-Chapitre 9-

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Combien de temps s'était-il passé depuis qu'on m'avait enlevé ? J'avais eu cette impression d'un court moment, presque insignifiant. Peut-être deux ou trois jours, pas plus et pas moins. Bien sûr, à mes yeux, ils avaient duré une éternité mais je pensais tout de même pouvoir me fier à mon instinct qui me disait que j'en faisais souvent des tonnes.

Sauf que, d'après ce que Connor m'avait énoncé avec un sourire énigmatique et moqueur à la fois, ce temps ne s'écoulait pas comme je le croyais. La raison ? Un dôme magique qui protégeait le vaste espace occupé par la meute. Oui oui, la magie était monnaie courante pour eux, et ils s'en servaient comme si de rien n'était, tout en se doutant bien que les gens comme moi ignoraient encore l'existence de celle-ci.

Après tout, la magie fait peur, et tout ce dont les humains ont peur est écarté. Les gens passeront à côté en l'ignorant obstinément, en refusant d'admettre qu'il existe quelque chose de plus puissant que toutes leurs machines de guerre. Ils se voilent la face, ils rejettent ce qui ne rentre pas dans leurs lignes bien définies de la « normalité ». Mes capacités n'avaient pas dérogé à cette règle.

Finn s'était empressé de poursuivre le récit de la création de cette barrière, sans que je n'eus le besoin de le solliciter pour cela. Visiblement, il aimait raconter les histoires, tout en adoptant un air grave et sombre qui mettait mon sérieux à rude épreuve. Je mourrais d'envie de rire.

Beaucoup de légendes circulaient au sujet de l'apparition de cette protection. Certains parlaient d'un cadeau de la déesse de la Lune pour que ses enfants n'aient pas à craindre les dangers extérieurs comme les humains. De ce fait, beaucoup d'autels avaient été crée en son honneur au sein même du dôme pour la remercier de ce présent si précieux.

Mais la vérité, toujours selon Finn, était que ce dôme avait toujours existé. Sa base du moins. Pour résumer de manière grossière, le lieu était déjà une terre sacré qui repoussait d'elle-même les forces obscures et menaçantes. Mais ce n'est que grâce à un accord, conclut entre un groupe de sorcières et la meute, que le projet se finalisa véritablement et que la barrière magique se constitua entièrement.

Cependant, rapidement, les gens s'étaient aperçues d'un problème récurent. Le barrage magique créait de façon involontaire, une distorsion du temps, un décalage important entre le monde extérieur et le monde caché en son sein. Le résultat étant qu'au lieu de quelques jours presque négligeables comme je l'avais d'abord pensé, j'avais passé moins d'une semaine coupée littéralement du monde. De mon monde.

Il me fallut plusieurs minutes pour accepter ce point et continuer à écouter Connor qui me tournait le dos, sans vraiment paraître inquiet de mon soudain silence. Et, avant que je ne puisse lui faire remarquer à quel point il manquait d'empathie à mon égard, la voiture dans laquelle nous nous trouvions vira à droite.

Je manquais tomber sur les jambes d'Adam.

Avec un empressement que je ne pris même pas la peine de cacher, je repris ma position initiale. Quelle idée aussi de confier le volant à Finn ! J'ignorais l'endroit où il avait reçu son permis, mais j'étais prête à parier qu’une fois celui-ci en poche, il s'était contenté de conduire comme bon lui semblait.

Connor, assis devant, me jeta enfin un coup d'œil dans le rétroviseur pour vérifier si j'étais toujours attentive, tel un professeur veillant à ce que la concentration de son élève reste à son maximum. Pour dire vrai, je ne l'étais plus. Adam était à quelques centimètres à peine de moi. La place du milieu, vide, nous séparait.

Mais pas suffisamment à mon goût !

À ma grande surprise, il avait accepté que je retrouve mon fils. Lacey n'avait pas l'air d'en revenir non plus, encore moins quand elle l'avait entendu prévenir la meute qu'il m'accompagnait pour ce « bref voyage » comme il l'avait appelé. Et quand elle s'était de nouveau tournée vers moi, j'avais compris que ce point n'avait fait que la conforter dans l'idée que j'étais le remède à tous ces maux.

