-Chapitre 6,5-

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La vie est une pute quand elle veut. Et souvent, on le réalise au dernier moment. En fait, elle n'a pas de sens quand on y pense. Elle ne sert qu'à nous faire souffrir. Les rires, les baisers, les joies, tout ça, c'est que des conneries. Mais ce n'est que quand on nous enlève toutes ces joies éphémères et trompeuses qu'on s'en rend compte. Et ça fait comme l'effet d'une claque, un retour abrupt et violent à la réalité, alors qu'on s'en serait bien passé.

Jason est parti. Je ne sais même pas pourquoi je suis toujours en vie, moi.

Ce serait si facile de le rejoindre. Une lame, je m'enferme dans la salle de bain, je m'ouvre la peau et je regarde mon sang couler au sol. Simple comme bonjours. Mais il y a cette fichue promesse. Celle que je lui ai faite. Alors je me contente de rester allongée sur mon lit, à ne rien faire d'autre que de me morfondre sur mon existence pitoyable.

Je me laisse aller comme le dit si bien Hanaé.

J'attends, complètement inerte, que passe le temps. Que la mort ai pitié de moi et qu'un jour elle vienne me cueillir. Je ne serai pas réellement responsable de cette mort. Et au moins, de cette façon, j'aurai ce que je souhaite sans trahir ma promesse.

Mais au lieu que cela soit rapide, la mort prend son temps. Elle me tourne autour, je le sens. Elle attend sans doute le bon moment. Elle doit peut-être être un peu sadique aussi. Alors, en attendant, je me contente de fixer ce plafond blanc, d'imaginer le ciel qu'il cache à mes yeux.

Si Jason serait là...

Oui, ces phrases classiques commencent à fuser dans mon esprit. Je suis lasse. Lasse de tout. Et je sens la meute qui souffre également. Je ne supporte pas seulement ma douleur. Non, je dois aussi supporter celle d'une centaine d'hommes, de femmes, d'enfants, de vieillards.

Est-ce cela être Luna ? Crever encore plus douloureusement parce que vous vivez, en plus des vôtres, les sentiments d'autrui ? C'est lamentable. La meute dépérit. Elle n'a jamais été aussi faible. Pitoyable. Si Jason était là il...

Il n'est plus là. Mon homme est parti. Il a emporté mon cœur, ma joie, mon amour de la vie avec lui. Il n'y a pas pire sentiment que celui-là. Celui de se sentir incomplet, impuissant, vidée de toute énergie. Mais je ne peux même pas faire comme les autres femmes veuves comme moi. Je ne peux pas me tuer en me suicidant. Parce qu'il y a cette putain de promesse !

« Comment vas-tu Lacey ? Demande une voix près de moi. »

Mme Jones est agenouillée à côté de mon lit et prend lentement ma main. Elle paraît triste et inquiète. Elle a le sentiment d'être responsable, je le sens, je le devine facilement. Et elle me tient la main comme si j'étais aussi fragile qu'une poupée de porcelaine.

Avant, c'était Jason qui me tenait ainsi. Et en riant, je lui disais que je n'étais pas en sucre. Alors il me regardait avec le plus grand des sérieux et admettait que j'avais raison, mais qu'il ne pouvait s'empêcher d'avoir peur de me perdre un jour. Mais ça ne s'était pas passé comme ça en fait. C'était lui qui était parti, c'était moi qui l’avais perdu.

Oui, je l’avais malheureusement perdu, comme si le hasard s'était soudain concerté avec l'ironie pour former une alliance contre moi.

La vie à un goût amer.

« Comment va Adam ? Demandai-je d'une voix rauque.

-Comme peut l'être quelqu'un qui passe un moment pénible de deuil. »

C'était évasif comme réponse. Ça ne me plaisait pas.

Bizarrement, je trouvai la force de me redresser vivement et de m'emporter contre elle. Oui, je lui criai ma colère comme si elle était responsable de ce qu'il s'était passé. Je pleure, je meurs d'envie de la frapper ou de me jeter sur elle sous mon autre forme. Parce que j'ai peur. Parce que j'ai mal.

Et je sens lentement sa marque disparaître. Ça me brûle. Ça pique. Ça fait mal. Je vais vomir, je le sens.

Mme Jones ne bronche pas, mais trouve quand même le moyen de me rembarrer avec un calme plus qu'irritant.

« Surveille tes émotions Lacey. Malgré sa disparition, tu demeures la Luna. Et une Luna est le pilier de la meute, je te rappelle. »

On dirait une mère qui gronde son enfant.

Jason l'avait toujours tenu en estime. Et si Jason serait là il... Non, il n'est plus. Lentement, sans doute en remarquant la même chose que moi, elle baissa la voix. J'étais Luna, elle l'avait dit elle-même. Elle me devait donc un certain respect même si elle ne faisait pas totalement partie de la meute.

