DÉGEL ET DÉLATION

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Propriété de Naël - Deux mois plus tard

L'hiver n'avait pas relâché son emprise. Les tempêtes de neige se succédaient. Le couple vivait cloîtré où presque. Cela ne leur pesait pas. Xavier pour sa part l'appréciait. Il faut dire qu'ils arrivaient toujours à s'occuper. Ils partageaient le peu de travail qu'il restait, s'affrontaient dans des jeux de cartes ou de sociétés, que l'hermaphrodite avait enseigné à l'Alpha rebelle.

Parfois, il regardait le tridi, quand la liaison n'était pas coupée, bien sûr. Ils s'occupaient aussi de Lita ensemble. Le cas échéant, ils utilisaient souvent la salle de sport. Notons qu'ils appréciaient également des siestes improvisées en pleine journée !

Un soir, après le dîner, alors qu'ils étaient installés devant l'âtre, et qu'ils discutaient tout en jouant aux cartes, Xavier demanda :

 — Tu crois que le froid durera encore longtemps ?

 — Je ne sais pas. D'une année à l'autre, c'est très variable. Le redoux peut survenir demain ou dans plusieurs semaines. Quoi qu'il en soit, selon le calendrier officiel, le printemps c'est dans 15 jours !

 Il contempla son amant, puis demanda :

 — L'enfermement te pèse ?

  — Pas plus que ça. En fait, je me disais qu'à la fin des grands froids, débutera pour moi une période dangereuse. Mes jours seront alors comptés, d'autant plus que deux de mes caméras, ont rendu l'âme, hier. 

 Naël un peu inquiet déclara : 

 — C'est le gel ! 

 L'homme admit :

— Sans doute, espérons que les autres tiendront jusqu'au redoux. La première chose que je ferai à ce moment-là, c'est de récupérer le matériel endommagé pour le réparer.

En parlant, il alla plonger sa main dans un plat empli de douceurs. L'être-double l'observait toujours, il dit :

— Tu ne dois pas être défaitiste bien-aimé ; après tout,  plus personne ne parle de toi sur le tridi.

— Cela ne veut pas dire que le Général m'a oublié, bien au contraire. Le silence des médias est surement voulu. Sans doute qu'ils espèrent endormir ma vigilance.

Naël soupira, piocha à son tour dans le saladier, mais ne dit rien à ce propos. L'homme scrutait son visage, il le devinait inquiet. Brusquement, il se demanda comment il avait fait pour vivre sans lui, avant de le connaitre. L'horloge sonna onze coups, Naël proposa :

 — On va se coucher ?

 — D'accord !

 Xavier rassembla les cartes qu'il rangea. Peu après, ils rejoignaient la chambre, les mains tendrement unies.


Huit jours plus tard

L'hiver desserra enfin son emprise sur la propriété de Naël. De moins trente degrés, le thermomètre remonta à deux ou trois. Rien de caniculaire bien sûr, mais la différence était si importante, quand l'être-double ouvrit sa porte ce matin-là, qu'il resta un long moment immobile sur son seuil, en souriant.

 Il respira profondément l'air encore froid. Il leva les yeux sur le ciel. Le manteau de nuages était nettement moins épais. On apercevait même, quelques coins de ciel bleu. Xavier le rejoignit. Il l'enlaça et murmura : 

— Tu as l'air si heureux, soudain. 

 — Cela me fait plaisir d'être dehors, après des mois à rester enfermé.

 Xavier à son tour, aspira une goulée d'air, avant d'admettre : 

— Tu as raison !

Soudain il s'assombrit, Naël devina ce changement d'humeur, il le comprenait. L'homme avait sans doute pensé que le radoucissement était synonyme pour lui, de danger. D'ailleurs l'homme le lâcha et décida :

 — Je vais chercher mon manteau, et commencer à vérifier mes caméras.

Il rentra à l'intérieur. L'hermaphrodite le suivit, prêt comme toujours à le soutenir et à l'aider.


