-Chapitre 2-

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« Que puis-je faire pour vous madame ? De toute évidence, vous n'êtes pas venue pour votre véhicule..., déclarais-je en tirant sur les manches de ma veste qui commençait à être trop courte pour moi.

-En effet. J'ai quelque chose d'important vous concernant mais je ne suis pas sûre que Monsieur Bennett ait besoin d'être mis au courant. »

Remarquant que mon patron s'apprêtait à parler, sans doute pour protester, je le devançais en me dirigeant vers la sortie, les nouveaux venus sur les talons. J'avais déjà impliqué trop de personnes dans mes problèmes par le passé, il était hors de question que j'ajoute cet homme à cette macabre liste. Pas après tout ce qu'il avait fait pour moi. Pas après qu'il accepte de jouer le rôle d'un père de substitution auprès de moi.

Quand je finis par me trouver assez éloignée de lui, je levais les yeux au ciel, comme pour me donner du courage, sachant d'avance que j'allais en avoir besoin. Si cette dame se donnait la peine de mettre en place une telle histoire, c'était qu'elle ne différait pas des autres, qui eux aussi avaient été prêts à tout pour mes services.

La nuit était déjà tombée et je me surpris à souhaiter que le jour lui succède au plus vite. Pourtant, observer les apparitions régulières des étoiles était une des choses que j'aimais faire quand mon planning me le permettait. Notamment quand Minho était blotti contre moi, me réchauffant grâce à la chaleur de son corps malingre. C'était des moments rares, privilégiés et ce fût la pensée de ce petit bonhomme qui me donna le regain d'énergie nécessaire pour cette ultime confrontation.

« Alors, je vous écoute, finis-je par lâcher d'une voix sourde. »

Voyant que j'étais sincère dans ce que je disais, la femme fit un bref signe en direction des hommes qui l'entouraient. Presque immédiatement, ils s'écartèrent pour ensuite se diriger près de l'entrée du garage, empêchant quiconque de rentrer ou de sortir des lieux. Je me retrouvais donc seule, face à cette bourgeoise qui ne s'était pas départie de son sourire. Sourire qui, soit dit en passant, finissait par me taper sur les nerfs tant l'hypocrisie y était palpable.

Une chose était sûre, elle ne me portait pas dans son cœur pour une raison que j'ignorais encore, et que je n'étais d'ailleurs pas certaine de vouloir savoir. Le monde était petit, sans doute m'était-il arrivé de faire souffrir un membre de sa famille involontairement par mes actes, ou, qui sait, peut-être était-ce elle que j'avais un jour blessé sans le savoir. Et sans le vouloir, bien évidemment.

« Vous êtes spéciales Thara. Vous savez faire des choses que personne d'autre dans ce monde n'est capable de faire. Vous avez un don précieux. Beaucoup de gens seraient prêt à payer le prix cher pour l'obtenir. »

Et c'était reparti. Encore un discours de ce genre. Ils me sortaient tous le même. A croire qu'une école d'hypocrisie existait afin de parfaire ce comportement qu'on élevait parfois au rang d'art, chez de nombreux individus.

« Je ne pense pas que le terme ''spéciale'' ou "don" soient de ceux qu'on emploie pour me définir j'appellerais plutôt ces capacités une malédiction.

-Chacun son opinion, dit-elle sèchement tout en haussant les épaules. Mais le fait est que nous avons besoin de gens comme vous pour... »

Mes poings se crispèrent presque aussitôt devant cette phrase. Ce n'était pas la première fois qu'on voulait m'engager pour ce type de société. Qu'on voulait m'utiliser à des fins peu appréciables, qu'on prenait soin, évidement, de cacher sous un joli paquet cadeau. On vous faisait croire que vous étiez le sauveur, alors qu’en vérité, vous n'étiez qu'un de ces nombreux pigeons qu'ils leur plaisaient d'abuser ouvertement.

« Je ne suis pas une arme madame Jones, si bien sûr ce nom est le vôtre et pas une identité d'emprunt.

