-Chapitre 3-

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Ma nuit fut des plus longues ce soir-là. Le sommeil me fuyait, et quand je croyais l'avoir attrapé dans mes mains, il trouvait le moyen de couler entre mes doigts pour s'en aller de plus belle . Les questions, elles, se bousculaient et résonnaient dans ma tête, créant une cacophonie qui ne fit qu'empirer mon mal de tête. Rien n'allait vraiment, en somme.

Je prenais de plus en plus conscience que je ne faisais qu'accumuler les conneries. Je n'étais pas une mère modèle, ça je le savais déjà. Et je n'en avais jamais eu la prétention de toute façon.Mais se voir jeter toutes ses erreurs en plein visage, ça faisait toujours mal. L'ego s'en trouvait autant blessé que le cœur.

Si je devais m'en sortir à l'aide d'une excuse, j'aurai dit : Que voulez-vous, avec ce que j'ai vécu par le passé, peut-être n'ai-je aucune réelle idée de ce que doit être un parent parfait, bien que j'ai dû de nombreuses fois l'imaginer étant enfant. Les rêves et la réalité sont, hélas, bien différents, ça je l'avais compris avec le temps.

Mais je ne le ferai pas, car ça ne servirait à rien d'autres qu'à répéter une de mes fautes récurrentes. A savoir que j'ai tendance à fermer les yeux sur mon propre comportement ou sur ce qui m'entoure quand le choses vont mal, car j'ai peur de m'en trouver blessée (moi et mes proches j'entends).

Cole avait raison, j'étais bien trop absente. Même les rares moments que je passais avec Minho, à leur manière, me le faisaient bien comprendre de toute façon. Quand il me parlait de ce qu'il faisait à l'école, ce qu'il avait fait avec Cole, c'était toujours une impression d'être totalement étrangère à sa vie qui m'étreignait douloureusement. J'étais pitoyable, sans nul doute. La seule chose qui pouvait plus ou moins atténuer ce mal, c'était l'idée que je valais toujours mieux que son paternel, un crétin qui voyait en la femme les qualités d'un objet jetable.

Ah non, pardon, ça aussi c'était pitoyable. Je réagissais comme une enfant, cherchant pire que lui pour ne pas affronter la vérité. Qu'est-ce que je pouvais être ridicule parfois...

Je soupirai, lasse, et me roulais en boule sous les couettes pour passer le temps.

Finalement, le jour débarqua. Personne ne l'avait prévenu que je n'avais pas fermé un œil de la soirée. Et il ne m'avait pas attendu, poursuivant son rôle tout en m'ignorant ostensiblement. Ce fut donc, avec deux poches immenses sous un regard fatigué, que je parvins à repousser mes couvertures bien chaudes. Et Dieu sait qu'il en fallait de la motivation pour parvenir à accomplir un tel geste.

Sans surprise, je remarquai que la table du petit déjeuner avait été mise, mais laissée à l'abandon, signe d'un récent passage. Des miettes de pain étaient répandues sur la table dans une zone précise où mon petit d'homme s'était nourri, la boîte de céréales ouverte hésitait entre tomber du plan de travail ou rester tranquillement à la place où on l'avait abandonné. A contrario, parmi tout ce bazar que je retrouvai également dans ma chambre, un verre de jus d'orange ainsi qu'un toast grillé depuis un moment déjà, patientait tranquillement, dans l'espoir d'être enfin consommé.

On m'avait attendu.

L'horloge indiquait 8h45. J'avais donc de nouveau manqué Minho. Comme d'habitude. Et je savais d'avance que Cole ne se priverait pas de me le reprocher. Comme d'habitude. Mais je n'avais pas besoin de ses remontrances pour m'en vouloir, car c'était désormais mon quotidien que de faire face à cette culpabilité grandissante.

Ce n'était d'ailleurs pas la première fois que mon fils me faisait ce "coup bas". Il était intelligent et je pense que, d'une certaine façon, c'était sa manière à lui de me dire qu'il aurait aimé déjeuner avec moi. Il n'oserait jamais le dire en face, il aurait trop peur de me blesser. Lui use d'une finesse qui fait défaut à son parrain, Cole.

Sans prendre le temps de manger, et après m'être habillée en quatrième vitesse, je pris ma veste en jean, mes clefs et quittais l'appartement. Je ne voulais plus m'y éterniser. J'étais pitoyable. Je m'en mordais les doigts, et rien qu’à voir toutes les traces de vie d'un fils que je me surprenais de plus en plus à méconnaître je me sentais de plus en plus mal.

