28 - Ariana

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Ariana

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   Damian a perdu connaissance dans la voiture. Nous arrivions aux abords de Soledo lorsque son corps a sursauté, avant qu'il ne cesse tout bonnement de réagir. Je l'ai secoué, H lui a donné de petits coups contre les joues, Rafaël a été moins tendre, Jay encore moins. Pas moyen de le faire revenir parmi nous.

Urgences, obligés. Là-bas, on me l'a arraché, je l'ai vu partir avec une horde d'infirmiers alertés par son état. Avant qu'on ne m'abandonne dans le hall d'accueil, j'ai eu le temps d'entendre « coma potentiel ». Autant dire que mon cœur a raté plusieurs battements, que le monde s'est ouvert sous mes pieds.

Cela fait deux heures qu'il est parti avec les urgentistes. Un interne est plusieurs fois venu me poser tout un tas de questions, m'a informé de l'état de mon petit frère – stabilisé, Dieu soit loué.

Selon lui, il aurait repris connaissance peu de temps après qu'il m'ait quittée, pour immédiatement partir en crise de panique incontrôlable. Ils ont été obligés de le sédater.

Au fond du couloir, je le vois revenir vers moi, un calepin entre les mains. Ses doigts s'agitent, il est mal à l'aise.

— Mademoiselle Cortez. Tout va bien pour vous ?

— Oui, je murmure simplement. Comment il va ?

— Il est stabilisé. Son état était dû à une prise massive de stupéfiants divers qui n'ont pas fait bon ménage une fois mélangé dans son organisme. Son état physique est assez... inquiétant, mais le pronostic vital n'est pas engagé. Vous m'avez dit que vous reveniez... ?

Je soupire, me passe une main sur le visage, ferme les yeux.

— Je vous ai déjà tout dit.

— J'en suis bien conscient mademoiselle, mais, il me faut des détails, pour que notre équipe puisse agir au mieux pour votre frère.

Alors je réexplique tout, une nouvelle fois. À chaque nouveau récit, les mots me coûtent, me font mal, m'arrachent les tripes. Je raconte l'enlèvement, le départ pour le Mexique, une première halte à Tijuana qui nous a été fatale au niveau du temps, puis notre arrivée à Hermosillo, le Chill's hotel, quel genre d'activité s'y passe, l'état de Damian.

J'ai envie de pleurer, mais ce n'est ni le lieu, ni le moment.

Il est en vie.

Il va s'en sortir.

— Vous avez prévenu la police ?

— Pas moi directement, mais une amie s'en est chargée.

— Quand votre frère ira mieux, je vous conseille de l'emmener témoigner.

L'interne m'adresse un sourire triste, avant de me désigner le couloir derrière lui d'un geste de la main.

— Il a été transféré dans une chambre. Vous voulez l'y rejoindre ?

— Évidemment.

— Il dort toujours, mais notre sédatif n'a pas un effet très long, il devrait bientôt se réveiller.

J'acquiesce, et le laisse me conduire à travers les couloirs immaculés de l'hôpital.

Je n'en peux plus de ce lieu, de cette odeur. D'abord Samuel, et maintenant Damian, qui sera le prochain ? Paris morbides ouverts.

Le jeune homme qui m'escorte m'indique une chambre dont la porte est close, et me demande d'appeler les infirmières au réveil de Damian.

Puis, il tourne les talons et s'éloigne.

Rafaël, H et Jay ne m'ont pas accompagné. Hugo voulait s'assurer de l'état de ses hommes – oh combien plus important que celui de son propre frère – tandis que Jay et mon petit ami devaient simplement aller récupérer Samuel.

Ils ne devraient plus tarder.

Dans la chambre impersonnelle, Damian est étendu dans un lit trop blanc, trop tranchant par rapport à sa couleur de peau. Il est perfusé au bras gauche, mais ne porte pas de masque à oxygène.

Ses yeux sont clos, il me paraît presque apaisé.

Lentement, j'approche une chaise en plastique du lit, et m'y assois, pour attraper sa main froide au creux de la mienne.

Aucune réaction, il dort à poings fermés.

