'' lui disais qu'elle n'avait pas à se sentir obligée de suivre le mouvement.

« C'est mon rôle à moi, la raison même de ma présence, déclara-t-elle calmement. »

Finalement, Finn lança un regard vers la fille qui se tenait à ses côtés et, s'empara de la main de celle-ci pour la lever. Je leur souris. Et cette fois, ce fut vraiment moi qui agissais. J'étais revenue dans mon corps, j'en avais de nouveau le contrôle. Déterminée, je me tournai vers le reste de la meute. Ils avaient des mines honteuses pour la majorité. Les autres étaient des cas à part dont il ne fallait pas se préoccuper.

« Personne ne vous en voudra d'avoir décliné la proposition, fis-je en souriant de plus belle. C'est normal de vouloir rester ici pour veiller sur les siens. En attendant, je vous promets de ne pas revenir bredouille. »

Satisfaite, je redescendis de l'estrade et, passant devant Adam avec indifférence, je regagnais la maison dans le but de préparer mes affaires pour cette première mission en tant que Luna. Je ne comptais pas m'encombrer d'une tonne de babioles inutiles, juste le strict minimum : du change, des vivres, une lampe torche. Cependant, à mi-chemin, l'Alpha débarqua et me bloqua le passage. Bon, d'accord, si j'avais voulu j'aurai pu le contourner et reprendre ma route mais il fallait l'avouer que je mourrai d'envie de savoir quelle était sa réaction.

Était-il fier de ma prestation ? Était-il heureux que je décide de tout faire pour m'intégrer et m'intéresser à la meute ?

« Tu comptes abandonner ton fils ici ? »

Son ton tranchant était aussi dur que les propos qu'il tenait. Pensait-il sérieusement que cela pourrait m'arriver ? Qu'un jour je ne décide d'abandonner mon propre enfant derrière moi ? Cela était purement et simplement impossible. Après toutes les épreuves que j'avais traversées, abandonner Minho aurait été inimaginable. C'était en très grande partie grâce à lui si j'étais là aujourd'hui.

« Je ne vais pas l'abandonner Adam ! Criai-je avec emportement. Qu'est-ce que tu essais de me dire avec tes insinuations ?! Ce n'est pas plutôt toi qui a peur d'être abandonné ?! »

La tristesse s'imprima sur son visage.

« Et cela changerait ta décision ?

-Non.

-Tu es impossible quand tu t'y mets, lâcha-t-il en soupirant, faussement exaspéré.

-On me le répète souvent. »

Nous demeurâmes silencieux un moment, trop occupés à nous dévorer des yeux mutuellement, à chercher la complicité de l'autre dans un regard qui pourrait tout faire basculer. Mais soudainement, il redevint sérieux, rompant ce doux moment au passage.

« Tu sais que je ne pourrai pas t'accompagner ? »

Je m'en doutais. Seulement, je ne pouvais m'empêcher d'être déçue. Je le lui avouais et cela eut le mérite de le faire doucement sourire.

« Je dois rester auprès de la meute et de toute façon, ce moment te permettra de faire plus ample connaissance avec certaines personnes. Je suis sûre que, malgré l'importance et l'urgence de la situation, tu trouveras le moyen de passer un moment. Du moins, c'est ce que je te souhaite. »

Le silence s'éternisa mais les regards échangés nous servaient de dialogues. Sans doute étaient-ils muets ces échanges, mais ils étaient d'autant plus précieux. Chaque seconde avait son importance, chaque mouvement était un appel.

«Prouve-moi que tu es la Luna, comme tu me l'as hurlé au visage il n'y a pas si longtemps, souffla-t-il dans un murmure qui se perdit. »

Là-dessus, il n'attendit pas plus longtemps pour s'emparer de mes lèvres et les lier aux siennes. Entre deux baisers passionnés, il trouva même le moyen de me glisser que cette fois-ci, il ne comptait pas être interrompu. Il m'attira un peu plus près de lui et, comme un réflexe, mes mains remontèrent le long de son torse pour atterrir dans ses cheveux. Collée contre son torse, indéniablement prisonnière des ses lèvres douces, je me laissai aller contre lui. Il m'embrassait avec une passion bientôt animale, tel un condamné savourant les derniers instants de sa vie écourtée.

