-Chapitre 6-

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Un soupir intarissable s'échappa de ma bouche tandis que j'essayais d'oublier les signaux de douleur que m'envoyaient mes deux pieds. Cela faisait maintenant trois heures que nous marchions, nous arrêtant quelques fois pour observer les environs avec minutie. Enfin, ça dépendait pour qui. Je me contentai, pour ma part, de jeter de brefs coups d’œil, étant peu intéressée par tout ceci.

Lacey voulait me faire découvrir « ma nouvelle maison » ainsi que « ma nouvelle famille », comme elle aimait l'appeler avec un enthousiasme débordant. Famille qui, soit dit en passant, comptait plus d'une centaine d'individus totalement différents de moi, que je ne connaissais nullement. Et malgré mes protestations, la mère d'Adam s'était mise en tête qu'elle devait jouer le rôle d'un guide touristique auprès de moi.

Je l'écoutais d'une oreille distraite. L'histoire de sa meute, de son organisation et de sa hiérarchie, du territoire sur lequel elle régnait et du découpage des différents « Bassins » (qui était plus ou moins l'équivalent d'un fief, dirigé par un loup Alpha), tout cela ne m'intéressait pas. Je ne me suis nullement gênée pour le lui signaler, de nombreuses, très nombreuses fois. Tantôt de manière subtile, tantôt de manière directe, surtout vers la fin, quand je commençais à vraiment perdre patience.

J'avais l'impression qu'elle ne m’écoutait pas, trop heureuse qu'elle était à me présenter à des gens que je ne comptais pas revoir un jour.

Quand enfin, il me sembla qu'elle entendit ma supplique, après avoir paru réfléchir sérieusement à ma demande, elle s'était contentée d'en rire. Alors je m'étais résolue à la fermer et à déambuler comme un automate, ou un chien suivant docilement son maître. La vérité était que quelque part, j'avais encore du mal à admettre que tous ces gens n'étaient pas humains, comme leur apparence le prétendait.

J'avais toujours cru que les hommes loups n'étaient que des mensonges, des histoires qu'un groupe de fou avaient inventé pour se créer un nom et faire parler d'eux dans la presse à scandale qui n'attendait que ça. Comme quoi, je n'étais pas la seule à cacher des secrets sur ma nature...

Et justement, cette pensée me plongeait un peu plus dans des réflexions intenses, qui ne laissaient pas de place à l'observation de mon milieu. Conclusion ? Je me sentais piégée. J'avais beau chercher, je ne voyais pas d'issues. Lacey était certes, très amicale, mais cela n'ôtait rien à la puissance de mon ressentiment. Tous ces gens, malgré leur sourire, leur geste de salutation à notre arrivée, les bavardages plein d'entrain et j'en passe, tout ça, ce n'était pas mon monde. Je ne m'y sentais pas à l'aise. Ils n'étaient pas de ma famille, comme l'assurait ma guide avec son air juvénile.

« Voici celle qui va nous sortir de la galère. »

« C'est l'âme-sœur de mon fils ! »

« Bientôt, mon enfant redeviendra lui-même, pour les beaux yeux de sa belle. Et enfin,... »

Trop. Je me sentais de trop. C'était trop pour moi. On plaçait trop d'espoir en moi. C'était trop d'informations pour une seule et même personne. Trop d'images et de noms à retenir. Trop de changements dans mon quotidien. Il y avait trop beaucoup de « trop ».

Je n'étais pas leur sauveuse. Je n'étais que Thara Becker. Je n'étais qu'une simple garagiste, mère d'un enfant qui la rendait fier un peu plus chaque jour, mais dont elle ne s'occupait pas convenablement. Je pouvais être impulsive, méfiante et assez solitaire parfois, mais dans le fond, je savais me montrer tenace. J'étais quelqu'un d'actif et de directe.

A quoi servait l'hypocrisie quand dire les choses simplement, comme ce qu'elles étaient, était beaucoup plus efficace. J'avais des ennemies bien sûr, comme tout le monde. Mais j'avais également des gens sur qui m'appuyer, des gens qui étaient essentiels dans ma vie, même s'ils se comptaient sur les doigts d'une main.

