-Chapitre 19-

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Sans me gêner de grogner, je me réveillai péniblement avec la sensation que mon crâne était passé sous un rouleau compresseur. Je ne pouvais pas être malade vu que je n'étais pas humain, et c'était bien l'une des rares fois où je me sentais aussi mal.

C'était quelque chose de dérangeant de faire face à un problème comme celui-ci, où les muscles et les combats bestiaux ne servaient strictement à rien. J'avais horreur de me sentir impuissant, incapable.

Sans doute pour me contrarier encore plus, des rais de lumière vinrent se planter à l'emplacement exacte de mon visage, me laissant comprendre que soit j'avais vraiment très peu de chance, soit les dieux m'envoyaient un message subliminal : cette journée n'allait pas être ordinairement calme comme je l'aurai aimé.

La deuxième hypothèse me paraissait de plus en plus plausible, notamment quand des coups réguliers donnés à la porte me prévinrent de l'arrivée d'une personne.

« Je peux entrer mec ? »

Qui lui avait fourgué dans le crâne l'idée saugrenue d'aller me consulter de si bonne heure ? Qu'on me l'assomme immédiatement !

Pour toute réponse à la question de Brad, je grognais de nouveau et me réfugiais sous les couettes. Réaction immature qui me convenait tout à fait. Ce ne fut, d'ailleurs, qu'à ce moment-là que je me rendis compte que j'avais dormi simplement vêtu d'un caleçon. A la réflexion, il était vrai qu'avec les révélations de la veille, la fatigue m'avait envahi subitement.

Elle avait noyé toutes les idées demandant trop d'efforts, dont celle d'enfiler un semblant de pyjama, me transformant littéralement en un légume. Et voilà que ce matin, je me retrouvais dans le même état que la veille.

Comme pour couronner le tout, mon Bêta décida d'entrer sans mon accord, ce qui m'agaça d'autant plus. Une pensée germa immédiatement dans mon esprit : Un seul commentaire de sa part, et j'allais me le faire !

« Je me demande bien ce que penserait le reste de la meute en te voyant comme ça, caché sous les draps..., dit-il en ricanant sans retenue. En tout cas, ça a le mérite de me récompenser d'être venu te voir tout en ayant conscience des risques. »

Énervé, j'émergeais du duvet, prêt à en découdre. Malheureusement, je ne fus pas assez rapide et ne parvins pas à esquiver une autre remarque désobligeante de sa part.

« T'as une de ces têtes... Tu fais peur à voir... Tu as bu ? »

Aussitôt, je recouvrais mes esprits. Une claque aurait eu le même effet. Il était vrai que pendant longtemps, l'alcool avait été un échappatoire pour moi. J'en prenais sans modération, du soir au matin, du matin au soir sans me soucier des conséquences qui suivaient derrière. En mon for intérieure, je me disais que de toute façon, j'étais un être surnaturel, je ne pouvais donc pas mourir d'une overdose.

Je me croyais immortel.

C'était vrai quelque part, l'alcool ne pouvait pas me tuer de cette manière. Mais avec perfidie, il l'avait fait d'une façon plus fine, plus mesquine. Il agissait comme un poison, s'insinuant dans les failles de mon âme. Il m'avait changé, il m'avait éloigné de la vérité que je souhaitais alors oublier.

Et bien que j'en avais eu conscience, j'avais continué, parce que je craignais de me rendre compte de la réalité.

J'avais blessé ma meute dans son entièreté. J'avais failli dans ma mission de Dominant. J'avais perdu la confiance de mes proches. J'avais fait honte à ma famille. J'avais déshonoré la mémoire de mon père et de mes aïeuls.

Pourtant, le simple fait de me rappeler cet épisode de ma vie, de me confronter de nouveau aux idées peu changée qu'avait mon entourage de moi, tout cela me faisait encore mal.

Autant dire qu'en comparaison, les douleurs qui assaillaient mon crâne ce matin n’étaient rien, juste un épisode superflu que j'avais pratiquement déjà oublié. Je me réfugiais de nouveau sous les couettes, sachant pertinemment que cela ne servait à rien.

Elle ne pourrait jamais me protéger. L'enfant que j'avais été en était persuadé, l'adulte que je devais réellement devenir ne pouvait plus se permettre un tel état d'âme.

Remarquant sans doute combien ses paroles m'avaient blessé, Brad décida de s'asseoir sur le rebord de mon lit, ne tentant pas d'envahir outre mesure mon ''espace de réflexion''.

Le silence régna en maître un long moment, chacun feignant d'être perdu dans ses pensées afin de ne pas être le premier à le briser.

