27 - Samuel

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Samuel

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   Assis sous le porche de la maison de Julio, je fixe mes doigts trembler, ma peur m'agiter et me rendre inapte à réagir. Cela fait deux jours maintenant que Damian a été enlevé, et de ce que j'ai compris après avoir eu mon frère au téléphone, ils ont une piste, mais rien de très concluant. En somme, mon petit ami est toujours détenu, je ne sais où en plein cœur du Mexique.

Mes bras passés autour de mes genoux, je balaye la rue du regard.

Elle est déserte. Pas un chat, pas un passant, juste moi et ma solitude, ma peine et ma culpabilité.

Les jumeaux partent demain matin, Fiona les emmène en voiture. Ils en ont pour au moins dix heures de route, mais c'est la bonne chose à faire, j'imagine.

Je ne sais plus, à dire vrai, ce qui est bon ou non.

Mes idées, mes souvenirs s'embrouillent dans un mélange pâteux et écœurant de réflexions sur ce que j'ai bien fait, ou ce que j'ai loupé.

J'inspire par le nez, et soupire, lorsque la porte s'ouvre pour laisser passer Danny et Mikky, en pyjama, les yeux rouges.

Le premier vient s'asseoir à côté de moi, le second vient se nicher entre mes jambes, en s'agrippant à moi avec une force que je ne lui connaissais pas.

— Pourquoi tu viens pas avec nous ?

— Il faut que je reste ici, pour quand vos frères et Ariana rentreront.

Danny renifle, je caresse ses cheveux d'une main.

J'ai l'impression que lui comme Mikky, sont les oubliés de cette histoire. Que l'un comme l'autre ont été mis au second plan, une fois de plus, et ça peut se comprendre d'un certain côté, H et Ari ont besoin d'être focalisés sur leur première mission, mais...

Ils vont mal, super mal, et je n'ai pas la prétention de pouvoir les aider.

Mikky me serre un peu plus contre lui, son frère essuie ses larmes d'un geste vif. Fiona et moi essayons de les maintenir du mieux que nous le pouvons, mais c'est compliqué.

Danny ne dit rien, et Mikky est à deux doigts d'exploser. La corde est prête à se rompre dans les deux cas, l'impact est inévitable en quelque sorte.

— Au ranch, il y a un cheval qui s'appelle Bounty.

Les petits redressent la tête vers moi, les yeux emplis d'un intérêt qui chasse la tristesse.

— Vous verrez, il est blanc et brun comme un Bounty. Il est gentil, même s'il fait quelques caprices parfois. Quand vous serez là-bas, vous irez le voir, et vous lui ferez un gros bisou de ma part : c'est mon cheval.

Mikky acquiesce, tandis que son frère me sourit avec douceur.

— On pourra monter sur Bounty ?

— Oh je sais pas trop..., vous avez déjà fait du cheval ?

— Du poney à la fête foraine une fois.

— Ok, vous devriez y arriver alors !

Je les câline, plante un baiser sur le front de Mikky et un contre la tempe de Danny, tandis que Fiona nous rejoint, deux tasses entre les mains.

— Les petits loups, il faudrait penser à aller au lit maintenant. On part tôt demain matin.

— Il est que vingt-et-une heures !

— Oui, et ? Dites bonne nuit à Sam, les dents, pipi et au lit.

Les jumeaux n'insistent pas, et me serrent chacun leur tour au creux de leurs petits bras d'enfant avant de remonter les marches pour gagner la chambre que Julio a mise à leur disposition.

Fiona leur sourit avant de venir s'asseoir près de moi, et de me tendre une tasse fumante.

— Tu dormiras bien avec ça, m'assure t-elle.

— Je dormirai bien quand on aura retrouvé Dam.

— Sam, c'est pas sérieux ce que tu es en train de faire. Tu as vu tes cernes ? Tu sors de l'hosto je te rappelle.

Mes yeux se ferment et mes lèvres se nouent : je n'ai ni l'envie, ni la force de lui répondre.

J'accepte tout de même son infusion, que je bois à petites gorgées dans le silence de la rue.

Évidemment que je dors mal, comment s'épanouir lorsqu'une partie de soi est au Mexique, à des centaines de kilomètres ? Pas moi, je n'en ai pas la force. Depuis ce matin, je suis assailli de messages et d'appels, tous portés sur le même sujet : où est Damian ? J'ai répondu à Isak, dont je connais la relation avec mon petit ami, ainsi qu'à Chiara, et Duke. C'est tout. Les autres me demandent par pure curiosité malsaine, je refuse de leur donner satisfaction.

De ma main, j'effleure ma cicatrice sous mon tee-shirt. Mes doigts se crispent, mes barrières craquent à nouveau.

— T'as le droit de pleurer un bon coup Sam. T'as pas versé une larme depuis qu'il...

— Et ça me servirait à quoi de chialer comme un faible hein ?

— Juste a évacuer.

Elle passe un bras autour de mes épaules, et me rapproche d'elle dans un mouvement presque maternel qui d'ordinaire, est propre à Ariana. Tout y est, de l'affection à la chaleur en passant par la protection, je me sens presque bien l'espace d'un instant.

Mes yeux débordent en silence, je m'effondre contre elle.

De ses doigts, elle caresse mes cheveux, de sa voix elle apaise mes maux.

J'aimerais tellement que Rafaël soit là. Que Ariana soit là.

Que Damian soit là.

À sa simple pensée, les sanglots arrivent, bruyants et incontrôlables.

Je n'arrête pas de me dire que mon frère court peut-être après quelque chose de déjà perdu. Qu'il espère, qu'il cherche, qu'il traque, pour au final tomber sur quelque chose de froid.