Pourtant, au fond, je savais très bien ce qu'il essayait de faire : gagner du temps pour me faire revenir sur mes choix. Il en était hors de question. Alors, bien que tentée de rester à l'endroit le plus sécurisant du monde, je finis par m'éloigner de sa chaleur, campant sur mes positions. Cela ne lui plut pas du tout et il m'en fit part, piquant une crise de jalousie des plus ridicules.

« A ce que je sache, fit-il, tu n'es pas amoureuse de Brad mais de moi ! Tu es à moi ! Tu es mienne ! Tu m'appartiens ! Tu es mon âme-sœur et il est n'est pas question que je te partage ! Plus tard, tu ne porteras pas ses enfants mais les nôtres ! »

Nos enfants...

« Je déteste quand tu gâches tout comme ça Adam ! Oui c'est de toi dont je suis amoureuse ! J'aime l'homme que tu es, surtout quand tu es heureux et que tu ris avec ton meilleur ami ! J'aime cette insouciance que tu arbores sur ton visage quand vous partagez vos délires entre potes ! Mais après l'avoir viré, tu ne seras plus le même et je refuse de te voir souffrir éternellement pour une bêtise de ce genre ! »

La porte de ma chambre claqua tandis que je me permis de reprendre mon souffle, inquiète de savoir si Adam m'avait suivi ou non après ma fuite. Les mains tremblantes, je m'emparai d'objets dispersés à gauche à droite, consciente que si je souhaitais faire de cette mission une réussite, il ne fallait pas que je me laisse ainsi aller. Je refermai mon sac en soupirant, le mis sur mon épaule et courus en sens inverse.

* * *

Ils m'attendaient tous devant la frontière du dôme. Charlie semblait plongé dans ses pensées et Alba avait le regard qui furetait autour d'elle. Je compris tout de suite que la première devait s'inquiéter pour Brad tandis que la seconde devait sans aucun doute chercher Connor sans le trouver. Nao s'étira puis m'adressa un clin d'œil suivi d'un sourire jovial et guilleret. Finn m'observa avec bienveillance tandis qu'il m'ébouriffa les cheveux sans se soucier des autres individus présents.

Adam se tenait près de moi, aussi raide qu'un piquet. Il ne souriait pas mais n'avait pas non plus l'air inquiet. Il était l'incarnation de l'indifférence.

« Prépare-toi à présenter tes excuses à Brad pour ce que tu lui as fais, lui dis-je d'un ton plaisantin, espérant détendre l'atmosphère. »

Il ne cilla pas, me dévisageant avec le plus grand des sérieux. Gênée, je me tournais vers Minho et pris son visage entre mes deux mains quand je remarquais qu'il était sur le point de pleurer. Je l'embrassais sur le front, le bout du nez puis le serrai contre moi. Tout en renfilant légèrement, il me rendit mon étreinte et bondit dans mes bras.

Instinctivement, mon corps effectuait des mouvements comme pour bercer mon trésor le plus précieux. Je finis par lui recommander d'être sage et d'obéir à Lacey, tout en jouant avec les boucles de sa chevelure.

« Quand tu reviendras, on ira voir Parrain Cole ou papy et mamie ? Demanda-t-il alors qu'il se frottait les yeux. »

Edgar et Calypso me manquaient à moi aussi. Tout comme Cole qu'il me tardait tant de retrouver. Je me promis de leur rendre visite une fois que l'ordre et le calme serait revenus ici. A contrecœur, je finis par reposer mon petit d'homme au sol, lui caressant la joue dans un geste que je souhaitais apaisant et réconfortant. Ses yeux cherchèrent les miens mais, sentant que si je lui accordais un contact visuel je ne parviendrais plus à partir, je détournais le visage à temps. Je rejoignis mes compagnons de route d'un pas hésitant. Et je m'en voulus pour cela.

