36 - Samuel

18 minutes de lecture

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Samuel

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   J'ai les nerfs en pelote. Les mains crispées au fond de mes poches de veste, je rentre des cours d'une humeur massacrante, capuche rabattue sur la tête, cœur à cent à l'heure.

Nous ne sommes que mercredi, il ne reste que deux jours de cours avant les vacances de noël et pourtant...

Pourtant j'ai envie de m'arrêter, là tout de suite, sur le trottoir, de fondre en larmes et d'attendre que mon frère ou Damian vienne me chercher. J'ai envie de me casser d'ici, et d'aller rejoindre les jumeaux chez mes grands-parents.

Mais, je ne fais rien de tout ça. Je me contente de trotter jusqu'à la maison, ma maison, pas celle des Cortez, et de monter dans ma chambre pour m'y enfermer.

Furieux, hors de moi, je jette mon sac à dos par terre, et vais m'étendre sur mon lit pour enfouir ma tête dans les oreillers.

Mon corps tremble de colère, de tristesse et de peur, de cette putain de peur qui ne me quitte plus, qui me torture et me rend fou de jour en jour.

Lentement, j'inspire à pleins poumons, puis hurle de toutes mes forces, dans l'isolation idéale qu'offre mon oreiller.

Mes poings frappent le matelas, et un instant, je me dis qu'en m'agitant ainsi sur mon lit, je dois ressembler à un poisson hors de l'eau. Mais qu'est-ce que j'en ai à foutre ?

« Mec, on cherche qui a fait ça et quand on l'aura trouvé, il va le sentir passer » - Duke.

« Mon Sam, ça va aller. On est sur le coup » - Lu.

« Tu es déjà chez toi ? Tu veux pas aller marcher pour te changer les idées ? » - Chiara.

Je gronde, sourdement, et envoie valdinguer mon portable de l'autre côté de ma chambre, avant de finalement laisser toutes émotions qui m'étouffent se libérer et dévaler mes joues sans discontinuer.

En soi, tout s'est bien passé ce matin, un jour de cours normal. Bien sûr, il règne toujours au lycée cette tension, cette odeur de poudre prête à faire feu entre les élèves, le silence des professeurs, l’indifférence des directeurs. Mais, je m'y suis habitué depuis dix jours que je suis revenu en cours, alors je n'y ai pas forcément prêté attention.

C'est à midi, que tout s'est gâté. À peine entrés dans le réfectoire, nous avons compris que quelque chose n'allait pas à la seconde où un attroupement d'élèves nous empêchait de passer. Une masse grouillante face au mur du fond, celui qui d'ordinaire accueille les affiches pour les différents clubs, les matchs de foot, les exhibitions des cheerleaders, les examens, les conseils des élèves, ce genre de choses. Un pan de mur plutôt conséquent.

J'étais accompagné de Duke et Isak, lorsque nous avons fendu la foule pour aller vérifier vers quoi était attirée leur attention. Sans se le dire, nous sentions bien que leur intérêt était une nouvelle fois focalisé sur quelque chose qui directement ou non, nous concernait.

Pas loupé.

Sur le mur, il y avait plusieurs choses : des photos, beaucoup de photos, qui pour la plupart, provenaient de mon propre téléphone. Des selfies, des photos prises avec Damian, des captures d'écran de conversation, tout un pan de ma vie délivré sur ce mur à la vue de tous. Il y avait aussi d'autres photos, des putains de nudes de mon petit ami, qui pour le coup, ne venaient pas de ma pellicule. Sur le côté, une silhouette humaine, de celles utilisées durant les cours de tir, perforé au niveau du foie, à l'endroit exact où Lenni m'a touché la dernière fois que nous nous sommes vus, à la fête de Duke.

Et, devant tout ça, il y avait une table. Une simple table de cantine, sur laquelle était posé un flingue. Un putain de flingue, avec à côté une balle, une seule munition.

— Quelqu'un a appelé la proviseure ? a hurlé un garçon sur ma droite.

J'ai alors quitté le flot d'élèves, et me suis avancé vers le mur, pour attraper l'arme, et trouver sur la table, une note griffonnée au feutre noir : « Au choix, finis le job de Lenni, ou finis ta pute ».

