Le goût de l’eau ( haïkus)
de Chantal Namie
grandes enjambées
dans la rue détrempée
le goût de l’eau
Pelotonné dans un fauteuil , cette image surgit de ma mémoire , j’écoute la pluie résonner sur les carreaux
Je suis en retard , j’ai peur de manquer le train de 17h22 , prendre le suivant c’est piétiner plus d’une heure dans la gare
Mes enfants m’attendent pour le réveillon
Le petit Pierre , déjà six ans , a déclaré au moment de mon départ l’année dernière , avec l’assurance de son âge
Le père noel
viendra l’année prochaine ,
gros bisous , mamie
Je vois sa frimousse espiègle , le bonnet rouge à pompons qui virevoltent à chaque saut qu’il fait en jouant sur la figure tracée sur le sol à la craie
Une horloge sonne
sur la marelle , le palet
rate la case « ciel »
Évidemment je suis arrivée au quai juste pour voir le train s’éloigner . Mouillée , les bras encombrés de paquets , essoufflée d’avoir pressé le pas , la vue brouillée par les gouttes d’eau sur mes lunettes ….en bref , je suis mal et de mauvaise humeur .
Je me dirige vers la salle d’attente …elle est bondée , une seule place dans l’angle opposé , pour l’atteindre « le parcours du combattant » .
La SNCF a fait des efforts , un sapin de noel se dresse près de l’entrée , « plus gênant qu’esthétique »
J’arrive au niveau du siège inoccupé , à côté , affalé , « un hippie » , des cheveux longs emmêlés , d’un blond insipide , des vêtements bigarrés , un étui de guitare calé entre les jambes , « pas étonnant que la place soit libre ! »
Je m’assois de biais afin de le voir le moins possible
« un blanc bec de vingt ou vingt deux ans » , ses yeux sont dans le vague , son visage sans expression , « en tous cas , la douche n’est pas son principal souci »
Décidément tout va mal : ce train que j’ai manqué , en retraite de dispose de tout mon temps , « même pas fichue de partir suffisamment à l’avance ! » , je rage toute seule contre moi-même .
Pour couronner le tout , il fait trop chaud , mon manteau imbibé me donne l’impression d’être dans un bain de vapeur .
« Madame.. »
Si en plus il parle ! Je garde délibérément la tête tournée . Je n’entends rien , il va s’adresser à un autre voyageur , je n’aurai pas à subir ses élucubrations , « c’est bien le genre à faire la manche dans le métro au lieu de travailler »
« Madame , vous avez l’heure , s’il vous plaît ? »
Impossible de faire semblant de ne pas entendre , je réponds sèchement en regardant ma montre : « 17h50 »
« Je ne veux pas manquer mon train » ajoute t’il
Il me sourit , un peu gêné , il hésite …et d’une seule traite
« Vous comprenez , ma grand-mère m’attends pour le réveillon , elle est seule ….tous les ans je le passe avec elle depuis que je suis enfant ….merci »
Il se lève , je le regarde s’éloigner…je me sens ridicule , mal au l’aise , un comportement stupide dont je ne suis pas fière .
« quelle idiote ! Que de préjugés ! »
Je pense à Pierre , quel adolescent a-t-il devenir ?
Avant de franchir la porte , il se retourne et lance à la ronde :
Un joyeux noel
Un voyageur fatigué
se met à bailler
Les années ont passées , aujourd’hui je suis top âgée pour voyager , c’est l’hiver .
Le clocher de l’église carillonne ,
Un rire d’enfant
dans la cheminée , le feu
de bois , crépite
Cette rencontre de gare ressuscite ce jeudi 24 décembre en fin d’après-midi
Je n’ai plus de mouchoirs
Mes lunettes sur mon nez
glissent lentement
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