La fille aux pommes

5 minutes de lecture

Il se tenait appuyé contre un mur, dans une ruelle à l'écart, la gorge serrée et le souffle haletant. Il tentait en vain de chasser de sa tête l'image du pendu. C'était la première fois qu'il voyait un mort, un vrai mort. Il ne s'était pas senti aussi mal depuis la fois où Philippe avait fait un vol plané à vélo. Couvert du sang qui pissait d'une blessure à la tête, son frère avait dû le secouer pour le faire revenir à lui et l'envoyer chercher de l'aide avant de refaire une syncope. Les pompiers avaient été plutôt surpris d'apprendre que ce n'était pas le blessé qui avait perdu connaissance.

Repenser à son frère le calma un peu et il s'efforça de respirer normalement. Il aurait bien voulu avoir Philippe pour l'aider encore une fois, car il ne savait toujours pas où il était, ni où aller. S'il voulait ne serait-ce que survivre dans ce monde inconnu, il lui fallait de l'aide. Il pensa alors à la fille aux pommes. Peut-être pourrait-il la convaincre de lui venir en aide. Ou peut-être se contenterait-elle de lui donner une pomme et adieu. Il fallait d'abord la trouver.

Il retourna sur ses pas, prenant un soin particulier, en arrivant sur la place, d'éviter de regarder en direction de l’échafaud. Il focalisa son attention sur le château qui dépassait des remparts. Il n'était pas amoureux des vieilles pierres, mais il devait bien avouer que c'était un bel ouvrage. Il était certain qu'il en imposait au milieu des bicoques qui s'entassaient autour de son enceinte.

Il se concentra pour se remémorer le parcourt qu'il avait fait à l'intérieur, puis partit du côté où la prison devait se trouver. Il observait attentivement la base de la muraille tout en marchant, se demandant s'il avait choisi la bonne direction. Il s'arrêta quand il aperçut enfin l'ouverture barrée qui avait dû être sa lucarne. Il regarda autour de lui, mais n'aurait pu dire s'il reconnaissait la rue à cet endroit, n'en ayant pas vu grand chose de l'intérieur de sa cellule. Quant aux passants, maintenant qu'il en voyait plus que les pieds, leur accoutrement rudimentaire semblait tout droit sorti d'un Robin des Bois de série B.

Quand il finit par s'apercevoir que ceux qui ne l'ignoraient pas totalement le regardaient d'un drôle d'air en prenant soin de l'éviter, il réalisa qu'il avait bien plus triste mine qu'eux. Il regarda ses mains crasseuses, sa chemise souillée et froissée par les outrages qu'il avait subis, mais le pire était son pantalon, qui était râpé à la limite de la déchirure. Il avait l'air d'un mendiant. Un mendiant qui aurait trouvé des vêtements de marque dans une poubelle.

Il s'écarta du flux des passants pour se poster de l'autre côté de la rue, face à sa lucarne.Il observait ceux qui semblaient s'en approcher, mais aucune pomme en vue. Il commençait à être frigorifié à force de rester sans bouger, il se mit donc à faire les cent pas pour tenter de se réchauffer.

La faim le tenaillait de plus en plus, ajoutant à son inconfort. Et si elle ne venait pas ? Ou peut-être était-elle déjà passée et il l'avait manquée de peu ? Il se trouva alors ridicule d'attendre ainsi quelqu'un qu'il ne connaissait même pas et qui n'avait aucune raison de l'aider.

Plongé qu'il était dans ses pensées, il en oubliait son guet. En reportant son attention sur la lucarne, il vit quelqu'un qui s'était accroupi juste devant. Une femme. En quelques enjambées il avait traversé la rue et arriva à côté d'elle au moment où elle commençait à se relever avec un peu de difficulté.

« Laissez-moi vous aider, » dit-il aussitôt en lui tendant la main.

Surprise, elle leva les yeux vers lui, hésita en regardant autour d'elle, l'air gênée, et se décida finalement à accepter la main qu'il lui tendait. En l'aidant à se relever, ce fut à son tour d'être surpris quand il découvrit le ventre rond qui gonflait sa robe. Elle était enceinte.

Passée la surprise initiale, il se dit que ça ne changeait rien. S'il jouait bien son coup, ça pourrait même être un avantage. Il la regarda donc droit dans les yeux, lui fit son sourire réservé aux dames respectables et attaqua sa supplique.

« Pour dire la vérité, c'est moi qui ai besoin de votre aide. J'étais enfermé là, à tort, et on vient enfin de me libérer. Je suis celui à qui vous avez donné ces pommes. Je tenais à vous remercier pour ça d'ailleurs, pour votre générosité, alors je vous ai attendue ici. »

Il fit une pause pour voir l'effet de cette première attaque. Elle semblait gênée et ne répondait rien, mais elle ne lui avait pas encore retiré sa main, ce qui était plutôt bon signe. Il décida de ne pas lui laisser trop le temps de réfléchir avant d'enchaîner. Il ne fallait pas laisser le charme retomber.

« J'espère ne pas vous paraître cavalier, mais l'autre raison pour laquelle je vous ai attendue est que je n'ai nulle part où aller et que je ne connais personne d'autre, vous êtes le premier contact humain que j'ai eu depuis que je suis arrivé dans les parages. »

Un peu de baratin bien dosé ne faisait jamais de mal dans ce genre de situation. En tout cas elle n'y paraissait pas insensible. C'était le moment de faire franchement pencher la balance en sa faveur, il avait assez tourné autour du pot.

« Je vous supplie de me donner asile, au moins quelques jours. Je suis sûr que vous pouvez convaincre votre mari de me laisser dormir chez vous ne serait-ce que deux ou trois nuits, même par terre. »

Elle avait soudainement retiré sa main, regardant ailleurs d'un air troublé. Il regretta alors d'avoir parlé du mari, ce n'était jamais une bonne idée quand on voulait faire céder une femme. Mais en y regardant de plus près, ce n'était pas de la gêne qu'il voyait sur son visage, c'était de la tristesse. S'il voyait juste, il avait là une carte à jouer.

« Je ferai ce que vous voulez en échange. Je peux travailler, faire le ménage, couper le bois... Tout ce que vous me demanderez. Il me faut juste un toit le temps que je trouve comment retourner chez moi. »

Il avait ramassé son panier tout en parlant et le lui tendait sans le lâcher. Il ne pouvait pas la laisser partir sans avoir la réponse qu'il attendait.

« Je... je ne sais pas, » dit-elle d'une petite voix. « Je ne sais pas si c'est correct. »

« Je me propose d'être votre esclave personnel, » répliqua-t-il aussitôt. « C'est on ne peut plus correct ! »

Elle baissa les yeux, un sourire gêné aux lèvres. C'était le moment de donner le coup de grâce.

« Vous pourrez me mettre à la porte plus tard si vous voulez, mais donnez moi une chance. Ne me laissez pas mourir de froid cette nuit ! »

Il vit qu'elle allait céder. Elle hésitait encore, mais elle finit par lever les yeux vers lui, soutint son regard quelques instants, avant d'accepter enfin d'un petit signe de tête.

Annotations

Vous aimez lire bigsissy ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0