Malheureusement, je n'avais eu le temps de l'intercepter pour lui faire entendre la vérité. De toute façon, qu'est-ce que j'allais lui dire ? Qu'un fantôme m'avait convaincu de l'embrasser en me pressant de mettre ma fierté de côté si je voulais retrouver Minho ? Elle ne m'aurait pas cru, c'était sûr et certain.

Pourquoi n'oses-tu pas dire la vérité ? Ils doivent savoir.

Je frissonnais d'un coup. Comme si un courant électrique avait parcouru tout mon corps en une fraction de seconde. Mais je ne l'avais pas rêvé. La voix. Je l'entendais. Elle était revenue. Encore.

« Thara ? T'es sûre que ça va ? Demanda la voix de Connor. »

Adam se crispa. Je remarquais que sa mâchoire s'était contractée et ne pus m'empêcher d'en être satisfaite. Monsieur n'aimait pas qu'on lui pique ses répliques de prince inquiet pour sa belle. Laissez-moi rire. Depuis ce que j'appelle désormais « l'incident du baiser », il ne m'avait pas adressé la parole une seule fois. Même pas pour s'excuser de m'avoir poussé à de tels moyens fâcheux et rebutant !

Pour ma part, je m'étais tenue aussi éloignée de lui que possible. Pas question de croiser de nouveau son regard. Il avait beau prétendre ne rien ressentir pour moi, ses yeux le trahissaient. Et que les choses soient claires une bonne fois pour toute, je ne l'aimais pas. C'était même tout le contraire puisque je ne le supportais pas du tout !

Profitant de la pointe d'amusement offerte par cette courte distraction -amusement que je n'étais d'ailleurs pas convaincue de pouvoir garder bien longtemps- je m'en servis contre Connor, lui adressant un sourire poli qui visiblement le contenta. Il décida alors de poursuivre son discours sans insister d'avantage.

A partir de là, je déconnectai complètement mon cerveau et le mis en mode stand-by. Le paysage qui défilait était beaucoup plus intéressant à mes yeux. Les forêts étaient loin maintenant. On pouvait à peine les discerner à cause des nuages qui l'entouraient, la couvraient d'un voile de brume que l'on se serait plus attendu à trouver près des lacs.

Là, quelque part caché dans cet amas de troncs que l'on ne pouvait que deviner, se cachait une meute entière d'êtres surnaturels qui vivaient paisiblement et qui, quand ils le souhaitaient se rendaient en ville comme de simples gens. Ils se mêlaient alors à la foule et prétendaient être Monsieur et Madame tout-le-monde. Et les autres ne les remarquaient même pas.

Si on ne m'avait pas mise au courant d'une manière peu délicate (je n'étais pas sûre qu'un enlèvement soit la meilleure idée qu'ils aient jamais eu), j'aurai été de ceux et celles qui n'auraient pas vu la différence. Mais maintenant, il m'apparaissait clairement que de nombreuses choses, si on leur accordait suffisamment d'attention, les rendait plus facilement repérables. Leur façon de marcher, leur façon d'observer le monde, leur façon d'être vis-à-vis des autres, tout les différenciait mais comme les humains ne s'arrêtaient guère longtemps pour observer les autres individus qui les entouraient, les hommes loups parvenaient à se fondre aisément dans la masse.

Une moto passa devant ma fenêtre dans un vrombissement qui fit frémir mon cœur. Qui aurait cru Madame Jones capable de chevaucher une bécane pareille avec autant de zèle ? Certainement pas moi. Je devais bien avouer que sur ce coup-là, elle m'impressionnait. Et je ne semblais pas être la seule.

Connor et Finn (qui avait pourtant le volant en main !) regardait la silhouette élancée de la femme, ne faisant qu'un avec son bolide, avec une lueur de respect dans le regard. Elle semblait s'amuser, elle. Elle se permettait même de doubler, de tourner autour de notre voiture sans crier gare. Une vraie furie, une folle furieuse qui ne considérait pas un seul instant les risques qu'elle encourait en agissant de la sorte.

Je passai ainsi le reste du trajet à l'observer avec curiosité, examinant et analysant le moindre de ses gestes, la moindre de ses actions. Quand elle freinait, quand elle tournait, quand elle accélérait. J'avais le sentiment de suivre son mouvement, comme hypnotisée.

