33 - Ariana

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Ariana

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   Le ton monte entre Rafaël et moi. Depuis que j'ai mis H dehors il y a une heure environ, il s'entête à vouloir me raisonner, me faire changer d'avis.

Il en est strictement hors de question. Il ne s'agira que d'un énième règlement de comptes, personne n'y fera attention. Donni ira rejoindre les déchets de son genre dans la fausse commune de la ville, puisque plus personne n'est là pour le pleurer, pauvre petit chéri.

— Ariana, c'est stop, marmonne Rafaël en me subtilisant la bouteille de Tequila des mains. On en reparlera demain, ok ? On doit faire à manger pour les garçons et...

— Bordel mais Raf, tu m'écoutes quand je te dis qu'après ça c'est bon, on pourra partir ? Mais pas avant, je... je veux qu'il paye.

— Je peux le livrer aux hautes autorités Ari, je peux faire en sorte qu'il...

— Raf ?

Je redresse la tête, avise la descente d'escalier où se tient Samuel, tremblant, le visage en sueur.

— Sam tout va bien ? s'inquiète aussitôt son frère.

— Oui je... j'ai fait un mauvais rêve je... je viens juste boire un verre d'eau.

— Tu veux en parler ? je lui propose.

Il hoche négativement la tête, et va se remplir un verre dans la cuisine avant de nous rejoindre dans le salon, toujours aussi blême.

On peut dire que son arrivée a mis un terme temporaire à notre début de dispute. Rafaël me fait signe de ne pas piper mot à propos du retour de Donni, avant de darder son regard sur Samuel.

— Qu'est-ce que vous faisiez en haut ?

— On dormait, je te l'ai déjà dit, je crois.

— Tu en fais pas souvent des cauchemars pourtant.

Le point que soulève Rafaël tétanise Samuel qui se raidit encore plus, avant de baisser les yeux. Piteux, il se tord les mains en murmurant des paroles intelligibles. De la main, je fais signe à Rafaël de le laisser tranquille.

Samuel se recroqueville sur le canapé, et c'est bientôt au tour de Damian de descendre les escaliers, la mine endormie, les cheveux en bataille.

— Vous allez rien dormir de la nuit après cette sieste, je lance joyeusement en l'étreignant.

Il fourre son nez dans mes cheveux, puis vient s'asseoir à côté de moi, avant de laisser sa tête reposer contre mon épaule. Il se laisse complètement aller contre moi, son poids bien que léger m'écrasant quelque peu contre l'accoudoir.

— On va peut-être aller chercher un truc à manger, non ?

La proposition de Rafaël attire immédiatement l'attention de son frère qui, énergiquement remis de son cauchemar, relève la tête vers lui, un sourire aux lèvres.

— Asiatique ? S'te plaît asiatique, je rêve de raviolis vapeur.

— Quand on est poli, on demande aux dames d'abord, rétorque mon petit ami.

— Chinois ça me va, grogne mon frère.

J'échange un regard avec Samuel et pouffe de rire. Pas du tout au fait du bon timing de son intervention, Damian soupire, et bat des cils avant de hausser un sourcil.

— Quoi ?

— Rien, t'as juste le chic de toujours dire les bonnes choses au bon moment.

— Donc chinois ? récapitule Rafaël en se redressant.

Je hoche la tête, lui indique de proposer à Jay de nous rejoindre, et l'informe que ma carte bancaire se trouve sur le bar. Toujours avachie sur mon canapé, je passe des doigts distraits dans les cheveux de Damian.

— Tu crois qu'ils peuvent nous ramener des Bubble tea ?

— Sûrement, je souris. Esclaves, deux bubble tea en plus ! Pêche coco pour moi et...

— Citron mangue pour moi !

— Très bien vos seigneuries, autre chose ?

Damian et moi échangeons un rire, et les laissons enfin quitter la maison.

L'isolation est tellement mauvaise, même depuis le salon je peux entendre les portières claquer, la voix de Samuel quémander le droit de connecter son portable aux enceintes de la voiture.

Toujours occupée à jouer avec les mèches obscures de mon frère, je ne remarque pas tout de suite l'appel vidéo entrant sur l'écran de mon ordinateur.

— C'est Fiona ! s'agite t-il soudainement en relevant la tête.