J'avoue, avoir eu envie de pleurer, là, devant tout le lycée. Mais je ne l'ai pas fait, non. J'ai reposé l'arme, gardé la note et la munition, que j'ai glissées dans ma poche, et entrepris de défaire les photos du mur, les unes après les autres.

Une autre note était inscrite derrière une photo de Ariana et moi : « On refuse de vous le livrer ».

Je n'ai pas compris en le lisant.

Et alors que j'étais en train de terminer de défaire les images, madame Aubra a débarqué dans la cantine, hors d'elle, et m'a hurlé de laisser les preuves en place.

Je n'ai jamais manqué de respect à un adulte dans ma vie mais là, là, je ne pouvais simplement pas rester sans rien dire.

— Les preuves ? J'ai murmuré. Quelles preuves ? Celles de votre incapacité à gérer ce putain de lycée ? Celles qui démontrent qu'à part nous coller des détecteurs de métaux qui visiblement ne marchent pas et payer un ou deux surveillants de couloir, vous n'êtes bonne à rien ?

— Samuel, baisse d'un ton.

— Non ! Non, je vais pas ''baisser d'un ton''. J'en ai ras le bol de votre cécité face à tout ce qui se passe ici ! Vous n'allez pas me dire que vous ne pouviez pas voir ça, avant qu'on arrive ? Vous allez pas me dire que vous faites votre maximum ? Vous voulez que je laisse ''les preuves'' au mur ? Vous voulez que je laisse là, à la vue de tous, les photos d'un de vos élèves, avec son lot de menaces et de... de...

Je n'ai pas trouvé mes mots, alors je me suis contenté de serrer plus fort les photos contre moi, et de tourner les talons.

— Samuel !

— Laissez-moi tranquille ! Quand vous aurez réalisé que vous vous battez pour le mauvais camp, peut-être qu'on pourra discuter ! En attendant, voici le constat : vous vous vantez de vouloir réunir et prônez la tolérance, excusez-moi, mais votre stratégie a pas l'air de fonctionner !

Elle est restée estomaquée face à ma soudaine colère, et a préféré me laisser sortir de la cantine sans mot dire. Et, alors que je fendais la foule pour trouver la sortie, un mec a hurlé « Justice pour Damian ! », bien vite entonné par d'autres élèves, contre une horde d'insultes salées venant, sans aucun doute, des King.

Duke a essayé de me retenir, j'ai été m'enfermer dans les toilettes.

J'y suis resté durant toute la pause, avant de retourner en cours pour la dernière période.

Et enfin, je suis rentré chez moi.

On toque à ma porte, je sursaute presque.

Rafaël entre alors, un air inquiet au visage. Un instant, il se contente de m'aviser, ainsi étendu sur mon lit les yeux rouges et les cheveux en bataille, avant de venir s'asseoir à côté de moi.

— Qu'est ce qui se passe Sam ?

— Il se passe que j'ai besoin d'être tranquille ! Alors vas-t-en.

Il me jauge à nouveau d'un long regard avant de simplement hocher la tête, et quitter ma chambre, après m'avoir glissé que si je le voulais, je pouvais le rejoindre dans la cuisine pour discuter.

Quelqu'un a piraté mon téléphone et celui d'autres élèves, en a volé les photos, les a imprimées puis fixées au mur, dans l'unique but de nous faire du mal. Dans quel putain de monde parallèle une chose pareille peut-elle arriver ?

J'inspire à pleins poumons, m'approche de ma fenêtre pour jeter un coup d’œil dans la rue, et tombe face à face avec mon petit ami, sous le porche de sa maison, en train de regarder dans ma direction.

Il me fait un drôle de signe de la tête, m'interroge d'un haussement de sourcil. Je me détourne simplement de la fenêtre.

Je ne suis pas dupe, je sais bien que dans approximativement deux minutes, il sera dans ma chambre à me bombarder de questions. Et sincèrement, je ne sais pas si j'aurais la force de lui répondre.

Alors, dépité, je retourne simplement m'asseoir sur mon lit, et l'attends.

Il arrive effectivement moins d'une minute plus tard, et entre dans ma chambre sans même frapper, pour venir se planter face à moi.

Il porte un jean noir et un immense sweat bleu, que je reconnais comme étant à moi.

Sans rien dire, il plante ses yeux dans les miens, tente d'y déceler la cause de mon mal-être, avant de venir s'asseoir sur mes genoux, face à moi, pour me prendre dans ses bras.

