-Chapitre 23-

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Je n'ai pas eu mon mot à dire et, comme s'il avait été mon père, il avait veillé à ce que je reste consignée dans ma chambre le lendemain de cette discussion. J'aurai préféré rester à ses côtés mais il n'avait pas fléchi face à ma demande. On aurait même dit que je lui passais carrément au-dessus de la tête. Il était abattu et ne s'en cachait même plus, ce qui avait le don de m'énerver.

Durant toute la matinée, j'eus beau tambouriner contre les battants de la porte, personne ne vint pour me faire sortir. Et comme s'il avait deviné mes pensées, il avait cadenassé les fenêtres de telles sortes qu'on ne pouvait nullement les ouvrir, aussi bien en essayant à l'intérieur qu'à l'extérieur. De cette façon, il me forçait à faire ce qu'il attendait de moi : rester bien sagement à un même endroit sans broncher.

J'enrageais littéralement. C'était sans nul doute un euphémisme d'ailleurs, pour qualifier mon état d'âme.

Pourtant, je saisis ma chance quand, vers midi, on ouvrit la porte pour m'apporter mon repas. Le visage de la malheureuse m'était inconnu, ce qui me facilita la tâche car je ne souhaitais pas rebrousser chemin si les remords me pesaient trop. Elle me souriait de façon on ne peut plus amicale, tout en me saluant poliment. Je n'écoutais pas plus longtemps sa tirade et chargeait dans sa direction pour la faire tomber.

Notre chute fut bruyante et alors qu'elle observait avec désarroi le plateau renversé et la nourriture étalée au sol, je m'engageais dans les couloirs en courant comme une dératée. Non seulement Adam me payerai pour m'avoir enfermé en cage comme un animal, mais il entendrait parler encore longtemps de cette histoire avec cette pauvre femme.

Sans réfléchir et surtout de manière presque instinctive, je me dirigeais vers son bureau. Les battants étaient fermés mais cela ne me freina pas pour autant. On aurait pu mettre une pancarte avec le mot « danger » peint en rouge pétant que je ne me serai pas faite priée pour y accéder. J'étais bien trop remontée pour me préoccuper de ce qui était conventionnel ou non. Je franchissais donc la porte en veillant à adopter un sourire des plus forcés, histoire de faire bonne figure.

Adam était penché vers son bureau, écrivant à toute allure sur une simple feuille de papier. Comme à son habitude, les lieux n'étaient pas rangés et je ne pus m'empêcher de remarquer les différentes boulettes de paperasses éparpillées un peu partout. Bien qu'elle soit grande, la pièce s'en trouvait réduite de moitié tant l'ensemble du tableau était composé de façon carrément négligée, les objets étant disposés selon le bon vouloir du hasard.

J'enjambai les cadavres de missives et m'installais confortablement dans un des sièges en face de lui qui, par miracle, n'était pas touché par la maladie du désordre compulsif de cet Alpha. Il ne releva pas les yeux vers moi, ne semblant nullement étonné de me voir arriver. Un instant, je me demandai s'il n'avait pas déjà prévu mon spectaculaire plan d'évasion.

Je me raclai la gorge et, en soupirant, il redressa la tête pour me faire face.

« Tu comptes le bannir ? Demandai-je tout en sentant ma gorge se nouer. »

Il ferma les yeux et hocha simplement la tête. Adam n'était même pas capable d'assumer ses choix, de clamer haut et fort quel était le sort qu'il réservait à un homme. Un homme qui le connaissait depuis longtemps. C'était lâche.

« Et bien, dans ce cas, je m'oppose à ta décision ! »

Ma réponse l'agaça et je le senti se crisper presque immédiatement. S'il avait pu, il m'aurait renvoyé dans la chambre, j'en étais sûre et certaine. Mais contre toute attente, savoir que je le poussai dans ses derniers retranchements me donna encore plus la volonté de poursuivre dans cette voie. Je devais sans doute avoir des pulsions suicidaires refoulées...

« C'est complètement impensable de balayer tout comme ça, poursuivis-je. Votre amitié, toutes ces années passées l'un avec l'autre...

-Permets-moi d'insister sur le fait que depuis un certain temps, le terme ''amitié'' n'était plus aussi doré et parfait qu'au début. »

1-0 pour lui. Qu'à cela ne tienne, j'avais plus d'un tour dans mon sac.