Nous finîmes par arriver et presque à regret, je dû détacher mon regard de cette femme unie à sa machine. Adam sortit et Connor se chargea de m'ouvrir. L'Alpha ne prit même pas la peine de me regarder pour s'excuser ou encore pour me faire comprendre que c'était trop lui demande de venir galamment ouvrir ma portière.

Au lieu de cela, il rejoignit à toute vitesse la conductrice insouciante à moto qui nous avait escorté jusque là. Il sembla la féliciter ou s'extasier vu son air enthousiaste, mais aucun autre indice ne me sauta aux yeux pour déterminer de quoi ils parlaient. Et puis, de toute façon, je m'en fichais comme de l'an 40 !

J'allais retrouver Minho ! C'était le plus important !

Mon appartement se dressait face à moi. J'étais à seulement quelques mètres de l'amour de ma vie. Le seul et l'unique. Alors pourquoi est-ce que je n'osais pas faire un pas ? Pourquoi est-ce que mes mains étaient aussi moites que lors de mon premier rencard avec un homme ?

Entre. Ils t'attendent.

Je chassais la voix importune et la refourguais dans un coin sombre de ma tête. Je ne voulais pas l'entendre. Pas en ce moment important. Elle pourrait tout gâcher, je la connaissais bien.

Lentement, j'ouvris la porte d'entrée du bâtiment. Plus que quelques étages avant de pouvoir rentrer chez moi. Minho et Cole devaient m'attendre. Connor les avait appelés pour les prévenir de mon retour, juste avant que nous ne prenions la route. Et là encore, je n'avais même pas eu le droit de leur parler. Ne serait-ce que quelques secondes...

Une marche. Puis une autre. Je devais avoir l'air d'une écervelée qui ne savait pas ce qu'elle voulait, d'un automate détraqué mais qu'importe. Chaque pas me demandait un effort considérable qu'il me fallait trouver sans précipitation, comme si mes forces pouvaient s'envoler d'un instant à l'autre.

Minho. Minho.

La voix se mit à répéter ce prénom comme s'il était une litanie ou une incantation magique. Qu'importe. Je devais l'ignorer. Je devais tout ignorer. Je devais focaliser mon attention sur deux points en particulier. Et seulement deux. Mon fils. Ainsi que Cole. Je finis par m'arrêter, à bout de souffle. Placé derrière moi, Connor semblait plus qu'exaspéré.

En même temps, je ne lui avais pas demandé de me suivre. En risquant un autre regard derrière moi, je remarquais qu'il n'était pas le seul à avoir assisté à mon étrange cinéma.

Madame Jones, Finn et Adam faisaient parti du lot des spectateurs eux aussi. Durant un instant, je fus tentée de les envoyer paître. Surtout Adam. Je n'avais pas envie qu'ils pénètrent mon cocon. Qu'ils découvrent mon monde, mon refuge. Le lieu où jusque-là, je m'étais sentie le plus en sécurité.

Tu ne seras jamais en sécurité. Une vingtaine d'années au compteur et tu ne l'as toujours pas compris ? Et puis, quand est-ce que tu vas leur parler de moi, de toi, de nous ?

Il n'y a pas de NOUS. Et il n'y en aura plus jamais !

La porte s'ouvrit lentement. Je fis alors face à une foule de souvenirs qui se pressaient dans ma tête, de la même manière qu'une foule d'individus se presse aux portes des magasins les premiers jours de soldes.

Chaque recoin me faisait penser à une image : la cuisine où le matin, moi et Minho profitions de la danse improvisée de Cole sur un morceau des années 80 qu'il adorait, le mur où je m'amusais à tracer un trait au crayon gris chaque mois et qui montrait ainsi l'évolution de la taille de mon enfant. Ou encore, cette simple tâche sur le sol, issue d'un accident avec une boisson sucrée lors d'une chute de Minho après qu'il se soit mis à courir dans le couloir avec son verre à la main. Elle était irrécupérable d'ailleurs.

J'avançais avec précaution, redécouvrant un par un les lieux du studio. Et finalement, au bout de quelques secondes, je les vis. En même temps qu'eux me virent. Le reste fut principalement constitué d'une effusion de joie, de larmes, de câlins, de sourires à vous en décrocher la mâchoire. Il était là, dans mes bras, mon trésor, mon ange, ma lumière.