Domicile de Sunny - À ce moment-là

Le jeune homme engloutit plus qu'il ne mangea son premier repas matinal. Il se leva ensuite, et attrapa son blouson. Son père consterné s'exclama :

 — Où vas-tu de si bon matin ?

— Je monte voir Naël. Il est temps que je prenne de ses nouvelles, pour savoir si tout va bien !  

Son père objecta aussitôt :

— Tu n'y penses pas ? J'ai besoin de toi ce matin. Il faut profiter du redoux, pour déblayer et nettoyer la propriété !

 — Nous ne pouvons pas attendre demain ?

 — Demain, il est toujours possible que le froid revienne. Si ce n'est pas le cas, tu iras voir Naël à ce moment-là

 — Papa ! Je t'en prie ! 

 Son frère aîné intervint :

 — Je peux remplacer Sunny ce matin !

Le paternel objecta :

 — Tu as tes propres obligations, qui te prendront également la journée.

 — Si Sunny m'aide cet après-midi, cela suffira. Par ailleurs, je ne pense pas qu'il en aura pour la matinée. Naël aura sans doute beaucoup de travail. Il lui dira de ne pas s'attarder.

Plein d'espoir, Sunny fixait son père. Celui-ci prenait le temps de la réflexion. Il termina son café, avant de concéder en soupirant :

 — Bien, c'est d'accord. 

Ravi, Sunny s'exclama :

— Merci papa !

Il sortit dehors, sous le regard amusé de son frère, quelque peu désapprobateur de son père et indulgent de sa mère. C'est elle qui dit :

 — Il n'abdique pas facilement. 

 Son conjoint renchérit :

 — C'est le moins que l'on puisse dire ! Je me demande de qui il tient ça !

Ceci dit, il quitta sa chaise et dit à son aîné :

 — Ne nous attardons pas !

 Ainsi, oubliant Sunny, tous deux quittèrent la maison.


Propriété de Naël

Xavier posa son outil, et dit à Naël :

 — Je crois que c'est bon.

 Il décida : 

— Je vais l'installer, ensuite je vérifierai la connexion à distance.

 Il quitta la réserve, l'hermaphrodite sur ses talons. Dans le hall, il enfila rapidement sa parka. Son amant fit de même. Tous deux quittèrent la maison. Ils s'engagèrent sur le petit chemin tortueux menant au village.


Sunny, avec un luxe de précautions, s'engagea sur la route en lacet menant à la propriété de l'hermaphrodite.

Encore encombrée de neige, elle demeurait praticable, pour le traîneau extrêmement performant du jeune homme. Cependant alors qu'il n'était qu'à quelques mètres du chemin, une impressionnante congère lui barra le chemin. Stupéfait, Sunny stoppa brutalement. Il émit un juron sonore, puis soupira : "Je vais devoir rebrousser chemin !"

Pourtant, de là où il était, il voyait déjà le toit de l'habitation de Naël. Il décida brusquement de ne pas renoncer. Il descendit du traîneau et entreprit d'escalader le mur de neige. Alors qu'il arrivait au sommet, un bruit de voix arriva jusqu'à lui !

Sunny s'immobilisa, il tendit l'oreille. Il percevait la voix douce de Naël qui demandait :

 — Tu crois que ça va marcher ? 

 Un ton plus grave, indéniablement masculin, lui répondit :

 — En principe, oui.

Le jeune homme se redressa légèrement, il risqua un œil. Ce qu'il vit l'affligea atrocement. Naël se tenait à côté d'un homme à la carrure impressionnante, qui minutieusement installait un appareil sur la branche d'un sapin. Sunny se recula, il pensa : "J'hallucine ! D'où sort-il celui-là ?''

Il se rappela subitement, qu'il avait ses jumelles avec lui. Il alla les chercher dans son traîneau puis remonta sur la congère. De là, il espionna le couple. L'homme, à présent, terminait son travail, Sunny se concentra sur lui.