« Adam, toute amitié connaît tôt ou tard des hauts et des bas, plus ou moins longs en fonction des événements qui surviennent dans vos vies respectives. C'est normal après tout. Je pense qu'il faudrait surtout prendre le temps de reconsidérer l'affaire. »

Il ne manquait plus que les violons pour nous jouer un petit air mélancolique en arrière fond. J'espérais tout de même qu'avec ce genre de discours, il cillerait légèrement pour me permettre de trouver une faille dans son choix et la lui balancer en pleine figure. Il devait changer d'avis, c'était une nécessité. Hélas, malgré mes efforts, il trouva le moyen de riposter durement.

« Parce que maintenant, tu es la voix de la sagesse ? »

Sa raillerie m'exaspéra plus qu'elle ne m'énerva.

« Disons juste que je suis la voix du bon sens. Tu sais, celle qui s'éloigne de la voix du manque de réflexion, de l'orgueil et de la stupidité ? Voix que, pour ta part, tu sembles favoriser.

-Très drôle Thara, répondit-il en levant les yeux au ciel. De toute façon, ma décision est prise et je ne reviendrai pas dessus. Demain soir, quand le soleil commencera à s'effacer au profit de la nuit, Brad Stevens aura l'obligation de quitter la meute, sous peine de condamnation bien plus lourde que celle-ci. »

Il se releva et pinça l'arrête de son nez, soit pour mieux illustrer sa réflexion, soit pour calmer une soudaine migraine opportuniste. Puis, avec un air plus maussade, il ajouta :

« Je ne tiens pas à avoir comme mon soi-disant ami, une mort facilement évitable sur la conscience.

-Tu es ridicule, répliquai-je du tac au tac. »

Son regard sombre chercha le mien et je lui facilitais la tâche en m'y plongeant délibérément. Il était en colère. Tant mieux, au moins, nous étions deux dorénavant.

« Comprend bien, reprit-il, c'est quelque chose d'inacceptable et il vaut mieux agir que tenter de faire comme si de rien n'était. D'autant plus que pour moi, faire fi de ce qui s'est passé est impossible. Je préfère régler les choses dès à présent.

-Quel courage Monsieur l'Alpha ! Vous m'épatez toujours un peu plus au fil de cet échange, ma foi très intéressant. »

L'ironie lui déplut fortement.

« Fais attention Thara, tu es en train de franchir la limite. »

Je me levai d'un bond, ne serait-ce que pour me mettre au même niveau que lui qui profitait d'être debout pour tenter d'appuyer sa domination sur moi. Il m'observa d'un œil critique que je lui rendis avec bonté.

« Bah nous voilà bien maintenant ! Tu comptes m'exclure aussi de la meute ?! Apparemment, c'est la solution à tous les problèmes alors pourquoi ne pas en profiter ?!

-Ne mélange pas tout, fit-il en se passant nerveusement une main dans les cheveux. »

Je hochais la tête et essayais tant bien que mal de me calmer. La colère ne mènerait à rien. Je risquai au mieux, de ruiner toutes les chances de sauver cet abruti de Bêta. Or, il n'était pas question que je l'abandonne à son sort. J'étais désormais assez concernée par la meute pour savoir tous les enjeux liés à cette exclusion définitive.

« Je n'accepte pas ta décision, finis-je par lâcher posément tout en le dévisageant. Et que cela te plaise ou non, je n'hésiterai pas à m'opposer à toi. Publiquement ou non, cela m'importe peu du moment que j'obtienne ce que je veux.

-Tu veux me défier face à tout le monde ? Malheureusement, tu n'es pas un loup. »

Son sourire narquois eut raison du peu de calme que j'avais réussi à mobiliser en si peu de temps.

« Mais je suis la Luna !! »

Des bruits de casse se firent entendre un peu partout dans la bâtisse, ainsi que des bruits de chute suivis d'éclats de voix. Je ne comprenais pas comment, en hurlant à plein poumons comme je l'avais fait, j'avais pu surprendre autant de monde. Adam sembla tout aussi surpris mais fut le premier à se ressaisir. Il jeta un regard furieux vers la porte tandis que, d'un pas mesuré, il s'approchait de moi. Je ne pus m'empêcher de reculer en même temps.

Il le remarqua et leva les yeux au ciel. Pourtant, il cessa de gagner du terrain, laissant tranquille le peu d'espace vital que je demandai en cet instant-là. D'une voix nonchalante, il me demande de me calmer.

« Ah oui ?! Éclatai-je de nouveau. Pourquoi je te ferai ce plaisir ?!