Je saute presque du canapé, attrape mon ordinateur portable, et accepte l'appel. Presque aussitôt, le visage de ma meilleure amie s'affiche à l'écran. Elle porte une large paire de lunettes de soleil, ainsi qu'un joli rouge à lèvres rosé.

— La campagne te réussit bien, je lui lance en constatant son aspect soigné.

— Il se pourrait bien que le voisin des grands-parents soit un beau gosse.

Damian roule des yeux, avant de venir se coller à moi pour à son tour, apparaître à l'écran.

Fiona sourit, puis explose de joie en comprenant qu'il est de retour à la maison. Assailli d'un flot de questions, d'une avalanche de mots doux et de sourires, mon frère finit par s'insurger et demander du calme.

Au loin derrière Fiona, j'entends les jumeaux brailler.

— Oh les sales gamins ! Ari et Dam sont dans l'ordinateur !

Sa formulation est bizarre, et fait hurler Danny : « On dit pas ''ils sont dans l'ordinateur'', on dit, ''ils sont en appel'' ».

Je me coucherai moins bête ce soir, rétorque Fiona.

Dam !

Le cri du cœur, vient de nos deux petits frères à l'unisson. Serrés l'un contre l'autre pour parvenir à se faire voir de la caméra, un pincement au cœur me prend, rien que de les voir aussi heureux.

— Vous avez reçu notre carte postale ?

Je hausse les sourcils, réponds que non, vois Mikky commencer à bouder.

On l'a envoyée hier, lui murmure Fiona. On a été se promener dans un village style western. Je t'enverrai les photos, mais, on a été boire du jus de pomme dans un vrai saloon.

— Du jus de pomme, t'es sûre ?

— Les petits ont bu du jus, moi j'ai bus un mojito.

— Je suis pas sûre qu'ils buvaient des mojitos au temps des cow-boy, rétorque Damian.

— Monsieur est connaisseur ?

Damian se met alors à lui étaler sa science, piqué au vif par la remarque de Fiona. Parti dans un long monologue sur le thème du Far West, je me détends et l'observe faire. Je me rappelle que, lorsque nous étions enfants, papa nous avait construit un tipi dans le jardin. Il était précaire, mais nous l'aimions beaucoup H, Lina et moi. Quelques années plus tard, lorsque Damian a eu l'âge de donner son avis et de nous faire la guerre, il a décrété que les indiens étaient des faibles, et que comme il ne faisait pas partie de ceux qui se faisaient maltraiter, il serait un cow-boy. Alors, papa lui a bâti un fort, dans le fond du jardin, assez loin de notre tipi pour marquer la différence de milieu. Et, malgré le fait qu'à l'époque H avait dix-huit ans, Lina dix-sept, et moi seize, nous jouions volontiers avec Damian qui lui n'en avait pourtant que sept. Et il gagnait, ce fourbe.

— Alors, de retour à la maison ? lui demande enfin Fiona.

— Ouais, ça fait bizarre un peu.

Il est gêné, a le rouge aux joues et le regard fuyant.

— Vous venez nous voir bientôt ?

— Ah parce que vous comptez pas rentrer ? je demande en faisant un clin d’œil à Danny.

Jamais de la vie ! On est mieux ici, il y a des animaux partout, les gens ont pas de pistolets, et on s'est fait plein d'amis. Danny a même une amoureuse, elle habite au bout du chemin des papys et mamys de Samuel.

— Ah bon ?

Danny, rouge de honte, sort du cadre de la caméra sous les moqueries bienveillantes de Fiona et Mikky.

— Je suis contente que vous vous plaisez là-bas, vraiment. On viendra vous voir quand le docteur autorisera Damian a faire une aussi grande sortie, d'accord ?

— Il est gentil ton docteur Dam ? Il te soigne bien ?

— Il est vieux, répond simplement mon frère. Mais oui... je crois qu'il est gentil.

D'entendre ça me donne envie de le serrer contre moi. Haut les cœurs, Damian Cortez donne enfin un avis positif sur un représentant du corps médical, après quatorze années de refus catégorique. Peut être devrais-je rappeler Rafaël pour lui demander de ramener du champagne ?

— Il est là Samuel ?

— Non, il est parti chercher à manger avec Raf, pourquoi mi vida ? Tu as un message ?

— Oui : Bounty est génial, c'est mon meilleur ami.