Juste ça. Juste une étreinte, un abri dans lequel je viens me blottir avec besoin, presque du désespoir, et me laisse aller.

Mes bras enroulent sa taille trop fine, le serre contre moi, je m'imprègne de son odeur.

D'une main, il caresse mes cheveux, me serre en retour contre lui, avant de déposer un baiser sur le haut de mon crâne.

— J'aime pas quand tu es triste comme ça, murmure t-il contre mon oreille.

— Je... je suis pas juste triste Dami je... j'ai envie de tout péter.

Je le sens hocher la tête, avant de se reculer pour me faire face. Il y a une telle préoccupation dans ses yeux, un tel besoin de comprendre, que je me sens prêt à craquer à nouveau, là, face à lui, alors que je n'en ai décemment pas le droit.

Du bout des lèvres, il vient déposer un baiser contre ma joue, avant de coller son front au mien, et d'attendre.

Du bout de ses doigts, il dessine des formes abstraites contre mon dos, puis sur mes épaules, avant de venir prendre mon visage en coupe.

— Dis-moi Sam, s'te plaît. Tu m'inquiètes là.

Je secoue simplement la tête, l'entends soupirer.

Il ne quitte cependant pas mon étreinte, reste simplement là, dans mes bras, à attendre. Doucement, je pose ma main contre son torse, tente d'entendre les battements de son cœur.

Il bat vite.

À ce geste, il m'imite, et pose sa main sur le mien.

— Ton cœur bat vite, murmure t-il.

— Comme le tien.

— Soulmate you know.

Un sourire étire mes lèvres, j'aimerais presque pouvoir en rire.

— Attends, bouge pas.

Il se redresse, s'étire légèrement, et quitte ma chambre pour redescendre au rez-de-chaussée.

Ce n'est que quelques secondes plus tard qu'il remonte, un verre de jus de fruit et un paquet de cookies à la main. Tranquillement, il fait son chemin jusqu'à ma table de nuit, et y pose sa livraison, avant de revenir s'asseoir sur moi.

— Ariana dit tout le temps que quand ça va pas, le sucre est le meilleur remède.

— Étrange, venant de la bouche de celui qui compte ses glucides.

— Je dis pas que c'est sain, juste que ça marche. Un peu.

Il rit brièvement, avant d'attraper un gâteau et de me le fourrer dans la bouche de force. Je hausse les sourcils en sentant l'arrière goût du biscuit, et attrape le paquet pour en avoir le cœur net.

Cookies aromatisés au café, les préféré de Rafaël, ceux que je déteste au plus haut point. S'en rendant compte, Damian détourne les yeux, avant de glousser franchement. Moqueur, il laisse son rire agiter ses épaules. Alors, je l'attrape à la taille, et le fait basculer sur le lit, pour me venger.

— Tu te trouves drôle hein ? je gronde gentiment.

— Tellement. Je songe d'ailleurs à nommer mon premier one man show ''Le cookie'', tu en dis quoi ?

Et, d'un coup, j'oublie un instant. Je laisse de côté les photos, le flingue, la balle et les notes laissées par les coupables de ce midi, pour me concentrer sur ce qui me fait perdre la tête.

Un jour, je me rappelle avoir parlé de la drogue avec Damian, je voulais comprendre pourquoi il en prenait durant les soirées, ce que ça lui apportait. Il a tout d'abord réfléchi un long moment, avant de me répondre que selon lui, il prenait de la beuh pour se sentir flotter, délester de tout ce qui n'allait pas dans sa vie, se sentir mieux.

Aujourd'hui je comprends et, je me demande vraiment à quoi sert la drogue, lorsqu'on a Damian à disposition.

Il ricane toujours lorsque je m'étends à côté de lui, pour venir enfouir mon visage dans le creux de son cou.

— Tu sais Sam, on a parlé de toi avec monsieur Ross cet après-midi.

— Sérieux ?

D'entendre ça me fait chaud au cœur, alors je redresse la tête, m'appuie sur mes avant-bras, et plante mon regard dans le sien.

— Et vous avez dit quoi ?

— Beaucoup de choses je... hum je... je lui ai dis que... que je comprenais pas.

Intrigué, je l'encourage à poursuivre.