Notre vie. Notre raison d'être.

Cole, pour sa part, s'arrêta rapidement de fêter mon retour mais sur le moment, je ne m'en rendis pas compte. Ce n'est qu'après avoir repris mes esprits que je le remarquais. Il semblait à dix mille lieux de la gaieté des retrouvailles qui, je l'avais aperçu, avait même arraché une petite larme à Finn. Dans le regard de mon meilleur ami, de nombreux sentiments contradictoires passaient, se succédant à un rythme endiablé.

De la joie suivie par un dégoût. De la colère apparut, rapidement remplacée à une tristesse sans limite.

« Dans quelle embrouille t'es-tu encore fichue, Thara ? Demanda-t-il d'un ton accusateur qui me glaça le sang et fit retomber ma joie. »

J'affichais un air étonné, ne comprenant pas réellement où il voulait en venir. Je finis tout de même par recouvrir la voix, et d'un tremblant, je lui posais une question dont la réponse me faisait déjà peur d'avance.

« De quoi parles-tu ?

-Arrête ton cinéma ! Ça prend pas avec moi ! »

Je fronçais les sourcils, manquant de perdre le contrôle à mon tour. Je ne voulais pas me disputer avec lui. Pas après tous les événements qui s'étaient produits.

« Je sais ce que ça veut dire ! Me prends pas pour un con ! »

Oh non. Il n'avait pas...

« Tu te trompes Cole. Ce n’est pas ce que tu crois.

-Arrête de mentir. Ça commence toujours par des discours de déni comme le tien. Je sais pertinemment par quoi ça finit. Et je ne te laisserai pas faire, crois-moi ! Je ne veux pas que tu tombes dans les mêmes magouilles que Nathan ! Merde quoi ! T'es plus toute seule ! T'as un gosse à charge je te rappelle ! »

Je ne trouvais rien à répliquer. Son manque de confiance envers moi me blessa. J'aurai cru qu'il avait au moins un peu de jugeote pour comprendre qu'il se trompait et que si j'avais des emmerdes, je n'y avais foncé dedans tête baissée. Je ne les avais pas voulu et toute cette histoire était venue à moi sans que je comprenne ni le pourquoi ni le comment.

Heureusement, face à la tension, Jones intervint tout en me fixant moi et Minho. Ce-dernier était toujours blotti dans mes bras, reniflant de temps à autre après qu'il eut pleuré.

« Nous devons nous dépêcher Mademoiselle Becker. Nous avons d'autres choses à faire que d'assister à une scène de ménage comme celle-ci. J'ai déjà ce qu'il me faut là-bas, avec les garçons qui se plaignent sans arrêt que le paquet de céréales est toujours vide quand ils en veulent. Préparez vos affaires je vous prie. »

Cole dévisagea l'auteur de cette intervention sans baisser le regard. Jones en fit de même. Mon meilleur ami renonça en premier, comprenant qu'elle ne lâcherait pas prise. Il prit une immense inspiration et reporta son attention sur moi, pour mieux exploser sans doute.

« Tu pars ? Comme ça ? Sans prévenir ? Après t'être absentée si longtemps pour tes trafics ? Tu crois que je suis une baby-sitter ou quoi ?! Ah non, je sais, tu m'as pris pour un bouffon. Du moment que je te fais rire ou que je te remonte le moral, tu me gardes. Par contre, dès que t'as plus besoin de mes services, c'est au revoir, merci d'être passé dans ma vie ! Merde quoi, je ne mérite même pas un peu de considération ou ça se passe comment ? »

Cela fit réagir immédiatement Minho qui commença à pleurer davantage, tout en s’écriant qu'il ne voulait pas que je l'abandonne de nouveau. Alors, plus émue par sa déclaration que par la plainte au jugement faussé de mon ami, je pris le risque d'ignorer ce-dernier pour répondre à mon enfant que je négligeais bien trop à mon goût afin de lui offrir une vie un tant soit peu décente.