-Pour la simple et bonne raison que, comme tu l'as dit précédemment, tu es la Luna. Par conséquent, humaine ou non, tu as une influence directe sur les membres de cette horde. Et actuellement, que tu le veuilles ou pas, tu les accules d'un poids dominateur qui les force à s'écraser littéralement contre le sol. »

Oups.

« Pour en revenir à notre débat, continua-t-il après avoir veillé à ce que je reprenne mes esprits, c'est bien beau de dire que tu es la Meneuse d'un groupe. Mais tant que tu ne sais pas en quoi ce rôle consiste, c'est un peu dérangeant pour autrui de t'entendre clamer haut et fort le poste qui est le tien. Sais-tu seulement l'histoire des Luna ? En quoi doivent-elles épauler l'Alpha ? Quand est-ce qu'elles sont amenées à interagir avec les chefs d'autres meutes ?

-Pour ta gouverne, j'ai commencé mes recherches depuis un moment. Certes, je ne sais pas encore tout ce qui touche de près ou d loin à cette fonction, mais je ne comptais pas en user à tort et à travers comme tu le sous-entends. Et puis, je peux toujours demander des informations à ta mère. »

Il se contenta de hocher la tête d'un air pensif. Soudainement, une question lui vint à l'esprit et il se hâta de me la présenter.

« Et qu'est-ce qui te fait dire que tu es la Luna ? En omettant le fait que tu es mon âme-sœur, évidemment.

-Quant à toi, tu ne serais pas en train de faire un parallèle avec Elena, en me posant cette question ? »

Il ne s'attendait visiblement pas à ce que je lui sorte une telle remarque tant et si bien que pour toute réponse, il ne put rien faire de mieux que d'ouvrir puis fermer la bouche comme un idiot écervelé. Sa réaction m'attrista car elle me prouvait à quel point j'avais raison.

« A part Elena, je n'avais jamais connu d'autres femmes, tenta-t-il d'expliquer pour me rassurer.

-Sauf que tu n'es pas simplement sortie avec elle. Tu as aussi été son mari et époux.

-Thara, on était jeunes, inconscient de tous les dangers auxquels nous allions nous retrouver confrontés. Les avertissements nous amusaient plus qu'autre chose. On ne prenait rien au sérieux à ce moment-là. C'était un mariage irréfléchi, rien de plus. »

Rien de plus ? Était-il sérieux ? Un mariage, c'était tout ce qu'il y avait de plus fort, de plus concret pour un couple. Qui disait mariage, disait enfants, famille et j'en passais. Comment pouvait-il, comme pour le cas de Brad, tout balayer du revers de la main ce qui avait constitué un bout de sa vie ? Ce n'était pas rien. C'était un engagement, une promesse d'amour et lui semblait ne pas y attacher d'importance.

« Tu sais ce qu'il y a d'autre d'irréfléchi dans ta vie Adam ? Tes actions et tes paroles. Pour ma part, je ne changerai pas d'avis. Brad ne mérite pas le sort que tu lui réserves. »

Sur ces mots, je pris mon courage et ma fierté à deux mains et tournais les talons le plus fièrement possible. Il n'essaya même pas de me rattraper ou de me contredire comme je l'aurai espéré. Alors, dégoûtée plus qu'autre chose, je me décidai à rejoindre la cellule du Bêta. Je devais lui parler, lui dire qu'il n'était pas abandonné par tous.

En arrivant, je fus tout d'abord surprise de trouver Charlie face à la porte qui menait aux salles de confinement. Puis je fus stupéfaite par les masses imposantes que représentaient les deux molosses qui servaient de gardes. En comparaison, moi et l'autre jeune femme paraissions aussi infime que des fourmis. Bon, ok, j'exagérai peut-être un peu.

« Laissez-nous passer, s'il vous plaît. »

Ils parurent hésiter puis finirent par s'exécuter. Craignant alors que Charlie ne lâche un commentaire qui les fasse changer d'avis, je l'attrapais par le bras et l'entraînais en direction des escaliers. D'abord silencieuse, l'Attaquante finit par débuter maladroitement un semblant de discussion.

« J'ai appris que vous aviez pris la défense de Brad...

-En effet. Mais tutoie-moi je t'en prie. C'est quelque peu dérangeant et ça ne me rappelle pas forcément de bons souvenirs.

-D'accord. Si c'est ce que tu souhaites, ça me va. En plus, je préfère mieux ça. »

Je lui adressai un pâle sourire qu'elle me rendit, encore plus faible que le mien. A croire que nous étions toutes les deux liées, tant la fatigue qui transparaissait sur nos traits paraissait similaire. J'avais l'impression que les couloirs où s'alignaient les salles de confinement, de part et d'autre du chemin, était sans fin.