« Tu es sérieux au sujet de la meute ? Demanda-t-il soudain, anxieusement. Tu comptes vraiment en reprendre les rênes après autant de temps passé à la refouler au second plan ? »

Si j'étais sérieux ? Bien sûr ! Certes, j'avais mis un certain temps pour que je comprenne enfin à quel point j'avais fait pire que mieux en ne pensant qu'à mon désarroi, mais s'il y avait bien une chose que cela m'avait fait voir, c'était à quel point ma meute était importante pour moi.

C'était l'une des rares choses que mon père m'avait légué. Une des rares choses que je tenais de lui, qui me rattachais à cet homme qui avait toujours été mon modèle. Une des rares choses qui me maintenait encore en vie, qui m'aidait à conserver le peu d'équilibre qu'il me restait.

Je laissais soudainement ma tête dépasser du duvet, ne serait-ce que pour montrer mon visage, à quel point j'étais désormais déterminé à réussir ce que je recommençais à entreprendre. De nouveau, bien que je surpris une lueur de soulagement dans son regard, il repartit dans des ricanements, nettement plus guillerets qu'auparavant.

Aussi loin que je m'en souvienne d'ailleurs, il avait toujours ricané. C'était quelqu'un d'assez sarcastique, qui ne pouvait pas se départir de sa méfiance avant un bon moment, avant de bien connaître son interlocuteur. J'imagine que, quelque part, ces rictus étaient un moyen de défense comme un autre. Et je ne souhaitais pas le juger sur cela. Après tout, il avait toujours été là pour moi.

« Je suis content de te retrouver enfin, après tout ce temps. Sincèrement... »

Je hochais la tête, partageant ni plus ni moins son avis.

« Ouais, moi aussi je suis content de me retrouver. »

Nous éclatâmes de rire à l'unisson, comme au bon vieux temps. Comme avant que toutes ces merdes nous tombent dessus sans nous laisser le temps de souffler. Finalement, je repoussai la couette au loin, et cela à l'aide de mes jambes car j'étais bien trop las pour m'asseoir et le faire normalement.

Brad, toujours aussi observateur, me gratifia d'un regard interrogateur auquel je ne pris pas la peine de répondre, car déjà préoccupé par une autre pensée.

« Dis, tu comptais vraiment prendre ma place au sein de la meute quand j'étais... quand j'étais trop occupé à boire à longueur de journée, disons les choses telles qu'elles sont... »

A ces mots, le visage de mon ami vira rapidement au cramoisi. Ce qui était sûre, c'était que rien que d'y penser, cela le gênait. Et pour affecter Brad de la sorte, il fallait y allait. Là encore, cela était dû à sa méfiance instinctive.

Du coup, il ne se gênait jamais pour être franc, même avec les inconnus, leur racontant leurs quatre vérités quand il le fallait (parfois même quand il ne le fallait pas, cela dépendait de son humeur du jour).

Et pourtant, derrière l'image qu'il offrait à tous, se cachait un grand timide, qui avait horreur de le montrer.

« Ce n'était pas mon intention au début en tout cas. Je voulais juste que tu réagisses mais devant ton inaction face à mes provocations, j'ai pensé que c'était la meilleure chose à faire. »

Il baissa les yeux au sol, me montrant ainsi sa soumission, prouvant à quel point il s'en voulait, tout comme il me reconnaissait de nouveau comme son Alpha. Comme je ne l'interrompais pas ou ne lui sautais pas à la gorge face à ses révélations, il poursuivit.

« Bien sûr, ce n'était pas de gaieté de cœur que je te discréditais auprès de tout le monde. Franchement, à de nombreux moments, j'ai failli envoyer tout promener. Mais quand je voyais la manière dont tu traitais ta propre mère, j'ai rapidement compris que je n'avais pas le choix. J'ai préféré privilégier le bien-être de la meute, quitte à faire une croix sur notre amitié. Je suis désolé si cela peut être difficile à entendre pour toi... »

Non, ça n'était définitivement pas quelque chose de plaisant d'entendre ces mots, surtout de la bouche d'un ami qu'on connaît depuis le jardin d'enfants, mais je n'avais pas le choix. Il fallait que ça sorte de toute façon. Un jour où l'autre, il aurait dû me révéler quelles étaient ses intentions.

Et bien que cela était dur à admettre, je ne lui en voulais pas. Plus depuis que nous avions eu notre discussion dans mon bureau, plus depuis que j'avais décidé de reprendre le contrôle sur le rôle qui m'avait jusqu'alors échappé.