« Écoute Minho, je te ne compte pas te laisser derrière moi encore une fois. Apparemment, ces gens veulent que j'habite ailleurs pour des raisons... euh... des raisons compliquées à comprendre pour un petit garçon de ton âge, tout simplement. Tu viendras avec moi et tout se passera bien, d'accord ? »

Le petit d'homme hocha la tête en frottant ses yeux, signe de fatigue prononcée chez lui. Depuis combien de temps n'avait-il pas dormi convenablement ? Je fronçai les sourcils mais me contentai de caresser ses cheveux pour le calmer. Il était là, à côté de moi, dans mes bras, en bonne santé, c'était tout ce qui m'importait.

Mais Cole n'était pas prêt de lâcher l'affaire et enchaîna par de nouvelles exclamations. On pouvait être sûr que les voisins allaient se faire une joie d'en parler entre eux, eux qui rêvaient de scoops bien frais dans l'immeuble.

« Parce qu'en plus tu l'emmènes dans tes histoires ?! S'époumona-t-il tandis que des veines saillaient sur son front. Mais t'es complètement inconsciente ! Non, pire, irresponsable ! Même son père est plus mature ! »

Ce fut la phrase de trop ou comme dirait Edgard en croisant les bras sur sa bedaine, la goutte d'eau qui fit déborder le vase. Il était convenu depuis longtemps que jamais nous ne parlerions de cet idiot, de ce lâche devant Minho. Ou pire, devant de parfaits inconnus. Et lui trahissait cette promesse en sautant les pieds joints dans le plat.

Je n'avais plus qu'à espérer que cela n'avait pas particulièrement été retenu par ces spectateurs dont j'aurai pu me passer.

« De quel droit tu oses parler de lui ?! Je ne suis pas comme ton frère, compris ?! Je ne suis pas Nathan et je ne le serai jamais ! Je ne me drogue pas et ne me saoule pas comme lui le faisait ! Je pensais qu'après tout le temps passé ensemble, tu l'aurais compris ! »

Durant un moment, un éclair de lucidité passe sur le visage de mon ami. Mais la colère reprit rapidement ses droits défendant fougueusement son territoire.

« Mais vas-y ! Raconte donc la vie de ma famille à tous les passants pendant que t'y es ! »

Préférant limiter les dégâts, je me relevai avec précipitation et m'emparai de la main de Minho pour l'emmener avec moi dans sa chambre. Après tout, j'avais des valises pour deux à préparer, et dans un temps assez limité qui plus est. Alors, quand la porte claqua derrière nous, je me permis de réellement souffler. Mon petit d'homme, comprenant sans nul doute l'urgence de la situation, s'activait déjà à rassembler ses affaires importantes.

Quand je disais qu'il était intelligent et mature pour son âge.

Silencieusement, je m'agenouillai à côté de lui et l'aidai dans sa tâche. Personne ne dit rien. Mais cela n'était pas pesant, au contraire. Étant d'une nature solitaire et réservé tous les deux, les paroles n'étaient pas forcément nécessaires entre lui et moi.

De nouveaux, les objets me ramèrent, tour à tour, à des moments heureux, mais passés.

Des jeux de société lambda me rappelèrent un instant une partie jouée avec Cole et Minho, il y avait quelques mois de cela désormais. Jamais je ne l'avouerai à aucun des deux mais, étant une mauvaise perdante même pour des jeux d'enfants tels que celui que je tenais actuellement dans les mains, j'avais usé de l'autre dans ma tête pour tricher et remporter haut la main la partie. Mon meilleur ami avait eu des soupçons mais ne s'était pas attardé dessus, jugeant cela inutile car, hormis ses études, rien n'était réellement important pour lui.

Un autre objet attira également mon attention et je bloquais mon regard dessus. Un ourson en peluche, vêtu d'une chemise à carreaux.

Ça, c'était un cadeau de Maxime, de mon frère. Il l'avait offerte à Minho peu après mon accouchement. Je me rappelai encore l'immense sourire qu'il m'avait adressé ce jour-là, fier de m'avoir fait une surprise en venant à l'hôpital, et ce malgré les prises de tête du moment avec notre famille. Il avait pris mon trésor dans ses bras et l'avait regardé avec une adoration sans limite.

« On a reçu beaucoup d'appels, finit par lâcher Minho sans me faire face, trop concentré qu'il était pour ranger ses affaires. Papi Edgar et Mamie Calypso étaient inquiets. Je leur ai un peu parlé et ils ont voulu que je te dise qu'ils avaient hâte de nous revoir. »

Papi et Mamie. La façon dont il prononçait ces deux mots me fit sourire. D'une manière hésitante et vulnérable à la fois.