« Vraisemblablement, tu as l'air de tenir à Brad, Charlie.

-C'est juste une amitié, répondit-elle en me rembarrant avec fermeté. Pour en revenir à nous, je crois ne m'être jamais vraiment présentée à toi.

-Il me semble aussi.

-Dans ce cas, remédions-y dès à présent. Je m'appelle Charlie Scott, j'ai 25 ans et je fais partie de la caste des Attaquants. J'ai une passion pour les coiffures originales et colorées et je passe le plus clair de mon temps à teindre les cheveux de mes proches.

-Peu commun comme passion, fis-je avec amusement.

-On me le dit souvent.

-Je devrais me présenter à mon tour alors. Moi c'est Thara Becker, mère de Minho, âgée de 25 ans aussi. Et accessoirement, je suis également la Luna humaine de cette meute. »

Elle ne put retenir un bref ricanement. C'était vrai que, surtout pour une personne extérieure à notre échange, cela pouvait paraître étrange comme scène. D'autant plus qu'en tant que compagne d'Adam, tout le monde me connaissait plus ou moins (sans chercher à me vanter ni quoi que ce soit d'autre). Je souris à mon tour.

« Tout bien considéré, reprit Charlie sans se départir de sa moue amusée, tu n'es peut-être pas l'idiote petite pimbêche que je m'étais imaginée.

-Et tout bien considéré, tu n'es sans doute pas la folle furieuse dérangée que j'avais imaginée. »

Nous nous échangeâmes un regard complice. Cela me motiva encore plus à m'intéresser à la meute. Après tout, cela pouvait me permettre de m'ouvrir aux autres et surtout, de faire des rencontres avec des personnes, ma foi, très intéressantes. Jusque là, je n'avais jamais réussi à nouer des liens aussi rapidement. Aussi solides. De vraies amitiés qui pouvaient durer. Et au contact des autres, je ne pourrai que devenir une personne meilleure. Je pourrai enfin dire que Minho a un semblant de modèle à suivre en moi.

Mais je m'interrompis dans mes pensées quand j'aperçus le visage de Brad. Il était aussi fatigué que nous, mais contrairement à Charlie et moi, il paraissait résigné. Il nous salua vaguement, avec lassitude et ne se rapprocha pas des barreaux pour mieux se montrer, préférant se retrancher dans le coin le plus obscur de la pièce. Il avait honte, il le portait sur le peu de visage qu'il nous laissait voir.

« Pourquoi s'obstiner à me voir Thara ? Demanda-t-il d'une voix rocailleuse. »

Charlie oublia momentanément sa brève joie pour laisser place à une mine effarée, effondrée. Pourtant, loin de s'en formaliser, le Bêta observa la jeune femme avec une attention loin de la prétendue amitié qui les liait. Il finit par se tourner vers moi, décidé à obtenir une réponse de ma part.

« Pourquoi Thara ? Vu la façon dont je t'ai traité au départ, je mériterai amplement que tu te désintéresses de mon cas. Je ne t'en voudrai même pas d'ailleurs puisque, si ça avait été toi qui se trouvais dans ce trou à rat, je t'aurai abandonné depuis belle lurette.

-Je n'en sais rien, dis-je avec franchise. D'ordinaire, je suis plutôt une personne assez rancunière sur les bords mais là...

-Cherches-tu à prouver quoi que ce soit à la meute ?

-Non. »

Il hocha la tête. Je poursuivis.

« C'est étrange mais cela fait un moment que je me fais la réflexion. En habitant ici, je change. Je suis amenée à rencontrer des personnes toutes plus différentes les unes que les autres, mais avec qui j'ai véritablement envie de poursuivre mon chemin pour devenir une personne meilleure. Si je cherche à prouver quelque chose, c'est à moi que je tiens à montrer de quoi je suis capable. A moi et à Minho.

-Une version 2.0 de Thara Becker ? Demanda Charlie d'une voix hésitante.

-Si c'est le cas, alors je suis heureuse de pouvoir dire que la nouvelle moi est bien plus compréhensive et plus encline à prendre parti pour ce qui lui semble juste, par rapport à la première version. »

Brad leva les yeux au ciel tandis qu'il faisait craquer ses doigts un par un. Les bruits résonnèrent, portés par l'écho qui régnait en maître dans ces lieux vidés de tout mobilier ou d'habitants.