Quelque part, Brad était une personne admirablement courageuse. Mais cela, je m'abstenais bien sûr de lui dire.

Foutue fierté mal placée !

« Je vois. Tu sais ce que fait Thara actuellement ? Demandai-je l'air de rien pour changer de sujet. »

Brad n'était pas dupe, mais il eut la politesse de ne faire aucun autre commentaire, reprenant son attitude de Bêta exemplaire, comme Connor s'amusait à le surnommer.

« A ce propos, je dois t'avertir d'un truc, dit-il en adoptant durant un court instant une moue enfantine. Elle est bizarre ton âme-sœur... »

Il était clair qu'elle ne faisait sûrement pas dans le genre classique. Elle était spéciale, elle était elle. Contrairement aux âmes-sœurs des autres Alpha du coin. Eux qui se pavanaient à longueur de temps auprès d'une poupée en plastique qui paraissait sans vie, je ne leur enviais pas leur vie. Thara était unique, elle. Jamais elle ne laisserait une personne lui dicter ses moindres faits et gestes.

« Je ne te le fais pas dire, dis-je sans feindre mon amusement. Elle me l'a prouvé plusieurs fois déjà. Mais toi, pourquoi penses-tu ça ?

-Pour faire simple, depuis ce matin, aux aurores, elle se tient près de la frontière du dôme.

-Et ? Jusque là, je ne vois rien d'anormal dans cette situation... »

Il eut un sourire énigmatique.

« Bah... Disons qu'elle agit étrangement. Elle alterne entre l'intérieur et l'extérieur de la barrière, en sautant un coup d'un côté, un coup de l'autre. Et apparemment, bien qu'elle ai diverti la galerie, elle ne semble pas prêter attention aux nombreux curieux qui sont venus observer son manège. On dirait presque qu'elle n'est pas connectée à notre monde... »

Constance était vraiment lunatique mais là, elle battait très certainement des records. Face à ma mine ahurie, Brad retomba dans l'hilarité, sans se soucier des codes qui interdisaient pourtant tout membre inférieur à un autre au sein de la meute, à se moquer de son supérieur.

De toute façon, à cet instant-là, il n'était plus réellement question d'un Alpha et de son subordonné, mais plutôt de deux amis lycanthropes, heureux de se retrouver après une mauvaise passe.

Mais, trop rapidement à mon goût, Brad brisa la bulle autour de nous en se relevant, signalant ainsi son départ imminent.

Alors qu'il se tenait désormais près de la porte, il se tourna de nouveau vers moi, sans cacher son inquiétude.

« Même si tu parais aller mieux, je sais que certaines douleurs, certaines plaies ne se refermeront jamais. Alors laisse-moi te dire une chose : tu n'es pas le seul à avoir souffert de toute cette histoire. Nous vivons tous avec le poids de ces pertes inutiles. Cependant, il ne faut pas se refermer sur soi-même dans ce genre de moment. Tourne-toi vers tes amis. Tourne-toi vers moi si jamais tu sens que rien ne va plus. On peut t'aider. Tous. Alors ne refuse pas notre aide quand tu comprends que l'obstacle est trop grand pour toi. Ne nous tourne pas le dos une seconde fois. Tu pourras toujours compter sur nous, saches-le. Si le mur te paraît infranchissable, on sera là, on te fera la courte échelle s'il le faut. »

Sur cette jolie métaphore qui me laissa pensif, il s'éclipsa sans un mot de plus. Tout ce qu'il avait dit me laissait un goût amer dans la bouche. Parce que malheureusement pour moi, tout était vrai. Je les avais repoussés alors que je touchais chaque jour un peu plus le fond. Je les avais tous entraîné avec moi.

J'avais conscience de ne pas souffrir de manière isolée, de ne pas être le seul à accuser le coup, et pourtant, j'avais préféré l'ignorer parce que c'était plus simple pour moi.

C'était plus simple de me dire que personne ne me comprenait. Et l'alcool me l'avait rapidement fait oublier, je m'engluais toujours un peu plus dans ce cercle vicieux. Je ne voyais jamais aucun échappatoire possible alors je buvais sans considérer les dégâts.

« Je ne compte plus me mentir pour me protéger. Je veux avancer. Pour tout le monde, pour moi, pour Thara et Minho, pour mon père et pour Sarah. »

Sachant pertinemment que Brad n'avait pas quitté le couloir, je ne me trouvais pas ridicule de prononcer à haute voix ces mots que je pensais vraiment. Cependant, je me sentis misérable quand, une fois le nom de ma sœur prononcé, le lien de meute m'indiqua que l'humeur de mon meilleur ami devint plus maussade, à la limite même de la tristesse.

