-Chapitre 12-

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Je sortis de la chambre en courant.

On aurait dit que le diable était à mes trousses. Je ne pris même pas le temps de jeter un coup d'œil à l'enfant, resté sagement assis à côté de Connor, Finn et le reste de la bande d'amis. Je poursuivis son chemin.

Je courais.

Sans m'arrêter pour reprendre son souffle.

Sans faire attention à ce qui m'entourait.

Les gens s'écartaient sur mon passage en lui jetant des regards intrigués, mêlés à un soupçon de respect. Ils la voyaient elle, pas moi. Elle était la nouvelle Luna, personne ne l'oubliait. Même pas moi, bien que j'aurai sans doute préféré que ce soit le cas.

Un jour, aux côtés d'Adam, elle les protégerait. Elle les guiderait. Elle était le visage de leur futur et de leur espoir. Et ça avait le don de m’énerver. Elle n'avait rien fait pour mériter tout ça. Moi si. Et voilà où ça m'avait mené.

Au village, on disait d'elle que c'était une guérisseuse, je le savais pour l'avoir entendu de nombreuses fois tandis que je me baladais dans les rues. Tout ça pourquoi ? Parce qu'elle avait réussi à faire réagir leur Alpha, pourtant réputé pour son mode de vie dérisoire et peu prometteur.

Elle n'avait rien fait ! C'était grâce à moi si Adam semblait se reprendre petit à petit ! Je devais mériter toutes ces paroles gentilles, ces regards attentionnés ! Pas elle !

Je continuais à courir. En direction de la forêt. De la partie non protégée par le dôme. Mais personne, malgré les sourires qu'on lui avait adressé en chemin, ne prit la peine de venir l'en avertir. Personne ne souhaitait visiblement venir la prévenir du danger qui rodait à l’extérieur. C'était perturbant.

De toute façon, je n'avais pas besoin de leur aide. Je contrôlais le corps de la Luna, tout comme je connaissais le chemin. Je l'avais emprunté des milliers de fois.

Avec Adam quand nous étions petits.

Avec mon père quand j'étais devenue une jeune adolescente.

Mes souvenirs se mêlaient à ceux de mon réceptacle, à ceux de cette Thara. Mais c'était moi qui étais aux commandes.

C'était moi qui courais, qui forçais les jambes à faire un effort, qui dirigeais les pieds pour qu'ils puissent fouler correctement le sol à toute allure. C'était grisant. Je me sentais revivre. Un peu plus et je pourrais presque oublier ce qui m'avait motivé à commettre l'irréparable.

Pourtant, je n'avais pas le doit de savourer ces quelques instants de liberté. J'utilisais un temps de vie qui n'était pas le mien. Je le volais ouvertement et impunément. Oui, je me fichais que cette Thara ait moins de temps à passer avec son gosse. Son foutu rejeton qu'Adam serait obligé de tolérer !

Je me moquais bien du fait que ce corps ne m'appartenait pas. Une seule idée m'obsédait. Une seule. Une seule qui tournait en rond dans ma tête, qui était le centre principal, l'idée fondamentale dans ma tête.

Je perdis brusquement le fil conducteur qui m'avait guidé jusque là. J'allais revoir mon frère ! C'était tout ce qui m'importait désormais. Je ne réfléchissais plus.

Les branches s'accrochaient parfois à mes vêtements, me lacéraient le visage.

Je m'en fichais.

Ce n'était pas mon visage après tout.

J'étais heureuse.

Libre.

De nouveau en vie.

J'allais le revoir !

Enfin !

Et j’allais pouvoir lui montrer que mon entraînement avait payé, même si je n’étais pas dans mon corps, les mouvements restaient imprimés dans ma mémoire. Ma cadence ralentit. J’approchais. Mais quelque chose me bloqua dans mon avancée.

J'en cherchai la source pendant quelques minutes, restant figée dans cette position des plus ridicules.

Puis j'en compris la raison. L'âme parasite. Comment la jeune mère du rejeton l'avait-elle appelé ? Prome... Promi... Promesia... C'était ça. Promesia tentait de m'empêcher de prendre le contrôle. Je n’étais pas du genre à me laisser faire. J’imposai ma volonté, avec tout le pouvoir dont je disposais encore, au corps déjà épuisé de Thara.

Puis je repris ma course folle.

