27 - Rafaël

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Rafaël

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   Nous arrivons à Hermosillo aux alentours de onze heures du matin. Avec nous, deux voitures chargées d'hommes de main de Sergio. Hier soir, après la petite virée de H et Ariana, notre aide inattendue a passé un coup de téléphone à Montgomery. De ce qu'il m'a dit, ils se sont eu un bon moment au téléphone, pot de vin pour le garde, trente minutes au lieu de quinze.

Ils se sont échangé des noms, des visages, ont planifiés la vengeance du père Cortez contre les King100 lors de sa sortie dans deux mois. D'ici là, il a chargé Sergio de nous aider, qu'il lui en serait redevable une fois sa liberté retrouvée.

Résultat ? Une aide, une protection, et une dizaines d'hommes armés prêt à en découdre si nécessaire avec nos nouvelles cibles.

Pour une fois, ce n'est ni moi, ni Jay qui avons conduit : H a pris le début de la route, Ariana s'est chargée des derniers kilomètres. L'un comme l'autre en revenant du bar hier soir, dégoulinaient de sueur, état normal lors d'une chute brutale d'adrénaline.

J'ai voulu savoir comment ils avaient eu l'adresse, Ariana m'a parlé de diplomatie, Hugo de méthodes ''archaïques'', je n'ai pas cherché plus loin.

Sergio, lorsque nous l'avons eu au téléphone, nous a sommés d'attendre ce soir pour agir, qu'une fuite en voiture se fait plus facilement dans la nuit noire : pas sûr que j'arrive à ceinturer Ariana et H jusque là.

Je sors de ma rêverie lorsque Ariana se tourne vers nous, les sourcils haussés.

— Il y a un macdo à côté, qui est chaud pour un casse-dalle ?

Réponse affirmative à l'unanimité, nous commençons donc de faire la queue pour le drive, au milieu d'une dizaine d'autre voitures.

— Vous avez vu avec Sergio pour la technique à adopter ?

— Un de ses gars va aller vérifier si Dam est bien là-bas en début d'après-midi. Si c'est bon, ce soir sur les coups de vingt-et-une heures, ton frère, Jay et moi allons le récupérer, couverts par les dix hommes de Sergio.

— Vingt-et-une heures ?

— Tu as entendu ce qu'il a dit, marmonne Jay. Une voiture en fuite se chope moins vite en pleine nuit.

J'appuie mon collègue, et avise ma petite amie se ronger l'ongle du pouce tout en avançant dans la file.

Elle est sceptique, tétanisée par l'anxiété et le doute. Qui pourrait lui en vouloir ?

Depuis mon siège arrière, je m'avance pour déposer un baiser contre sa tempe.

Elle tente de me sourire, n'y parvient pas, opte plutôt pour une caresse de ses doigts contre ma joue.

— Je te fais confiance, Raf.

— En même temps est-ce qu'on a le choix ? marmonne Hugo.

— Toi ferme-la, personne t'a demandé de faire un commentaire.

Notre chef de gang pince les lèvres, et se rassied dans son siège, vexé.

H – 10 avant l'opération de sauvetage.

   Damian est bien dans cet hôtel. Un trois étages à l'écart du centre-ville, à l'abris des regards. Ceux qui viennent ici connaissent l'endroit, et savent pourquoi ils y viennent. Le parking est plutôt petit, mal éclairé, la plupart des éclairages publiques sont grillés. En soi, l'hôtel ressemble à n'importe quel petit hôtel de banlieue avec sa devanture blanche et ses grandes portes vitrées. Le Chill's hotel, quel drôle de nom pour un repaire à ordures.

Les hommes de Segio sont garés de part et d'autres de notre propre voiture. Une barrière solide en cas de problèmes. Ariana, qui est censé rester à l'intérieur de la voiture pour des raisons de praticité, est assise au volant, le regard rivé sur la sortie du parking, les muscles tendus à leur paroxysme. Même sans être dans le vif de l'action, sa respiration est rapide et lourde, son regard aiguisé.

— Quinze minutes grand max, je lui murmure à l'oreille avant de planter un baiser sur ses lèvres.

— Raf ?

Je lui coule un regard lui intimant de poursuivre, ce qu'elle fait avec hâte.

— Le type qui... qui a vérifié que Dam était là il... comment il l'a trouvé ?