Cela me prouvait une fois encore, que durant bien trop longtemps, je n'avais pas été le seul à souffrir mais que, contrairement aux autres, je m'étais évertué à sombrer au lieu de me relever et de poursuivre mon chemin.

Brad avait souffert, et j'ignorais si un jour il pourrait s'en remettre. Cette fois-ci, il partit pour de bon, sans doute pour réfléchir de son côté. Le lien s'atténua, et je ne doutais pas du fait qu'il en était la cause, voulant s'en doute préserver son intimité. C'était tout à son honneur.

Je savais depuis toujours les sentiments qu'il avait éprouvé pour ma sœur. Au départ, alors que j'étais encore en primaire, cela ne m'avait pas plus du tout. Je m'étais même bagarré avec Brad, avant que nos parents respectifs ne viennent nous séparer.

Sarah nous avait fait la tête à tous les deux pendant une semaine, si bien que mon meilleur ami n'avait plus tenté d'en venir aux mains avec moi.

Avec le temps, bien que ma sœur niait à chaque fois le fait d'éprouver un sentiment quelconque pour Brad (hormis de l'amitié bien entendu), je savais qu'un lien entre eux se construisait.

Pas un lien d'âme-sœur, malheureusement.

Mais il existait entre eux cette affection qui les poussait sans cesse dans les bras l'un de l'autre. Des paris avaient même été lancé au sein de la meute, au grand damne de mon père qui, au bout d'un moment, avait fini par s'y joindre.

Lentement, mon regard dévia vers la photo trônant sur ma table de chevet. Elle n'était pas bien grande, mais j'y attachais beaucoup d'importance. C'était l'une des rares que j'avais d'eux, unis, heureux. Par la suite, nous nous étions plus dispersés.

Moi, j'étais dans mes études et je ne voulais pas qu'on me rappelle sans cesse le devoir qui m'attendait. Mon père discutait et travaillait sur de nombreuses alliances à l'origine de l'actuelle puissance de notre meute.

Ma sœur s'entraînait sans relâche, sans que ma mère ne puisse l'en empêcher.

Et puis, subitement, j'avais fini par me retrouver seul avec ma mère. Puis seul tout court, avec une bouteille d'alcool dans la main.

Sur le cliché, mon père posait, une main judicieusement placée sur la hanche de ma mère. Il était possessif, comme la plupart des loups. Il ne fallait pas toucher un cheveu de ce qui était à lui.

Il souriait, ravi d'être si bien entouré. A son côté, ma mère paraissait épanouie. Ses magnifiques cheveux, aujourd'hui parsemés de mèches blanchâtres, étaient alors d'un châtain qui tirait au blond aux endroits de sa chevelure que le soleil venait caresser. Elle avait les joues rougies, le regard pétillant. On aurait dit un ange.

Devant eux, deux bambins qui visiblement se retenaient de rire au moment où le cliché avait été pris, se tenaient l'un près de l'autre. Il manquait d'ailleurs deux dents de lait à ma sœur, ce qui lui donnait encore plus l'air d'une bagarreuse.

Quant à moi, mes joues rebondies paraissaient illuminer la photo, tant leur rougeur était prononcée. Et je souriais, un sourire quasi-similaire à celui de mon père ainsi que de ma sœur.

Sur une autre photo, installée juste derrière la première, je me tenais fièrement aux côtés de mon père. Si mes souvenirs ne me trompaient pas, elle avait été prise quelque temps après que j'eus découvert ma nature. Mon père m'avait alors tout expliqué sur ce que nous étions et le rôle que nous devions jouer auprès des autres.

L'image sous mes yeux, était celle d'un bambin qui tirait la langue, les pieds dans l'eau limpide d'une branche de fleuve, portant comme un trophée un poisson bien trop maigrichon.

Pour sa part, mon père avait réussi à capturer une belle et immense prise qui, comparée à la mienne, avait dû nourrir bien des gens.

Envahi par la nostalgie qui me gagna soudainement, je reposais précipitamment les photos, prenant tout de même soin à les placer là où elles se trouvaient exactement au départ. Ma gorge brûlait.

J'eus envie de pleurer un bon coup, mais sachant que les autres le sentiraient à cause du lien, je m'abstins. Le seul endroit où je pourrais le faire, ce serait dans les bras de mon âme-sœur. Pas ceux de Constance, bien entendu.

Ceux de MA Thara. Son absence se faisait de plus en plus pesante. La sensation de notre lien me manquait.

Ça non plus, je ne l'avouerai sans doute jamais.