J’allais revoir mon frère. Plus que quelques mètres, je le sentais. Je le devinais. Les troncs obstruaient quelque peu ma vue et je ne pus l'apercevoir seulement qu'aux derniers instants. Quand j’arrivai enfin en face de lui. Il était sous sa forme humaine. Toujours avec cette coiffure qui exaspérait notre père.

Adossé contre un arbre, il faisait plus ou moins front à deux autres individus qui paraissaient passer leur temps, leur vie entière dans une salle de musculation. Mais ils n'étaient pas de notre meute, je le sentis.

Je grognai pour avertir tout le monde de ma présence. Je fus étonnée d'y parvenir. Je n’étais pas dans mon corps, Je ne pouvais donc pas me transformer. Je ne devais pas oublier que mes moyens pour se défendre était fortement réduis dans cet état. Grogner était déjà un miracle en soit.

Sans réfléchir, sous le coup de la satisfaction grisante que m'apportait l'idée qu'une nouvelle vie s'offrait à moi, bien que plus contraignante que la précédente, je fonçai en direction des deux hommes menaçants. J’en embarquai un dans ma chute et lui asséna plusieurs coups de poings avant qu'il ne perde connaissance. L'autre s'approcha, mais Adam lui donna le coup de grâce et il s'écroula au sol, pareil à son compagnon.

Comme au bon vieux temps, le frère et la sœur se battait avec une cohésion qui faisait autrefois la plus grande joie de nos parents ainsi que de toute la meute qui s'en vantait auprès des autres.

Mais mon sourire chavira quand je croisai le regard de l'homme que j’avais toujours admiré. Avant de le haïr déraisonnablement pour une raison qui me parut futile à cet instant. Je crus même que je l’avais oublié tant l'idée me paraissait lointaine, enfouie au fin fond de ma mémoire.

« Tu n'es pas Thara. »

Un nuage blanc sortit de sa bouche en même temps qu'il cracha ses mots avec un certain mouvement de recul. J'en fus blessée. Thara n'était pas importante, après tout, nous étions enfin réunis moi et Adam. C'était tout ce qui suffisait à mon bonheur.

« Ce n'est pas grave Adam, dit-je en lui souriant, Thara n'était qu'une idiote. Personne ne regrettera sa disparition.

-Qui es-tu ? »

J’avançai dans sa direction, les bras grands ouverts, voulant se jeter dans ses bras. Je voulais être étreinte par cet homme qui m'avait été inaccessible après l'accident. Après ma mort.

Mais il recula, clairement dégoûté.

Je compris alors que c'était peine perdue. Je devais tout lui dire. Il m'accepterait certainement. Et alors, à ce moment-là, tout redeviendrait comme avant. Nous rentrerions ensemble chez nous. Je saluerais ma mère, lui demanderait pardon pour toutes les bêtises que j’avais dites durant ma première vie, la prendrait dans mes bras en lui disant combien ce simple contact m'avait manqué pendant ma période d'errance où je ne pouvais qu'observer ce qui se passait.

Puis je reprendrais mon entraînement et demanderait à devenir un lycanthrope auprès du Conseil des Veibois. Je pourrais alors me transformer à nouveau et vivre une vie paisible. Comme avant.

« C'est moi, Sarah. »

Adam accusa le coup.

L'émotion le submergea, pour mon plus grand plaisir. Il ne m'avait pas oublié, j'avais toujours une place importante dans son cœur. Enhardie par ce que je voyais, je me ruai dans sa direction et me blottit contre lui. Il frissonna. Je ris aux éclats bien malgré moi.

Mais le rêve se stoppa quand il me décolla de son corps.

Il était en colère cette fois-ci. Dégoûté aussi. Pourquoi n'acceptait-il pas la situation telle qu'elle était. C'était simple. Je paniquai. Promesia en profita pour tenter d'expulser l'intruse que j'étais de nouveau. Mais elle fut refoulée sans ménagement, tant elle était faible comparée à moi.

« Quel monstre êtes-vous pour oser parler de ça ? Et en prenant le corps de mon âme-sœur, par-dessus le marché ! »

J’avais oublié ce détail. Puis, je me rassurai bien vite en me disant que ce n'était pas important, car en effet, grâce à un certain procédé, le lien d'âmes-sœurs pouvait être contré. Nous pourrions par exemple prendre des amants et vivre pleinement cette nouvelle vie en ignorant ce qui avait uni Thara et mon frère. Rien ne pouvait entacher ma joie qui parcourait et embrumait mon esprit coincée dans l'illusion. Oui, rien.