— Je lui ai expliqué que... que j'étais... froid. Que je faisais pas ou peu confiance et que, je ne m'attachais jamais. Que je faisais en sorte d'être distant pour ne jamais m'attacher et que... je n'aimais pas parler des choses qui n'allaient pas, me confier. Que, je voulais toujours avoir le contrôle de tout, pour pouvoir anticiper, prévoir, et ne pas finir blessé.

Je hoche doucement la tête.

— Sauf qu'avec toi, j'ai plus le contrôle, et je voulais comprendre pourquoi.

Je reste silencieux, le laisse poursuivre, sans le brusquer.

— Je voulais comprendre pourquoi tu... pourquoi t'es encore là, là où un tas d'autres auraient déjà mis les voiles. Je voulais comprendre pourquoi mercredi dernier, tu as agis comme tu l'as fait, pourquoi tu t'es pris cette putain de balle à ma place et surtout pourquoi... pourquoi tu...

Il a un peu de mal, butte sur certains mots, avant de reprendre une grande inspiration.

— Pourquoi tu me dis que ''tout va bien'', alors que ça ne va pas bien du tout.

Doucement, je cligne des yeux et détourne le regard. Mon estomac s'est contracté à ses simples mots car, il a totalement raison, sur toute la ligne, et je ne sais pas vraiment combien de temps je pensais pouvoir tenir le masque avant de craquer.

Je le sens s'agiter à côté de moi, se pencher sur le côté pour tenter de garder un semblant de contact mais, je n'ai juste plus la force de soutenir ses deux orbes perçantes qui me semblent si incisives, que bien malgré moi, je me sens prêt à parler, à tout dire, absolument tout.

— Je sais que tu t'es battu lundi dernier et... j'ai reçu un message de Duke me demandant de faire attention à toi ce soir et j'aimerais savoir pourquoi.

— Rien d'intéressant, je marmonne.

Duke va mourir de mes mains, et ce dès demain matin. Il a toujours le chic pour balancer des perches dangereuses aux gens. N'aurait-il pas pu simplement se taire, et me laisser gérer ?

— Si on veut tenir Sam, on peut pas faire semblant de... on peut pas rester dans les rôles qu'on s'est attribués depuis mon retour du Mexique on... il faut arrêter avec ''Damian qui va pas bien du tout et qu'on doit absolument protéger'' et ''Samuel qui doit tout porter sur ses putains d'épaules''.

— Mon état n'a rien à voir avec le tien.

— C'est pas la question.

Je secoue la tête, et me redresse pour m'asseoir en tailleur sur le lit. Damian m'imite, et me fait face, bras croisés sur le torse.

— T'es gonflé de me sortir un truc pareil, alors que tu fais semblant d'aller bien, je murmure.

— Je commence à aller mieux.

— À d'autres, Dam je dors à côté de toi chaque nuit et non, tu vas pas bien ok ?

Sentant la discussion dérivée lentement pour esquiver le sujet principal, mon petit ami fronce les sourcil.

— Je vois pas comment tu peux affirmer ça.

— Parce que je dors plus la nuit, Dam. Je reste éveillé jusqu'à pas d'heure à fixer le plafond parce que... parce que si je ferme les yeux, je fais des rêves... des cauchemars où je te vois mourir et... et j'ai tout le temps cette putain d'appréhension de me réveiller et de pas te trouver à côté de moi !

Mes mots sortent en vrac d'entre mes lèvres, cassés pour la plupart, murmurés pour le reste.

Ça me fait juste si mal de l'avouer, que mes tripes se nouent et s'étranglent entre elles.

Damian est blême, les yeux écarquillés.

J'ai réussi à donner le change jusque là car, les siestes sur les temps de pause et les sourires faisaient l'affaire mais, je peux juste plus. J'ai tout le temps peur, ça me tue petit à petit et je sais que malgré ses grands discours sur son avancée thérapeutique avec monsieur Ross, Damian est dans un état pire que le mien.

La nuit, alors que j'essaye de trouver le sommeil, il s'agite, frissonne, transpire, s'agrippe à moi puis me repousse, tout en marmonnant des paroles intelligibles. Il cauchemarde, et nous savons tous les deux de quoi, bien qu'il ne veuille juste pas l'admettre.

— Pourquoi tu me l'as pas dit... ? lâche t-il d'une voix blanche.

— Pare que t'as pas besoin de devoir gérer mes problèmes en plus des tiens !

— Je peux faire avec les deux, je...