Je les entraînai vers l'inconnu et il m'accordait leur confiance sans hésiter. Et qu'est-ce que je trouvais de mieux pour les remercier ? Marcher comme si chaque pas me coûtait, comme si je traînais de lourdes chaînes derrière moi. A la réflexion, cette dernière comparaison n'était sans doute pas l'idéal. Elle était bien trop vraie.

Nous quittâmes la protection de la barrière. Personne ne se retourna. La plupart des visages étaient fermés. Il n'y avait que chez Alba qu'on parvenait encore à lire comme dans un livre ouvert. On y découvrait l'inquiétude et le doute comme sentiment dominant, mais également une farouche et franche détermination. Je continuais de l'observer avec attention un bon moment.

Elle était vraiment une jeune femme resplendissante. Elle était une personne forte. Connor tenait à elle et je commençais à comprendre pourquoi. Il y a quelque chose chez elle qui nous poussait à aller la voir, à lui parler sans jamais se lasser. Elle avait cette façon particulière d'observer les gens durant les discussions, une façon de se confronter à eux qui nous indiquait qu'elle était à l'écoute. Puis il y avait aussi ce je-ne-sais-quoi qui la rendait si touchante et fragile à la fois. On avait envie de la protéger, de la garder à nos côtés éternellement.

« Que se passe-t-il Alba ? »

Ma question la sortit de ses songes et, alerte, elle posa un regard vif vers moi. Elle hésita avant de me répondre.

« Adam m'a demandé de te protéger. C'est une énorme responsabilité puisque je ne suis ni Attaquante, ni un Défenseur. J'ai reçu comme tout le monde un entraînement au combat mais je... bah ce n'est pas mon domaine de prédilection.

-Au moins, trouva bon d'ajouter Charlie, je ne serai plus la seule à devoir m'occuper de la Luna. »

Feignant d'être vexée par la formulation de sa phrase qui laissait entendre que j'étais une charge, nous continuâmes notre progression avec plus de légèreté. Alba n'eut de cesse de me garder dans son champ de vision, parfois me fixant avec insistance.

Pour sa part, posté tout devant le groupe, Nao s'amusait à jouer le guide alors qu'il ne savait pas du tout où nous allions. Seule Alba avait la carte. Pourtant, il s'acharnait à faire de grands gestes pour montrer tel ou tel chemin susceptible d'être un ''raccourci''. Selon lui.

Il était tout le contraire d'Alba. Elle, elle paraissait faible et pourtant elle était épatante quand elle s'énervait. Lui, il s'écriait haut et fort qu'il était capable de plein d'exploits, mais n'en menait pas large face aux histoires de fantômes que Charlie s'amusait à lui raconter d'un air sinistre. Mais il n'était pas énervant pour autant. Sa frivolité apportait une touche de bonne humeur qui n'était certainement pas de refus. Il était très serviable et je découvris chez lui un amoureux de la nature. Plus précisément des oiseaux.

Parfois, l'oreille tendue, il nous donnait le nom de l'auteur d'un chant lointain. Il nous parlait des caractéristiques de l'espèce et ne pouvait s'empêcher d'y ajouter une anecdote liée.

A contrario, Finn d'ordinaire enjoué semblait se renfermer de plus en plus sur lui-même sans que je n'en comprenne la raison. Même quand il remarqua que je l'observais avec inquiétude, c'est avec un pâle sourire qu'il tenta de me rassurer. Il prétexta devoir vérifier les alentours et s'enfonça de son côté, en solitaire dans l'immensité de la forêt gloutonne. Bientôt, cette-dernière le cacha à nos yeux, l'engloutissant littéralement grâce à la végétation de plus en plus dense.