« Je ne comprends vraiment pas comment toi et Constance pouvez cohabiter dans un même corps, finit par lâcher Brad malgré la quinte de toux qui le secoua un bon bout de temps. Vous êtes bien différentes l'une de l'autre. Pas tout à fait à l'opposé, mais voilà... »

Je frémis, attendant de percevoir des cris indignés ou révulsés, des questions dérangeantes fuser dans la pièce exiguë. Pourtant, rien ne vint. Avec inquiétude, je tournais la tête en direction de Charlie. Cette-dernière ne comprenait rien à ce qui s'était dit, cela se voyait. Elle avait compris les grosses lignes mais pas toute l'histoire. Sentant mon regard sur elle, la jeune femme m'observa et, alors que j'allais ouvrir la bouche, elle leva son index pour prendre la parole avant que je n'eusse le temps de le faire.

« Tout ce qui sera dit ici ne sortira pas de ce cachot et si personne ne veut me fournir d'explications, je n'en demanderai pas. »

Je la trouvais de plus en plus sympathique cette nana. Je fus tentée de garder tout pour moi mais, autant parce que j'en avais envie mais aussi parce que Brad me dévisageait avec insistance, je finis par me convaincre d'avouer. De toute façon, un jour où l'autre, l'existence de Constance se serait su. Et je préférai que cela vienne de moi que d'un autre, qui rajouterait des éléments à sa guise histoire d'enjoliver ou de défigurer tout ça.

Charlie ne m'interrompit pas et garda son sérieux tout au long de mon récit. Elle me dispensa de remarques mal venues ou de regards désabusés dont j'avais été trop souvent bénéficiaire quand j'étais petite.

« Et tu comptes le dire au reste de la meute ? Demanda-t-elle une fois que j'eus fini. Dans son entièreté je veux dire, pas seulement les personnes que tu côtoies fréquemment comme Lacey ou Connor. »

Brad leva les yeux au ciel en répliquant que c'était du suicide. Charlie lui lança un regard acerbe.

« C'est tout à fait normal pour une Luna de faire table rase. Comment veux-tu qu'elle se sente intégrée si elle ment en prétextant être ce qu'elle n'est pas ? »

A ces mots, je repensai aux paroles que j'avais hurlées au visage d'Adam. J'étais la Luna. Alors pourquoi pas ? Pourquoi ne pas prendre le risque, mettre tout en jeu ? Pourquoi ne pas me laisser aller pour une fois ? Pourquoi me contenter d'être ce que les autres voulaient que je sois ? Pourquoi ? Pourquoi ne pas être une fille normale, qui s'assume complètement ?

Adam est lâche en condamnant son ami. Mais moi ? Je suis lâche pour me restreindre, pour fermer les yeux sur le fait que j'ai toujours eu peur de me dévoiler.

« Pourquoi pas..., dis-je dans un souffle. Ce serait une bonne idée en effet. »

J'adressai un sourire radieux à Charlie qui perdit contenance. Son regard interloqué me dévisagea puis se posa sur Brad qui haussa les épaules. Le Bêta se mit alors à m'observer avec un intérêt nouveau.

« Dis-moi Thara, où es-tu vraiment ? »

Où j'étais ? De quel côté ? Vers quoi mon cœur penchait ?

A côté de moi, Charlie s'inquiétait, demandait au loup s'il était devenu aveugle. Le reniflement de dédain finit par la convaincre que ce n'était pas le cas et qu'elle l'avait irrité plus qu'autre chose. Comme pour appuyer cette hypothèse, il tourna délibérément le dos. La jeune femme sembla attristée mais, réalisant un peu trop tard que j'étais présente, elle se reprit. Faisant mine de n'avoir rien remarqué, j'orientais la discussion sur un autre point.

« Comment je pourrais réunir toute la meute ? »

Charlie me dévisagea, de nouveau surprise. Elle devait vraiment avoir une image biaisée de moi pour qu'elle soit prise au dépourvu aussi fréquemment quand j'étais dans les parages.

« Je peux m'en charger si tu veux, mais il faut savoir où est-ce que tu comptes rassembler tout ce beau monde... »

Je n'en avais aucune idée mais, d'un signe de tête, j'indiquai à l'autre femme de s'éloigner pour remonter l'escalier. Elle ne jeta même pas un dernier regard à Brad avant de s'avancer et cela me fit penser que j'avais eu une réaction similaire quand je m'étais disputée avec Adam. Gravissant les marches une par une, j'écoutais d'une oreille distraite les idées proposées par Charlie. Elle tentait vainement de me faire réagir en citant des lieux que, d'après elle, j'avais sûrement déjà visité. Mais en réalité, je n'avais pas tellement vu le paysage alentour. Je n'y avais pas forcément accordé beaucoup d'attention.