— Ah oui ? Si tu étais en capacité de faire avec les deux, tu réagirais comment si je faisais ça ?

Et, sans le prévenir, je plaque violemment ma main à l'intérieur de sa cuisse, et serre fort. Pas à lui faire mal bien sûr, mais assez fort pour qu'il glapisse, recule d'un bond, avant de recroqueviller ses jambes sous son menton.

— Il y a un mois, ça t'aurait rien fait, et je t'ai juste touché, je murmure.

— Ça n'a rien à voir ! C'est franchement pas cool de faire ça Sam.

— Si, ça a à voir bordel ! « Oui je vais bien, je dors bien la nuit », « Arrêtez de dramatiser, ça m'a pas tué », « Je veux retourner au lycée Ariana, je me sens prêt ! ».

— Sam arrête.

— Tu veux que je te dise Dam ? T'es dans le déni le plus total, et moi ça me fout les nerfs parce que je sais pourquoi t'arrive pas à juste voir la réalité en face. Tu veux pas nous inquiéter, pas nous faire culpabiliser, pas faire le boulet. Et t'en es pas un, mais parle bordel, parle ! Tu crois que c'est en jouant la carte de la bonne forme que tout va s'arranger ?

Complètement défait, il se relève, s'approche de la fenêtre de ma chambre, pour prendre une grande inspiration.

— Et ça changerait quoi hein ? Si je te disais que ça va pas et qu'effectivement, à chaque fois que je me vois dans un miroir j'ai envie de me foutre en l'air ? Que j'ai tout le temps l'appréhension de croiser Donni, ou n'importe quel King en ville ? Que chaque putain de nuit, presque sans exception, je repense à ces putains de types qui... qui ont...

Il balbutie, alors je me redresse pour m'approcher de lui, et passer un bras autour de ses épaules.

— Qui ont quoi, Dami... ?

— Tu le sais très bien, crache t-il avec colère.

— Oui, mais... toi, tu le sais aussi non ? Alors pourquoi tu le dis pas ?

Sanglot, mais pas de larmes. Il hoquette, tente de se raccrocher au rebord de ma fenêtre pour se soutenir, finit par simplement se laisser aller contre moi.

J'ai peur qu'il parte en vrille, qu'il crise ou je ne sais quoi d'autre encore et...

… pourquoi j'ai dis ça bordel ?

Il continu à battre de l'air quelques secondes, son regard obstinément loin du mien, ses dents serrées. Puis, c'est la pause, l'électrochoc, l'arrêt sur image.

— … qui m'ont violé.

Mon cœur se gonfle, mes muscles se raidissent, et je le serre plus fort contre moi, alors qu'enfin, il fond en larmes.

Je m'en veux tellement, mais tellement, de lui infliger ça. Mais, à côté de ma culpabilité, je ressens quelque chose de puissant, au creux de ma poitrine. Parce qu'il l'a enfin dit, bon sang ! Il l'a dit, il l'a reconnu, et c'est une avancée énorme. Bien sûr, l'avoir mis au pied du mur comme je viens de le faire n'était peut-être pas une bonne idée mais le fait est que sa langue s'est enfin déliée, qu'il a enfin posé des mots. Les vrais mots, fini les ''agressions'', ''abus'', qu'il a utilisé jusqu'à maintenant.

J'essaye de tempérer ses tremblements, ses frissons, et ne m'attend sûrement pas à ce qui s'en suit : rapide, il se défait de ma prise et me donne une gifle comme rarement je m'en suis reçues dans ma vie.

— T'es qu'un sale con putain, couine t-il avant de revenir se nicher contre moi.

Je reste figé un instant, sonné par l'intensité de la baffe que vient de me donner mon petit ami, avant d'en faire abstraction, et de venir nicher mon nez dans ses cheveux.

Et, à nouveau, j'oublie la balle et les photos dans ma poche de veste.

   Chiara me couvre d'un regard préoccupé, tandis que je broie du noir, la tête enfoncée dans mon casier. J'espère, en me cachant ainsi, éviter les regards de pure haine que m'adressent les élèves reliés aux King, qui depuis mon arrivée au lycée ce matin, ne se gênent pas pour me lancer des regards noirs et des piques acerbes dans les couloirs.

— Franchement, tu illustres à merveille l'expression ''faire l'autruche''.

— J'ai franchement pas envie de rire ce matin.