J’étais heureuse et personne ne gâcherait mon plaisir. J’allais retrouver mes proches. J’allais pouvoir les toucher comme avant et ne pas seulement les traverser silencieusement. J’allais pouvoir leur parler et leur dire combien cela m’avait manqué d'interagir avec eux. J' allait pouvoir expliquer toutes les images que j' avait vu durant les instants où j' avait vécus bloquée entre deux mondes, et rétablir l'ordre au sein de la meute aux côtés de mon frère.

J’allais pouvoir oublier Jason, toujours coincé sous sa forme invisible, pour sa part.

Je n’aurais plus à supporter sa présence. Cet esprit qui me suivait partout où j’allais pour me demander de lui pardonner, de passer à autre chose. Cet esprit qui rivait sur moi un regard triste où régnait la culpabilité. C'était sa faute. Il devait assumer maintenant.

J’avais changé. C'était sa faute. Et j’allais pouvoir reprendre tout depuis le début. J’allais pouvoir vivre !

« Tu ne me croies pas, fit-je en adoptant une moue que j’avais coutume de prendre de mon vivant quand les choses ne tournaient pas en ma faveur. Bien. Laisse-moi te rafraîchir la mémoire. Nous étions très proches et tu m'as aidé à me surpasser. Notamment quand tu es parti faire tes études. Tu revenais régulièrement pour prendre des nouvelles et tu repartais presque aussitôt. Tu savais que je voulais ce que toi tu ne voulais pas. Ça nous arrangeait tous les deux. Ça nous a rapprochés. »

Je l’observais déglutir tandis que tout son corps se tendait comme un arc. Cela me poussa à poursuivre dans cette voie.

« Personne, même pas nos parents, ne savait ce que nous fichions derrière la maison, tard le soir, quand tu étais parmi nous. Personne ne savait l'origine de nos bleus les lendemains, mêmes pas les personnes les plus proches de nous, comme les amis par exemple. Tu perdais souvent d'ailleurs. Tu avais peur de me blesser au début. C'était marrant. En riant, je t'avais même surnommé la ballerine, vu ta façon de te mouvoir avec grâce pour éviter mes coups. Je me rappelle encore des moments où tu sautais sur le côté. On aurait dit que tu effectuais un grand jeté. Bref. Tu me crois maintenant ? »

Son scepticisme crevait les yeux. Je soupirai avant de poursuivre.

« Tu as un tatouage tribal sur le bras. Tu l'as fait pour moi le jour de mon seizième anniversaire. Tu disais que dès lors, tu pouvais dire que tu m'avais dans la peau. »

Cette fois, les larmes montèrent aux yeux d'Adam mais, à ma grande surprise et à mon grand regret, il les chassa rapidement. Son regard se fit plus sombre que jamais. Je compris qu'il était en train de communiquer avec son loup et que, apparemment, la joie de mon retour à la vie n'était pas tellement partagée par tous.

J'eus l'impression, la sensation que mon monde s'écroulait. Il préférait une étrangère à sa propre sœur. Folle de colère, je décidai de retourner au village. Au moins, j’en étais sûre, notre mère serait heureuse de me voir, elle.

Mais je n’eus pas le temps de prendre mes jambes à mon cou. Une main ferme m'arrêta en me prenant par le bras. Je fus tirée en arrière et poussé à faire volte face. Adam était énervé aussi.

« Rend-la moi Sarah, dit-il d'une voix venue d'outre-tombe. Ta place n'est plus parmi les vivants. Tu le sais aussi bien que moi. J'ignore comment tu as réussi à revenir et j'imagine sans peine tous les efforts que cela a dut te demander, mais jamais je n'aurai souhaité que tu reviennes au prix de la vie d'une autre personne. Et puis merde, c'est ma putain d'âme-sœur que tu condamnes au silence éternel en ce moment ! »

Encore sous le choc, je le repoussai et m'emporta à son tour contre l'homme que j’avais tant rêvé de revoir. La désillusion était dure à supporter.

« Mais tu ne l'aimes même pas ! Tu l'ignores ! Tu la rejettes !

-Je ne la rejette pas ! Et même, ça n'est pas une raison petite sœur.