L'enfant finit malgré tout par se retourner vers moi, l'air vaguement inquiet. Je le sentis m'observer avec attention, comme s'il guettait ma réaction. Impatiente, je haussai un sourcil et il se décida à cracher le morceau, toujours d'une toute petite voix.

« Il y a eu une deuxième appel. C'est parrain qui a répondu cette fois-ci. Il avait l'air énervé.

-Et donc ? Pourquoi réagis-tu comme ça Minho ? Cole était peut-être en train de se disputer avec un de ses amis. Tu le connais, non ? Il se met en colère facilement. »

Un moment, les images de notre récente confrontation me revinrent en tête. Je m'empressai de les chasser en secouant brièvement la tête et reportai mon attention sur le petit d'homme qui, après un instant durant lequel il se mura dans un mutisme parfait, poursuivit.

« C'était pas ses amis... Les gens à qui ils parlaient avaient le même nom de famille que nous, maman. »

Impossible.

Il a du mal entendre. Ce n'est pas possible qu'ils nous aient retrouvés !

Non, je croyais en les dires de Minho. C'était forcément vrai. Et, après tout, je savais que ça ne pouvait pas durer. Fuir, c'était repousser sa mise à mort de toute façon. Je le savais depuis le début que cela arriverait. J'aurai juste préféré que ce ne soit pas de si tôt. Je ne pouvais pas m'empêcher de frissonner alors même que tout mon corps s'était figé, cloué au sol, pestant intérieurement contre le fait que j'avais raté l'occasion de dire à mes parents de ficher le camp de ma vie par téléphone.

Un objet tomba de mes mains et se brisa au sol. Un vase de poterie, ou du moins ce qui était censé en être un, fait de terre cuite par mon fils avec l'un des jeux qu'il avait eu à Noël. Minho l'observa sans paraître submergé par la tristesse ou préoccupé face à cette perte.

A peine quelques secondes plus tard, la porte s'ouvrit. Madame Jones apparut à l'entrebâillement.

Sa nonchalance contrastait fortement avec la détresse que je ressentais à cet instant. Son regard se posa un instant sur moi, puis dévia en direction de Minho qui s'affairait déjà à ramasser les bouts brisés pour les jeter dans la poubelle. La curiosité de la dame sembla d'ailleurs s'éveiller en observant le petit puis se tarit quand elle reposa ses yeux sur moi.

« Tout va bien ? »

Incapable de dire le moindre mot, je me contentai de hocher la tête. Minho me lança un regard indéchiffrable, de l'autre bout de la pièce. Jones haussa les épaules, maintenant exaspérée par mon manque de conversation ainsi que mon comportement. Puis, sans rien ajouter, elle s'en alla. Bon vent !

Le cliquetis de ses talons résonna dans tout l'appartement tandis qu'elle s'éloignait de la chambre. Mon fils revint alors vers moi et s'assit en tailleurs, face à mon corps. Il n'osait pas me regarder dans les yeux, préférant se concentrer sur ses mains. Je finis par me reprendre et sortis de mon état transitoire pour rassurer l'enfant.

Ou pour penser à autre chose, je ne savais laquelle de ces idées étaient la plus véridique.

Il faut fuir. De nouveau. Sinon Cole va être mêlé à tout ça. Cette histoire doit rester au sein des Becker.

Cole était déjà impliqué. Depuis bien longtemps. Même avant que ce coup de fil n'intervienne dans la situation et fasse pencher la balance dangereusement pour moi ainsi que mes proches.

« Je suis désolée pour ton vase.

-Pas grave, dit-il sans émotion tout en haussant les épaules. De toute façon, il était moche.

-Si tu le dis. Tu ne peux pas être doué en tout. Il faut croire que la poterie n'est pas ton truc. »

Cette discussion devenait aussi plate qu'un trottoir. Je parlais distraitement et j'avais même la sensation que c'était une étrangère qui avait pris possession de mon corps.