— C'est à cause de hier ? Tu veux en parler ?

— Non. Je veux pas en parler. Pas encore.

J'en ai déjà assez discuté avec Damian, hier soir. Une fois sa crise de larmes passée, il est revenu à la charge en m'accusant de me cacher derrière sa propre misère pour fuir la mienne.

— Si j'ai pu mettre des mots, tu vas en mettre aussi, crois-moi !

Après ça, il n'a pas cessé de m'interroger, de me demander ce qui n'allait pas, pour au final que je lui déballe toute la vérité. Toute cette fichue vérité qui, pour la deuxième fois de la soirée, l'a mis en boule. Il n'a pas dis un mot, une fois que je lui ai montré les photos, et est simplement retourné chez lui, avec la demande explicite de ''dormir seul''. Finalement, je me suis réveillé ce matin, avec son corps pressé contre le mien. Il était revenu durant la nuit. Et, bien qu'il soit revenu, je sais qu'il est blessé, encore et toujours, par toute cette merde qui continue de lui tomber sur le coin du nez, même lorsqu'il n'est pas au lycée.

Sauf que le malaise reste là. Il sait qu'au lycée, ça crache sur son nom, ça invente et ça moque, il sait que quelque chose ne va pas, qu'on me cherche des ennuis, qu'on cherche des ennuis à sa sœur.

Nouvelle redescente, lui qui avait amorcé une remontée hier soir.

— T'en as parlé avec Damian ?

— Il était franchement ravi, je grommelle en soupirant.

Chiara ne répond pas tout de suite.

Mon ventre gronde, il n'est pourtant que dix heures.

Le couloir est bondé, les élèves forment des groupes ci et là, à l'abri de la pluie torrentielle qui tombe dehors.

Et puis, d'un coup, c'est un autre genre de pluie torrentielle qui me tombe dessus. Une pluie glaciale, qui me broie le dos en me tombant dessus. Un murmure gronde autour de nous, enfle et devient insupportable.

— C'est une blague, murmure Chiara.

Je ressors la tête de mon casier pour suivre son regard, et manque m'étouffer.

Les doubles-portes de l'entrée viennent de s'ouvrir, sur mon petit ami, sweat de l'équipe sur le dos, sourire dédaigneux au visage, mains dans les poches.

Il balaye le couloir d'un regard indifférent, avant de se mettre en route, tout droit vers nous. Les gens s'écartent sur son passage, se tassent contre leur casier, j''ai envie de rire, vraiment. Où est donc passée toute la verve qu'ils avaient à parler de son cas depuis deux semaines ?

— Mi vida, sourit-il en venant m'embrasser. Como está ?

— Está pas bien du tout du tout, je murmure. Qu'est-ce que tu fous là ?

— Ariana arrive, elle vient casser la gueule à Aubra et, je louperais ça pour rien au monde.

— Va t-en, c'est franchement pas le moment de revenir.

— Pourquoi ? Parce que des sales cons pourraient s'en prendre à moi, comme le prévoyaient les menaces de hier !?

Il crie ces paroles, avec pour unique but de bien se faire entendre de ses détracteurs.

J'arrive pas à savoir si là, tout de suite, on est dans un ''high'' ou dans un terrible ''low''.

— Damian, si j'ai accepté que tu viennes, c'est pas pour te montrer en spectacle comme ça.

Ariana, notre sauveuse, fait à son tour son entrée dans le couloir central du lycée, queue de cheval à la Ariana Grande sur la tête, tenue chic, baskets blanches.

La fratrie Cortez semble en forme.

— Salut Samuel, sourit-elle. Et toi, viens avec moi.

Sans aucune douceur, elle attrape Damian par la capuche et le tire à sa suite, sous les sifflements de quelques garçons dans la foule.

— On voit bien qui porte les couilles, s'exclame un type de dernière année, les mains en porte-voix.

— Ouais, c'est moi.

Ariana se tourne vers la provenance de la voix, et hausse un sourcil.

— Ta mère en garde un bon souvenir d'ailleurs.

Une explosion de critique à l'encontre du malheureux gars explose dans la foule, tandis que la petite amie de mon frère poursuit sa route, Damian toujours bien en place sous sa main de fer.

Et, alors qu'ils disparaissent au coin du couloir, Chiara se penche vers moi :

— Si un jour je devais virer de bord, ce serait uniquement pour Ariana.

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