Il ne m'a rien dit à ce sujet. Simplement qu'il était bien là, que le champs était libre et que d'après lui, seuls deux vrais ''dangers'' pourraient nous entraver le passage.

— J'en sais rien mon cœur.

— Ok, bon... bon courage et... ramène-le moi, ok ?

Je hoche la tête, lui caresse la joue, avant de quitter la voiture et de retrouver mes deux acolytes d'infiltration. Nous sommes tous armés, deux armes de poing et quelques recharges, un couteau pour H, un tazer pour moi. Jay lui n'a pas souhaité prendre plus de matériel.

La stratégie est simple : nos montres sont synchronisées, et à vingt-et-une heure trente-cinq, nous devons évacuer l'hôtel. C'est à ce moment que les hommes de Sergio feront feu sur les gérants et les clients de cet Enfer, en évitant bien sûr de blesser les enfants.

Avant ça, nous devons tous les trois rentrer à l'intérieur de l'hôtel avec un intervalle de quatre minutes. Jay le premier, H ensuite, je serai le dernier à rentrer en piste. Question de stratégie : c'est moi qui vais demander un jeune à la description physique la plus proche de Dam, c'est donc moi qui risque de tomber sur lui. Dans ce cas-là, il me faudra le moins de temps possible avant l'évacuation, afin de ne pas perdre de temps en parlotte inutile.

Agir vite, et bien.

Hugo, lunettes de soleil sur le nez et sweat à capuche sur le dos, doit passer inaperçu, être un simple client, au même titre que Jay. En espérant que Donni n'ait pas donné sa photo à ce gérant-ci, comme c'était le cas pour le polonais de Tijuana.

Une dernière vérification à nos montres, Jay part le premier.

Mon souffle commence à s'amoindrir, se fait presque sifflant lorsque Hugo part à son tour. C'est ridicule, j'ai déjà effectué des missions bien plus coriaces que ça mais cette fois-ci, l'affect rentre en jeu. Le personnel est de mise, je n'ai pas le droit à l'erreur.

Vingt-et-une heure vingt-quatre, c'est à moi.

D'un pas tranquille, je m'approche de la porte vitrée, la passe après un dernier regard vers l'arrière, et inspire par le nez. Une jeune femme à l'entrée me sourit à pleines dents, avise mon visage et les tatouages sur mes mains, avant de hausser un sourcil.

— Bonsoir, bienvenu au Chill's hotel, vous désirez ?

— Bonsoir, je souris avec un ton grave. Je viens d'arriver en ville et selon un ami à moi, vous êtes une bonne enseigne. J'espère qu'il ne s'est pas trompé.

Elle hoche la tête, et me désigne une porte derrière elle.

— Vous avez une préférence ?

— Jeune... ?

— Bien sûr. Nos plus jeunes sont au dernier étage. Bonne soirée monsieur, et, n'hésitez pas à nous recommander.

Elle m'adresse un clin d’œil ignoble avant de me désigner les ascenseurs derrière elle.

Mon cœur tambourine tellement fort dans ma poitrine, j'ai l'impression qu'il va exploser.

Troisième étage, dix secondes le temps que la cabine ne monte.

Vingt-et-une heures vingt-sept. Les portes de l'ascenseur s'ouvrent sur une sorte de hall, qui s'étend sur un couloir long et mal éclairé. L'hôtel n'est finalement agréable à voir, que de l'extérieur. Les murs sont recouverts d'une moquette bordeaux sale, le sol est en matière synthétique grise. Une horreur.

J'avance, écoute aux portes, en cherche une d'ouverte. Dix portes en tout, cinq de chaque côtés. Seules quatre d'entre elles sont ouvertes. La première abrite une jeune fille qui ne doit pas dépasser les quinze ans. En me voyant, elle se statufie sur place, remonte ses genoux sous son menton.

J'aimerais lui dire de se préparer à évacuer, mais à quoi bon ? Elle est terrorisée, elle prendrait peur.

La seconde est occupée par un gamin d'une douzaine d'années, comateux sur un canapé en velours.

J'ai la gerbe.

J'avance comme un robot, passe de la seconde chambre ouverte à la troisième, avant de me gélifier.

Il est là.

Dans le même état que le gamin que je viens d'entrevoir, étendu à même le sol au fond de la pièce, il ne me remarque même pas, visage tourné face au mur.

Vingt-et-une heures trente.

Je m'approche rapidement, m'accroupis derrière lui, et commence à peine à le toucher du bout des doigts, qu'un hurlement s'échappe de ses lèvres, un cri déformé par la terreur la plus pure.