En reconnaissant le soldat ikosien, il faillit lâcher son appareil. Ce qu'il vit ensuite le plongea dans une colère sourde ! Le fugitif enlaça Naël, l'embrassa, puis tous deux joignirent leurs mains et rentrèrent dans la maison. 

Il fallut presque cinq minutes à Sunny pour se reprendre. Ensuite, il descendit de la congère. Il entra dans son traîneau, le mit en marche et reprit la direction de son domicile. Il paraissait calme, mais une véritable tempête agitait son esprit : chagrin, ressentiment, fureur même. Le traîneau eut une embardée. Cela le calma... un peu. 

Il s'arrêta, prit une profonde inspiration, puis redémarra. Il ne s'arrêta qu'une fois arrivé chez lui.


Quand Sunny entra dans la maison, rien dans son attitude ne trahissait son tumulte intérieur. Aux interrogations des siens, qui s'étonnaient d'un retour si rapide, il répondit qu'une congère menant au domicile de Naël, lui barrait la route. L'explication fût acceptée.

 En définitive, le jeune homme travailla avec son père ce matin-là. Il ne ménagea pas sa peine, trouvant dans cet ouvrage très physique, un exutoire à sa colère. Arrivé au soir, il était épuisé, vidé de toute énergie.

 Il dîna avec ses parents sans se mêler de leur discussion. Puis la famille s'installa devant le tridi. Il fut allumé. L'image du présentateur envahit la pièce.

 Sunny s'était installé à l'écart, il ne faisait pas vraiment attention aux informations, entrecoupées de reportages. Soudain, le journaliste déclara :

"...Le redoux, sur notre région, a généré un regain d'activité au sein des services de sécurité. Mobilisés depuis plusieurs mois afin de capturer le soldat Ikosien qui serait venu s'égarer sur notre monde, le périmètre de sécurité, maintenu durant les grands froids a été sensiblement renforcé ce matin.

D'après le ministère de l'Intérieur, les recherches seront concentrées sur les monts Obérik. Cependant, certains opposants au gouvernement, critiquent ouvertement ce dispositif. Pour eux, il est inutile et dispendieux. D'autant plus que l'avis général est que ce fugitif, serait mort de froid.

M. Dreen, indifférent à ces critiques, assure que les mesures prises seront maintenues, cela même si au sein de son propre camp, des tensions commencent à se faire sentir. Quoi qu'il en soit, un numéro gratuit est toujours à votre disposition, si vous avez des informations concernant l'ikosien. Il s'inscrit en ce moment même sur votre écran. Si vous le voyez, ne cherchez pas à l'arrêter vous-même ; il est extrêmement dangereux ! Contactez les services requis....."

 Le numéro en question ainsi que le portrait du soldat restèrent plusieurs secondes en sur impression. Sunny sans hésiter, sortit un papier et un crayon de sa poche, et le nota...


Propriété de Naël

L'être double ferma son livre de compte en disant : 

— C'est la première fois que je vais faire des bénéfices.

 Il fixa l'homme et ajouta :

 — Tes conseils avisés ont porté. 

 — J'ai suivi les directives des livres que tu m'as prêté.

 — En fait, tu m'as dépassé dans le domaine de la gestion.

L'hermaphrodite sourit, puis fixa le réveil numérique, posé sur son bureau. Il décida :

 — Bien, il est tard, allons nous coucher. Demain, une dure journée nous attend. Par ailleurs, je dois débuter les semailles dans mes serres.

 — Déjà ? N'est-ce pas un peu tôt ?

 — C'est le moment idéal, bien au contraire ! 

 — Si tu le dis ! Pour cela, tu es plus compétent que moi.

Naël quitta sa chaise, puis rangea son livre de compte. C'est étroitement enlacés qu'ils quittèrent le bureau. 

Un jour de plus passé ensemble se terminait pour eux.

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