24 - Rafaël

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Rafaël

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   Le signal des écouteurs de Damian s'est coupé aux environs de cinq heures du matin. Sa dernière localisation, Tijuana. Nous avions raison, c'est bien là-bas que se rendait Donni. Espérons simplement que cette ville n'ait pas été qu'une simple halte, et qu'il y reste jusqu'à notre arrivée.

Par la fenêtre, j'observe les rues défiler : loin des clichés que véhiculent les médias, Tijuana ressemble à n'importe quelle grande ville des États-Unis avec ses immeubles et ses routes goudronnées. La population ne me dépayse pas tellement de Soledo, mélange de peaux sombres et d'hommes tatoués. Les gangs semblent être légion, dans une mesure bien plus conséquente que chez nous.

Je soupire, passe ma main sur mon visage pour rester éveillé, et coule un regard à Jay, au volant.

J'avoue avoir été interloqué qu'il se prête aussi aisément à cette mission de sauvetage inattendue et anxiogène. Lui qui n'avait de cesse de me tanner avec mon rapport trop ''proche'' de mes cibles, voilà qu'il met lui-même ses missions en suspend pour venir nous aider.

Ses mains massives conduisent aisément la voiture, à l'aise en toutes circonstances : la route est son amie, il est excellent lorsqu'il s'agit de poursuivre quelqu'un au travers des rues.

— Où était le dernier signal exactement... ?

— Aux alentours d'un bar, on va aller y jeter un œil, je murmure en relisant l'adresse sur mon portable.

Hugo et Ariana à l'arrière, échangent un regard avant de commencer à fouiller dans le sac en toile à leurs pieds.

Rempli d'armes, j'ai bien cru mourir lorsque l'agent responsable du passage des États-Unis au Mexique nous a interrogés il y a une heure à peine. Nous n'aurions été que trois, Jay, H et moi, c'était fini. Heureusement, le sourire et le bon parlé de Ariana nous ont sauvés, et nous ont laissé passer la frontière sans encombre.

Ma petite amie en se redressant, exhibe une arme de poinng luisante à la lumière orangée du soleil levant.

— Range ça, on en a pas besoin pour le moment.

— Quand nous aurons retrouvé Donni, vous me le laissez, me répond t-elle simplement en fixant son reflet dans la crosse.

Mon estomac se tord, mais qui serais-je pour lui interdire de ramasser cet enfoiré ?

Encore une fois, la comparaison avec ma propre situation se fait d'office : Samuel enlevé, embarqué au Mexique pour un possible réseau de trafic humain ? Le responsable n'aurait qu'à bien se tenir, car c'est ongle par ongle que je lui ferais payer son acte.

Nous roulons encore un peu, jusqu'à atteindre une ruelle assez étroite, peu lumineuse entre deux hauts immeubles.

Une porte dérobée à la peinture olive est flanquée du nom ''Zorro'', renard en espagnol. Le nom du bar auprès duquel la trace de Damian s'est stoppée.

Jay roule encore un peu, gare notre voiture à l'abri des regards, avant de couper le moteur.

— Ok, je commence en me retournant vers la fratrie Cortez. Ce serait naïf de notre part de penser trouver Damian ici, alors on va y aller à deux, faire un peu de repérage et de chasse aux informations, ok ?

Rapidement avant que protestations puissent être faites, je désigne Hugo du menton.

Ariana est bien trop haute pour ce genre de travail de repérage. Son frère fera l'affaire cette fois-ci.

Elle gronde, me foudroie du regard, mais ne proteste pas.

Hugo de son côté acquiesce en silence avant de choisir une arme dans le sac en toile, et de m'en tendre une avec un sourire en coin. Dans le même silence concentré, je le remercie et quitte la voiture après avoir recommandé à Jay de se tenir prêt à repartir à tout moment.

— Si on est pas revenu dans trente minutes, vous êtes autorisé à venir nous secourir.

— Hilarant, grommelle Ariana.

— C'est pas une plaisanterie.