-Si c'en est une ! Je pensais que le fait de me revoir te rendrait heureux ! J'ai pensé qu'on pourrait de nouveau être cette famille soudée ! J'ai pensé que...

-Tu as mal pensé, me coupa-t-il. Tout ça, c'est du passé. Papa est mort ! TU es morte ! Pourquoi a-t-il fallu que tu compliques tout ?! Tu crois vraiment que cela me fait plaisir de savoir que la mort t'a changé au point que tu ne penses plus qu'à toi ?! J'aurai préféré garder une image positive de toi ! Celle d'une fille amicale, bienveillante, qui aimait la vie, qui la croquait à pleines dents, qui était franche avec les autres et qui ne se laissait pas marcher sur les pieds ! Une fille déterminée à veiller sur ceux qu'elle aimait, une fille impulsive, parfois méfiante vis-à-vis des étrangers, une solitaire dans l'âme ! Une fille en or ! Fais chier... Pourquoi... C'est déjà assez compliqué comme ça... »

Adam s'assit sur le sol, prenant sa tête dans ses mains. Je tombai dénue. Notre mère aurait souffert de me revoir ? C'était impensable pour moi. Je l’imaginais en train de pleurer des larmes de joie, pas de douleur. Adam devait mentir. Il ne supportait pas que je sois devenue plus forte que lui, même dans la mort, voilà tout.

Pourtant, je ne pus m'empêcher de m'agenouiller face à lui. Ma main caressa les boucles blondes de cet homme. Cela aurait été plus facile si dès le début, je m’étais expliquée avec son père. Je le savais. Mais je ne le comprenais réellement seulement maintenant.

Au lieu de ça, j’avais gardé le secret. Toute ma vie, ça m’avait brûlé le cœur. Même après ma mort. Je gardais ça au fond de moi. Ça pouvait exploser à tout moment. Lassée, je sanglotai.

Adam releva la tête vers moi et s'empara de ma main pour la serrer dans les siennes, nettement plus imposantes. Au fond, pouvoir le toucher me fit prendre conscience de la gravité de la situation. Je ne voulais plus vivre si tous se retournaient contre moi. Je ne voulais plus vivre si cela conduisait à être détestée par son propre frère et être un sujet douloureux pour notre mère.

« Je voulais juste être à vos côtés, dit-je misérablement en reniflant. Pourquoi ce n’est pas possible ? »

Il ne dit rien. Mais son regard révélait le fond de sa pensée. Les morts n'avaient pas à intervenir dans le monde, dans le quotidien des vivants. Les morts étaient morts. Les vivants vivaient.

J’avais pourtant d'autres choses à faire avant de disparaître de cet univers que j’avais occupé durant 25 années. Si peu, alors que j’avais tout le temps encore devant moi, pensai-je.

« Rend-la moi s'il-te-plaît, souffla l'Alpha en me fixant avec appréhension. »

Je hochai la tête en ravalant mes larmes. C'était injuste. Je ne voulais pas partir. Pas alors que j’avais une chance de revivre.

« Tu veilleras sur Maman ? Ne pus-je s'empêcher de demander.

-Ne t'inquiète pas.

-J'ai des raisons de m'inquiéter, justement. Ce n'était pas le cas jusque-là.

-Je te le promets. Ça te va ? »

Je lui souris. Adam me le rendit. Des fossettes creusèrent ses joues. Je me mis alors à penser un moment que ça aussi, à mes yeux, ça le rendait plus vivant. Je repris.

« Non, ça ne me suffit pas. Et Thara ? »

Une ombre passa dans le regard de mon frère. Je décidai de ne pas en dire plus. Je pris Adam dans mes bras et cette fois, laissa Promesia me repousser hors de l'enveloppe charnelle à laquelle je n’étais pas liée. Puis, je regardai Adam se relever, portant dans ses bras le corps de son âme-sœur.

Je l’observai poursuivre son chemin. Il me sembla même que son pas était soudainement plus léger. Je souris et, sur un coup de tête, le saluait en lui faisant des signes de la main. Puis, une fois que je fus toute seule dans la forêt, je m’autorisai à pleurer.

Même si je savais qu'au fond, ça ne servait à rien de se cacher ainsi. Tout comme cela n'avait servit à rien de faire signe à cet homme qui s'éloignait de moi. Personne ne me verrait. Personne ne me voyait plus.

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