Donni est une ordure, il paiera un jour pour ce qu'il a fait. Mais en attendant, peut-être aura t-il eu le temps de faire bien pire que ce à quoi nous nous attendons.

Fiona me murmure des mots rassurants, me câline comme je viens de le faire avec les jumeaux.

Nous restons ainsi longtemps, au moins dix minutes, le temps que je me calme et que Fiona parvienne à me détendre. Puis, c'est à nouveau l'ascenseur émotionnel : son téléphone sonne, appel entrant de Ariana.

— Oui ma belle ?

Je tends l'oreille pour essayer d'entendre ce qui se dit, mais Fiona je le vois bien, baisse le volume de son portable au minimum.

Elle acquiesce, hoche la tête, pose une question, puis deux, avant de se couvrir la bouche de la main.

Mon cœur s'emballe, je crains le pire, l'espace d'un instant.

Fiona souhaite une bonne nuit à son amie, avant de me tendre le téléphone.

— Oui ?

Ma voix est saturée, je m'en veux tellement. Ariana n'a pas besoin de devoir composer avec ma peine en plus de la sienne.

Sam..., ça va aller, murmure t-elle au bout du fil.

— Je veux que vous rentriez.

— On a l'adresse d'où se trouve Dam. On vient de prendre la voiture.

Je m'essuie le nez d'un revers de la main, tarie mes larmes dans la manche de mon sweat, et prends une grande inspiration.

— Vous me manquez.

Une respiration tremblante me parvient de l'autre côté du téléphone.

— Tu nous manques aussi mon cœur. On rentre bientôt, je te le promets.

Derrière elle, j'entends la voix de mon frère, puis celle de Jay. H se contente d'un grognement en fond, suivi de près par une rebuffade de sa sœur.

— J'imagine que les jumeaux sont déjà au lit ?

— Tu imagines bien.

— Embrasse-les de ma part d'accord Sam ? Dès que Damian est avec nous, on t'appelle.

— Dis à Raf que je l'aime s'te plaît.

— Évidemment. Bonne nuit mon chat.

L'appel se termine, je me couvre la bouche de la main. Mon cœur est tellement serré, mon estomac tellement gelé, que ça m'en tournerait presque la tête. Pourquoi faut-il toujours que les émotions nous dominent et nous guident ?

Fiona m'étreint, avant de me faire signe de l'accompagner pour dire bonne nuit aux jumeaux. Sur le chemin, nous croisons Julio, à qui Fiona apprend la nouvelle : Dam n'est pas à Tijuana, mais à Hermosillo, à plus de treize heures de route de la ville frontalière.

— Tu déconnes ?

— Tu trouves que c'est un sujet sur lequel je m'amuserais à plaisanter ?

Il hoche négativement la tête, et m'adresse un sourire en coin.

En haut, les jumeaux sont déjà sous la couette. Danny nous regarde arriver de ses grands yeux verts, seule partie de son visage à dépasser de sous les draps.

Je m'approche rapidement de lui, m'assois sur le rebord du lit, et attrape ses doigts entre les miens.

— On vient d'avoir Ari au téléphone.

— Comment elle va ? s'exclame Mikky. Ils ont retrouvé Dam ?

— Bientôt, leur assure Fiona.

Mikky hoche vivement la tête, et saute presque de son lit pour venir se blottir contre moi, sur celui de son frère.

Frère de substitution, j'accueille leur besoin de contact et de chaleur en y noyant mon propre manque. On est admirables, fratries amputées et détruites, qui s'unissent pour en former une nouvelle.

Danny me serre fort, plus que d'ordinaire. Son frère se contente de blottir sa tête contre mon épaule.

— Damian, il a de la chance que tu sois son amoureux, murmure Danny.

— Et il a aussi de la chance de vous avoir tous les deux. Au lit les affreux.

Les petits me sourient dans un même mouvement, avant de venir me plaquer un baiser sur chaque joue, Danny la gauche, et Mikky la droite.

Je prends une grande inspiration, les étreins tous les deux une dernière fois, avant de leur souhaiter une bonne nuit, et de quitter la chambre au côté de Fiona.

— Tu devrais aller dormir aussi, me lance t-elle distraitement.

Elle a sûrement raison. Pour peu que j'arrive à trouver le sommeil, le temps passera sûrement plus vite.

Je lui souhaite une bonne nuit à son tour, avant de rejoindre le grenier, réaménagé en chambre de substitution pour l'occasion. J'y retrouve mes quelques affaires, mes cadres photos, quelques livres. Sur le lit, roulé en boule vers l'oreiller, se trouve le sweat rouge de l'équipe d'athlétisme de Damian. Je le lui avais chapardé, bien avant que notre relation ne se concrétise. Aujourd'hui, il me fait office de doudou.

Rapidement, je me change dans une tenue de nuit, et me glisse sous les draps, le sweat entre les mains, serré contre mon visage. L'odeur de son propriétaire est toujours bien présente, mélange étonnant de savon et d'herbes. J'inspire, profite de l'odeur, et un instant, j'imagine l'étreinte des mains chaudes de mon petit ami autour des miennes, sa présence à mes côtés. J'arrive à m'imaginer l'affaissement du matelas sous son poids, la douceur de ses cheveux dans mon cou, la fermeté de son torse contre le mien.

Mes larmes débordent à nouveau, je me déteste d'être aussi faible.

« T'es un vrai bébé pleureur, arrête de chialer, t'es moche quand tu chiales », résonne la voix de Damian au creux de ma tête.

— Tu me manques, je susurre.

Et je ferme les yeux, épuisé, ivre de son odeur, malade de son manque.

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