Cole, Megan, Calypso, Edgar et mon fils.

Et cela me suffisait amplement. Je n'avais besoin de rien d'autre dans ma vie. Et certainement pas d'une meute de loups-garous sortis de nulle part. Encore moins d'un Alpha plus que misérable et au fond du gouffre. Ils se trompaient de sauveur. Je ne pouvais rien faire pour eux.

Je l'ai déjà dit. S'il faut chercher un super héros, cherchez donc ailleurs. Ce n'est pas en moi que vous le trouverez.

* * *


« Et donc, je suis son âme-sœur..., déclarai-je d'un ton hésitant. »

En face de moi brûlait un feu de joie immense. L'humeur était de celle qu'on trouve durant les grandes fêtes estivales. Les gens riaient, buvaient à en perdre la boule, dansaient sans se soucier outre mesure du regard des autres. Les jeunes gens, les enfants se mêlaient aux plus vieux membres de la meute, les aidant parfois à avancer ou tout simplement, en leur apportant de quoi boire avant que ne commence les histoires que les anciens aimaient conter.

C'était beau. Vraiment.

Cette meute était soudée. Personne n'était mis de côté. Et il semblait même que les nouveaux nés se taisaient pour ne pas ternir la bonne humeur. Comme si eux aussi l'avaient ressenti et l'honoraient à leur façon.

Tandis que mes yeux s'imprégnaient de cette joie partagée par un groupe et qui m'étais réellement inconnue jusqu'alors, je sentis le regard vitreux de Lacey se poser sur moi.

Assises toutes les deux sur une bûche, entourée par l'escorte (formée de Connor, Charlie, Alba ainsi qu'un autre du nom de Finn) qui nous avait accompagné durant toute l'après-midi, nous tenions chacune dans nos mains un verre encore remplie. Ni l'une, ni l'autre ne semblaient capable de boire alors que nos pensées respectives vagabondaient librement.

« Pourquoi ai-je l'impression que cela t'horripile ? Finit-elle par répondre avec lassitude. Ne te rends-tu pas compte que c'est un honneur que celui de devenir la nouvelle Luna ? »

Face à mon mutisme, elle adopta un ton un peu plus tranchant, comme si elle était vexée du peu d'engouement que cette nouvelle suscitait chez moi.

« De toutes façons, reprit-elle, tu n'as pas le choix. Je ne me sens plus la force de poursuivre en tant que telle. Oublie ton ancienne vie. La nouvelle débutera ici et maintenant. »

L'image de Minho et Cole me revinrent en mémoire à ce moment-là. Je ne pouvais pas les abandonner. Tout comme je ne pouvais pas laisser derrière moi Edgar ainsi que sa femme, Calypso. Ils étaient une part de moi. Ils m'avaient aidé à me construire, chose que mes parents n'avaient pas jugée important.

Ils m'avaient accueillie chez eux quand il le fallait, quand j'avais débarqué dans leur vie, déjà enceinte jusqu'au cou. Edgar avait même accepté le fait que Minho l'appelle Grand-père alors qu'ils n'avaient aucun lien de parenté. Cela les avait fait pleurer et ils en étaient tellement heureux. Ils me traitaient toujours comme si j'étais leur fille et ça, je ne pouvais pas le mettre de côté, l'ignorer obstinément.

Les remercier en leur tournant le dos à tous, c'était quelque chose que je ne pouvais me résoudre à faire. Chacun, à leur façon, m'apportait du réconfort, me poussait à aller de l'avant. Alors imaginer ma vie sans eux, c'était complètement impossible.

« C'est impossible. J'ai mes attaches, des gens auxquels je tiens. Je n'ai pas l'intention de tout délaisser pour venir vivre ici, finis-je par lâcher fermement. »

Au moment où Lacey allait protester, Mme Jones fit son entrée. Sans même s'excuser de nous interrompre, elle prit place sur un rondin, juste en face de nous et nous observa toutes les deux avec insistance. Sa façon presque calculée de tourner le dos au feu, aux danseurs et à la joie me parut alors très symbolique. De toute évidence, elle ne souhaitait pas se mêler à cette gaieté. Sans doute se sentait-elle aussi de trop ici. Pas à sa place.

