Un réveil difficile

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Frédéric sentait quelque chose de dur contre sa joue. Cette unique sensation accaparait toute son attention. Il tentait de comprendre ce que c'était quand la sensation s'inversa. Il réalisa alors que c'était sa tête qui reposait sur quelque chose de dur. Sa tête et le reste. Il commençait à recevoir des messages de son corps comme s'ils venaient de très loin, lui donnant l'impression étrange que ses bras et ses jambes s'étaient détachés et attendaient à l'écart. En se concentrant sur sa main, il parvint à bouger un doigt, qui lui parut alors beaucoup plus proche. Encouragé, il fournit un plus grand effort et fut récompensé quand il sentit sa main glisser lentement le long de la surface dure, pour aboutir contre son visage très peu de temps après. Il était soulagé d'avoir établi ce simple contact.

Il souleva ses paupières avec peine, mais tout était brouillé. Il remua un doigt et vit une tâche floue bouger tout près. En essayant d’accommoder il fut pris d'une sensation de tournis et referma aussitôt les yeux. Il essaya de réfléchir à ce qui lui arrivait, mais ses pensées semblaient flotter dans le vide, comme en apesanteur. C'était pire que la pire gueule de bois qu'il ait jamais eue. Il se servit de cette pensée concrète comme d'une ancre à laquelle il s'accrocha, pendant qu'il cherchait à faire remonter à la surface d'autres souvenirs, de soirées bien arrosées, mais la fête qui l'avait mis dans cet état lui échappait totalement. Ce n'était pourtant pas dans ses habitudes de boire jusqu'à l'oubli. Puis la mémoire commença à lui revenir par fragments. La maison, l'orage... le coup sur sa tête. Il se souvint alors qu'il avait été ligoté, malmené, drogué... il avait même cru mourir ! Le souvenir de son agression lui donna un soudain coup de fouet qui l'éveilla tout à fait et le fit redoubler d'effort pour réussir à se lever.

Il était péniblement parvenu à se dresser sur un coude quand il entendit une porte et un cri vint transpercer ses tympans. Il perdit le peu d'équilibre qu'il avait trouvé et se retrouva à nouveau face au sol, sa tête bourdonnant de plus belle. Quand son vertige se calma, la femme qui avait crié était déjà partie. Il l'entendait au loin, sans doute appeler à l'aide. Il se redressa un peu pour regarder vers la porte, qu'il distinguait à peine à cause de sa vision encore brouillée, puis se concentra à nouveau sur ses bras et ses jambes qui rechignaient à lui obéir.

Il commença à vraiment paniquer en entendant des pas lourds, accompagnés de bruits métalliques, s'approcher rapidement. Le cœur tambourinant dans sa poitrine, il poussa avec ses bras et réussit à se hisser à quatre pattes, déjà à bout de forces. Il n'y arriverait pas. Il en était là, pantelant, quand les bruits qu'il avait entendus approcher furent dans la pièce, puis tout autour de lui, assez près pour qu'il puisse distinguer des pieds juste sous ses yeux. Il n'avait pas la force de lever la tête pour en voir plus. Il n'eut de toute façon pas besoin de s'en donner la peine. Il sentit qu'on lui empoignait les bras et il se trouva brusquement tiré en arrière et soulevé comme s'il ne pesait rien, puis maintenu debout par les mêmes poignes puissantes. Cette nouvelle position aurait dû lui permettre d'y voir plus clair sur sa situation, mais après ce mouvement trop rapide la pièce avait commencé à tanguer, l'obligeant à fermer les yeux quelques instants pour lutter contre la nausée. Il les rouvrit quand il sentit une main lui agripper le visage.

« Eh, réveille-toi ! » dit sèchement celui qui lui faisait face en le secouant un peu.

Frédéric essaya de fixer son regard sur lui, un visage flou au centre d'un monde encore tournoyant.

« Qu'est-ce que tu fais ici ? Réponds ! »

Se faire secouer ne fit rien pour arranger son état. Il aurait préféré retourner par terre et fermer les yeux un moment. Qu'on le laisse tranquille un petit peu.