« T'es sûre que ça va maman ? »

Ses yeux luisaient. Il allait se mettre à pleurer. Pour le rassurer, je le serrai de nouveau contre moi. Ses mains se lièrent derrière mon cou et il enfouit sa tête dans mon cou. Je me relevais et le portais d'un bras, mon autre main lui caressant tendrement la tête. Parfois, mon corps effectuait de petits balancements, comme quand je le berçais quand il était encore bébé.

Après avoir un tantinet joué avec les cheveux du petit d'homme, j'attrapais la valise de ma main libre (celle qui ne portait pas Minho). J'ouvris difficilement la porte et découvris, avec surprise, que ma valise à moi était déjà prête, attendant devant l'entrée l'heure du grand départ.

Cole était-il donc ci pressé de me voir partir ?

Comme s'il avait deviné que je pensais à lui, ce-dernier vînt dans ma direction. Pa rapport à tout à l'heure, il semblait plus calme. Et, du coin de l'œil, j'aperçus les membres de la meute assis dans le salon, comme si de rien n'était. Tout paraissait en décalage complet avec ce qu'il se tramait réellement. Et je décidai d'en parler directement à mon meilleur ami.

« Qu'est qu'ils voulaient ?

-Qui ça ? Demanda-t-il en fronçant les sourcils. »

Son mouvement de recul, bien que discret, ne me trompa pas. Il savait de quoi je parlais. Mais comme d'habitude, il pensait que protection rimait avec cachotteries. Dommage pour lui que j'avais un espion dans l'appartement. Espion qui, soit dit en passant, ne savait même pas qu'il en était un.

« Les Becker. Ça te dit quelque chose ou tu préfères garder le silence sur des affaires qui me concerne ?! Imagine que je n'avais pas été mise au courant ?! Je nous aurai mis en danger ! Minho, toi, moi ! Tout le monde y passerait ! Ce sont des gens dangereux qui m'ont fait vivre un enfer ! Je ne veux pas imposer tout ça à mon fils ! Alors, pour la dernière fois, qu'est-ce qu'ils voulaient ?! »

Il soupira.

« Ils m'ont principalement dit qu'ils t’avaient retrouvé grâce à l'article publié dans les journaux locaux la semaine dernière, avoua-t-il au bout d'un long moment de silence. Celui qui parlait du garage et de la voiture du maire que tu avais réussis à faire redémarrer.

-Putain, sifflais-je. Je savais que c'était une mauvaise idée. J'en avais parlé à Edgar ! Du fait que je risquais gros en me dévoilant ainsi ! C'était comme donner l'arme à son propre meurtrier. Un suicide. J'aurai du suivre mon intuition ! »

Traduction : J'aurai du écouter la voix.

« Ils voulaient quoi ? Me faire souffrir ? Pourrir ma vie ? Non, je sais ! Annoncer à tous mon problème !

-C'est pas ça. »

Le silence de Cole ne me plut pas. Mais alors pas du tout. Brusquement, l'idée que je n'étais plus seule me revint en mémoire. Minho ! C'était Minho qu'ils voulaient ! D'une voix tremblante, je prononçais le prénom de mon ange à mon meilleur ami.

Il soupira derechef et se passa une main dans les cheveux, en proie à une brusque ascension du niveau de stress.

« Ouais. C'est lui qu'ils veulent. Ils ont dit vouloir l'emmener pour lui inculquer les valeurs des Becker et forger le successeur de l'Empire familiale. C'était leurs mots.

-C'est Maxime qui était censé prendre la relève ! Ce n’est pas normal. Ils t'ont dit quoi d'autre ?

-Rien. Je me suis emporté, je les ai insultés et ils ont raccroché.

-Dans tous les cas, je ne le leur laisserai pas. Minho ne doit jamais les rencontrer. Ils lui feraient vivre des choses horribles. Et ils lui monteraient la tête en la remplissant d'idées absurdes basées sur le racisme et l'intolérance. Ce n'est aucunement l'avenir que je souhaite à cet enfant.

-J'espère bien. En plus, tu m'as l'air d'être entre de bonnes mains. Ce qui m'amène à autre une chose... Je tenais à m'excuser pour tout à l'heure...

-Pareil. Je suis désolée pour Nathan.

-Ouais, Nathan... On fait la paix ? »

Il ne me laissa même pas le temps de répondre que déjà, ils me prenaient dans ses bras, emmenant en même temps Minho dans cette étreinte soudaine.