Tout en descendant les escaliers, je me fis la stupide et inutile remarque que contrairement à hier, j'avais un poids lourd dans le ventre, plus dans les jambes. Cela me fit rire comme une idiote tandis que je mettais un pied dehors. Un passant me jeta un regard intrigué auquel je n'accordais guère plus de cinq secondes d'attention.

Mais une fois l'instant d'hilarité passé, je me retrouvais de nouveau avec ma culpabilité, fidèle compagne de toujours. Je tentais alors, tant bien que mal, d'oublier ma peine en chemin. Pour cela, je roulais vite, écoutant un peu de musique classique pour donner le change. Pourtant, le trajet me parut encore plus long que ma précédente nuit.

Le visage de Minho m'obsédait. Je voulais me rattraper. Non, je le devais. Ça devenait urgent. Je ne pouvais pas continuer comme ça. J'en souffrais et je faisais souffrir mes proches par la même occasion. Il était possible qu'en chemin, j'eus grillé quelque feux rouges, tout comme il était possible que je me sois faite insultée par des automobilistes mécontents (et à raison) de ma conduite irresponsable. Mais sur le moment, ça me passait carrément au-dessus de la tête.

Finalement, j'arrivais au garage en un temps record. Mes yeux me piquaient et, comprenant que j'étais sur le point de craquer, je m'octroyais cinq petites minutes pour tenter de retrouver mes idées. Depuis quand je me mettais à fuir mon propre enfant ? Depuis quand je me laissais autant aller à ce point ? Ça n'allait vraiment pas.

Mon téléphone se mit alors à vibrer et à regret, je me replongeais dans le monde réel, brisant la bulle qui m'entourait jusque là et qui m'avait accompagnée durant le chemin. L'auteur de l'appel n'était autre que mon colocataire. Je l'imaginais en train de faire les cent pas, l'appareil collé à l'oreille, fulminant de rage. Et dès les premières secondes de notre échange, je compris sans peine que j'avais raison.

« Tu peux m'expliquer ce que tu foutais ce matin ?! »

Bonjour à toi aussi. La phrase menaça de sortir avec un ton cassant mais je m'abstins. J'étais en tort, autant mener profil bas. Comprenant que la discussion que je pourrais avoir avec lui ce matin serait principalement constituée d'exclamations, de questions que je me posais bien trop souvent et auxquelles je ne trouvais moi-même pas de réponses, je raccrochais sans prendre la peine de m'expliquer. Je la paierai chère celle-là aussi.

Dans un élan de colère, j'éteignis mon portable et le balançai dans ma boîte à gants. Tant pis si l'écran se fissurait, ça m'apprendrait à agir comme je le faisais depuis tant d'années. Ça me forcerait à affronter mes erreurs tous les jours, sans pouvoir les fuir cette fois-ci.

Finalement, je claquais la porte de ma voiture et regagnais à grandes enjambées la chaleur apaisante de mon lieu de travail. Dire que je me sentais mieux ici que chez moi, y avait de quoi se remettre en question tout de même.

Je trouvais mon patron adossé au cadre de l'entrée principal, les bras croisés sur son torse, un immense sourire plaqué sur le visage alors qu'il observait la route juste en face avec un air rêveur. C'était son poste d'observation favori et il ne se lassait pas du spectacle que je trouvais bien trop énervant pour ma part.

Quand ses yeux me virent entrer dans leur champ de vision, il bondit littéralement dans ma direction. Il me salua précipitamment et s'empressa aussitôt de me raconter comment il avait envoyé paître Madame Jones, riant au moment où il jugeait que sa répartie le méritait, m'incitant à faire de même d'une tape amicale dans le dos. Je me contentais d'un pâle sourire, bien qu'amusée par le fait qu'Edgar ne semblait pas avoir digéré l'affront de la belle dame, au point qu'il avait médité sa vengeance avec beaucoup de minutie.

« Je te ne connaissais pas comme ça Benny, lança une voix féminine. »

Aussitôt le visage de mon patron se figea. Riant aux éclats, Calypso Bennett sortit de derrière une petite camionnette (que nous avait confié un ancien jardinier qui était à moitié sourd). Ses cheveux bruns, parcourus par une ondulation on ne peut plus naturelle, avaient poussé depuis la dernière fois où je l'avais vu. Ils lui arrivaient désormais au niveau des reins. Cependant, il était important de noter qu'elle aussi subissait la marque du temps. Mais cela n'enlevait rien à son charme.