Un soupir trancha le silence de plomb et, dans un même mouvement, tout le monde se tourna vers son auteur : Nao. Alors qu'il observait l'endroit par où Finn s'était éclipsé, il surprit nos regards inquisiteurs et méfiants.

« C'est pas ce que vous croyez, se dépêcha-t-il de rajouter pour se justifier. Franchement, c'est un gars sympathique et tout ça mais il n'arrête pas d'être sur mon dos. Il me bombarde de remarques désobligeantes dès qu'il en a l'occasion et j'en peux plus. »

Charlie lui ébouriffa les cheveux et, hilare, tenta de décrisper le jeune homme en le vannant.

« En même temps, tout le monde a envie de te protéger. Ne le prend pas mal Nao, mais t'es un peu le petit frère de la bande. Finn a juste un peu plus de mal pour ne pas se montrer insistant mais c'est parce qu'au fond, il tient autant à toi que nous tous. »

Alba leva la main d'un air solennel. Charlie lui jeta un regard intrigué tandis que son sourcil s'arquait légèrement. La Veilleuse annonça qu'elle avait une objection à faire concernant les propos tenus précédemment.

« Selon toute logique, expliqua-t-elle comme si cela avait une réelle importance dans le fond, Nao serait plus un grand-frère pour moi. Il est plus vieux.

-Tu es hors-sujet. On parlait de l'âge mental de Nao. »

Hanaé, jusque là silencieuse, lâcha son commentaire tout en adressant un clin d'œil malicieux au concerné. Sentant que son ego était touché, ce-dernier demanda ce qu'elles avaient toutes contre son éternel jeunesse. Cela nous valut à tous un fou rire que nous tentâmes tant bien que mal de calmer. Hanaé fut la première à y parvenir et, essuyant les larmes qui perlaient au coin de ses yeux, proposa de partir rejoindre l'absent du groupe.

Nao soupira.

Finn n'était pas allé bien loin. J'étais d'ailleurs persuadée qu'il s'était permis de s'éloigner de nous parce qu'il connaissait les lieux. Il était assis près d'une rivière, ou du moins ce qu'il en restait. Le filet d'eau était si infime que j'eus d'abord du mal à l'apercevoir. Pourtant, le courant continuait son chemin comme si de rien n'était. Charlie, face au mutisme de l'homme qui, de toute évidence, ne nous avait pas remarqués, s'éclaircit la voix.

« Si je peux me permettre Finn, tu n'as pas l'air de vérifier quoi que ce soit... »

Derrière moi, Nao proposa une blague à Alba qui se mit à en rire de bon cœur. Conscient alors du potentiel succès de sa nouvelle création, le Veilleur s'approcha de moi pour me la narrer. Et il fallait avouer qu'elle était bonne. Absurde mais drôle. J'y répondis par un rire franc qui ne sembla pas plaire à tout le monde. Je surpris le regard ulcéré de Finn et me tus immédiatement.

Il avait l'air blessé et en colère. Je ne l'avais jamais vu dans un état pareil. Mais hormis rire à une histoire marrante, je ne voyais pas ce que j'avais fait de mal. Il devait s'imaginer qu'en agissant avec légèreté, je finirai par bâcler la mission.

Il se releva d'un bond et se rapprocha vers nous. Je crus un moment qu'il se dirigeait vers moi mais, rapidement, je me rendis compte que sa véritable cible n'était personne d'autre que Nao. Ce-dernier, voyant venir les ennuis, se replia instinctivement sur lui-même.

« Tu ne devrais pas agir avec autant de familiarité vis-à-vis de la Luna, rugit-il. Dois-je te rappeler qu'elle appartient à Adam et que par conséquent, la courtiser ne reviendrait à rien d'autre que t'attirer des problèmes ?! Si tu cherches les emmerdes, crois-moi que c'est le bon plan mon gars ! »

L'affaire dégénéra.

« Je vois pas ce qu'il y a de mal à rire avec elle ! Disait l'un.