   Les garçons reviennent trois quart d'heures plus tard, au bout du rouleau. Le premier restaurant était fermé, le second ne faisait pas de bubble tea et enfin, le dernier comptait plus d'un quart d'heure d'attente pour les commandes à emporter.

— Autant vous dire que vos putains de bubble tea, vous avez intérêt à les apprécier !

Le message de Rafaël est clair. Je lui prends mon verre des mains, dépose un baiser contre ses lèvres en guise de remerciement, et le laisse tendre son verre à Damian.

L'appel de Fiona l'a mis d'excellente humeur. Le diable au corps, il est monté défaire son sac, puis a mis la table dans le salon, a même accepté de jeter un œil aux cours qu'il a loupés et que ses professeurs nous ont envoyés par mail.

Son verre en plastique entre les mains, il avale une première gorgée, ferme les yeux en signe de pure satisfaction, puis gronde, lorsque Samuel le lui subtilise.

— Hé !

— Quoi ? J'ai été le chercher, je peux bien goûter non ?

Rafaël ricane tandis que Damian se tasse dans le canapé, boudeur.

Entre temps, Jay nous a rejoints, une caissette de bière entre les mains : loin de lui l'idée de passer pour un alcoolique notoire, il ''déteste'' simplement les boissons vendues avec la nourriture asiatique. À d'autres.

Après ça, c'est le début des hostilités : Rafaël m'a dit un jour qu'il détestait les buffets car il avait toujours peur de ne pas arriver à piocher à temps dans les plats. Ça le crispe, d'ainsi voir les gens piocher dans les assiettes de leurs doigts sales. Alors, avant que les deux adolescents affamés ne se jettent sur les différents plats, je lui confectionne une assiette, et la lui tends.

— Ce traitement de faveur, murmure Samuel avec un regard envieux.

— Sois pas jaloux mi amor, si tu veux je te fais la même.

— Ari, Damian vous êtes des mères pour eux, ricane Jay.

Sam rit, et accepte. Pendant que ces messieurs se préparent leurs petits assortiments, je prépare un DVD, lance la machine à pop-corn dans la cuisine, et viens me rasseoir près de mon frère.

— Alors, quelle pépite du cinéma tu nous colles ce soir ?

— Je rêve où il y a du sarcasme dans ta voix ? je rétorque farouchement. Ce soir, c'est XOXO, petite dédicace à Sam, vous comprendrez pourquoi.

Damian et Samuel échangent un regard étonné, tandis que Rafaël m'adresse un sourire conspirateur.

Lui et moi avons déjà vu ce film, savons de quoi il en retourne.

Ainsi, tous entassés devant le poste de télévision, je me sens flotter. On pourrait croire que tout va bien, que la vie est à nouveau légère et plaisante.

Et c'est le cas, pour le moment.

Seule une tache noire vient barbouiller ce tableau, mais qui sera bientôt effacée au profit de couleurs plus vives.

Dans moins d'une semaine, j'en fais le serment, Donni sera mort, et sa tête ornera notre mur comme trophée de chasse.

   « Il règne à table, une ambiance morbide. Personne ne parle, personne ne se regarde, on fuit tous ce que l'on n'ose pas affronter. Ici, la chaise vide de Lina, juste en face de la mienne.

Les jumeaux sont les seuls à faire la conversation, ils se racontent des blagues entre eux, s'amusent à se lancer des petites boulettes de pain sous l’œil trop fatigué de ma mère. Elle les regarde faire sans mot dire, comme anesthésiée.

Hugo lui joue l'intouchable, comme d'habitude. Droit dans ses baskets, juste à côté de papa, il mâchouille son morceau de viande tout en replaçant de temps à autre le bandage de son nouveau tatouage. Geste qui pourrait paraître anodin, mais qui en creusant bien, trahit son trouble, son mal-être à lui.

Damian ne dit pas un mot pour sa part, replié sur lui-même. Depuis une semaine, je pense qu'il n'a même pas atteint la centaine de mots. Et pourtant cent mots, c'est très peu.

Son assiette est vide, la mienne à moitié remplie.

Papa a sur nous des yeux attentifs. Ses deux trous sombres et impénétrables sont rivés sur nos moindres faits et gestes, sur nos moindres respirations.

— Ariana, Damian, mangez.

— J'ai..., j'ai pas super faim, je murmure en repoussant mon assiette de frijoles.

