Il y avait trop de monde. Beaucoup trop de monde. C'était une mauvaise idée. Une très très mauvaise idée. Ils m'observaient tous. Comment n'avais-je pas pu remarquer à quel point ils étaient nombreux ? Petit à petit, je sentais ma détermination faillir. Elle commençait à ranger ses affaires dans sa valise usée par le nombre incalculable de fois où l'objet a été utilisé. Elle me faisait signe de la main en me regardant narquoisement. Elle me criait de me débrouiller puisque c'était ce que j'avais voulu, puis ma détermination claqua la porte.

Je tremblais comme une feuille.

Alors que je lançais un regard désespéré à ma droite, tentant vainement d'oubliée que ma réaction ne passait pas inaperçue vu que j'étais exposée aux yeux de tous sur l'estrade improvisée, je cherchais de l'aide. Charlie m'encouragea d'un hochement de tête. Alba m'adressa un timide sourire ainsi qu'une mine désolée. Je devais donc me débrouiller.

Personne ne parlait. Je les voyais tous et ils me voyaient eux aussi. Il y avait quelque chose de perturbant dans cette situation. Comment pourrais-je leur dire ce que j'ai sur le cœur sans paraître idiote ? Comment Adam faisait quand il devait rassurer ou se concerter avec tout ce monde ? Au final, était-il aussi lâche et peureux que je le croyais ?

Ce-dernier était présent. Posté en retrait du groupe, de la masse oppressante, il m'observait, visiblement amusé par ma réaction. Il devait sans doute se réjouir de voir que face à certaine situation, à force de jouer les femmes fortes, je ne voyais pas quand ce que je souhaitais entreprendre était encore trop grand pour moi. Chaque chose en son temps, disait-on. J'avais plutôt tendance à brûler les étapes.

Dans ses yeux, je voyais bien qu'il cherchait à me provoquer. Il me narguait face à mon incapacité d'agir comme je le voudrai, il me forçait à aller jusqu'au bout de mes paroles. Et ça m'insupportais.

Un regain d'énergie me fit reporter mon attention sur le reste des loups qui attendaient patiemment que je daigne enfin ouvrir la bouche. Nao vola alors à mon secours en me conduisant vers un chemin que je me savais capable d'exploiter.

« Pourquoi nous avoir tous fait venir ici ? Demande-t-il d'une voix forte pour que la foule entière l'entende. »

Alors que j'allais parler, un inconnu me devança, s'emportant contre mon sauveur.

« Comment oses-tu misérable Veilleur ?! On ne hèle pas la Luna de la sorte ! Surtout pas un parasite tel que toi et tes compagnons de caste ! Tu ferais mieux de rester dans ta bibliothèque, peut-être que tu trouveras un livre susceptible de t'inculquer la politesse ! »

Encore des moqueries contre cette caste. Certains individus commencèrent à sourire, d'autres s'esclaffèrent bruyamment face à la tirade de l'effronté. L'orgueil et la fierté firent enfler ses chevilles. Quand il se dirigea vers Nao, empli d'une confiance naissante et croissante, j'explosai littéralement. Un autre chemin s'ouvrit, que je savais tout aussi exploitable et dans lequel je me débrouillais parfaitement.

Péter un câble un bon coup était un domaine que je maîtrisais aussi.

« Ça suffit ! »

L'homme s'arrêta et me regarda avec des yeux ronds. Les autres personnes autour de lui se voûtèrent pratiquement en même temps. Il les observa avec inquiétude puis son regard revint se poser sur moi. Adam me dévisagea, son amusement ayant désormais laissé place à une lueur d'intérêt et de méfiance. Comme quand je lui avais crié dans le bureau que j'étais la Luna, le même schéma se répétait.

Je repris mon calme et baissai les yeux sur Nao qui me regardait avec attention. Après un signe de la main, il finit par me rejoindre timidement sur l'estrade.

« Pour la plupart d'entre vous, commençais-je lentement, cela fait très peu de temps que je suis arrivée ici et que, par conséquent, cela peut paraître déplacé que je me conduise comme je le fais. Mais je tenais à me présenter, en plus de vous informer sur certains faits. »

Je ne leur parlerai pas de Constance tout de suite. Vu l'état émotionnel actuel, ils ne me paraissaient pas aptes à apprendre ce phénomène. Ils risqueraient de mal le prendre ou de faire toute une histoire sur une affaire qui ne mérite pas tant d'attention dans le fond. Selon moi.

« Je m'appelle Thara. Thara Becker. Je suis la mère de Minho et je viens récemment d'apprendre, en même temps que vous, que je suis l'âme-sœur d'Adam Harper. Du peu que j'ai eu le temps de la voir, cette communauté me paraît aussi forte qu'elle est fragilisée, dans le sens où de nombreuses tension perturbent l'équilibre du groupe. Et s'il y a bien une chose que je ne supporte pas, c'est les discriminations. Vous vous permettez de juger la caste de Veilleurs comme s'ils vous étaient inférieurs, qu'ils n'étaient pas des personnes de la même nature surnaturelle que vous. »

L'inconnu répondit avec hargne.

« Tu ne peux pas comprendre ! Tu te permets de porter un jugement sur une chose que tu ne peux pas comprendre car tu n'es pas une louve.

