LE FUGITIF ET LE GÉNÉRAL

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Croiseur du Général - Orbite Esparienne - Le surlendemain

Auker rentra sur la passerelle. Il ordonna à son aide de camp :

— Faites préparer la navette et une escorte, quatre hommes, des Bêta de préférence.

— Vous avez eu une réponse ?

— En effet, l'Empire a obtenu l'autorisation d'exposer ses désidératas à leur gouvernement.

— Quelles sont nos chances pour que les officiels acceptent de nous aider ?

— Ce sera à nous d'être convaincants. Que tout soit prêt dans l'heure. éluda Auker

Il quitta la passerelle, emprunta une longue coursive dans le but de retourner à ses quartiers, mais fit un crochet par l'une des deux salles d'observation. Les lieux restaient plongés dans une demi-pénombre.  Auker se connecta au flux auquel il transmit : "ouverture de l'écran du 2SP"

Il fut instantanément immergé au sein d'une multitude d'étoiles. Nichées dans un écrin de velours sombre, elles présentaient à son regard bleu acier, une profusion de joyaux stellaires qui étincelaient, explosaient, submergeaient ses sens de sa débauche de couleurs. Pourtant, le général ne voyait pas cette splendeur. Pour lui, ses astres ne symbolisaient que  des territoires conquis ou à conquérir. 

Auker demanda au flux :

"Rotation à 180 degrés"

L'image lentement pivota, jusqu'à lui présenter Espar. "Stop !" pensa-t-il encore. Le champ s'immobilisa et il contempla cette planète qui ne représentait pour lui qu'une place forte à assujettir. Cependant, cette perspective restait lointaine dans les projets de l'amirauté. Outre le traité existant entre ce monde et l'Empire, il y avait également son armée puissante et aussi son affiliation à la cour galactique. Autrement dit des alliés potentiels pour les Espariens. 

Le général sourit en se disant : "Une simple question de temps !". Soudain un appel s'insinua dans ses pensées : "L'escorte et la navette sont à disposition, général". Ce dernier accusa réception du message. La salle d'observation s'éteignit et il la quitta avant de se hâter en direction de sa cabine, X212 occupait de nouveau toutes ses pensées. 

HarÏa - Capitale d'espar - Palais gouvernemental

Auker fut accueilli à son arrivée par trois hommes : le ministre des Affaires Étrangères, celui de l'Intérieur et de la Défense. Des civilités suivirent, pendant lesquelles le Général modéra son impatience.

Ensuite, la délégation de l'Empire fut escortée jusqu'au siège du gouvernement et reçue par le Premier ministre. Auker présenta sa requête. Il la conclut ainsi :

— Croyez bien qu'il est vital, pour vous et pour nous, que notre Alpha soit retrouvé et repris. Il a échappé à notre contrôle et, par conséquent, ses réactions sont impossibles à prévoir.

Le ministre de l'Intérieur s'enquit :

— Insinuez-vous qu'il pourrait être dangereux ?

— Ce n'est pas exclu, c'est un combattant et un remarquable soldat, mais il a besoin d'être guidé, dirigé. Le problème, c'est que nous ne pouvons plus le faire puisque sa connexion est détruite. De là, toutes les options sont envisageables.

Le ministre de la Défense ne put s'empêcher de railler :

— Lorsqu'on produit des marionnettes décervelées, il ne faut pas s'étonner qu'il y ait des ratés !

Le Général sursauta avant de répondre sur un ton menaçant :

— Je vous demande pardon ?

Le premier ministre déclara :

— Je vous en prie, Dreen modérez vos propos !

Il dit ensuite au Général :

— Pardonnez la trop grande franchise de mon collaborateur, Général. Elle est motivée par ses inquiétudes envers nos concitoyens.

Auker, décida d'être conciliant. Il répliqua :

— Je le comprends, croyez-le !

Satisfait, le Premier ministre reprit :

— Ceci étant dit, et bien que votre requête ait attiré toute notre attention, sachez que nous ne pouvons prendre de décisions sans en référer à notre Président. Nous devons discuter des mesures et d'éventuelles facilités à vous accorder, j'espère que vous comprenez ?