-La vérité c'est que tu essayes juste d'attirer son attention sur toi ! Rétorquait l'autre. »

De nouveau, ce fut Hanaé qui intervint en jugeant bon de les séparer avant que les deux n'en viennent aux mains. Comment en était-on arrivé à là ? Je l'ignorai et cela m'énervai. Hanaé fit remarquer à Finn que sa réaction était beaucoup trop exagérée et qu'une vulgaire blague de gamins ne valait pas le coup de tout foutre en l'air. Il ne s'excusa pas, haussant simplement les épaules tout en nous dépassant pour reprendre la route. Nous le suivîmes en silence. Personne n'osa prendre la parole si bien que cela ne fit qu'augmenter la tension présente après l'altercation.

Chaque pas m'éloignait un peu plus de Minho pour me mener vers un lieu où je ne connaissais rien ni personne. Et cette humeur maussade ne faisait que rendre plus insupportable un trajet déjà lourd en soit. Une fois en face des sorciers, je comptais le montrer la gravité de notre situation en insistant bien sur le fait que de nombreuses vies étaient en jeu, tout comme le secret de la présence d'êtres surnaturels sur Terre. Ce-dernier point, les touchant de manière directe, serait plus susceptible de faire bouger les choses.

Et une fois que je rentrerai, j'annoncerai à Adam que je souhaitais revoir mes proches. Libre à lui de refuser, mais cela ne changerait pas ma décision de nouveau. J'avais pourtant le sentiment malplaisant de devenir de plus en plus égoïste au fil du temps.

« Nous sommes bientôt arrivés, déclara soudainement Alba au bout d'un quart d'heure de marche silencieuse. Enfin je crois... »

Hanaé émit un grognement tout en considérant le plan d'un œil critique. Alba semblait aussi peu convaincue mais se gardait de lâcher un commentaire à ce sujet. De toute façon, son visage nous disait tout de manière on ne peut plus claire. La Veilleuse releva la tête et tenta vainement de nous rassurer.

« Les frontières ont changé avec les années, c'est juste un peu plus dur de se repérer. Mais ne vous inquiétez pas, on finira forcément par trouver ce que l'on cherche. »

Hochement de tête unanime. Nous continuâmes à déambuler comme des âmes en peine, la fatigue commençant à peser lourd sur nos corps. Hanaé finit par lâcher la question qui devait hanter tous les esprits et brûler toutes les langues.

« Que va-t-il se passer pour Brad finalement ? Le soleil va bientôt se coucher.

-On a obtenu un délai supplémentaire de la part d'Adam, répondit Charlie avec un air funeste. Brad restera au sein de la meute encore un peu. Mais demain, si on ne parvient pas à prouver qu'il ne mérite pas ce sort, il sera exclu dès lors que le soleil se couchera complètement. »

Alba lâcha que ça restait quand même un temps très court pour le sauver et qu'ils risquaient fort de ne pas y parvenir, surtout s'ils continuaient à avancer sans but comme ils le faisaient actuellement. Elle avança sans nous attendre plus longtemps, le nez rivé sur son plan. Finn la précéda sans mots dire et Hanaé finit par se poster à son côté. Nao et Charlie me lancèrent des regards inquiets. Je me contentai de leur indiquer le reste du groupe qui ne nous attendait pas, finissant par me diriger dans la même direction qu'eux. Madame Jones, qui avait réussi à presque effacer sa présence, marcha sur une branche qui craqua et attira malencontreusement l'attention sur elle.

Nao ricana et murmura qu'il l'avait oublié. Je devais avouer que c'était pareil pour moi aussi.

Quittant les petits sentiers, Alba décida que s'aventurer dans les broussailles était une bien meilleure idée. Nous tentâmes de nous frayer un chemin tant bien que mal tandis que, pour sa part, elle jetait de furtifs regards à gauche puis à droite. J'entendis Nao se plaindre d'avoir le vêtement accroché à une branche et demander l'aide de Charlie pour éviter de les abîmer au moment de se dégager de l'emprise importune. Cette-dernière grogna de mécontentement mais s'exécuta tout de même.