-Laisse-moi t'apprendre quelque chose car tu m'as l'air d'un homme qui ne préfère pas regarder plus loin que le bout de son nez, fis-je brusquement. La notion de famille est tout aussi importante chez les humains que pour les lycanthropes. Mais pour autant que je sache, le simple fait d'exclure un groupe pour leurs choix, qui soit dit en passant est mûrement réfléchi pour la plupart, c'est quelque chose de complètement immoral et irresponsable. J'espère au moins que vous en avez conscience. »

Pour toute réponse, l'inconnu haussa les épaules avec dédain. Il n'en avait clairement rien à faire, mes paroles n'avaient pas eu l'effet souhaité sur cet individu détestable. Il était pourtant hors de question que je laisse les Veilleurs s'en manger plein la face. Si Lacey n'avait pas agit, je le ferai à sa place. Je le ferai en tant que Luna. La rage continuait pourtant de bouillir en moi, malgré que je tentais de la contenir en me concentrant sur les éléments les plus importants du moment. A savoir, Brad et la barrière. Je me raclai la gorge.

« J'imagine que vous devez tous être au courant du sort qui sera réservé à Brad Stevens. »

Hochement de tête général. Quelques personnes semblaient préoccupées mais la plupart ne semblait pas plus affectés que cela par la nouvelle. Comme Adam, ils s'étaient résignés, ils se disaient que c'était la meilleure solution possible. La solution à quoi ? Dans quel but ? Préserver l'équilibre ? Il n'y en avait même pas ! J'avais plutôt l'impression que derrière les sourires de façade, nombreux étaient ceux qui ne supportaient pas le retour de l'Alpha, nombreux étaient ceux qui s'avéraient des hypocrites de haut niveau. Dans toute société, les sourires ne sont pas forcément sincères chez tout le monde.

« Dans ce cas, laissez-moi vous annoncer que je m'oppose au choix de l'Alpha. »

Les murmures devinrent paroles énoncés à hautes voix tant et si bien que les avis des uns et des autres n'étaient plus un secret pour moi. L'une disait que je prenais la grosse tête et que je me croyais tout permis. L'autre disait que c'était impensable de remettre tout en question de la sorte, que mon arrivée n'allait causer que des ennuis vu la façon dont tout cela commençait.

« Adam est convaincu que c'est la bonne chose à faire, poursuivis-je en réalisant que les gens m'écoutaient de moins en moins, mais il se trompe. »

L'inconnu revint à la charge comme s'il avait attendu le bon moment pour littéralement me sauter dessus.

« De toute façon, Adam est un ivrogne et crois-le ou non, nous avons tous pitié de toi. Tu es destiné à un homme qui préféra la compagnie des bouteilles d'alcool au lieu de la tienne. Et ton arrivée, contrairement à ce que Lacey semble croire, ne changera rien à cela ! »

Aucune âme ne se décida à protester. Le silence était de nouveau revenu et tous me dévisageaient en attendant une réaction de ma part. Mais que devais-je dire face à l'engouement de cette troupe pour dénigrer l'homme en qui il devait normalement se fier ? Ils avaient souffert à cause du laxisme d'Adam, leur colère était justifiée quelque part. En jetant un coup d'œil en direction de l'endroit où ce-dernier se tenait précédemment, je ne fus pas surprise de ne trouver personne. Je me risquais tout de même à prendre la défense de l'absent.

« Je ne suis pas d'accord sur ce point. Adam fait des efforts et tout ce dont il a besoin, c'est d'un minimum de soutien de la part de ceux qui l'entourent.

-Luna, m'interpella une vieille femme, vous dites cela parce qu'il a épargné votre fils mais que faites-vous de nos enfants respectifs ? Ils ont souffert et souffrent encore de cette situation. Comment réagiriez-vous si vous étiez à notre place ? Auriez-vous foi en cet homme si c'était votre fils qui mourrait de fin ? »

De nouveau, la cacophonie s'installa en balayant le calme apparent. Désormais, tous se hurlaient dessus, tentant d'imposer leur façon de voir à leur voisin et propageant un avis uniformément défavorable à Adam. Charlie, Alba ainsi que Finn jetaient des regards inquiets aux alentours. Alba m'observait avec un air dépité qui finit de m'achever.

« Fermez-là putain ! »

Le silence tomba.

« Vous me dégoûtez ! Vous me dégoûtez tous autant que vous êtes ! Il n'y a pas qu'Adam qui doit se rependre en mains ! Vous aussi vous avez du travail à faire sur votre comportement ! Vous êtes pires que des enfants ! Vous vous éparpillez et vous n'écoutez que ce qui vous intéressent ! Et bien vous savez quoi, j'ai une nouvelle qui vous fera réfléchir un peu plus sur les problèmes de cette foutue meute d'hypocrites ! La barrière est mal en point et elle risque de disparaître si nous ne faisons rien ! »

Une pluie d'injures s'abattit sur les Veilleurs. A mes côtés, Nao pâlit complètement. Alba n'en menait pas large non plus. Les individus de cette caste, répandus dans la foule, se firent poussés dans tous les sens, voir même frappés pour certains. Impuissante, j'observai ce spectacle qui faisait froid dans le dos.

Je frissonnais.

Laisse-moi faire Thara...

Je fermai les yeux.