Apéritif

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"Jules, viens au défilé ce soir s'il-te-plaît. Je sais que ce n'est pas ton truc, mais je te promets que tu ne le regretteras pas. Je compte sur toi... et ton talent".

C'est ce simple SMS qui m'a convaincu de venir là où je suis en ce moment. Un message de ma meilleure amie, Hanna, top modèle depuis maintenant deux ans pour une agence de mannequinat. Et elle s'adresse à moi, son ami d'enfance et fidèle photographe en dehors du travail. D'habitude, je ne vais pas photographier les défilés de mode, dans lesquels je ne me sens pas dans mon élément. Hanna le sait, et elle n'insiste donc jamais pour que je vienne la voir sur scène pour présenter une énième collection de vêtements, qui seront de toute façon dépassés au bout de trois mois. Non. Je suis plus tourné vers les événements plus restreints et chaleureux, comme les mariages ou les petits concerts underground. Alors le gratin des marques de luxe et les rires hautains, très peu pour moi.

Et pourtant, je suis là. Entouré de centaines de personnes sans doute trop chics pour porter des chaussettes à motif ou des cravates Disney. C'est plutôt un concours à qui portera la tenue la plus sobre possible, même si quelques petites exceptions pailletées viennent donner un peu d'émerveillement à la marée de noir et blanc dans laquelle je me trouve.

Cependant, je ne suis pas du genre à vouloir me faire remarquer, je porte donc le même costume que j'emmène quand mes prestations sont demandées pour un mariage. A savoir : une chemise blanche cachée en dessous d'une veste noire d'homme d'affaire, le tout accompagné d'un jean sombre et d'une paire de brogues héritées de mon grand-père. Pas de noeud papillon, ni de cravate. Je n'ai pas du premier, et la seule cravate que j'ai est jaune fluo.

Mais je me rassure en me disant que je vais voir Hanna, étant donné que l'on a tout les deux de moins en moins l'occasion de se retrouver. Je regarde mon téléphone, pas de message ni de notification. Il est 20h53, plus que sept minutes. Je décide de quitter le coin dans lequel je m'étais installé pour me diriger vers une large table recouverte d'une nappe en tissu, et ornée de plateaux remplis de petits fours. J'avance en lançant de discrets "pardon" et "excusez-moi" à chaque fois que je frôle quelqu'un. Je garde mes mains sur mon appareil photo en avançant. C'est mon outil de travail, j'y tiens comme à la prunelle de mes yeux.

Arrivé devant le paradis des petites bouchées, je laisse mon regard parcourir l'entièreté des mets proposés. Je me décide rapidement à prendre un blini recouvert de fromage frais et d'un fin bout de saumon. Alors que je profite de la fraîcheur des aliments, un couple d'une cinquantaine d'années s'approche de moi. L'homme est chauve et affiche un sourire jusqu'au oreilles, sa compagne a de longs cheveux bouclés, clairement teins en blond, et une expression égale à celle de son présumé mari.

- Vous êtes un des photographes de la soirée ? me demande directement l'homme.

Non monsieur, je photographie exclusivement les apéritifs dînatoires, et après je m'en vais.

- Bonsoir. Oui, mais je suis indépendant des médias qui sont présents ce soir.

- C'est bien courageux de votre part ! Vous arrivez quand même à vivre correctement ?

Malheureusement je suis obligé de vendre des drogues dures pour survivre. J'ai un peu de haschich sur moi d'ailleurs, vous en voulez ? J'ai des prix très raisonnables.

- C'est gentil à vous de vous en soucier. Je fais régulièrement des prestations pour des mariages ou des événement musicaux. Et comme ça ne manque pas sur Paris, je suis souvent sollicité. J'ai la chance de vivre parfaitement bien en exerçant un métier que j'aime, alors je n'ai vraiment pas à me plaindre.

Je reprends un petit four derrière moi et essaie de me détendre. C'est typiquement le genre de questions auxquelles je déteste répondre, et que l'on me pose souvent. Vivement que ça commence.

- Intéressant. lance la femme dans un léger soupir. Vous avez déjà eu l'occasion de faire des photos durant un défilé ?

- Seulement deux ou trois fois. L'une des modèles qui défile aujourd'hui est une bonne amie à moi et elle a insisté pour que je sois présent ce soir. J'espère qu'elle sera satisfaite de mon travail.

Les lumières principales de la salle s'éteignent et le volume de la musique de fond baisse légèrement. Une voix annonce qu'il est temps de rejoindre nos sièges avant le lancement imminent du défilé. Ce soir au programme : la collection automne-hiver 2019-2020 d'un énième jeune couturier visionnaire dont je n'ai pas retenu le nom. D'un léger signe de tête, je salue le couple avant de m'éclipser rapidement vers ma place.

Heureusement que j'ai pris le temps de repérer où je devais m'asseoir, je suis un des premier arrivé à destination. "Siège réservé au nom de Jules Gautraud, photographe professionnel indépendant". J'enlève le petit écriteau et m'installe. A peine quinze secondes plus tard, un autre photographe vient s'asseoir à ma droite. Je constate en apercevant le badge qu'il porte autour du cou qu'il travaille pour le magazine 'Elle'. Il me salue d'un "Bonsoir" accompagné d'un sourire. Enfin un sourire, un vrai. Je lui répond de la même façon et prépare ensuite mon appareil.

Réglage de la lumière, profondeur du champ, temps de pose, zoom et flash opérationnels si besoin. Tout est réglé, je suis prêt. Les derniers invités rejoignent leurs places quand je reçois un SMS. C'est Hanna.

"Que le spectacle commence ! Je passe en dernière alors soit patient". Elle avait accompagné ses quelques mots d'un petit émoticone portant une auréole.

"On ne dit pas qu'on garde souvent le meilleur pour la fin ?". Sans rajouter de smiley, je lui envoie mon message. La réponse ne tarde pas à arriver.

"Le meilleur... ou le pire ! A tout à l'heure."

Je ne peux pas m'empêcher de réflechir à ce qu'elle veux dire. Mais je n'ose pas lui demander, et à vrai dire, je préfère avoir la surprise quand elle sera devant moi.

En attendant, la lumière se concentre davantage sur la scène, la même voix que tout à l'heure demande le silence, la musique gagne en décibels et tout le monde se tait d'un seul coup. Je positionne mes mains sur mon appareil photo et fixe la scène, sur le qui-vive pour prendre des clichés.

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