Corvée de bois

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Ils marchaient côte à côte dans la rue. Cette rue-là était pavée, plus large que celles qu'il avait vues jusqu'à présent, mais si chargée de charrettes et de piétons qu'elle en paraissait tout aussi étroite. Trop occupé à regarder autour de lui pour continuer à faire la conversation, il avait laissé le silence s'installer à nouveau entre eux.

Ils avaient quitté la maison peu après la fin du repas, Lya ayant juste dit qu'elle devait sortir de la ville pour aller ramasser des provisions. Il s'était bien sûr proposé de l'accompagner pour l'aider, et elle avait accepté. En réalité, il ne voulait pas la quitter des yeux tant qu'il ne serait pas certain d'avoir sa confiance. Il ne tenait pas à ce qu'elle aille chercher quelqu'un pour le mettre dehors.

Ils approchaient d'une enceinte. Comme ce n'était pas celle du château, il devina que c'était l'enceinte de la ville. La rue menait tout droit à travers une large ouverture flanquée de deux petites tours. Des gardes surveillaient les allées et venues, inspectant plus ou moins sommairement les chargements qui entraient et sortaient. Inquiet, il se demanda si on le laisserait sortir. Et si on le laisserait entrer au retour.

Quand ils furent presque au niveau des gardes, il hésita entre les regarder ou éviter leur regard. Il avait ralenti le pas inconsciemment et se retrouva juste derrière Lya, qui continuait à marcher normalement. Alors qu'elle passait à leur hauteur, ils la saluèrent d'un hochement de tête et elle y répondit d'un petit signe de tête, sans s'arrêter.

Il se força à la suivre sans réfléchir, mais ne put s'empêcher de jeter un coup d’œil en direction des gardes. Ils le regardaient d'un drôle d'air. Le cœur battant de plus belle, il continuait à mettre un pied devant l'autre comme un automate. Ils ne firent aucun geste pour l'arrêter.

Il ne put à nouveau respirer normalement que quand il eut passé les portes de la ville. Il n'osa pas regarder en arrière et accéléra le pas pour rattraper la jeune femme. Elle lui jeta juste un coup d’œil quand il arriva à côté d'elle, tout en continuant à marcher en silence. Il attendit d'être un peu plus éloigné de la ville avant de le rompre.

« Vous les connaissez ? »

Elle le regarda sans comprendre.

« Les gardes, vous les connaissez ? »

« Oui, » finit-elle par répondre simplement, un peu étonnée.

Il aurait bien voulu avoir plus qu'un simple oui, mais il n'insista pas. Sa peur des gardes n'était sans doute pas un bon sujet de conversation pour le moment. Au lieu de cela, il se lança dans la pêche aux informations.

« Comment s'appelle cet endroit ? La ville, je veux dire. »

Elle s'arrêta et le regarda, franchement surprise cette fois. Comme il la regardait d'un air insistant, elle finit par répondre.

« Nyeleyn. »

Ce nom ne lui disait absolument rien.

« Et le nom du pays ? »

Voyant son regard incrédule, il ajouta :

« Je vous l'ai dit, je ne suis pas d'ici, je ne connais rien de cet endroit. »

« Tu parles très bien notre langue, » dit-elle d'un air méfiant.

Touché. Lui aussi aurait bien voulu avoir une explication pour ça, mais n'en avait aucune. Aucune qui ait un sens pour lui en tout cas. Il comprenait et parlait cette langue inconnue sans même avoir à y réfléchir, ça dépassait son entendement.

« C'est vrai, » concéda-t-il. « Mais je ne sais vraiment pas comment, je n'y comprends rien. »

Elle semblait encore sceptique. N'avait-elle rien écouté de tout ce qu'il lui avait raconté à table ?

« Je ne me moque pas de vous, je le jure. Tout ce que j'ai dit est vrai. J'ai été arraché à mon monde et je me retrouve dans celui-là. Comment je peux faire pour retourner chez moi si je ne sais même pas où je suis ? »

Ils se regardèrent dans les yeux quelques instants avant qu'elle ne détourne le regard. Il baissa les yeux, ne sachant plus quoi dire pour la convaincre.

« C'est le pays de Nye, » dit-elle finalement. « Le plus au nord des cinq royaumes. Nyeleyn est la capitale. »

Il avait relevé la tête en l'entendant enfin parler. Son regard était encore sceptique, sans doute qu'elle ne croyait pas encore tout ce qu'il lui avait raconté, mais elle avait au moins accepté de jouer le jeu.

Elle se remit en marche et il la suivit sans savoir quoi demander ensuite. Il avait beau se creuser la tête, ces noms ne lui disaient absolument rien, même en fouillant dans ses souvenirs de l'histoire de son propre monde, pas plus que la langue qu'il parlait ici ne lui était familière. C'était une impasse. En repensant à ce qu'elle venait de dire, il refit une tentative.

« Vous avez parlé de cinq royaumes. Comment s'appellent les quatre autres ? »

« Je ne les connais pas, » avoua-t-elle après une longue hésitation. « À part le royaume de Syl, bien sûr. »

« Le royaume de Syl ? » répéta-t-il en lui jetant un regard étonné.

Elle tourna la tête vers lui et sembla se rappeler son ignorance de ce monde.