Doucement, je me relevais, et me plantais face à la glace trônant fièrement sur mon mur. Une autre pensée m'obsédait, à croire qu'une fois une idée résolue ou accomplie, une autre prenait sa place sans plus tarder, tant la file d'attente était longue.

Maintenant, oui, là maintenant, que penserait mon père de moi ? Que penserait-il de cet homme que j'étais, là, ainsi planté devant un miroir qui réfléchissait une image complètement déformée de ma personne ? Que trouverait-il à me dire, moi qui avais honte de ce que j'avais commis jusqu'ici ? Chercherait-il à me réconforter ? Ou au contraire, penserait-il qu'il valait mieux citer tous mes défauts pour me faire changer d'autant plus ?

Après tout, je n'étais plus cet enfant qu'il avait connu. Je n'étais plus non plus le jeune étudiant fraîchement diplômé qu'il avait aperçu avant sa mort. Comme pour me persuader que ce n'était pas le cas, qu'au fond je restais le même bambin qu'il avait élevé avec amour, je tentais de reproduire le sourire que j'avais autrefois décoché, au moment de la prise de ces fichues photos.

Mais tout ce que je voyais dans le reflet, c'était un con en train de marcher à l'auto-persuasion.

Pourquoi était-ce si dur d'admettre que mon paternel serait déçu de me voir dans cet état ? Pourquoi était-ce si dur d'admettre que ce que j'étais dans le passé ne pourrait plus jamais refaire surface sur mes traits ?

C'était simple pourtant, je ne pourrais jamais refaire le même sourire que ce jour-là. Tout bonnement parce que toutes les conditions présentes à cet instant-là ne pouvaient plus être remplies. Tout bonnement parce que ce sourire, c'était celui que j'offrais à un père désormais disparu.

On toqua de nouveau, m'extrayant de mes pensées fatalistes. Mon odorat m'indiqua l'identité du nouveau venu sans effort : Minho. Ce-dernier exhalait d'ailleurs un parfum de peur qui pouvait s'avérer dangereux s'il n'était pas accompagné. Après tout, un loup restait un prédateur qui adorait suivre à toute vitesse une proie qu'il savait déjà condamnée.

« Entre Captain, fis-je avec un calme olympien. »

Le petit s'exécuta sans un mot, prenant soin de refermer méthodiquement la porte derrière lui. Cependant, quand il se tourna vers moi, son regard me détailla de haut en bas, comme s'il y avait un problème quelque part.

Je haussai un sourcil, geste qui le fit sourire, avant qu'il ne me fournisse des explications en quatrième vitesse, en comprenant que cela pouvait entraîner un malentendu. Bien qu'il était arrivé récemment, quelque chose me disait qu'il ne souhaitait pas créer de conflit, pensant davantage à sa mère qu'aux risques que lui pouvait encourir.

« En fait, je me demandai pourquoi tu étais si peu vêtu..., dit-il. Maman appellerait d'ailleurs cela de l'exhibitionnisme. »

Je ne pus m'empêcher de rire face à son air soupçonneux puis, pour ne pas blesser le petit et surtout pour éviter d'éventuels représailles de sa mère poule, je filais me chercher des vêtements. De toute façon, je ne souhaitais pas rester ainsi éternellement, le moment où j'aurai du enfiler des vêtements pour sortir serait venu tôt ou tard.

Une fois devant mon armoire, une question s'imposa à mon esprit : Allais-je me transformer aujourd'hui ? Si c'était le cas, bien que je puisse de temps à autre retrouver mes vêtements dans un état convenable, je ne tenais pas à prendre de risque avec ceux que j'aimais bien. En prévision, j'optais pour un style on ne peut plus banal, composé d'une chemise et d'un jean bon marché.

D'un pas plus serein (il fallait croire que le gamin avait une bonne influence sur moi), je revins dans ma chambre où je finis par trouver le p'tit Captain tranquillement assis sur le rebord du lit, comme Brad précédemment.

Sans doute avait-il agit inconsciemment, mais il était fort probable que son loup l'ai incité à s'installer à cet endroit exacte à cause de l'odeur de mon meilleur ami.

Dans notre communauté, les louveteaux se repéraient grâce aux effluves des autres membres plus fort qu'eux, cherchant leur protection, ou étant tout simplement attiré par leur force (pas de manière amoureuse non plus, juste comme un enfant est attiré par tout ce qui est sucré).

« Sais-tu quand est-ce que ta mère reviendra ? Demandai-je en constatant qu'il avait sursauté, n'ayant apparemment pas fait attention à mon arrivée pourtant peu discrète.