-Non, bien sûr que non vous n'êtes pas une arme. Et je ne suis pas venue ici pour vous tromper, croyez moi. Vous êtes un atout. Et ce que vous tentez de fuir depuis toujours peut s'avérer bénéfique pour beaucoup de nobles causes. Vous pouvez sauvez des vies et je... -Allez-vous en ! Je n'ai jamais demandé à être un héros ! Je veux une vie normale ! C'est si difficile à comprendre ?! Tout ce que je veux c'est qu'on me fiche la paix ou, au mieux, savoir que mon fils n'aura pas une vie rocambolesque où il risquerait de mourir à tout moment !

-Écoutez, je me suis mal exprimée...Si vous voulez bien nous pourrions en discuter autour d'une tasse de café et faire plus ample connaissance. Je pourrai vous expliquer en quoi consiste notre offre.

-Je vous ai demandé de vous casser ! Vous êtes sourde ou bouchée ?! »

La femme eut une moue offusquée et un ricanement m'échappa devant son visage tordue par cette expression de surprise. Edgar disait de ma façon de parler qu'elle était aussi instable que mon caractère. Tantôt grossier, tantôt courtois. Dans tous les cas, surtout pour ce genre de problèmes dont je me serai bien passée, ce caractère explosif m'étais fort utile.

Comprenant sans doute que je ne céderai pas, elle me salua froidement et, après m'avoir sèchement dit que Jones était bel et bien son vrai nom, prit congé sans demander son reste. Son escorte composée d'hommes vêtus à la Men In Black la suivirent sans broncher, comme de braves petits chiots qu'ils étaient. Et, alors que je ruminais ma colère, mon patron accourut jusqu'à moi.

Son regard s'attarda un peu sur mon visage agacé puis il m'attira contre lui, dans une étreinte réconfortante. Il semblait s'être inquiété, un peu comme un père le serait si sa fille se retrouvait mêlée à d'étranges histoires. Mon père biologique était malencontreusement une des personnes qui exceptait cette logique presque implacable.

Je me mis à frissonner sans pouvoir me retenir. L'atmosphère s'était soudainement refroidie. Et je sentais l'autre m'observer. Je la devinais qui flottait autour de nous, comme pour tenter d'estimer si elle devait agir ou non. Si elle devait me défendre face à cette autre menace. D'ailleurs, si elle venait à agir, elle ne me demandait jamais mon avis, quitte à provoquer nombre de problèmes supplémentaires dont j'étais la seule à devoir m'occuper.

La vérité ? Bien que parfois rassurant de la savoir à mes côtés, à me veiller, je n'avais aucun contrôle sur l'autre.

Edgar frissonna à son tour mais, après avoir regardé autour de lui, sembla juger que ce n'était pas important. Sans doute en avait-il conclu que c'était à cause du froid, comme la plupart des gens le faisait. N'empêche, en y repensant, il avait bon dos, ce froid.

Pour ne pas importuner mon malheureux père de cœur avec elle je décidai de m'éloigner de lui. Usant du prétexte de la fatigue, je parvins à lui faire comprendre que je devais rentrer chez moi et montais dans ma voiture bien trop précipitamment pour une personne exténuée. Cette erreur me sauta d'autant plus aux yeux que je le vis m'observer un moment, tandis que j'allumais le moteur du véhicule. Face au visage inquiet qu'il m'offrait, je me sentis dans l'obligation de le rassurer une deuxième fois et il finit par me laisser partir, non sans me suivre des yeux alors que je quittais le parking le plus rapidement possible.

Mentir n'avait jamais été un domaine où j'excellais. Le théâtre m'avait toujours détesté. Cela se vérifiait par exemple pour ce retrait suspect, dont j'étais sûre d'entendre parler demain.

Un mal de crâne lancinant commençait à pointer le bout de son nez. Sur le chemin, je tentais d'oublier tant bien que mal la présence de cette autre envahissant, ainsi que les événements désolants de la fin de journée, en mettant la musique à fond dans l'habitacle. Du rock de préférence. Ce n'était pas un genre musical que j'affectionnai particulièrement, mais il fallait avouer que quand on avait besoin de se défouler, ça n'en restait pas moins appréciable.