Le silence revint tandis que Charlie abandonnait la partie. Elle aussi paraissait plongée dans ses pensées, sans doute tournées vers Brad.

« Je compte bien tout mettre en œuvre pour ne pas qu'il soit renvoyé inutilement, fis-je d'une voix que j'espérais forte.

-Pourquoi l'aiderais-tu ?

-Parce que c'est une perte de temps que de renvoyer un membre important de cette horde. D'autant plus qu'on a besoin du plus de monde possible pour se parer contre toutes éventualités. Qu'elles soient bonnes ou mauvaises. Il faut que tout le monde sache cela aussi.

-Quoi donc ?

-La barrière connaît des défaillances. Elle risque de disparaître si on ne fait rien. »

Charlie ne parut pas étonné. On aurait même dit que c'était un fait auquel elle s'était attendue et préparée. Vu sous un certain angle, ça n'avait rien de rassurant. Certes, cela signifiait que les membres de cette communauté prenaient conscience que tout n'était pas gagné, qu'une épée de Damoclès se tenait au-dessus de leur tête. C'était une preuve d'intelligence, il fallait le reconnaître. En revanche, que devaient-ils penser de leur Alpha ? Un Meneur qui ne leur parlait même pas de ce véritable problème. Pensaient-ils que c'était un ignorant qui ne s'intéressait aucunement à ce qui l'entourait ou, au contraire, s'imaginaient-ils que c'était un homme prêt à cacher une affaire pareil à ses proches pour satisfaire ses envies ?

Je m'arrêtai devant la porte, Charlie m'imitant avec une mine intriguée.

« Pourquoi tu n'es pas...

-Je suis très observatrice, me coupa-t-elle. Et durant mes rondes, j'ai remarqué certaines anomalies au niveau de la barrière. Mais je dois avouer que je ne m'attendis pas à ce que ce soit aussi grave. J'avais plutôt pensé que c'était ton arrivée qui avait perturbé l'équilibre. Ça me paraissait plausible et comme je ne te portais pas forcément dans mon cœur, j'ai pas cherché plus loin.

-Je vois. Et tu penses que d'autres ont également remarqué ce problème ?

-C'est possible, mais cela n'est pas ébruité en tout cas. Au sein du village, je n'ai jamais entendu les gens se plaindre du dôme. Je crois même qu'au final, ils ont un peu oublié sa présence. Par contre, je me pose juste une question. Tu as dit à Brad que tu ne cherchais pas à prouver quoi que ce soit à autrui, hormis ton fils. Mais au fond, est-ce que c'est vraiment le cas ? »

Face à ma confusion, elle s'empressa de fournir plus d'informations.

« Pour vouloir aller contre l'avis d'Adam, c'est que tu as forcément une idée derrière la tête, non ? Tu ne chercherais pas à l'impressionner ou à lui montrer quelque chose ? A moins que ce soit auprès de la meute ? Dans tous les cas, je ne te jugerai pas mais j'aimerai tout de même avoir un aperçu de ce qui se trame dans ta petite tête. »

Prouver quelque chose ? Sans doute. Sans doute affirmer à tous que je ne suis pas du genre à me laisser marcher sur les pieds. Sans doute témoigner que je ne souhaite pas qu'on m'impose quelque chose, qu'on me dicte mes moindres faits et gestes. Cela ne plaira peut-être pas à tout le monde, cela en choquera sans doute plus d'un, mais qu'à cela ne tienne je saurai me faire une vraie place ici. Une place que j'aurai méritée.

Charlie, devant mon mutisme, m'adresse un regard complice avant d'enfouir ses mains dans ses poches. Et, malgré l'air détaché quelle tentait de garder, son excitation était aussi visible que son sourire mutin.

« C'est un plan qui me plaît bien, finit-elle par lâcher. Quand est-ce qu'on s'y met ?

-Merci. Mais avant toute chose, il faut que je vois Connor. »

Tout en riant, Charlie me proposa de voir chez Alba. Selon elle, Connor y passait le plus clair de son temps, aussi bien à l'intérieur de la maison qu'à l'extérieur, où il passait des nuits entières à surveiller les alentours.