L'interne qui m'a fait le compte rendu des médecins m'a parlé de côtes cassées de contusions sévères au niveau des jambes, d'ecchymoses au niveau du visage.

Il m'a surtout parlé de lésions intimes sévères, d'intimité malmenée.

Mes doigts se crispent sur le tissu de mon pantalon, je me mords la lèvre.

Si nous ne nous étions pas attardés à Tijuana, nous aurions pu arriver à temps. Nous aurions pu éviter tout ça.

Mon portable vibre dans ma poche.

« On est à l'accueil, tu es où ? » - Rafaël.

« Chambre 256, deuxième étage, à gauche après les ascenseurs » - Ariana.

Je range mon téléphone, et pose mes yeux sur le visage de mon petit frère. Le « bip bip » régulier dans la chambre rythme les battements de mon cœur, me donnent une piste sur la respiration à adopter.

Cette fois-ci c'est véridique : j'ai totalement échoué.

Les minutes passent, jusqu'à ce que deux coups ne résonnent à la porte. Je me lève immédiatement pour aller ouvrir, et suis percutée de plein fouet par le corps agité de Samuel. Il tremble comme une feuille alors qu'il m'enlace, me serre contre lui.

D'instinct, son visage s'enfouit dans mon cou, ses doigts se referment sur le tissu de mon haut.

Rafaël derrière lui, m'indique qu'il a reçu le même accueil.

Je hoche la tête, avant de déposer un baiser dans les cheveux de Samuel, tout en lui rendant son étreinte.

— Comment tu vas ?

— Visiblement mieux que vous, murmure t-il. Il est où Dam ?

Il se recule, et plante son regard dans le mien. Du menton, je lui indique l'intérieur de la chambre, et j'ai la présence d'esprit de l'intercepter avant qu'il ne s'y rende. Mes mains se referment sur ses épaules, l'immobilisent.

— Sam..., il dort pour le moment. Et, il risque de...

— Raf m'a tout expliqué, me répond t-il tristement. Je le toucherai pas je veux juste... être avec lui.

Mon regard interroge Rafaël, qui hausse les épaules l'air de dire « De toute manière, que risque t-on maintenant ? ». Alors, je laisse passer Samuel, qui s'avance dans la chambre à pas de loup.

Mon petit ami me rejoint, et passe une main dans mes cheveux, avant de déposer un long baiser sur le coin de mes lèvres.

— Comment il va ?

— Il est stabilisé, physiquement. Pour le reste, c'est un carnage.

Il se mord la lèvre, ferme les yeux. Il sait comme moi ce qui s'est passé là-bas, mais n'ose tout simplement pas mettre les mots, pas y penser.

— Je suis désolé Ariana. On va tout faire pour qu'il s'en remette le mieux possible.

— S'il s'en remet, je marmonne, la rage au ventre.

— On parle de Damian là, bien sûr qu'il va s'en remettre.

Je hausse les épaules, pas du tout d'accord avec lui, et tourne les talons pour rejoindre l'intérieur de la chambre. Samuel a pris ma place sur la chaise, et a les yeux rivés sur mon frère.

Un instant, je m'arrête pour simplement les observer. Les yeux de Samuel, le regard qu'il porte à mon frère est tellement plein d'amour et d'inquiétude que mon cœur se gonfle. Peut-on vraiment avoir ce genre de passion dans le regard, à seulement quatorze ans ?

Doucement, je me rapproche de lui et pose une main sur son épaule avant de m'asseoir sur le rebord du lit.

— Il devrait pas tarder à revenir parmi nous, je souris.

— Il va s'en remettre hein ?

Il tourne son visage vers moi, me scrute avec attention.

— Dans sa tête, je veux dire.

À mon tour d'être déconcertée.

Je suis en incapacité de lui répondre.

— On va croiser les doigts.

— Ça fait quatre jours qu'ils sont croisés.

Doucement, je caresse sa joue, et porte mon attention sur mon petit frère.

Il dort toujours.

— Tu vas rester dormir ici ce soir ?

— Oui, je pense, je réponds doucement. Je le quitterai plus des yeux.

Il hoche simplement la tête, et lui comme moi reportons notre attention sur Damian, le cœur lourd.

Ouvre les yeux.

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