« Je... » commença-t-il faiblement. « Je ne me sens pas bien... du tout. »

L'autre lui avait lâché le visage et s'écarta juste au moment où un spasme le secoua et lui fit rendre le peu que contenait son estomac. Il se sentit plus faible encore et se serait aussitôt écroulé sans la ferme poigne qui emprisonnait ses bras. Il était terrifié. Le poison qu'on lui avait fait ingurgiter était en train de le tuer.

« On n'en tirera rien maintenant. Liez-lui les mains et emmenez-le au cachot. »

« Oui, capitaine. »

Il entendit ces paroles, aurait voulu réagir, mais il en était incapable. Il sentit un lien se resserrer autour de ses poignets, puis il fut traîné vers la porte. Les deux hommes qui l'emmenaient ne faisaient rien pour le ménager. Ils le secouèrent un peu plus pour le forcer à marcher, ce qui eut pour seul effet de lui donner un nouveau haut le cœur. Ils poussèrent des exclamations de dégoût quand son estomac acheva de se vider, puis se remirent en route dès qu'il eut fini de cracher sa bile.

Ils marchaient le long d'un couloir à peine éclairé par des flammes. Il voyait les ombres danser devant lui, mais il savait que ce n'était plus l'effet de la drogue. La nausée avait disparu et ses idées commençaient à s'éclaircir en même temps que sa vision. Ils arrivèrent à un escalier qu'ils lui firent descendre. Il essaya d'en profiter pour reprendre pied, mais ils ne lui en laissaient guère le temps. Il ne réussissait à marcher qu'à moitié. Puis il y eut d'autres couloirs sombres, des torches accrochées à des murs de pierre, rien qui ne lui fut familier.

Un autre escalier les emmena encore un peu plus bas, jusqu'à une porte qu'un garde ouvrit. Il était presque soulagé d'être enfin arrivé dans ce qui était sans doute le cachot. Des cellules fermées de lourdes grilles se trouvaient de chaque côté d'un large couloir. Il fut jeté sans ménagement dans l'une d'elles et la grille se referma aussitôt derrière lui. Étalé de tout son long par terre, il resta sans bouger, entendant les pas s'éloigner, le cliquetis des clés, la porte se refermer, puis enfin le silence.

Il se força à respirer doucement et son cœur finit par cesser les battements effrénés qui résonnaient contre ses tympans. Alors d'autres sons commencèrent à parvenir à ses oreilles. Il se tourna sur le côté et vit en levant les yeux une lucarne qui laissait entrer un peu de lumière, ainsi que les bruits de l'extérieur. Il rampa vers le mur le plus proche et, s'en servant comme appui, il réussit à se lever sans trop de mal. Il fut rassuré, quand il tourna la tête pour regarder autour de lui, de ne plus ressentir de vertige.

D'abord hésitant, il mit un pied devant l'autre en gardant son appui contre le mur, puis il s'enhardit à s'en éloigner un peu et fit lentement les quelques pas qui le séparaient du mur où se trouvait la lucarne. Malheureusement celle-ci était trop haute pour qu'il puisse voir quoi que ce soit. N'ayant rien de plus à tirer de ce côté, il reporta son attention vers la grille qui fermait la cellule. Il la regarda un moment en tendant l'oreille avant de s'en approcher d'un pas hésitant. Appuyé contre, tout ce qu'il voyait de l'autre côté était le corridor par lequel il était arrivé, tout juste éclairé par une torche près de l'entrée.

Il se tourna à nouveau pour balayer du regard l'endroit où on l'avait enfermé. Il essayait de comprendre. Qu'avait-il fait qui lui vaille de se retrouver dans ce qui ressemblait à une antique prison ? Ses souvenirs lui semblaient trop confus. La dernière image cohérente qui lui revenait était celle de la maison. Il se voyait encore y discuter avec son frère. Mais il s'était retrouvé dehors sans même se souvenir d'être sorti, comme s'il avait eu une absence. Puis l'anneau lui revint en mémoire.

C'est là que tout avait basculé. Avait-il toujours ce maudit anneau ? Même en se contorsionnant, il lui était impossible de le voir. Il essaya de se défaire de ses liens, mais ils tenaient bon. Il finit alors par se résigner à attendre, ne pouvant rien faire d'autre.


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