Je ne pus d'ailleurs m'empêcher de taper le rythme à l'aide de mes doigts posés sur mon volant, tout en laissant la mélodie faire bouger ma tête de manière régulière, jusqu'au moment où j'arrivais en bas de mon appartement. J'arrêtais le tout et descendis, jetant un regard excédé à mes mains sales que j'avais oublié de nettoyer avant de conduire. Il allait falloir que je pense à laver le volant avant de reprendre la route le lendemain. Pas question d'arriver là-bas avec du cambouis avant même que la journée de travail ne débute.

La rue était vide et seulement éclairée par quelques rares réverbères qui fonctionnaient encore. A contrario, les habitations aux alentours offraient le change, avec leur allure neuve mais pourtant si fantomatique. Cette impression était également accentuée par la nuit qui s'était vue accompagnée par une couche importante de brouillard épais. Ce n'était pas surprenant ici. Les gens s'étonnaient même quand les nuages n'apparaissaient plus pendant une période qu'il jugeait inhabituellement longue.

Je gravis les marches avec fatigue, sentant mon corps alourdit au maximum, notamment quand il fallait lever les jambes, au poids bien plus encombrants que d'ordinaire. Enfin, après avoir lutté contre mon propre corps, j'arrivais devant mon palier. Je tournais les clefs dans la serrure et donnais un coup de hanche paresseux au battant qui s'ouvrit dans un grincement sonore.

A peine eus-je posé un pied à l'intérieur de l'habitation, que mon colocataire se rua dans ma direction. Ses yeux étaient soulignés par d'importantes cernes que je tentais de ne pas trop observer, au risque de me sentir envahie par la culpabilité. Oui, c'était lâche de fuir ainsi ses responsabilités, j'en avais conscience. Mais ce n'était pas comme si je pourrais y réchapper bien longtemps.

Pour preuve, il me fit signe de le suivre dans la cuisine et, bon gré mal gré, je m'exécutais pour ne pas l'énerver plus qu'il ne l'était déjà. Quand il se tourna vers moi, il me fixa dans le blanc des yeux, sachant pertinemment que, venant de lui, cela me perturbait considérablement. J'avais eu le malheur, un jour, de le lui avouer et depuis il en usait fréquemment, espérant que cela ait un effet.

« C'est quoi ton excuse cette fois-ci ? Demanda-t-il hargneusement. »

Il étouffa un bâillement et s'installa sur une des chaises qui encerclaient l'îlot central de la pièce, sans jamais rompre le contact visuel. Je pestais. Maudit sois-tu avec tes techniques d’intimidation bien trop efficaces à mon goût.

« J'ai eut des problèmes au garage, me contentais-je de répondre, de façon évasive pour ne pas l'inquiéter plus.

-Ah ? Et quel sorte de problème ? Tu ne trouvais plus ta clef fétiche ? Tu étais trop occupée à parler avec ton patron ? Non parce que cela devient de plus en plus fréquent ces-derniers temps et, je peux être serviable concernant ton fils, mais y a un moment ou tout ça commence sérieusement à me casser les pieds. J'ai des études à terminer si je veux pouvoir bosser dans le domaine qui me plaît ! Et qu'est-ce que je sortirai à mes profs si je ne fais plus mes devoirs ? Je suis désolé, j'avais ma colocataire qui m'a laissé la garde de son enfant ? Ça ne fait pas du tout sérieux et ils ne se gêneront pas pour le noter dans mon dossier. Tu y as pensé un peu ?!

-Je sais, tu me le répètes tout le temps et si tu crois que ça me fait plaisir d'avoir des journées aussi pourries, alors tu te fourvoies complètement. Où est Minho ? »

Cole poussa un immense soupir de frustration mais ne fit aucun commentaire de plus sur mon important retard. Il se releva et, après m'avoir informé que mon fils dormait sur le canapé, se dirigea vers sa chambre. Il prit soin de claquer la porte de manière bien significative. Le message était clair, il m'en voulait sévèrement pour avoir encore fauté.

Le bruit réveilla alors le petit garçon qui, après s'être frotté les yeux à l'aide de ses poings, me rejoignit d'un pas traînant tout serrant contre lui sa peluche en forme d'ourson. Son regard bleu, le même que le mien ou que ceux de toute ma famille, me fixa un moment. Il finit alors par lever les bras dans ma direction, quémandant un câlin. Une fois sa demande réalisée, le gamin posa sa tête sur mon épaule et l'enfouit dans mon cou où je le sentis se détendre.