Au contraire, je trouvais que cela ne faisait qu'accentuer la couleur peu commune de son regard malicieux. D'un marron dorée qui tournait à la couleur de l'ambre quand le soleil venait s'y baigner. Oui, il n'y avait pas à dire, la femme d'Edgar était de loin la plus belle femme qu'il était permit de voir en ce monde. Et rien qu'en apercevant la lueur qui brillait dans les yeux de ce-dernier, on ne pouvait pas contester le fait que leur amour était fort, indestructible. Vingt-deux ans de mariage.

Après un rapide baiser ainsi que des mots doux susurrés au creux de l'oreille de sa compagne, mon patron s'excusa et nous laissa seuls, regagnant à grandes enjambées le reste de ses employés.

« Comment va Minho ? Demanda poliment Calypso.

-Bien. Enfin, je suppose.

-Je vois... »

Son regard se fit plus insistant tandis qu'elle reprenait, hésitant visiblement dans le choix de ses mots.

« Je sais que tu travailles très tard mais... Tu vois... Je... Non, ça ne me regarde pas après tout. Je sais que tu n'aimes pas qu'on se mêle de tes affaires et puis, tu es une adulte maintenant. Tu connais tes responsabilités. Tu sais donc l'importance de ton rôle auprès de lui. »

Je la remerciai d'un bref hochement de tête. Comprenant alors que je ne relancerai pas la discussion (non pas que je ne veuille pas mais je n'étais pas douée pour cela), elle s'en chargea à ma place et, tandis que je me plongeai dans le capot de la voiture à réparer (un vieux 4x4 dont l'état du moteur prouvait le manque de considération de son propriétaire) elle me raconta les dernières nouvelles qui circulaient en ce moment.

« Ce serait horrible que ces industriels rasent cette forêt. On en a vraiment besoin pour l'écosystème de ce pays, vois-tu ? Et... »

Ah oui. J'avais oublié que Calypso était une fervente militante pour les droits de la nature. Ce n'était pas dérangeant en soi. J'entendais par là que nous avions tous nos centres d'intérêts, nous n'étions personne pour juger ceux des autres par conséquent. Mais je savais que ce sujet ennuyait pas mal Edgar, et elle aussi l'avait comprit. Du coup, elle se rabattait sur ceux qui l'écoutaient sans l'interrompre. Moi par exemple.

« Tu en penses quoi toi ? »

Merde. C'était quoi sa phrase précédente ?

« De la forêt ? Hasardai-je.

-Non, du nouvel arrêté adopté par la Meute du Bassin Central. »

Ces individus l'intéressaient beaucoup, que dis-je, l’obnubilait. Elle n'arrêtait pas d'en parler. Du peu que j'en avais entendu (surtout du peu que j'en avais écouté), c'étaient un groupe important d'hommes qui prétendaient pouvoir se transformer en loup quand bon leur semblaient. Moi, j'appelais plutôt ça une secte de fanatiques dirigés par un gourou aux tendances zoophiles. Mais comme je le disais, chacun ses goûts et ses couleurs, ça ne se discute pas.

« Je trouve que tu m'en parles souvent ces-derniers temps. Ils t'intriguent ?

-Répondre à une question par une autre question est malpoli, dit-elle en claquant la langue.

-D'accord, d'accord. Je pense que cette façon qu'ils ont à ébruiter le moindre de leurs faits et gestes est dérangeant. Ils cherchent à attirer l'attention selon moi. Et cet arrêté n'est rien d'autre qu'une méthode pour y parvenir. »

Elle sembla réfléchir un moment à ma remarque avant de reprendre.

« Vu comme ça, c'est pas faux. D'ailleurs tu savais toi qu'ils comptent se rendre dans chaque école primaire présente sur ce qu'ils considèrent comme leur territoire ? Apparemment, ils souhaiteraient que la nouvelle génération s'habitue à leur présence et à leurs coutumes.

-Conneries, déclamai-je platement en tachant de retirer un écrou défectueux.

-Là par contre, je ne suis pas d'accord. Il est vrai que notre société a du mal à les accepter. Ils ont débarqué si subitement que ça en a choqué plus d'un. Alors, pourquoi ne pas familiariser les enfants avec cette idée ? Ce sera nettement pus facile pour tout le monde dans le futur. La communication entre nos deux communautés passeraient mieux je pense. En revanche, comment vont-il contrer les idées reçues que les parents auront soufflés à leur progéniture ? »

Sa question resta en suspens, entamant une période de silence bien trop inconfortable à mon goût. Je relevais alors la tête dans sa direction et découvris son visage tourmenté, tandis qu'elle mordillait nerveusement sa lèvre inférieure, le corps tourné vers l'entrée du garage. Elle ne paraissait pas vraiment contente de voir une énième personne débarquer.