Il gronde, mais ne fait aucun commentaire. À la place, il se focalise exclusivement sur mon petit frère. Très mal à l'aise, je le vois s'agiter, commencer à cacher ses mains tremblantes sous la table.

— Tu m'accompagnes cet après-midi Hugo, décrète mon père en se resservant un verre de vin. On a un gros arrivage à L.A.

— Monty, je pense qu'il faudrait garder les enfants loin de tout ça le temps qu...

— Je ne crois pas t'avoir adressé la parole.

Le ton est tranchant, glacial. C'est comme ça depuis une semaine en somme, depuis que mes parents ont dû identifier le cadavre, depuis que chacun notre tour, nous avons fait nos adieux à Lina.

Papa et maman s'aimaient pourtant avant. Du moins, ils se toléraient. Ce n'est désormais plus possible. Ils ne se parlent qu'en se crachant leur dégoût mutuel de l'un et de l'autre à la figure, s'insultent dans un espagnol parfait et, lorsque nous sommes censés dormir, ils se rejettent la faute de la mort de notre sœur.

De quel côté somme-nous ? Aucun, nous sommes de notre côté, celui de la survie, celui de l'entraide face à cette fissure qui s'agrandit de jour en jour.

— Pas de soucis papa, répond finalement Hugo.

— Ari, mi princesa, tu viens avec nous ?

Je vois Damian se crisper du coin de l’œil. Pris entre deux feux, encore. Si je n'accompagne pas mon père, il va faire un scandale, et si je me rends avec eux à Los Angeles, je prends le risque de laisser mon frère exploser sans que je ne sois là pour le récupérer. Ce n'est pas ma mère et sa camisole chimique qui vont l'aider à se calmer s'il commence à hyperventiler.

Je frissonne, écrasée sous le regard insistant de mon père, et celui suppliant, de Damian.

— Moi je veux bien venir, intervient Mikky, pour détendre l'atmosphère.

— Un jour Mikky, un jour. Pour le moment, c'est à Ariana que je pose la question.

Il ne perd pas le nord, ça c'est certain. Totalement bloquée, je tente de jouer le tout pour le tout.

— On pourrait peut-être emmener Dam avec nous, ça commencerait à...

— À rien du tout. Je ne vais pas prendre le risque que monsieur fasse une ''crise de panique'' devant mes fournisseurs. On passerait pour quoi après ça ?

Je me mords profondément la lèvre, à m'en faire mal, pour ne pas riposter. Mon frère lui, se tait, toujours. Les yeux rivés sur son assiette vide, il se contente de me couler un regard reconnaissant, avant de finalement se lever de table et monter dans sa chambre.

— Qui t'a donné l'autorisation de te lever ? brame mon père en frappant du poing sur la table.

— Papa, está bien. On va y aller tous les trois, c'est pas un problème.

L'intervention de Hugo à le don de décrisper tout le monde. Que ferions-nous sans le ton calme et la voix suave de l'enfant prodige, n'est-ce pas ?

Ma mère est sur les dents.

Va voir ton fils bordel, je pense en la regardant se resservir du vin à son tour. Va voir comment il va, c'est ton rôle à toi, pas le mien, alors...

Elle ne bouge pas d'un millimètre. Je la fusille du regard, m'attire son air étonné que j'ai envie d'arracher de son visage à grand coup de fourchette. Bordel, depuis une semaine, nous n'existons plus. Elle se retranche derrière l'excuse du deuil et de la peine, ne nous regarde même plus. Certes, elle a perdu un enfant, et c'est tragique, mais il en reste cinq. Dont un qui va plus mal que les autres, et qui pourtant, ne bénéficie d'aucun soutien : ni de papa, ni de maman.

— Je vais aux toilettes, je lance en me levant, après m'être essuyé les mains.

Mon père hoche la tête : de toute façon, il n'ira jamais à l'encontre de mes choix, je suis sa dernière fille, il se doit de me préserver.

Je grimpe donc à l'étage, fais mine de claquer la porte des toilettes, pour ensuite marcher à pas de loups jusqu'à la chambre de Damian.

Il est assis en tailleur sur son lit, un livre ouvert devant lui.

Moi qui m'attendais à le trouver effondré, je suis plutôt rassurée.

— Hé, tu fais quoi ?

— Si papa sait que t'as menti pour venir voir comment j'allais, il va péter un câble.

— J'en ai rien à foutre.