-Généralement, deuxième maman ne reste qu'une nuit, le temps que je m'endorme. Mais un soir, elle m'a dit que plus elle dépensait d'énergie, plus son temps avec moi était restreint.

-Bien, j'imagine alors que nous la reverrons bientôt. Tant mieux. »

Pourtant, contrairement à ce que j'aurai pu pensé, cette nouvelle ne parut pas réjouir l'enfant qui se recroquevilla sur lui-même. Cela m'étonna autan que ça me déconcerta. Ce n'était absolument pas normal.

« Que t'arrive-t-il Minho ? »

J'avais élevé la voix sans le vouloir, si bien que l'enfant eu un mouvement de recul. Malheureusement, je n'y pouvais pas grand chose. Le corps du petit garçon se mit à trembler légèrement tandis qu'il me répondit en serrant davantage ses poings.

« J'ai peur. »

D'un geste de la main, je l'enjoignis à poursuivre.

« J'ai pas envie que maman fasse une nouvelle crise. J'ai peur qu'à force, elle ne puisse pas rester avec moi, ou qu'elle ne puisse plus me prendre dans ses bras parce qu'elle aurait trop peur du loup.

-Je ne pense pas que ce cela se reproduise de nouveau. Elle a dû se faire à l'idée maintenant. Mais il y a de fortes chances pour qu'au contraire, elle ne veuille plus te lâcher par peur que tu souffres.

-M'en fiche. Je m'inquiète quand même pour maman. »

C'était une étrange chose que de voir un petit bout comme lui clamer haut et fort son amour envers sa mère de cet façon. Il mourrait d'envie de la protéger, ça crevait aux yeux. Sans doute était-ce en partie à cause du fait qu'ils avaient construit leur monde à deux. Il n'en restait pas moins que ce n'était pas son rôle. Il devait davantage se préoccuper de lui avant de voir plus grand.

« Tu sembles t'inquiéter plus pour ta mère que pour toi-même, déclarais-je sur un ton de reproche. »

Ma remarque parut étonnée Minho qui, soudainement, tourna vivement la tête dans ma direction.

« Pourquoi ? Ce n'est pas ton cas à toi avec ta maman ? »

Comment diable faisait-il pour toujours mettre le doigt sur mes problèmes ? A croire que c'était chez lui, quelque chose de naturel. Il était bien plus déroutant et perspicace qu'il en avait l'air en vérité. Il avait copié la technique de sa mère, qui consistait à laisser entendre à autrui une certaine faiblesse incarnée par une frêle constitution, cachant une intelligence brillante.

Tous les deux se ressemblaient beaucoup. On aurait dit deux gouttes d'eau et personne n'aurait été capable de remettre en cause le lien de parenté entre ces deux esprits.

« C'est drôle, j'ai l'impression de faire face à Thara en version masculine et miniaturisée. »

Pour toute réponse, il m'offrit un sourire éclatant de joie. Ce-dernier ne suffisait pourtant pas à repousser les doutes qui assaillaient mon cœur. J'aurai même dit que cela avait eu l'effet inverse. Son sourire, moi aussi je le faisais à son âge.

Je ne pouvais pas m'empêcher de comparer nos deux situations. Et surtout, contrairement à moi, je ne voulais pas que lui la perde, cette gaieté juvénile.

Je ne souhaitais pas qu'un jour, en affrontant son reflet dans le miroir, il se dise qu'il avait perdu bien plus qu'il ne l'aurait cru au fil du temps.

Je ne désirai pas qu'il commence à se morfondre misérablement face à l'image qu'offrait la glace sous ses yeux.

Plus tard, il serait fier de lui. C'était une promesse.

« Je vais voir ce que ta mère fait. Tu m'accompagnes ? »

Il hocha la tête et bondit du lit pour atterrir sur le plancher de ma chambre, toujours muni de son éblouissant sourire. Avec lenteur, je me redressai et commençais à avancer quand, sans raison apparente, sa petite main trouva la mienne.

Je m'arrêtai brutalement, saisi par une violente vague d'effroi que je ne parvenais pas à m'expliquer.

« Que fais-tu ? Demandai-je d'un ton bourru. »

De nouveau, sa tête m'indiqua qu'il ne comprenait pas la raison de ma question.

« Bah, je te donne la main. »

Pourquoi ? eus-je envie de demander.

Mais je m'abstins en remarquant combien ce geste semblait le calmer. A vrai dire, j'ignorais qui de nous deux ce geste, en apparence anodin, gênait le plus. Venant de lui, cela avait de nombreuses significations. Cela pouvait très bien dire qu'il m'accordait sa confiance, tout comme cela pouvait être interprété comme un geste indiquant qu'il avait peur de la meute.

