Le fou d'à côté

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Il avait le regard dans le vide quand il fut brusquement tiré de son apathie par le bruit métallique de la porte. Quelqu'un venait. Aussitôt sur ses gardes, il se mit debout pour voir de qui il s'agissait, car il avait déjà eu la visite du garde pour son repas.

Plusieurs gardes escortaient un prisonnier dépenaillé de qui s'échappait un flux continu de paroles incompréhensibles. Les gardes, excédés, ne parvenaient pas à le faire taire.

« Vas-tu la fermer, sale dégénéré ? » hurla l'un d'eux en lui donnant un coup violent à l'estomac. Plié en deux, le malheureux n'en continuait pas moins de marmonner un charabia entrecoupé de gémissements.

Pressés d'en finir, les gardes le poussèrent dans la cellule voisine, se dépêchèrent de la verrouiller et partirent aussitôt en claquant la porte de la prison derrière eux. Frédéric restait seul avec ce nouveau compagnon d'infortune qu'il ne pouvait voir, mais qu'il pouvait toujours entendre baragouiner pour lui-même.

Il se colla aux barreaux pour tenter de l'apercevoir, mais il ne parvenait pas à distinguer quoi que ce soit derrière les barreaux de la cellule où était l'autre.

« Hé, toi ! » appela-t-il.

Le flux de paroles ne s'était pas interrompu. Il insista, appelant un peu plus fort, sans plus d'effet. Ne voulant pas attirer les gardes en faisant trop de bruit, il changea de tactique.

« Tu veux parler ? Alors ça tombe bien, moi aussi je veux parler. On pourrait parler tous les deux, hein ? Qu'est-ce que tu en dis ? »

Le flux de paroles avait ralenti un peu avant de faire une courte pause, pour reprendre ensuite plus distinctement, un peu plus proche des barreaux. Il avait établi le contact. Un demi sourire aux lèvres, le jeune homme s'empressa de pousser l'avantage.

« Moi c'est Frédéric. Tu peux m'appeler Fred. C'est quoi ton nom ? »

Mais l'autre avait un débit si rapide qu'il ne parvenait pas à comprendre son baragouin. Au milieu de cette cascade de mots, seul un se distinguait car il le répétait sans cesse.

« Je ne comprends rien, parle moins vite. C'est quoi Zaso ? C'est quelqu'un ? C'est toi ? »

« Qui, qui est Zaso ? Il ne sait plus, il l'a perdu, perdu. Zaso l'a perdu. Il faut chercher Zaso, creuser, creuser pour trouver Zaso. Creuser la terre, creuser les têtes. Où, où est Zaso ? Perdu, oh perdu ! Zaso a cherché, cherché, il faut chercher encore. Sortir pour creuser plus. Laisser sortir Zaso pour trouver Zaso... »

S'il avait espéré comprendre quelque chose en ayant tous les mots, c'était raté. Ce pauvre bougre avait le cerveau en bouillie, son délire sans queue ni tête semblait devoir tourner en rond à l'infini. Frédéric essaya de tirer des informations un peu plus cohérentes de son voisin de cellule, mais il paraissait impossible de focaliser son attention plus de cinq secondes.

« Zaso, c'est ton nom ? » demanda-t-il par dessus l'incessant monologue de l'autre. « Qu'est-ce que tu as perdu ? Qu'est-ce que tu cherches ? »

« Zaso cherche Zaso. Perdu dans la tête, cherche dans les têtes, les têtes. Creuse dans la terre pour trouver les têtes. Creuse, creuse dans les têtes pour trouver Zaso, libérer Zaso. Il faut sortir, sortir, chercher Zaso... »

Ce flot sans fin de paroles étranges commençait à mettre le jeune homme mal à l'aise. Que se cachait-il derrière cette folie ? Est-ce que ce charabia avait un sens ? Et qu'est-ce qui avait valu à ce fou d'être arrêté ?

« Pourquoi as-tu été jeté en prison ? » finit-il par demander avec une pointe d'appréhension. « Qu'est-ce que tu as fait ? »

« Zaso a creusé, creusé. Mais on empêche Zaso de creuser la tête, la tête. Non, non, on dit, pas toucher la tête du mort, on dit. Pas toucher, non, pas toucher... »

« Assez ! Ça suffit ! » s'exclama-t-il horrifié.

Mais l'autre continuait, répétant encore et encore le même imbroglio de mots, revenant sans cesse sur cette même image révoltante.

« Ferme la ! » cria-t-il encore, sans succès.

Il dut subir ce monologue de dément qui ne cessa pas même à la nuit tombée. Il eut beau menacer, cajoler, insulter, rien n'y fit, si bien qu'il finit par s'éloigner au maximum pour pouvoir l'ignorer et enfin réussir à s'endormir.

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