Constance aurait été d'une aide précieuse dans ce genre de situation. Elle comprenait la magie. Elle savait comme celle-ci fonctionnait ou comment on pouvait l'utiliser à notre avantage. Or, tout ce que je savais à présent, c'était que j'avais e pressentiment de m'éloigner de plus en plus de ce que nous cherchions.

Alarmée, j'en fis donc part aux autres. Et contre toute attente, ce fut Mme Jones qui fut la plus compréhensive. Elle confirma également que c'était une impression qui la taraudait actuellement mais que c'était sans doute l'œuvre des sorciers. D'après elle, quand il s'agissait de se protéger, ils s'avéraient vite perfides et privilégiant les attaques morales que physiques. Puis, alors qu'elle s'apprêtait à ajouter quelque chose, elle se stoppa net.

Nous l'imitâmes, portant sur elle un regard étonné.

« On tourne en rond. »

Je m'en doutais, le coup classique. Énervée et éreintée, je soupirai et m'assis au sol, au pied du tronc d'un arbre banal. Un élancement au cou me titilla mais je le repoussai vivement, tant je commençais à avoir l'impression qu'on se jouait de nous. Mais la sensation d'aiguille piquant ma chair était persistante.

Tout s'enchaîna rapidement. Le vent froid et glacial, synonyme d'apparition, puis le visage soucieux de Jason Harper me dévisageant. Rapidement, un sourire amusé apparaît sur ses lèvres irréelles que Lacey avait jadis embrassées comme si elles étaient sa drogue, si je fiais au souvenir que j'avais vu. Et tel un vieux sage donnant des conseils à ses disciples, il commença à me parler sans que je ne comprenne le sens caché de sa déclaration.

« Les choses qu'on cherche sont parfois sous nos yeux mais à force de vouloir toujours plus, toujours plus gros ou sensationnel, on finit par le perdre du regard. Le visible devient invisible quand on n'attache d'importance qu'à l'apparence. »

Au loin, Mme Jones m'observait mais je ne m'en rendis compte qu'après la disparition subite de l'esprit, comme chassé violemment de l'endroit. Je fronçais les sourcils et penchai légèrement la tête. Elle ne sembla pas rebutée par ma conduite et se contenta seulement de me montrer mon cou.

Je saignais.

Mais ce n'était pas tout. On touchant la plaie à vif, je sentis un objet planté dedans. Tremblante, je l'ôtais délicatement et l'exposai à mes yeux inquiets. C'était minuscule, presque trois fois rien et, si je n'étais pas sur le qui-vive après l'apparition abruptement écourtée de Jason, je n'y aurai pas accordé grande importance. Cela était-il pourtant normale de voir une lance finement décorée de motifs, d'une taille anormalement minuscule ? A moins que les insectes possédaient des armes en ces lieux, quelque chose ne tournait pas rond.

Le doute se dissipa totalement quand un corbeau se posa non loin de mon corps. Le reste du groupe l'observait, tous figés dans une expression de pure stupeur. Je repérai rapidement la présence de mouvement autour de l'oiseau symbolique pour le clan que nous cherchions. On aurait dit que de petites fourmis circulaient autour du volatile, parfaitement rangées comme des soldats prêts à passer à l'attaque.

Sauf que c'était tout sauf des insectes. Des hommes de taille miniature me fixaient avec mépris, armes pointées dans ma direction. Le souffle coupé, je parvins difficilement à inciter aux autres de s'approcher.

« Ce sont eux, souffla une Mme Jones médusée. »

Pas étonnant que nous ne les trouvions pas vu leur taille ridiculement insignifiante ! Au moment où j'allais le faire remarquer à mes compagnons, les hommes commencèrent à grandir, grandir et grandir encore jusqu'à attendre une taille normale. S'avançant pour se détacher et se démarquer du reste du groupe d'individus, un jeune homme nous fit face.