Bien que contrarié, Auker assura :

— Oui.

— En attendant l'issue de la réunion du cabinet gouvernemental, nous vous offrons l'hospitalité. Si vous le permettez, notre Ministre des Affaires Étrangères va vous conduire jusqu'à vos appartements.

— Je vous en suis reconnaissant.

Il y eut encore des civilités et, enfin les visiteurs furent conduits à l'extérieur de la pièce. Le Général se taisait, mais il n'en pensait pas moins... 

"Tout ceci n'est qu'une perte de temps" fulminait-il intérieurement.

Il n'avait pas le choix. L'Empire avait insisté sur le point suivant :

"Laisser toute la place à la diplomatie."

En conséquence, Auker était prêt à patienter. Il espérait que bientôt son meilleur Alpha serait réintégré au Collectif...

Le ministre laissa Auker, le Colonel et les quatre soldats dans un vaste appartement. Aussitôt, le Général ordonna aux Unités de combat :

— Vérifications !

Ceux-ci sortirent d'un sac des sondeurs puis ils s'égaillèrent dans les différentes pièces du luxueux logement. Cinq minutes, plus tard, ils revinrent et déclarèrent :

— R. A. S., mon Général, ni vidéo, ni écoute.

Auker en prit note et ordonna de nouveau :

— Vous organisez des tours de garde et pour dormir, vous prendrez la chambre du fond, Connexion au flux en permanence, y compris durant votre sommeil, tout fait suspect doit m'être communiqué via vos processeurs. Est-ce bien clair, Soldats ?

— Oui, mon Général !

— À vos postes !

— À vos ordres ! Répondirent-ils tous d'une même voix.

Satisfait, Auker fit signe au Colonel de le suivre puis, tous deux quittèrent le salon pour une autre pièce : ils avaient à travailler...

Propriété de Naël - Hémisphère nord d'Espar

Naël plaça le bébé dans sa chaise haute avant de demander au robot :

— Le biberon, est-il prêt ?

— Oui monsieur, je l'apporte tout de suite.

— Merci Obi.

Naël vêtit le bébé d'un tablier tout en lui parlant. Son invité entra dans la pièce sur ces entrefaites. L'être double lui dit en souriant :

— Bonjour Xavier, comment vous sentez-vous ce matin ?

— Bonjour, je suis en forme. Grâce à vos bons soins, mes cicatrices ont presque disparu.

— Remerciez surtout votre excellente constitution.

— Mais, je n'oublie pas que je vous dois la vie.

— Je vous devais assistance.

Il ajouta très vite afin d'éviter le sujet :

— Je vous en prie, asseyez-vous. Obi va vous servir le petit-déjeuner.

L'homme sourit puis prit place à la table. Naël l'imita et Xavier déclara :

— J'apprécie beaucoup la cuisine d'Obi, mais je crains, lorsque je partirai d'ici, d'être contraint à un régime. Je prévois une prise de poids conséquente.

— Ses repas restent très équilibrés ! D'autre part, si cela vous intéresse, j'ai une salle de sports à l'étage.

— Vraiment ? C'est assez surprenant.

L'hermaphrodite répliqua :

— Mon époux était un homme soucieux de sa forme. Malgré le travail conséquent de la ferme, il s'imposait une heure d'exercices par jour, et il m'arrivait de l'utiliser de temps à autre.

— Et plus à présent ?

— Je n'y suis plus entré depuis son décès.

De la tristesse filtrait de sa voix. L'homme la perçut, il dit :

— Eh bien, je vous remercie de m'autoriser à l'utiliser.

— C'est peu de choses... Elle prend la poussière depuis si longtemps. D'ailleurs, il va falloir la nettoyer.

À cet instant, Obi apporta les denrées de ce premier repas matinal. Xavier se laissa servir par le robot qui plaça devant lui une assiette remplit de crêpes dégoulinantes d'un sirop mordoré. Ravis l'homme débuta gaiement son petit-déjeuner.