« Lacey, ta future belle-fille a déjà un gamin. »

J'avais trouvé pire que moi question délicatesse. Le moins que l'on puisse dire, c'est qu'elle ne passait pas par quatre chemins...

Sans se soucier de la stupéfaction de son interlocutrice, Mme Jones prit le verre de cette-dernière et le but d'une traite, comme si de rien n'était. Voyant la pâleur inquiétante de la Luna, Connor se pencha vers elle et lui demanda si tout allait bien. Sous-entendu que cela aurait été de mon entière faute, à en juger par le regard lourd qu'il me lança presque aussitôt.

Un jour où l'autre, j'allais me le faire ce gars-là. Avec le temps, j'avais en effet constaté qu'un poing dans la figure pouvait régler bien des problèmes (tout comme il peut l'aggraver dans certains cas, évidemment).

Un coup d'œil au reste de son équipe me permit de voir le sourire discret de Finn. Durant notre « promenade de découverte », j’avais découvert qu'il était tout de même un sacré personnage celui-là.

Du haut de son mètre quatre-vingts dont il était plus que fier, il passait son temps à faire des blagues douteuses, mais qui vous fait rire tout de même. Le petit comique de la bande en gros.

Tout comme Charlie, il avait les cheveux teints au niveau des pointes. D'un vert assez voyant qui, comme le prouvait ce soir assez sombre, brillait légèrement dans l'obscurité. D'après ce que j'avais compris, c'était un gage donné par Charlie elle-même. Pas très compliqué à comprendre de toute façon.

Et ce qui faisait vraiment la particularité de ce jeune homme, c'était ses yeux. Des yeux vairons vraiment magnifique et pas très discret non plus. Connor avait parlé du fait que, quand ils devaient se mêler aux humains ou à de grandes réceptions (réunissant des personnes de même nature qu'eux pour être plus précise), Finn préférait mettre des lentilles de contact d'un marron assez commun.

Les gens avaient toujours du mal à tolérer les différences d'autrui. Autant sur le plan physique que moral.

« Il ne l'acceptera jamais, murmura Lacey dans un souffle. Il n'acceptera jamais cet enfant. »

Avec inquiétude, je reportais mon attention sur elle, ainsi que sur ses paroles prononcées sur un ton légèrement inquiétant. Elle était aussi blanche qu'un linge, tandis que lèvre inférieure tremblait furieusement. Voyant qu'aucune explication ou aucun développement ne suivait, je repris la parole avec une certaine aigreur que je ne me connaissais pas.

« Ce n'est pas grave. De toute façon, j'ai compris l'essentiel. Votre fils ne semble pas intéresser par moi, par conséquent, je pourrais rentrer chez moi. Et comme ça, tout ira mieux. Je retrouverai ma vie d'avant, mon équilibre.

-Équilibre précaire, intervient subitement Mme Jones. »

Sans ce soucier de ce que venait de dire l'autre femme à qui, pour ma part, je pris soin de transmettre le fond de ma pensée par un regard noir, Lacey poursuivit. Elle sembla alors complètement impuissante. Et je retrouvais dans son regard triste, la même douceur enfouie que chez le fantôme de la fille.

« Oh ma chérie... Si seulement c'était si simple... Mais une fois qu'un loup a rencontré son âme-sœur, il n'y a plus de retour en arrière possible. C'est ton destin que de diriger cette meute aux côtés d'Adam. Laisse-lui aussi le temps de s'habituer à l'idée. Il a vécu seul si longtemps que... Que même mon amour ne trouve pas chemin jusqu'à lui pour le moment. Mais je reste convaincue que grâce à toi, ça changera. »

Elle poursuivit sans me quitter des yeux, sans doute par peur que je ne disparaisse soudainement. Je connaissais ce sentiment. Celui de voir ce qu'on croit être la solution à tous nos maux. Et d'avoir tellement peur que quelqu'un nous l'arrache sans prévenir. Avoir peur que notre seule lumière s'éteigne et que le noir nous étreigne.