Suivant son regard, je fus des plus surprises en constatant que Madame Jones avaient décidé de faire son grand retour. Sauf que cette fois, elle était beaucoup plus simple, autant au niveau de son apparence physique que du côté de sa garde rapprochée. En effet, sa tenue moulante avait laissé place à un débardeur noir on ne peut plus basique, accompagné d'un pantalon aux motifs type militaire. Ses pieds étaient pourvus d'une simple paire de ballerine. Et, au niveau de ses cheveux, elle donnait l'impression de ne pas avoir pris le temps d'en prendre soin. Détaché, bien que coiffé un minimum, ils tombaient d'une façon négligée, juste en dessous de ses épaules.

Et il était important de noter qu'aucun homme en costard ne se tenait à ses côtés. C'était, je pense, une assez grande différence que de la voir sans son équipe en costards cravates.

C'était comme si j'avais à faire avec une autre version du même individu.

Voyant que personne ne se dirigeait vers elle pour savoir de quoi il en retournait, je pris l'initiative. Je tentais d'adopter un air totalement indifférent qui, s'il devait trahir mon ressentiment, ne montrerait que mon côté strictement professionnel. Ma démarche subit aussi une altération pour mieux entrer dans le rôle de ce personnage que je venais de me créer en à peine quelques secondes. Aussi, arrivée à la hauteur de la cliente, je la toisais durement.

« Que nous vaut l'honneur de votre visite ? Il me semble que mon patron a demandé à ce que vous et votre voiture ne reveniez plus jamais ici... Quelque chose dans ces mots vous a-t-il échappé ?

-Je n'aime pas trop le ton condescendant que vous employez avec moi, jeune fille...

-Vous m'en voyez navrée, la coupai-je d'un ton abrupt. Mais il me semble que c'est exactement le même que celui avec lequel vous avez donné un ordre à mon employeur. Vous avez peut-être du oublier ce passage.

-Certes. Cependant il est à noter que je ne suis pas là pour amener à une bagarre, mais si vous venez à me provoquer aussi ouvertement, ne soyez pas étonnée de ce qu'il adviendra de vous.

-Menace ?

-Non, un avertissement. Ou une promesse, à vous de voir. »

Je lui adressai alors un sourire moqueur qui fit mouche, la faisant fulminer un peu plus de rage pour mon plus grand plaisir. Calypso choisit alors ce moment pour intervenir. Sans prendre la peine de se présenter et sans aucune délicatesse, ce qui m'étonna d'autant plus de sa part, elle demanda à la nouvelle venue de déguerpir.

« En cas de refus, vous me verrez dans l'obligation de faire appel aux forces de l'ordre, expliqua-t-elle d'une voix calme et posée. Je n'aimerai pas en venir à de telles extrémités, voyez-vous. Quelle image donnerions-nous de notre enseigne...

-J'en conviens parfaitement. Néamoins, j'aurai aimé m'entretenir avec votre employée ici présente. »

Voyant mon étonnement et aussi sûrement en prévision de ma réponse, elle poursuivit, cette fois en me fixant dans le blanc des yeux.

« Ce qui s'est passé la dernière fois n'a rien à voir. Je dois même vous avouer que ce n'était que pure invention de ma part. Je tentais de trouver un moyen de vous impressionner pour vous aborder à propos d'un sujet bien plus sérieux. Pourrions-nous en discuter maintenant ?

-Dehors, j'imagine...

-En effet, répondit-elle en jetant un bref coup d'œil vers Calypso. »

Cette-dernière, tout comme son mari l'avait été, ne semblait pas franchement emballée mais me laissa tout de même faire. Comme elle l'avait elle-même dit, j'étais une adulte et donc responsable de mes actes. Je bifurquai alors en direction de l'extérieur, près de ma voiture. J'avais pour intention initiale de refuser toutes ses propositions, quelles qu'elles soient et, une fois débarrassée de cette inconnue, de récupérer mon téléphone éteint.

Mais au lieu de ça, à peine eus-je le temps d'apercevoir sa main levée dans le reflet de la vitre de mon 4x4 qu'un violent coup dans à l'arrière de ma tête se fit sentir. Peu à peu, l'obscurité m'engloutit. Je me sentis par la suite ballottée dans tous les sens et, avant de perdre définitivement conscience, j'entendis une voix me promettre que je ne souffrirai plus jamais.

C'était un mensonge. Je le savais pertinemment.

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