29 - Samuel

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Samuel

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— You're like gold dust...

Je chantonne, les yeux rivés sur le paysage à la fenêtre de la chambre d'hôpital de Damian. Il fait presque nuit. La ville est baignée de nuances orangées, de reflets rosés, on commence à discerner les phares de voitures qui s'allument.

— Oh, don't change ever, no don't change...

Un seul de mes écouteurs enfoncé dans mon oreille diffuse Gold Dust de Galantis, un titre à des années lumière de ce que j'écoute d'ordinaire, aux sonorités électro, ambiance festival sur les plages de Los Angeles.

Pas du tout ambiance chambre froide et morbide de Soledo.

— There's a hollow in this house, whenever you go.

Ma tête s'agite légèrement, tandis que des yeux, je suis la progression d'une voiture blanche sur le parking du service des urgences. Une femme conduit, et sa fille adolescente sur le siège passager, a un bras dans le plâtre.

La voiture de Rafaël n'est toujours pas en vue. Lui et Ariana ont dû s'absenter il y a deux heures déjà, pour aller répondre aux questions des policiers de Soledo, en charge de l'affaire depuis le coup de fil de Danny à l'assistante sociale référente de la famille. Tout un engrenage s'est créé autour de ce simple appel au secours d'enfant de neuf ans, qui a conduit à une enquête approfondie, un partenariat avec les fédéraux, et j'en suis certain, une nouvelle implication de mon frère et Jay dans le trafic au Mexique. Maintenant que l'épicentre est localisé, leurs employeurs seraient fous de les laisser abandonner la mission sans dénouer les fils du problème.

— Oh don't change ever, no don't change...

Un froissement de draps attire mon attention. C'est subtile, presque insignifiant, mais bien là.

Je me retourne pour aviser l'état de Damian, pour finalement tomber nez à nez avec deux orbes émeraudes rivés sur moi.

— Damian... ?

Un léger mouvement de tête m'indique qu'il m'a entendu, et que je peux m'approcher. Précautionneux, l'angoisse au ventre de faire quelque chose de mal, je viens m'asseoir sur la chaise jouxtant son lit, pour le considérer de plus près.

— Comment tu vas ?

Il commence à ouvrir la bouche pour répondre, avant que je ne le coupe abruptement, pour aller chercher un verre d'eau que je viens ensuite presser contre ses lèvres.

— Bois.

— J'ai pas super....

— Bois, aller.

Ma voix, bien que ferme, reste assez douce pour ne pas le brusquer. Il hésite un instant, me balaye d'un regard étonné, avant de boire quelques gorgées. Il écarte ensuite le verre que je pose sur sa table de nuit.

Une envie folle de prendre sa main dans les miennes me prend aux tripes. Mais je ne peux pas. Rafaël m'a expliqué les réactions de rejet de mon petit ami lorsqu'il l'a à peine effleuré du bout des doigts, alors il m'a demandé de ne même pas essayer de le toucher. De le laisser tranquille, de laisser passer le temps, que ça ira mieux ensuite.

Mes yeux sont rivés sur les marques de doigts sur son cou, sur les nuances de bleu, de rouge et de violet sur son visage.

Mon cœur et mon estomac se serrent.

— J'ai l'air si horrible que ça... ? finit-il par demander après quelques longues secondes de silence.

Je sursaute et réalise que je l'observe avec insistance depuis que j'ai posé le verre d'eau. Quel imbécile je fais.

— Non, non bien sûr que non tu...

Mes mots ne semblent pas lui suffir. Il fronce les sourcils, me demande une première fois de lui donner quelque chose pour s'observer, je refuse. Connaissant l'importance presque maladive qu'il accorde à son aspect physique, il va exploser à la simple vue de son visage tuméfié. Je me souviens très bien du scandale quant à son arcade ouverte, après sa phase une. Il en était malade, a refusé de mettre les pieds au lycée tant que sa blessure ne se serait pas arrangée, esthétiquement parlant, alors là...

Il n'a pas besoin de ça, pas alors qu'il vient juste de se réveiller.