« Il dit que c'est pour la protéger des éventuels opposants aux Veilleurs, mais personne n'est dupe. Aucun homme n'agirait comme ça simplement parce qu'il tient à préserver l'intégrité d'une personne. D'ailleurs, quand on compare son comportement à ce lui d'un pervers, il voit rouge et mieux vaut ne pas traîner pour déguerpir si on ne veut pas finir la journée avec un œil au beurre noir. »

Toujours hilares, Charlie poussa le battant tandis que je la suivais en tentant de reprendre contenance. Jamais je n'avais rit autant, au point d'en avoir des crampes à l'estomac alors que j'imaginais la scène qu'elle m'avait décrite. Pourtant cela ne dura pas. La jeune femme s'arrêta net et je me heurtais à son dos sans cérémonie. Adam se tenait là, nous attendant de pied ferme. Je me postai au même niveau que l'Attaquante pour ne pas l'embarrasser plus.

Cette-dernière se tenait sur ses gardes, mais ne salua pas pour autant son supérieur. Cela lui valut d'ailleurs un regard inquisiteur de la part du loup qui, malgré le caractère de la jeune femme, n'avait pas l'habitude de faire face à ce genre de comportement rebelle. Puis, comme pour insister sur ce changement, elle se décala légèrement pour se rapprocher un peu plus de moi. Adam explosa littéralement.

« Tu comptes vraiment retourner toute la meute contre moi Thara ?! »

Qu'il pouvait être excessif quand il le voulait.

« Absolument pas ! Figure-toi que je compte t'ouvrir les yeux grâce à eux, voilà toute la nuance ! »

Préférant ne pas avoir à l'affronter plus longtemps, je tournais de nouveau les talons. Comme une lâche, certes. Charlie eut cependant la gentillesse de ne pas le signaler alors qu'elle me suivait dans le calme le plus complet. Seuls nos pas résonnaient dans les couloirs. Tout était désespérément vide de toute vie. Et, alors que nous parvenions à l'extérieur, Finn se rua dans notre direction, nous hélant sans réserve. Une fois parvenu à notre niveau, il se permit de reprendre son souffle un moment.

« Est-ce que tout va bien ? Finit-il par demander, le souffle saccadé par sa course folle. Adam est furieux et il a prévenu toute la meute que tu avais perdu les pédales. »

Sans réfléchir plus longtemps, ignorant complètement les cris de Charlie et Finn qui tentaient de me suivre, je me mis à courir en direction de la maison d'Alba. Étrangement, je ne croisais personne alors que je m'étais attendue à tous les trouver à leur porte, me dévisageant avec des mines ahuries ou effrayées. Rassurée mais en même temps peinée que personne ne daigne s'assurer que j'étais bel et bien devenue folle comme le prétendait Adam, j'augmentai mon allure.

J'entrai directement, sans prendre le temps de toquer. Connor se trouvait là, appuyé contre le dos du canapé, faisant face à une Alba de toute évidence troublée. Les deux se tournèrent vers moi avec des mines surprises mais lui fut plus rapide pour se reprendre en main. Il demeura impassible un moment, me dévisageant comme s'il pouvait lire en moi comme dans un livre ouvert, avant de reposer son regard sur la jeune femme. En revanche, du côté d'Alba, le malaise grandissait au point que ses joues semblaient être prête à prendre feu.

Je m'excusai précipitamment puis bafouillai tandis que mes idées trouvaient le moyen de s'éparpiller les unes après les autres. Finalement, avec l'arrivée de Charlie et Finn, je finis par reprendre contenance.

« Alba, préviens les Veilleurs pour moi. Je compte me rendre au village des sorciers à l'origine de la barrière. Avec ou sans Adam, peu m'importe du moment que je parviens à réussir cette mission. Mais je tiens à réunir toute la meute avant mon départ. »

Face au regard critique de Connor, je me sentis comme obligée de me justifier.

« Je ne perds pas les pédales, fis-je d'une voix pourtant tremblante et moins affirmée que je l'aurai souhaité. Je ne compte pas laisser Brad ainsi que la meute dans une telle situation. En me concentrant sur le dôme protecteur, je trouverai le moyen de faire réhabiliter notre Bêta. »

Il m'adressa un sourire rassuré, l'air fier de mon choix. Et, alors qu'Alba et Charlie s'agitait dans tous les sens tandis que Finn se moquait d'elles, Connor s'approcha de moi. L'air sérieux, tout en observant le soleil qui continuait sa course inébranlable, il finit par me questionner.

« Qui comptes-tu emmener durant ce voyage ? Ce ne sera, de toute évidence, pas une promenade de santé. De plus, tu mets la vie de tes compagnons de route en danger. »

Je le savais. Mais était-ce égoïste de vouloir tenter le coup quand même ? Était-ce stupide de croire que ces sorciers pourraient nous aider ? De croire que Brad avait une chance de survivre ? Et Minho ? Au bout d'un moment, j'osais braver le regard aguerri de cet homme plus qu'intimidant.