Xavier était dans cet endroit depuis quelques jours seulement, mais il ne se rappelait pas s'être senti aussi détendu de toute sa vie, presque heureux en fait, surtout quand son regard accrochait celui de Naël, si velouté, si magnifique. Parfois l'envie lui prenait de se noyer dans ses prunelles de velours sombres, d'effleurer de ses doigts son visage souriant et attrayant, de s'enivrer des effluves florales de son parfum. Évidemment il combattait cette attirance, car les préceptes inculqués par Ikos restaient encore très présents en lui. Cela n'empêchait pas son esprit, ses sens et son cœur de battre au rythme de son désir. Parfois, à la faveur de la nuit, il s'y laissait aller... 

S'il n'y avait eu la menace d'être repris par le Général, il aurait nagé dans un bonheur indescriptible. Il restait donc sur ses gardes, car c'était la base de sa survie : ne pas se laisser endormir par le sentiment de sécurité qu'il éprouvait au sein de cette demeure chaleureuse.

Il stoppa son repas et fixa Naël qui le regardait. Celui-ci demanda :

— Quelque chose ne va pas ?

— Je réfléchissais ; je me disais... Que l'on se sent bien chez vous. Cela me ferait presque oublier que je suis un fugitif. Je ne suis pas encore totalement libre.

Naël ne sut que répondre. Il était bien près de lui dire que sa présence lui était douce et lui avait fait prendre, rétrospectivement conscience de son sentiment de solitude. L'homme reprit son repas et son hôte dissimulant son trouble, se concentra sur la nourrissonne qui buvait goulûment son lait.

— Elle a un sacré appétit. Remarqua Xavier

— C'est un euphémisme, c'est une gloutonne !

L'homme sourit et la conversation s'en trouva lancée sur un terrain moins mouvant...

Naël effleura le commutateur et l'éclairage illumina le gymnase. L'être-double ordonna à Obi :

— Vérifie les appareils.

Il pivota vers l'homme :

— Alors, qu'en pensez-vous ?

— Elle est remarquablement bien équipée.

Il s'avança vers le cheval d'arçon et l'examina avant d'assurer :

— C'est de l'excellent matériel.

— Mon conjoint n'appréciait que la haute qualité.

Obi revint alors et déclara :

— Tout est en parfait état de fonctionnement, Monsieur.

— Tu nettoieras cette pièce.

— Bien Monsieur.

L'hermaphrodite se tourna alors vers Xavier :

— Dès demain, vous pouvez l'utiliser à votre guise !

— Je vous en remercie... Dites-moi, peut-être, est-ce l'occasion pour vous de vous y remettre aussi ?

Naël hésita avant de répliquer :

— J'ai trop de travail, notamment administratif. J'ai pris beaucoup de retard dans ma comptabilité. Peut-être, plus tard...

Il quitta le gymnase sur ces mots. L'homme resta pensif, quelques instants, puis sortit à son tour. Il se demandait si Naël n'avait pas inventé cette excuse, afin de ne pas être confronté aux souvenirs de son époux.

Xavier rejoignit l'être double dans la petite pièce qui lui servait de bureau. Celui-ci leva son regard vers lui et s'enquit :

— Vous désirez quelque chose ?

L'homme, sans réelle hésitation, déclara :

— En fait, je me sens mieux et, comme je vais séjourner un long moment chez vous, peut-être puis-je me rendre utile ?

Naël fronça les sourcils avant de lui demander :

— Vous avez des compétences en agriculture, en botanique, en élevage ?

— Je crains que non. Toutefois, vous avez parlé d'un important travail administratif. J'ai quelques aptitudes en ce domaine.

— Vraiment ? Votre spécialité, n'était-elle pas la guerre, l'art de la stratégie militaire ?

— C'est exact, mais j'ai suivi une formation générale, je ne suis pas complètement illettré.

— Loin de moi une telle pensée. Cependant, gérer un domaine tel que celui-ci demande des capacités précises, notamment en comptabilité.

Xavier prit place sur une chaise, fixa son interlocuteur et répondit :

— Comme vous le savez, j'ai un processeur neural connecté a mon cerveau. Ce processeur me permet d'assimiler très vite. Si vous avez des manuels, je pourrai les lire et les comprendre. Du moins... je le pense. De là, je pourrai sûrement me débrouiller !