— Sam, s'il te plaît. J'ai besoin de... de voir ce qu'ils ont...

Il déglutit, se mord la lèvre inférieure avec force, ferme les yeux.

— Dami, vraiment je pense pas que ce soit une...

Il gronde entre ses dents serrées, et avant que je n'ai pu réagir, et il est debout, flageolant mais droit, et arrache la perfusion qui le retient prisonnier. La simple vue de l'aiguille aussi brutalement arrachée de son bras me donne un haut-le-cœur.

— Damian, qu'est-ce que tu fous ?

Il ne m'écoute pas, et s'avance en zigzagant jusqu'à la salle de bain accolée à sa chambre, pour s'y enfermer avant même que je n'ai eu le temps de l'y rejoindre. La porte claque derrière lui, le bruit résonne dans toute la chambre.

— Damian ?

Je toque contre le panneau de bois, espère le voir rouvrir, en vain. Je ne peux qu'entendre ses murmures, ses sifflements, puis un premier sanglot, qui enfle, qui enfle...

Je dois appeler une infirmière.

Rapidement, je me rue dans le couloir pour appeler de l'aide, brame à m'en déchirer la gorge, car il s'est enfermé dans cette putain de salle de bain et qui sait ce qu'il pourrait y faire ?

Presque aussitôt, un interne et un infirmier me rejoignent, prennent note de la situation, avant de hocher la tête.

— On a un double pour les portes de salle de bain pour éviter... ce genre de situation.

— Il a arraché sa perfusion, je murmure, la voix secouée par la panique.

— Pas de problèmes, t'en fais pas. Tu es tout seul ici ? Il n'y a pas d'adultes avec toi ?

Je referme mes bras autour de mon torse, me sécurise tout seul, me contiens.

— Hugo devait nous rejoindre mais... et Raf et Ari sont au poste et...

— Ok, ok, attend. Viens. On va déjà sortir ton ami de la salle de bain et le remettre sous tranquillisant.

Je hoche la tête tout en me mordant l'intérieur de la joue. Je ne veux pas qu'ils le shootent à nouveau, je ne veux pas qu'il soit à nouveau dans la brume, je veux qu'il soit lucide, qu'il soit là, qu'il m'explique, que je puisse le rassurer et que...

Une main se pose sur mon épaule, l'infirmier me sourit avec chaleur.

— Mon collègue a ouvert la porte, tu peux venir avec nous si tu veux.

Tel un robot, j'avance jusqu'à la porte de la salle de bain ouverte, pour tomber sur mon petit ami recroquevillé dans un coin de la salle, les genoux sous le menton, agité de sanglots.

Rien à foutre de ce que Rafaël en pense, je me rue vers lui, m'accroupis à ses côtés, et le prends contre moi.

Pas de rejet, pas de cri, juste son corps qui se tend, ses muscles qui se bandent, et ses sanglots qui redoublent.

— Dami, c'est moi...

Je murmure contre son oreille, n'attends pas de réponse, juste un retour au calme, aussi précaire sera t-il. Son corps me paraît presque inexistant entre mes bras, aussi replié qu'il est sur lui-même.

De ma main, je caresse son bras, essuie la petite coulure de sang qui s'échappe de l'intérieur de son coude, là où il était perfusé. Il a toujours le visage enfoncé dans les genoux.

— Qu'est-ce qu'on fait ? demande l'infirmier à son collègue.

— Je pense pas que ce soit utile de le remettre sous calmant, il se fait pas de mal.

— Il va se calmer, je leur lance, sûr de moi. Il va se calmer, ça va aller.

Je le serre contre moi, continue de lui murmurer tout ce qui me semble essentiel, lui demande de me regarder, lui assure que tout va bien. Que je suis là, et que plus personne ne lui fera de mal, ne lèvera la main sur lui, jamais.

— Cariño, je susurre à nouveau. Regarde-moi, allez.