Pour ma part, j'avais très rarement eu de contact de ce genre, surtout avec un enfant. Même avec mon père, je n'avais jamais osé le faire. Pourtant, ce n'était pas faute d'y penser.

Quand je voyais mes camarades de classe sortir et rejoindre leur paternel pour accomplir ce geste, comme un rituel affectueux, je ne pouvais m'empêcher d'éprouver de la jalousie.

J'étais proche de mon père. Il me prenait dans ses bras, jouait avec moi, m'ébouriffait les cheveux sans retenue. Mais il n'avait jamais proposé de me tenir par la main. Un nouveau regret à ajouter à la liste déjà bien trop longue.

Je repris ma marche et sortis de la pièce, suivi par le petit Captain. Je ne me rendis pas tout de suite compte à quel point il peinait à suivre mon rythme, si bien qu'en seulement quelques pas, il soufflait bruyamment.

Aussi, pour me changer les idées comme pour poursuivre nos efforts respectifs l'un envers l'autre, je décidai de rendre le trajet plus amusant. De nouveau, je pilais en plein milieu du couloir, sans prévenir, si bien que le crâne du bambin cogna contre mon dos.

« Monte sur mon dos petit Mowgli.

-Qu'est-ce que vous avez tous à me comparer à lui ? Ronchonna-t-il faiblement. »

Malgré son commentaire que je ne parvis à entendre distinctement, il commença à grimper sur mon dos, tandis que je m'abaissais pour lui faciliter la tâche. Et, une fois sûr qu'il était bien accroché, je débutais ma course folle dans le couloir, sans me soucier du tintamarre que nous provoquions.

Lui en riant aux éclats et en criant sans retenu, moi en courant à toute vitesse, mes pieds entrant lourdement en contact avec le sol.

Je ne riais pas, mais je parvenais malgré tout à sourire. C'était déjà ça.

Alors que nous nous dévalions l'escalier, je manquais bousculer ma mère qui s'y engageait tranquillement dans un sens opposé au notre. Après nous avoir adressé un regard étonné, j'eus le temps d'entrapercevoir une lueur espiègle se profiler sur son visage chaleureux tandis que son regard s'attardait sur nos silhouettes qui se profilaient déjà au loin.

Quelque chose me disait que je n'allais pas attendre longtemps avant de recevoir une de ses visites...

Malgré cela, je ne ralentis pas ma course. L'entendre rire était enivrant, j'avais envie qu'il rit encore plus. Je voulais qu'il rit le plus longtemps possible. Nous dépassâmes de nombreuses maisons et de nombreuses personnes sans nous en préoccuper.

Nous étions dans notre monde, dans notre bulle. Minho s'exclama soudain en montrant du doigt l'envol d'une nuée d'oiseaux qui commencèrent à danser dans le ciel, revenant toujours au même endroit comme pour être sûrs que toutes les personnes à l'extérieur les avait bien vu.

Sans réfléchir, le petit ôta ses mains de mes épaules, pourtant destinée à le maintenir en équilibre, et les tendit de part et d'autre de son corps. Puis, toujours sous l'emprise d'un fou rire sans fin, il imita les volatiles. Amusé, je commençais à slalomer, à éviter des obstacles invisibles tout en accélérant ma course.

« Plus vite ! Plus vite ! »

Il s'égosillait, criant à tue-tête sans se soucier outre mesure de ce qui l'entourait. Il était l'insouciance incarnée, l'enfant joyeux pourtant si fragile, le gamin soucieux pour sa mère, le petit génie, le p'tit Captain. Autant de personnalité, autant d'état d'âme qui le rendait attachant, qui faisait qu'on était les plus heureux du monde après l'avoir rencontré.

J'étais véritablement heureux de l'avoir à mes côtés et franchement, l'idée qu'un autre homme était son père ne me dérangeait pas tant que ça dans des moments comme celui-ci.

Parce que ce crétin avait eu la bêtise de ne pas rester pour apprendre à connaître l'enfant. Il n'avait jamais assumé le rôle de père. Il n'avait jamais pu profiter de l'allégresse d'instants pareils.

Mais, malgré mon enthousiasme, malgré le fait que je tenais à lui de plus en plus au fil du temps, j'ignorais pourtant de quelle manière Minho me voyait vraiment.