J'avais encore du mal à faire à l'idée que j'allais le laisser seul. Je savais qu'il saurait se débrouiller tant au niveau de l'argent qu'au niveau de l'organisation mais tout de même... Ça me faisait bizarre. Cela faisait bientôt plus de sept ans que je résidais ici, avec lui comme colocataire. Depuis la naissance du petit d'homme en fait...

« Tu vas me manquer, murmura Cole. Vous allez me manquer. »

A ce moment-là, des bruits de pas se firent entendre. Toujours au même endroit, c'est à dire dans les bras de mon meilleur ami, j'aperçus la tête de Connor et celle d'Adam apparaître dans mon champ de vision assez restreint à cause de l’épaule de Cole qui se tenait près de mon visage.

Le visage de l'Alpha se ferma alors soudainement tandis que son compagnon sembla plus gêné qu'autre chose. Il rugit.

« C'est pas le moment de batifoler ! On doit rentrer ! Maintenant ! »

Puis il emprunta la porte d'entrée et quitta le studio, non sans omettre de la claquer, volontairement. Le message, accompagné du regard noir qu'il m'avait lancé, était clair. Sa confiance en moi s'était encore vue raccourcie.

Connor poussa un soupir théâtral et adressa un hochement de tête (une salutation virile ?) à Cole, qui le lui rendit sans sourciller de cette familiarité. Puis le lycanthrope rejoignit son chef d'un pas pressé, prenant au passage les valises.

Mon meilleur ami finit par me lâcher et, tandis qu'il disait au revoir au petit d'homme, Jones se rapprocha discrètement de moi.

La méfiance me gagna.

« C'est troublant comment cet enfant vous ressemble. Je n'avais encore jamais vu ça. De toute mon existence, et je pèse bien mes mots, je n'avais encore jamais été témoin d'une telle similarité entre une mère et son fils. Les mêmes yeux bleus, le même regard troublant qui semble voir tout ce qui se trame dans votre tête... »

Je souris, plus par fierté que par volonté de la remercier. Venant d'elle, on pouvait dire que c'était un compliment. Serait-ce pour endormir ma confiance ou était-elle vraiment sincère ?

Nul ne le saura jamais car, avant que je ne puisse lui poser la question, je me trouvais déjà devant la porte ouverte, promettant à mon ancien colocataire de l'appeler le plus rapidement possible, tenant fermement dans ma main celle d'un être fragile et dont je souhaitais préserver l'innocence. Le plus longtemps possible.

Un jour, je lui dirai ce que j'aurai pris tant de soin de cacher. Avant que d’autres ne prennent un malin plaisir à lui raconter une version faussée qui pourrait le faire changer en une personne peu fréquentable.

A peine arrivée dans la rue, je m'arrêtai net en faisant face à un élément des plus déroutants. En effet, j'eus la stupéfaction de voir qu'un réverbère, celui-là même qui éclairait l'emplacement de notre voiture, avait reçu un sacré coup. On aurait dit d'ailleurs qu'il se pliait en deux sous la douleur.

Minho éclata de rire en le voyant, imitant même sa posture pour faire le pitre. Pas moi. Encore moins quand, en croisant le regard de Connor, j'y décelais une lueur d'amusement, pétillant au sein même de sa rétine.

Comment pouvait-on se rire d'un tel spectacle en sachant pertinemment que c'était un homme qui en était à l'origine ? Adam était furieux, mais delà à fracasser un bien public...

Le trajet du retour fut calme.

Du moins, j'en eu l'impression. Mais mon jugement n'était peut-être pas fiable. Il aurait pu y avoir un tremblement de terre que, dans mon état, je ne l'aurai pas remarqué tout de suite. J'étais comme engourdie sous l'effet d'un médicament. Ou d'une drogue. Une drogue dont on m'avait privé bien trop longtemps à mon goût. Une drogue qui avait posé sa tête sur mon épaule avant de s'assoupir. Une drogue qui se prénommait Minho.

Je le rejoignis rapidement dans le monde des rêves, ignorant les regards furieux et exacerbés que me lançait l'Alpha dès qu'il en avait l'occasion.

Ignorant également durant quelques heures, la menace des Becker qui planait sur nos têtes.

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