Je fus déçue de constater qu'il ne correspondait en rien à l'image du sorcier que je m'étais faite. Tout d'abord il était jeune. Une vingtaine d'année, et encore ! Je pensais également les trouver en tenue d'indigènes, couverts de tatouages et arborant des bijoux qui seraient pour eux des marques de force. Au lieu de ça, ils portaient de simples tee-shirt et des jeans. Le style commun qu'on trouvait partout dans les rues des villes.

« Que venez-vous faire sur nos terres bandes de chiens ! Cria-t-il à mes mais placés derrière moi. »

Sentant le danger pointer le bout de son nez, Charlie et Finn se postèrent de part et d'autre de mon corps.

« Vous êtes sur un territoire saint ! Reprit l'homme en serrant les poings. Vous autres, abomination de la Mère Lune, n'avez pas le droit de fouler cette terre ! Et en tant que chez du clan, c'est à moi que vous aurez affaire ! »

Il posa tour à tour son regard sur moi puis sur mes ''gardes du corps''. Alba se racla la gorge et, rassemblant tout son courage, s'avança d'un pas lent et réfléchi.

« Nous avons besoin de votre aide en réalité. Nous savons combien cet endroit compte pour vous et, comme le stipule le pacte que nos ancêtres ont conclu avec les vôtres, nous vous le laissons volontiers. Seulement...

-Nous ne pouvons pas vous aider, la coupa-t-il sans préambule. De mauvaises ondes vous accompagnent, vous allez finir par souiller la pureté de la forêt si vous continuez ainsi. »

Malgré la dureté de ses paroles, il avait prit un ton plus singulier. Il était presque aimable. J'ai bien dit presque car, au moment où son regard glissa de nouveau sur moi, ce fut comme si je l'avais transformé en un autre homme. Il était méprisant avec moi, poli avec Alba. De quoi être verte de jalousie quand on y réfléchissait bien !

« On ne plaisante pas avec la mort, fit-il d'un air grave alors que son regard s'ancrait dans le mien. La mort ainsi que les fantômes du passé.

-De quoi parlez-vous ? »

Ma voix ne trembla pas plus que ça. Miracle !

« Tu sais très bien de quoi il est question jeune fille. Comme moi, tu es dans la capacité de les voir alors qu'ils n'appartiennent plus à la réalité.

-Serait-ce une allusion directe à Jason et Sarah ?

-Chut ! Me rabroua-t-il sévèrement avant de faire claquer sa langue. On ne prononce jamais les noms des morts ! Et surtout pas en terre pure comme ici !

-De toute façon, nous ne sommes pas venus pour ça. Nous avons besoin de vous, au plus vite. »

Son regard se perdit dans le vide. Il n'allait pas céder facilement, c'était à parier. Mais je ne comptais pas le laisser imposer sa volonté. Il faisait ce qu'il voulait avec les membres de son clan, mais il n'était pas question qu'il en aille de même avec moi et mes compagnons de fortune.

« Il faut d'abord s'occuper des esprits. »

C'était peine perdue. Il ne voulait rien entendre. Il n'avait que les fantômes en tête. Il était totalement obnubilé par ça ! Je consentis à faire des sacrifices. On n'avait clairement pas le choix de toute façon. Avec un peu de chance, tout rentrerait dans l'ordre rapidement.

« En ce cas, aidez-nous à y parvenir ! Et donnez-nous le moyen de sauver la barrière que vos ancêtres ont façonné ! Des vies en dépendent, je sais que vous en avez conscience !

- Quand bien même, répondit-il avec nonchalance, dis-moi pourquoi je devrai vous aider ? »

Quelque chose se débloqua chez moi. Je respirai de nouveau, je me sentais revivre et surtout...

... Et surtout je me sentais complète.

Parle-leur de moi.

« J'ai quelque chose de très intéressant à vous montrer, fis-je d'un ton on ne peut plus sérieux. »

Je t'ai visiblement manqué.

Le chef du clan haussa dédaigneusement un sourcil.

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