Doucement, je me rapproche de lui, avant de m'asseoir à ses côtés. Il sourit lorsque je passe un bras autour de ses épaules pour venir le câliner.

Mes yeux courent sur le roman qu'il est en train de lire.

— Qu'est-ce que tu lis ?

— T'aimerais pas.

— T'en sais rien. C'est quoi l'histoire ?

Il hésite sincèrement avant de simplement fermer le livre et le pousser au pied de son lit d'un coup de pied.

— Rien d'intéressant, c'est Lu qui me l'a prêté.

— Tu traîne avec cette nana ? Dami, c'est une fouteuse de merde.

— Moi je l'aime bien.

Je hausse les épaules, et dépose un baiser contre sa tempe. Profondément, il inspire par le nez, avant de soupirer, les yeux clos.

Du coin de l’œil, franchement mal camouflé dans le tiroir de sa table de nuit, je capte une petite boîte de capotes. Celle-la même que j'ai personnellement, toujours dans mon sac à main, au cas où. Mes sourcils se froncent, tandis que je percute lentement. Ou plutôt, que j'essaye de percuter.

— Dam, tu me dirais si... si t'avais une copine ? Ou... ou un copain ?

— Un copain ? Ari, je suis pas une pédale.

Il ricane nerveusement, se gratte l'arrière de la tête, avant de détourner le regard.

Au moins, le message de notre père est passé : « Aimer les hommes quand on est un homme, c'est ignoble, c'est repoussant, je veux pas de ça dans ma famille ». Il a balancé ça à la cantonade un jour où nous étions tous à table, mais avait bien choisi la personne qu'il fixait en prononçant ces mots.

Je me suis senti tellement mal, j'en ai tellement voulu à mon père de tenir ce genre de... de propos arriérés à son fils que, durant les trois jours qui ont suivi, je n'ai fait que parler de cette fille, Lana, une bonne copine à moi qui aime les filles, et qui en est fière. Autant dire que papa a moyennement apprécié, et que Hugo en bon fils qu'il est, m'a explicitement demandé d'arrêter de ''jouer à ce petit jeu-là''. Lina était de leur avis, évidemment.

— T'aimes qui tu veux, je m'en fous, je finis par murmurer. Mais juste... fais attention.

— Tu crois que... que papa m'aimerait plus si... si j'étais un vrai garçon ?

Un instant, je reste bloquée. Le visage tourné vers sa fenêtre, il fuit le contact visuel avec application.

— Comment ça ?

— … non, rien, je... c'était stupide comme question.

Il rit à nouveau, tristement cette fois-ci. Puis il se lève, marche jusqu'à son bureau, et attrape son MP3.

— Tu devrais redescendre Ari, un passage aux toilettes dure pas aussi longtemps.

Comme convenu l'après-midi même, mon père, Hugo et moi, partîmes récupérer une grosse cargaison d'héroïne. En sommes, quatre malheureuses heures s'écoulèrent jusqu'à notre retour à la maison. Sauf qu'en rentrant ce soir-là, nous apprîmes que maman était partie faire les courses peu de temps après notre propre départ, et qu'elle n'était toujours pas rentrée. Mon père ne chercha même pas à la retrouver. Il informa simplement les jumeaux que « Maman a de très grosses courses à faire ». L'incident se termina de cette façon, dans le mensonge et le silence, comme toujours ».

   Au petit matin, après ma nuit agitée, je suis heureuse de retrouver Rafaël endormi près de moi. Rafaël qui, comme moi, n'a plus tde mère, qui comme moi, à un petit frère qui en ce moment, est super mal dans ses baskets. Qui, comme moi, doit en avoir ras le bol de tout ça, à certains moments mais qui, après réflexion, n'échangerait sa place contre rien au monde.

Parce que c'est ça : faire le choix de tout donner de soi pour garder ceux qu'on aime près de nous, c'est faire le choix de sacrifier certaines choses, pour en embellir d'autres.

— T'as l'air bien songeuse de si bonne heure, murmure sa voix suave contre mon oreille.

Je lui offre un sourire en coin, caresse sa joue, retrace ses muscles du bout des doigts. Les lignes de ses tatouages, le rebondi de ses courbes.

— Ari... ?

— Je t'aime Raf.

Il sourit à son tour, et vient déposer un baiser contre mes lèvres, de ceux qui bien que rapides et volatiles, font un bien fou. De ceux qui durant quelques instants, font tout oublier.

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