« Notre Reine Caslyva en est originaire. Tout le monde par ici sait cela. »

Il se retint de lui rappeler que lui n'était pas d'ici. Au lieu de cela, il lui parla brièvement de sa rencontre avec cette reine qui était venu le voir dans sa prison.

« Je pense que c'est à elle que je dois d'avoir été libéré, » dit-il pour finir.

Il faut croire qu'il avait été plus convainquant avec elle qu'avec cette femme. Il commençait à être un peu frustré d'être pris pour un affabulateur, alors qu'il se débattait pour essayer de comprendre ce qui lui arrivait.

« Et le roi, comment s'appelle-t-il ? » demanda-t-il ensuite.

« Yrieyv. »

Cette fois elle avait répondu sans se faire prier. Peut-être commençait-elle enfin à se faire à l'idée qu'il ne connaissait vraiment pas tout ça.

« Le Roi Yrieyv et la Reine Caslyva... » répéta-t-il songeur. « Non, ça ne me rappelle rien du tout. »

Alors que le silence s'installait à nouveau entre eux, tout juste perturbé par le bruit de leurs pas sur le sentier, il commença à prendre conscience qu'ils marchaient depuis un bon moment. Il regarda derrière lui. Seul le château était encore visible au loin, le reste de la ville étant caché par la butte qu'ils venaient de passer. Jusqu'où voulait-elle aller comme ça ? Tout autour il n'y avait rien d'autre que la campagne à perte de vue.

Un peu plus tard, les arbres qu'il avait aperçus au loin se firent plus nombreux et devinrent une forêt vers laquelle ils semblaient se diriger.

« C'est là-bas que nous allons ? » demanda-t-il en tendant le bras.

« Oui, je dois ramasser du bois, » fut sa réponse.

Le temps qu'ils y arrivent, il en avait déjà plein les pattes. Ses belles chaussures de ville, maintenant toutes crasseuses, lui paraissaient de moins en moins confortables. Il rêvait d'une bonne paire de baskets.

Comme elle commençait à ramasser des branches tombées, il se proposa de les porter et elle lui chargea peu à peu les bras sans se faire prier. Puis elle se servit d'une cordelette pour lier le tout en un fagot, qu'il put ensuite attacher sur son dos, ce qui lui laissait les mains libres pour en prendre d'autres. Pendant qu'elle cueillait des champignons, il s'acharnait à casser des branches mortes plus épaisses et finit par réussir à obtenir quelques morceaux transportables.

Ils quittèrent la forêt pour doucement revenir vers la ville. Lesté par son chargement, il n'avançait pas très vite. Alors qu'il voyait le château devant, il fut contrarié quand elle fit un détour pour prendre un chemin de traverse. Il aurait préféré rentrer au plus vite.

Elle s'arrêta un peu plus loin au pied d'un arbre. Il se demandait pourquoi elle s'arrêtait à nouveau pour du bois, quand elle se mit à ramasser des pommes. En attendant qu'elle ait fini, il posa le bois qu'il portait, mais garda le fagot accroché sur son dos. Il n'était pas mécontent de faire une petite pause.

Ils se remirent en route une fois le panier rempli. La dernière partie du trajet fut particulièrement pénible. Il ne s'était pas rendu compte qu'ils avaient descendu à l'aller, mais il sentait nettement dans ses jambes la montée du retour.

Il peinait derrière elle quand ils franchirent enfin l'entrée de la ville. Mais à ce moment un garde l'arrêta.

« Où tu vas comme ça avec tout ce bois ? T'as un permis pour le vendre ? »

Sur le coup, il ne sut quoi répondre. Il lui fallait aussi le temps de reprendre son souffle. Lya s'était retournée et attendait, mais ne se dévoua pas pour répondre à sa place. Pourtant, c'était plutôt à elle d'expliquer la situation, c'était quand même du bois qu'il portait pour elle, non ?

« Ce n'est pas pour le vendre, » répondit-il quand il retrouva assez de souffle pour parler. « Je le porte pour elle, » finit-il en indiquant la jeune femme d'un mouvement de tête.

« C'est vrai ? » demanda le garde en se tournant vers elle.

Frédéric réalisa alors qu'elle avait là l'occasion de se débarrasser de lui. Il se retrouverait à la rue, ou pire, à nouveau en prison. Elle n'avait qu'un mot à dire.

Mais elle ne dit rien. Elle se contenta d'acquiescer, un peu gênée. Le garde attendit un peu de voir si elle ne changeait pas d'avis, puis il laissa passer le jeune homme, à son immense soulagement.

Ils rentrèrent à la maison sans échanger un mot. Frédéric n'appréciait pas tellement sa situation actuelle, pas tant du fait qu'il faisait le mulet, même s'il aurait préféré s'en passer. Non, il était surtout contrarié d'être à ce point dépendant de quelqu'un d'autre, en particulier d'une femme. Il avait toujours soigneusement évité toute relation durable pour garder son indépendance et ne pas tomber dans ce genre de piège, mais là c'était pire. Ils se connaissaient à peine et il dépendait d'elle alors qu'elle n'avait pas vraiment confiance en lui. Il faudrait qu'il trouve très vite un autre moyen de s'en sortir, son intégrité en dépendait.

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