Mon pas se ralentit, et j'ignorais ostensiblement les protestations du gamin qui ne demandait qu'à poursuivre l'amusement. Bien trop rapidement à mon goût, quand il comprit que je ne parvenais plus à m'égayer de cette façon, il descendit de mon dos pour se poster fidèlement à mon côté. Sans oublier de me tenir la main, bien sûr.

« Pourquoi as-tu arrêté ? Demanda-t-il au bout d'un moment, alors que nous reprenions notre marche.

-Je réfléchissais.

-Tu réfléchis trop. »

Un sourire fit brièvement acte de présence, retroussant le coin de mes lèvres. Puis il disparut, tandis que je me sentis réellement dans le besoin de poursuivre notre discussion.

« Sans doute. Minho, je peux te poser une question ?

-Oui.

-Comment me vois-tu ?

-Je ne sais pas trop en fait... »

Son regard se perdit dans la contemplation du vide, me laissant méditer sur le sens de ses paroles. Alors comme ça, lui aussi se retrouvait perdu ? Pas vraiment étonnant en soi. Pour un enfant de son âge, bien qu'il me paraissait bien plus intelligent que l'ordinaire, beaucoup de changements comme il en vivait actuellement, pouvait facilement égarer un gosse.

« Tu es l'amoureux de maman. Mais c'est plus compliqué que pour les parents de mes anciens amis, d'après ce que j'ai compris. Tu as bu pendant longtemps. Tu peux te transformer en loup et tu es victime de sautes d'humeur fréquentes. Tu réfléchis beaucoup sur tes actes et tu remets souvent tout en question. »

Il reprit son souffle.

« Tu es gentil avec moi et au départ je pensais que c'était seulement pour plaire à maman. Je sais aussi que tu souffres. Et ça embête maman parce qu'elle ne comprend pas comment t'aider. Tu veux faire des efforts pour elle et tu m'as proposé un pacte pour arriver à la séduire. On n'a d'ailleurs pas encore commencé le premier plan, pour se débarrasser de toutes tes bouteilles.

-Où veux-tu en venir ? »

L'agacement commença à pointer le bout de son nez, face à cette longue liste fortement désobligeante. Pourtant, sans doute car il n'avait pas remarqué mon humeur, Minho se dirigea vers moi et m'enserra la taille, enfouissant son visage dans ma chemise, comme pour cacher ses propres émotions.

« Je veux que maman soit heureuse. Elle l'est plus souvent maintenant. Parce que je ne suis plus le seul à vouloir l'aider. Et ça la rassure... Eban m'a dit que c'était ce que faisaient les amoureux. Ils s'aiment et ils s'aident. Ce qui veut dire que tu es sincère. Alors je voulais te dire merci. »

Je restai sans voix, sentant ma gorge se nouer sans que je ne puisse rien faire d'autre que d'observer la tête à moitié dissimulée du gamin. Les secondes laissèrent bientôt place aux minutes sans que je n'eus le courage d'ouvrir la bouche. Était-ce sa façon de me prouver son affection ? Croyait-il sincèrement que je rendais sa mère heureuse ?

« Je n'ai aucun mérite, répondis-je franchement.

-Tu réfléchis trop. »

Je ricanai, franchement amusé. De nouveau, je prenais un virage émotionnel à cent quatre-vingts degrés, à croire que j'étais friand de ce genre de changements instantanés.

« Je sais que tu ne seras jamais mon vrai papa... Finn m'a dit pourtant que si je le voulais, je pouvais te voir de cette façon et...

-C'est un mensonge, affirmais-je en grimaçant. Je ne pourrai jamais être ton père biologique et ton regard sur moi n'y changera rien.

-Mais si je veux que tu sois mon papa tu pourrais l'être, non ? »

Tout en posant sa question, il releva la tête, les yeux larmoyants, implorants une réponse favorable. Dans un geste instinctif, je lui ébouriffai les cheveux pour soulager la tension omniprésente.

« Tu as mal compris les paroles de ce clown de service. Je ne serai jamais ton vrai père et viendra certainement un jour où tu le rencontreras enfin, pour confirmer cela par toi-même. Je ne pourrai pas t'offrir ce que tu retrouveras dans la plupart des foyers de tes amis. »

Sans me laisser le temps de poursuivre, il fondit brusquement en larme, m'obligeant ainsi à m'abaisser à sa hauteur pour le prendre dans mes bras, comme si cela avait été inné chez moi. Mais m'étais-je jamais arrêté pour comprendre la raison des larmes d'un enfant ? Avais-je, seulement un jour, eut ce besoin de consoler un gosse dont j'ignorais pratiquement tout ?

« Je veux un papa ! Souffla Minho en redoublant d'intensité dans ses pleurs déchirants. »

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