« J'en ai conscience et je prends le risque. Ceux qui me suivront auront choisi d'agir ainsi. Je n'obligerai personne. Je laisserai Minho ici, avec Lacey. Il sera plus en sécurité. Et je tiens également à ce que des représentants de la caste des Veilleurs m'accompagnent.

-Je ne veux pas qu'Alba y aille ! Rugit-il en se redressant d'un coup. »

Une amitié ? Vraiment ? Son comportement s'éloignait de plus en plus du grand-frère exemplaire. Je lui lançais un regard désabusé qui le fit hausser les sourcils.

« C'est une grande fille, sache-le. En plus, je t'ai expliqué que je ne comptais emmener personne de force. Le choix lui revient. »

Il ouvrit la bouche mais fut devancé.

« Je viendrai, tu peux compter sur moi. Et Nao sera également l'un d'entre nous. »

Connor observa Alba avec colère. Elle le toisa avec tout le courage dont elle disposait. Aucun des deux ne parut vouloir céder face à la pression imposée par l'autre. Le duel aurait pu durer longtemps si la jeune femme n'avait pas choisit d'appuyer ses pensées par une explication.

« Je ne suis pas une poupée de porcelaine qu'on achète pour décorer une pièce. J'ai une fonction. Je suis une Veilleuse et en tant que telle, j'obéis et soutiens ma Luna. Je serai la représentante de ma caste auprès du clan de sorcier, tu ne peux pas t'opposer à cela. Tu m'as toi-même dit que si je souhaitais faire accepter notre présence, il fallait que j'agisse. Par conséquent, tu n'as aucune raison valable pour t'opposer à un choix qui me revient de droit. »

Connor soupira. Voulant détendre l'atmosphère et trouver un terrain d'entente, Charlie proposa à Connor de faire parti du groupe. Il secoua la tête, le visage empreint d'amertume.

« Malheureusement, je dois partir en mission d'infiltration. En tant qu'Attaquant, j'obéis et soutiens la meute ainsi que mon Alpha, j'imagine. »

Alba ne tilta pas face au fait que Connor avait repris sa phrase, se contentant de lui recommander d'être prudent avec un air impénétrable. La tension était toujours présente, l'humeur était encore plus grave et maussade. Charlie ne trouva rien d'autre à dire, croisant les bras sur sa poitrine pour garder son calme.

Face à la résistance de la jeune femme, Connor dut se résoudre à baisser les armes. Il ne jeta même pas un regard vers elle, s'inclinant respectueusement devant moi en m'appelant Luna. Je compris tout de suite que derrière ces quelques mots, il m'enjoignait à prendre soin de celle qu'il ne pourrait plus garder à l'œil durant un certain temps. Il s'éloigna rapidement, comme si le diable eut été à ses trousses. Alba lui tourna obstinément le dos, bien que l'effort que cela lui coûtait était visible.

« Je vais prévenir mes supérieurs, finit-elle par dire d'une voix rauque. Je trouverai un plan et j'en discuterai avec eux. »

Devant mon regard inquisiteur, elle précisa que cela ne prendrait pas trop de temps puisqu'elle utiliserait la télépathie. Sur ces mots, elle regagna le salon où après s'être assise dans un fauteuil, les mains sur ses cuisses, le dos bien droit, les yeux fermés, elle maintint la position avec un air concentré. Charlie troubla le silence en me rapportant qu'elle avait réussi à convoquer tout le monde à la place du ''village''.

« J'ai peur, finis-je par avouer lâchement. »

Charlie fut la première à répondre à mes angoisses.

« Tu n'as pas à les craindre Thara. Dis-toi que de toute façon, tu devras t'imposer et te présenter en bonne et due forme un jour ou l'autre. Or, le fait que tu ais eu l'initiative ne peut que pencher en ta faveur. Et puis, ils ne sont pas aussi monstrueux. Ils peuvent s'avérer stupide quand leurs émotions prennent le dessus mais crois-moi, ce sont de gentils toutous qui n'attendent qu'une chose : te donner leur patte et t'accorder leur confiance. »

Finn ébouriffa les cheveux et, après avoir claqué un baiser retentissant sur ma joue, me souffla de ne pas perdre mon sourire.

« Un sourire te suffira pour surmonter cet obstacle, poursuivit-il. Montre-leur que tu es un pilier stable et essentiel au sein de cette communauté. »

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