« Et tant que tu n'auras de successeur au titre de Luna, tu resteras gardienne de ce titre. Par la suite, tu devras montrer les ficelles du métier à ta belle-fille. Comme toi tu l'as appris de ta défunte belle-mère. Reste dans le droit chemin Lacey. Ne serait-ce que pour ton fils. »

Et pour la promesse. Cette fichue promesse qui se dresse au-dessus de ma tête pour me rappeler constamment sa présence. Adam souffre. Je le sens par le lien de la meute. Il est énervé. Il hurle à la Lune sa peine.

« Il faut qu'elle arrive vite cette petite alors..., soufflais-je doucement. Il a besoin d'elle. Pas de moi Jones.

-Mme Jones, corrigea-t-elle gentiment tout en chassant mon empressement d’un geste de la main. A ce propos, je tenais à t'avertir. Adam m'a chargé d'une mission que je n'ai pas pu lui refuser vu l'état où il était et ma position incertaine auprès de vous tous.

-Laquelle ?

-Je dois veiller sur l'ancien poste que tenait Elena.

-Sois plus précise, dis-je en frissonnant.

-Tu devras demander ça à ton fils. Après tout, je pense qu'une discussion entre vous deux s'impose. Ne serait-ce que pour mieux supporter le drame. »

Mme Jones se releva. De nouveau, je sentis une pointe d'angoisse et de tristesse m'envahir. Sa présence m'avait fait du bien, même si je ne voulais pas le lui avouer. Elle ouvrit la porte et hésita un moment. Puis elle finit par se retourner vers moi.

« Tu n'es pas la seule à lui avoir fait une promesse. Jason voulait que je veille sur toi et Adam. J'y emploierai ma vie à réaliser cela. C'était ce que je lui avais répondu. Et il a demandé à ce que je te transmette un message si jamais... »

Elle se tut un moment et détourna le regard. Elle pleurait. Je crois que moi aussi. Le fait de parler de lui, de parler de cet homme qui avait donné un sens véritable à ma vie et à la sienne... C'était douloureux.

Elle se dirigea vers la porte et, avant de s’arrêter, m'indiqua qu'elle avait posé un dictaphone sur mon lit. Qu'il fallait que je l'écoute si je voulais faire mon deuil convenablement. Puis elle quitta la pièce sans un bruit, de la même manière qu'elle était venue.

Tremblante, je m'emparais de l'objet. Je savais déjà, au fond de moi, ce que cela voulait dire. Jason avait pensé à tout, s'était préparé à toutes les éventualités, bonnes comme mauvaises. Avait-il été jusqu'à laisser un message vocal ?

Je ne tardai pas à avoir ma réponse. Quand j'appuyais sur le bouton, sa voix retentit dans le silence étouffant de ma chambre plongée dans l'obscurité. J'avais l'impression de l'avoir à mes côtés, tandis qu'il me susurrait à l'oreille ses dernières paroles.

« Lacey. Je suis désolé ma douce et belle Lacey. Tu es courageuse ma Fleur, je le sais. »

Il se racla la gorge et je reconnus tout de suite cette manie qu'il avait pour tenter de cacher sa gêne. Les larmes me montèrent aux yeux, et je ne pus m'empêcher de retenir mon souffle.

« Alors... Même si je ne peux plus rester à tes côtés, pour une raison ou une autre... Garde ton si joli sourire qui m'a toujours fait succomber. Tu sais, celui qui fait ressortir tes fossettes... Oui, fais-le pour moi, mais aussi pour nos enfants. Ils dépendent de toi mon amour. »

Nos enfants ? Malheureusement, il n'avait pas tout prévu, ne pus-je m'empêcher de constater avec amertume.

« J'ai été l'homme le plus heureux du monde grâce à toi. Mais mon plus grand regret, si je devais périr, serait le fait que d'une certaine façon, je te condamne aussi au même sort. Alors, prouve-moi que je me trompe. Tu m'as fait une promesse. Ne l'oublie pas. »

Je commençai à pleurer silencieusement, me mordant la lèvre inférieure pour étouffer un cri de douleur qui m'étreignait la poitrine.

« A la réflexion, fit sa voix avec une touche d'amusement, j'aurai peut-être dû le noter sur un post-it pour le coller au frigo. Ma petite tête de linotte. Je t'aime. Je t'adore. Je suis fou de toi. Saches-le. »

Le message s'arrête là et presque immédiatement, je fondis une nouvelle fois en larmes. Ces quelques morts me condamnèrent à passer une nuit entière à pleurer mon amour perdu pour toujours.

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