« Tu sens la voiture, dit-il d'une toute petite voix.

-C'est normal mon ange, je viens de rentrer du garage. Tu veux que je te lise une histoire avant de dormir ? »

Il répondit par un petit hochement de tête et je le portais jusqu'à sa chambre, chantonnant une douce petite mélodie sur le

court trajet qui nous séparait de son royaume. La pièce dans laquelle il dormait n'était guère grande et les jouets n'étaient pas présents en masse mais j'avais mis un point d'honneur à peindre les murs dans la couleur qu'il avait lui-même choisi : un bleu cyan qui tirait au turquoise selon l'éclairage.

Nous avions dû nous serrer la ceinture pour l'acheter, il est vrai. Mais cela n'avait plus eu aucune importance quand j'avais vu son regard s'illuminer à la vue du pot rempli, sa joie et son rire quand nous nous étions mis au travail tous les deux pour redonner une seconde vie à ces lieux.

Je le posais délicatement sur le lit et recouvris son corps de sa couverture tout en repensant à cet agréable moment. Je du bientôt me rendre à l'évidence, il ne tenait plus. Ses paupières commençaient déjà à tomber tandis qu'il luttait contre le sommeil afin d'écouter l'histoire jusqu'au bout. Elle n'était d'ailleurs pas bien intelligente à mon goût, mais pour une raison qui m'échappait, il l'adorait et me la demandait sans cesse. Il la connaissait par cœur, je l'avais surpris la dernière fois en train de raconter l'histoire à sa peluche, sans même avoir le texte sous les yeux.

C'était celle d'une petite souris qui n'avait pas d'amies parce qu'elle était plus faible que les autres. Qui, alors qu'elle se trouvait dehors en train de regarder ses camarades de classe compter le nombre de fromages qu'ils avaient réussi à voler aux humains, tomba sur le chat de la maison, lui aussi déprimé parce que ses maîtres l'avaient jeté dehors (parce qu'il n'avait pas réussi à empêcher le larcin des petits rongeurs). Ils devinrent amis et heureux. L'histoire se termine sur une petite phrase qui déclare que l'amitié est ce qui permet de relier deux êtres pour qu'ils se complètent et s'aident mutuellement.

Je déteste cette histoire en vérité. Parce qu'un lien entre deux individus ne se construit pas si rapidement, et un enfant devrait le savoir au lieu de se bourrer l'esprit d'idées obsolètes. De plus, une amitié, ça finissait par vous rendre malheureux. Il y en avait toujours un des deux qui finissait par trahir la confiance de l'autre. J'en parlais en connaissance de cause.

Minho, de son côté, s'endormit paisiblement à la seconde même où je fermais le bouquin.

Quand je sortis de la pièce en veillant à ne faire aucun bruit, je tombais sur Cole. Il me jeta à peine un regard tandis qu'il se servait un verre d'eau fraîche. Pour ma part, je me contentais de me servir un bref repas, histoire de calmer les signaux envoyés par mon estomac depuis deux bonnes heures déjà. Le silence s'éternisa, devenant de plus en plus gênant pour moi. L'ambiance était lourde, aussi pesante que mes jambes lorsque je montais les escaliers.

Je suivais du regard le moindre de ses faits et gestes. Il dû d'ailleurs sentir mon regard sur lui car, au moment de mettre son verre vide dans l'évier, il le posa plus fort qu'il ne l'aurait du. Il me contourna, m'évitant avec soin tandis que je mettais mon assiette près de son gobelet.

Ce ne fut qu'au moment de regagner sa chambre qu'il daigna enfin me parler. Il se retourna vers moi, ses yeux lançant des éclairs dans ma direction. Il affichait un air supérieur qu'il utilisait seulement quand il souhaitait me rabaisser, me ramener à la réalité.

« Laisse-moi te dire une chose à propos de ton fils. Minho aime cette histoire parce que je lui ai dis qu'elle illustrait notre rencontre, lâcha-t-il sur un ton de reproche qui me fit grincer des dents. Et il essaie entre autre de se raccrocher à quelque chose qui lui rappelle sa mère trop absente pour se rendre compte que son gosse souffre de son manque d'attention. Sur ce, bonne nuit Thara. »

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