Naël, sans le quitter des yeux, rassemblait quelques papiers. Il ressentait bien le désir sincère de l'homme de lui rendre service. Il réfléchit quelques instants avant de dire :

— Je ne risque rien à essayer, mais j'ai suivi six ans d'études afin de me hisser à mon niveau actuel. Ne vous attendez pas à y parvenir tout de suite.

Xavier sourit en répliquant :

— Je garderai vos réserves en mémoire, mais je suis prêt à faire une tentative.

Naël opina du chef, en disant :

— Bien !

Puis, quittant sa chaise, il se dirigea vers une armoire et ajouta :

— J'ai plusieurs ouvrages traitant du sujet qui nous intéresse. Heureusement, j'ai gardé la totalité de mes livres scolaires.

Il sortit une dizaine de volumes relativement épais et les posa sur la table de travail :

— Je vous avertis... C'est assez rébarbatif. Commencez par ceci.

Il alla chercher ensuite une pile de cahiers brochés avant de reprendre :

— Lorsque vous aurez parcouru les ouvrages, il serait souhaitable que vous fassiez des exercices pratiques.

Il précisa encore :

— Chaque livre est classé par niveau de difficultés de un à dix. Quand vous serez parvenu à terminer le dixième et, à condition que cela soit juste, vous serez prêt à m'aider.

Il lui sourit en demandant :

— Toujours décidé ?

— Plus que jamais !

— Alors, emportez tout ceci dans votre chambre et commencez.

Xavier acquiesça. Il se leva, se chargea des livres et cahiers qu'il souleva sans effort pour se diriger vers la porte. Avant de quitter la pièce, il déclara à l'être double :

— Je vous remercie de me permettre d'être utile.

— C'est moi qui vous remercie de vouloir m'aider. Quoi qu'il en soit, bon courage.

L'homme eut un sourire en réponse, avant de s'en aller. Après son départ, l'hermaphrodite resta pensif quelques secondes avant de se remettre au travail.

À l'heure du déjeuner et voyant que Xavier n'était pas encore là, Naël demanda à Obi :

— Où se trouve notre invité ?

— Il est dans sa chambre, Monsieur. Il n'en a pas bougé depuis deux heures.

— Ah ? ! Surveille Lita, je vais le prévenir que le déjeuner est prêt.

Il quitta la table sur ces mots pour se rendre dans la chambre de Xavier. L'être double trouva l'homme en plein travail, assis sur son lit. Il tournait les pages d'un des livres confiés par Naël. Celui-ci demanda :

— Je vous dérange ?

L'Alpha leva son regard sur lui, sourit et répondit :

— Non, bien sûr que non ! Avez-vous besoin de moi ?

— En fait, c'est l'heure du déjeuner.

— Oh ? Je ne pensais pas qu'il était si tard...

Il referma le livre qu'il tenait à la main et le posa sur une des deux piles présentes sur le lit.

Naël osa demander :

— Vous arrivez à vous en sortir ?

— Oui, c'est moins difficile que je ne l'avais craint.

Il quitta la couche et s'empara d'une des deux piles en disant :

— Je peux déjà vous rendre ceux-ci.

Stupéfait et incrédule, l'hermaphrodite s'exclama :

— Vous les avez déjà étudiés ?

— En effet, cela vous ennuie-t-il ?

— Non, pas du tout.

Il eut un léger rire :

— En fait, je suis un peu vexé. Il m'a fallu des heures et des heures de travail pour ingurgiter tout cela. Parfois des soirées entières à plancher sur les mystères tortueux des balances, des fluctuations de monnaie, etc. Ors, Vous avalez en quelques heures près de trois ans de labeur pour moi.

L'homme soupira et répondit :

— Je n'ai pas de mérite, mon processeur neural me permet d'apprendre extrêmement vite. Sans lui, j'aurai mis autant de temps que vous. Je suis heureux que pour une fois, il serve à autre chose qu'à la stratégie ou à espionner mes pensées.

— Vous avez raison. Venez, vous avez assez travaillé, le déjeuner d'Obi nous attend, vous poserez les livres en passant dans mon bureau.

L'homme acquiesça puis emboîta le pas à l'être double, hors de la chambre

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