Ce n'est qu'au bout de quelques minutes qu'enfin il redresse la tête, et qu'il plante ses yeux dans les miens. Je frémis, mon cœur me hurle de détourner le regard pour maintenir la tête hors de l'eau.

Il est explosé. Je pensais que Rafaël grossissait le trait pour me préparer, mais il avait totalement raison.

— Dami...

— Je veux rentrer à la maison, croasse t-il en s'agrippant à moi.

— Pas tout de suite, pas maintenant on...

L'infirmier vient me rejoindre, et commence à peine à s'accroupir que déjà Damian se braque, se tend. Entre mes doigts, je sens une chair de poule agiter son épiderme, ses muscles se contracter.

Il a un mouvement de recul violent, se heurte au mur en carrelage derrière lui, siffle, gronde, comme un animal nez à nez avec un prédateur.

— Le touchez pas, je demande brutalement en avisant l'infirmier, avant de me radoucir : le touchez pas, le touchez pas...

— Il faut qu'il retourne dans son lit. Il va attraper froid à rester assis par terre comme ça.

— Je vais l'emmener, ça va aller.

L'infirmier hausse un sourcil, mais acquiesce tout de même. Il s'écarte, me laisse me redresser, pour ensuite passer mes bras autour de mon petit ami et le relever du mieux que je peux.

Notre différence de taille n'est pas si grande que ça, à peine cinq centimètres, mais là où il peut se vanter d'un tas de chose, je reste de loin le plus costaud de nous deux. Avec une aisance assez relative, je le supporte contre moi, et l'entraîne à ma suite jusqu'à son lit, où il se laisse tomber, mal à l'aise. Il tremble toujours, mais au moins ses larmes se sont taries.

— Pardon, pardon, murmure t-il.

— Ça va aller mon cœur, c'est bon. Tu as besoin de quoi, là maintenant ?

— Que ça s'arrête.

J'échange un regard avec l'infirmier, qui ne semble pas plus comprendre que moi ce à quoi il fait référence. Assis au bord du lit, il ne nous regarde pas, les yeux rivés au sol. Doucement, je m'assois à côté de lui, et prends sa main entre les miennes, caresse sa paume de mon pouce.

— Qu'est-ce qui doit s'arrêter... ?

— Tout ça là...

L'infirmier me fait signe qu'il revient et quitte la chambre un instant avec son collègue, nous laissant ainsi seuls, à nouveau.

— Pourquoi tu t'es enfermé dans cette salle de bain... ?

— Je sais pas. J'avais pas envie que tu vois..., je... je voulais, je veux prendre une douche je...

— Que je vois quoi ? Dam, t'es pas immonde, t'es pas affreux. Tu es blessé. Tu as besoin de temps, de cicatriser, tu entends ça ? Et pour la douche on peut... je pense que si tu demandes, les infirmiers peuvent...

— Non ! s'écrie t-il aussitôt. Non, je veux pas qu'on me touche.

Ses lèvres tremblent à nouveau, il est prêt à exploser une nouvelle fois. J'anticipe, le reprends contre moi, viens guider son visage jusque dans mon cou. J'inspire son odeur, ne la reconnaît presque pas, mélange insupportable de médicament et d'essence, ce n'est pas lui.

… ce n'est pas lui.

Cette idée me révulse, je me sens ignoble de penser à ce genre de chose, de m'imaginer serrer une autre personne contre moi alors que... c'est lui. En morceaux, encore plus qu'avant, mais c'est lui.

Ses doigts se referment sur mon tee-shirt, le serrent, avant que je ne sente son souffle sur mon visage.

— C'est con quand même, murmure t-il avec un sourire triste. Lorsqu'on s'est quittés, c'est toi qui étais à l'hôpital, et là, c'est l'inverse.

J'acquiesce, et dépose un baiser sur son front.

— On va s'en sortir, pas vrai ?

— Bien sûr que oui, je souris contre sa peau. Pourquoi on s'en sortirait pas ?

Il hausse les épaules, et vient coller son front au mien. Nos nez se touchent presque, nos souffles se mêlent, se mélangent.

— Tu m'as manqué.

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