Avec mille précautions, elle se saisit de mes mains. J'avais honte. Honte de me laisser avoir par des larmes et par une compassion inattendue. Je me sentis tellement faible à ce moment-là.

« Adam a vécu son lot d'épreuve et il n'a toujours pas terminé de le digérer. Du temps ma belle, c'est tout ce qu'il lui faut. Du temps. De la patience. De l'attention. Une épaule sur laquelle pleurer. Un cœur qui pourra l'écouter dans ses instants de peine. La vie ne nous a pas fait de cadeau et... »

Je la sentis monter. Cette colère qui m'habitait depuis si longtemps. Celle que j'avais tant de fois voulut lancer au visage de mes parents, de mes proches pourtant si éloignés avec moi. Au visage de toutes les personnes qui ne m'avaient pas considérés comme une humaine. Plutôt comme un monstre, un objet. Un truc sans valeur, sans âme, qu'on peut ballotter dans tous les sens comme ça nous chante.

J'avais souffert pendant tant d'années qu'entendre quelqu'un, même inconnu à mon histoire, plaindre ainsi un gars qui ne connaissait pas le vrai sens des mots douleur, enfer et injustice me fit exploser.

Alors je la coupai brutalement dans sa tirade, balançant une bonne fois pour toute ce que je pensais de ce capricieux sans cervelle.

« Je ne vais pas commencer à plaindre ce gars tout de même ! Il n'est pas le seul à qui la vie n'a pas fait de cadeau ! Alors pourquoi lui serait considéré comme un martyr ?! Ça c'est injuste ! On a tous eu, à un moment ou un autre, un fichu problème dans notre putain d'existence ! Et j'en parle en connaissance de cause ! Je sais ce que c'est et moi, jamais on ne m'a plainte, comme tant d'autres qui cachent leurs blessures comme je le fais ! »

Tous les regards se tournèrent vers nous et je compris que personne n'en avait perdu une miette. Et comme une idiote, je demeurai debout, les bras ballants. Lacey s'emporta à son tour, et dans le même élan de colère, elle se redressa à son tour.

« Tu es une égoïste ! Tu te crois mieux que lui, mais laisse-moi te dire que tu te fourvoies, jeune fille ! »

Je la fusillai du regard. Un instant, la pensée de tout lui révéler au sujet des fantômes me traversa l'esprit. Mais je me rétractai aussitôt en pensant à la gifle que cela lui ferait d'apprendre que cette fille, qui avait tout l'air d'être la sienne, ne trouvait pas le repos éternel. Soit elle serait sous le choc, soit on me prendrait pour une folle.

Je m'abstins donc.

Se tournant vers notre précédente escorte, Lacey me montra du doigt comme si j'eus été une pestiférée.

« Emmenez-là dans la chambre qui lui a été assigné ! Et qu'elle y reste jusqu'au repas ! Un de vous ira la prévenir du commencement de ce-dernier pour la conduire jusqu'à la salle à manger par la suite ! »

Connor, sans cacher le plaisir que cela lui procurait (je jure que je le lui ferais regretter !), me tira en arrière tandis que je me mis à hurler à plein poumon que je devais rentrer pour m'occuper de mon fils, qu'ils n'avaient pas le droit de me garder ici. Mais rien n'y fit. Comprenant que je ne gagnerai pas cette fois-ci, je commençais à pleurer doucement.

J'eus à peine le temps de voir Lacey essuyer discrètement une larme au coin de son œil que déjà, elle ne devenait plus qu'un point distant dans mon champ de vision. Pour finir, je ne pus plus la distinguer du tout. Et, avant de me laisser plonger dans le brouillard du désespoir qui m'envahissait, j'eus tout juste le temps d'apercevoir Adam dans l'escalier, descendant tranquillement les marches tandis que, presque avachie sur l'épaule de Connor, je les montai.

Même dans nos actions, nous étions contradictoires.

Minho, ne t'inquiète pas, maman rentrera bientôt à la maison. Je te le promets. Il suffit juste que je me sorte de toute cette histoire.

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