— Non, non, non !

Choqué, je recule d'un bond, les yeux écarquillés.

Alors seulement, je constate l'état de son corps meurtri : ses jambes sont couvertes de bleus, dont certains ressemblant étrangement à des doigts. Un haut-le-cœur me prend. Il est à peine vêtu, tremble de froid – de fatigue ? – est agité de soubresauts aussi violents qu'inquiétants.

Il faut qu'il se calme. Je me rapproche, tente à nouveau de le toucher, essuie une ruade, un rejet, un mouvement désespéré pour me fuir. Il se colle au mur, y enfouit son visage. Il me paraît si petit, si vulnérable ainsi acculé contre son mur, ivre de peur.

— Dam, hé Dam... c'est moi, c'est Rafaël.

Il ne m'écoute pas, hurle de plus bel, alors désespéré, je plaque une main sur sa bouche : il ne faut pas que ses hurlements alertent les vigiles de cet hôtel des Enfers.

Dans un geste aussi rapide que possible, je retire ma veste et la lui passe du mieux que je peux, afin de couvrir son corps dénudé et marqué. Il hurle encore contre ma paume, un torrent de larmes dévale ses joues. Il est terrifié, et de savoir que je suis la cause de ses hurlements me donne vraiment envie de me frapper la tête contre le mur.

Qu'est-ce qu'ils lui ont fait... ?

Je le serre contre moi, tente de le rassurer, en vain. Il est sourd à mes mots, aveugle à mes gestes. Alors seulement, je capte son regard, et c'est à mon tour de déchanter : il est vide, éteint. La petite flamme espiègle qui y danse d'ordinaire s'est consumée, l'éclat de vie s'est tarie, il ne reste presque rien. Si ce n'est cette angoisse, cette douleur, que j'aimerais voir disparaître de toutes mes forces.

Nous sommes arrivés beaucoup trop tard.

Ses pupilles sont dilatées – sous drogue – impossible de savoir s'il comprend ce qui se passe réellement autour de lui.

— Dam c'est Raf écoute, on va te sortir de là.

Il hoquette, hurle et se débat encore quelques secondes, avant de cesser tout mouvements. Il me regarde simplement des ses orbes vides, je n'arrive pas à détacher mon regard de ce qui aurait dû animer ses yeux. Il est simplement... résigné.

Où est la vie là-dedans ?

Vingt-et-une heures trente-deux.

Trois minutes avant l'évacuation.

Je commence à le redresser, l'écarte du mur contre lequel il continue de se serrer, essaye de le sécuriser. Rien n'y fait, il va falloir que je le sorte de force de cette chambre. De ma main gauche j'attrape mon arme, la tiens bien avant de passer mes bras sous le dos et les genoux de Damian. J'essaye de maintenir ma main droite sur sa bouche, avant d'abandonner. De toute façon, les vigiles ne tarderont pas à être mis au courant du problème.

— Allez Dam, tiens bon, on y va, on...

Vingt-et-une heures trente-cinq.

Je m'élance dans le couloir, tiens Damian du mieux que je peux contre moi, avant de dégainer une première fois pour immobiliser un homme sortant d'une chambre, la braguette encore ouverte.

Le bruit m'assourdis, et alarme Damian qui le visage contre mon cou, s'agrippe désormais à mes épaules comme à une bouée de sauvetage. Son emprise bien que ferme, me semble prête à lâcher à tout moment. Ses ongles s'enfoncent dans ma peau à travers le tissu de mon tee-shirt, je sens ses larmes dégouliner le long de mon cou.

Rapidement, j'arrive au bout du couloir, et ai le temps de noter les détonations et les cris aux étages inférieurs. Intrigués, plusieurs visages débouchent des chambres : je n'ai pas le temps de les défigurer.

Pas le temps de prendre l'ascenseur, je cours dans l'escalier, tempère la terreur de Damian à grands renforts de mots rassurants et de promesses. J'essaye de le maintenir stable malgré la cadence effrénée de ma course, tiens fermement mon arme, prêt à agir en cas de besoin.

Il panique encore plus lorsque nous arrivons en bas. Je n'ai croisé personne sur mon chemin, une véritable bénédiction. Dans le grand hall d'entrée, la jeune femme qui m'a accueillie baigne dans son propre sang – je ne m'y attarde pas.

H apparaît au même moment, le tee-shirt trempé d'hémoglobine, le visage en sueur.

— Tu l'as c'est bon ?

— On fonce, je lance simplement.

Lui et moi émergeons de l'hôtel dans une course synchronisée, et nous engouffrons dans la voiture en un claquement de doigts.

Ariana ne prend même pas le temps de nous jeter un regard et démarre. Jay est déjà assis à l'avant, un hématome à la pommette.

Ma petite amie conduit avec assurance jusqu'à déboucher du parking. Pas assez vite cependant pour semer les deux voitures qui se lancent à notre poursuite, à peine la route atteinte.

Tenant toujours Damian contre moi, j'essaye de le calmer, le berce, le serre toujours plus fort, tandis que H lui attrape les mais, l'air estomaqué.

— Damian, calme-toi, c'est nous.

Hugo reste muet face à la réaction de son petit frère, autant dire le manque de réaction. Il se pelotonne simplement contre moi, sa respiration saccadée et son rythme cardiaque bien trop haut.

— Jay, prends le volant, marmonne Ariana.

Habiles, ils échangent leurs places, et alors j'observe ma petite amie sortir son arme, ouvrir la fenêtre, et s'asseoir sur le rebord pour se mettre à tirer sur les voitures derrière nous. Aucune pitié, elle vise les pare-brises. Le premier vole en éclat, explose en mille morceaux, entraînant l'embardée de la voiture tout droit dans le décor. La seconde en revanche, esquive plusieurs de ses coups, riposte, manque la toucher. Ses cheveux volent dans le vent créé par la vitesse, mais ne l'arrêtent pas. Loin d'être déstabilisée, elle change d'arme, en sort une de la boîte à gant, et vise cette fois-ci les pneus de l'habitacle. Pas loupé, le pneu avant gauche explose, la voiture s'arrête presque immédiatement.

— Où est-ce que tu as appris à tirer comme ça ? s'enquit Jay, halluciné.

— Pas besoin d'avoir fait l'armée pour savoir se servir d'un flingue.

Nos poursuivant hors d'état de nuire, elle rentre à l'intérieur, referme la fenêtre, et se tourne enfin vers nous. Ses yeux me balayent, puis restent figés sur son petit frère.

Il a enfin cessé de hurler, semble plus à même de communiquer avec nous, bien que son état second m'inquiète toujours autant.

— Dami..., susurre t-elle.

Nouvelle acrobatie, elle passe du siège passager à la banquette arrière. Je me décale pour lui laisser de la place, la laisse prendre le visage de son frère en coupe, pour planter ses yeux dans les siens.

— Mi corazon, c'est moi. Ça va aller.

Contrairement à H et moi, il n'a aucun mouvement de recul, au contraire. À la simple vue de sa sœur, il se redresse, et vient la prendre dans ses bras, les yeux clos.

Je le libère, le regarde retrouver l'étreinte rassurante de Ariana, qui les yeux fermés elle aussi, le serre de toutes ses forces.

— Je suis désolé, murmure t-il contre son cou.

Elle ne relève pas – pas tout de suite du moins – et se contente de le câliner, gamin brisé.

Ses mains caressent son visage, ses cheveux. Doucement, elle lui murmure des mots en espagnol, enfouit son nez dans ses cheveux.

H me donne un léger coup de coude, attire mon attention.

— Appelle ton frangin mec.

J'acquiesce, et m'extirpe de la banquette arrière pour rejoindre le siège passager à côté de Jay.

— Mission accomplie ? murmure t-il.

— Que très partiellement.

Rapidement, je lance mon appel, et attends quelques secondes que Samuel ne réponde.

Pas longtemps, il devait attendre mon coup de fil.

Alors ? s'exclame t-il dans le combiné.

— Il est avec nous, je réponds simplement.

Un soupir de soulagement me donne du baume au cœur, au moins l'un des deux se défait de son poids.

— Je peux lui parler ?

— … non, Sam. Pas tout de suite. Il est... il est pas en super forme.

— Mais il va bien, hein ?

Du coin de l’œil, je jette un regard à ma petite amie et son frère, avant de me mordre l'intérieure de la joue.

— On arrive demain après-midi. On va rouler sans s'arrêter jusqu'à Soledo.

— Il va bien oui ou non, Raf !

Un soupir tremblant franchit la barrière de mes lèvres, la pression qui retombe est encore pire que tout le reste.

— … non.

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