Elle secoue la tête, et referme sa portière avec un geste sec.

Hugo me coule un regard équivoque, avant que d'un pas presque synchronisé, nous ne commencions à longer la ruelle, en direction du Zorro.

Pour le moment, nous ne possédons que cette très légère information, ce lieu, ce bar, c'est tout. Il nous faut trouver de quoi resserrer nos recherches, c'est impératif.

Je ne sais pas vraiment quelle stratégie adopter. Hugo me suis d'un bon pas, l'air à la fois concentré et oh combien préoccupé.

— Tu me suis, ok ? Peu importe ce que je peux dire.

— … euh ouais, ok ?

— Non, pas de ''ok'', c'est ''Oui, bien sûr'' que je veux entendre.

— Oui bien sûr ?

— Mieux.

Arrêtés devant la porte, j'inspire à pleins poumons avant de la pousser, l'angoisse au creux du ventre. Surtout ne pas paraître novice, rester droit et assuré.

Des doigts, je vérifie la présence de l'arme à ma ceinture, avant de pénétrer à l'intérieur du bar, H sur les talons.

Même pas huit heures et déjà une population imbibée et enfumée. A t-elle seulement quitté le bar depuis hier soir ? Je balaye la pièce d'un regard d'ores et déjà orgueilleux sur l'endroit. Paraître habitué, à l'aise avec le milieu. La déco est plutôt sombre, les murs peints d'un vert bouteille qui n'arrange rien à l'obscurité ambiante.

Quelques filles traînent par ci par là, mini-jupes et débardeurs déchirés, des prostituées. Aussi ivres que leurs clients, elles rient fort et se pavanent dans des parades plus vulgaires les unes que les autres. L'une d'elles en nous voyant, nous adresse un clin d’œil charmeur, avant d'envoyer un baiser à Hugo.

— On est loin des escort de Soledo, sourit-il.

— Chut.

Il ne réplique pas, ce qui me rassure. Il a compris qu'ici, c'était moi le guide, lui l'apprenti, lui l'élève. Il a peut-être la force et l'adresse, mais j'ai l'intelligence.

Lui et moi nous asseyons au bar, je commande un rhum, lui une tequila.

— Nouveaux ?

De l'anglais, ça me rassure. Cette ville est si proche de la frontière que l'espagnol bien que présent, doit en partie être équilibré par l'anglais. Question de praticité : c'est ici que les gangs de l'Amérique du Nord viennent chercher une plus grande notoriété, une nouvelle came, un nouveau  business. Ne pas parler anglais serait du suicide pour la pègre locale.

— Effectivement, je souris en attrapant mon verre. Vous ne fermez jamais ?

— Y'a pas d'heure pour boire, sache-le gamin.

— J'ai vingt-six ans.

— Et moi quarante-huit, respecte tes aînés.

— Entendu.

Hugo commence à boire, je me contente de fixer le barman qui au bout d'un certain moment, sûrement gêné par mon insistance, se rapproche de nous pour entamer la conversation.

— Quel business ?

— … prostitution, je réponds avec lenteur. Connaisseur ?

— Pas vraiment. Local ou étranger ?

— Étranger. J'ai entendu dire qu'on aimait l'exotisme.

Le barman me sourit en me pointant d'un doigt entendu, avant de héler un homme dans le bar.

Pour le moment, je bluffe. Mon attitude détachée fait l'affaire, ne laisse rien transparaître. À force de pratiquer les bas-fonds, on finit par s'en imprégner.

Du fond de la salle, un homme plutôt maigrelet, moustache et barbe poivre et sel nous rejoint en clopinant quelque peu. Je note tout ce que je vois : sa jambe droite semble blessée, il la traîne légèrement. Visage marqué – un alcoolique – et quelques tatouages au cou. Membre ou ex-membre d'un gang local, c'est un symbole que je n'ai jamais croisé au cours de ma carrière aux USA. Cependant, je reconnais certaines lignes comme appartenant à un groupe relativement connu ici, à Tijuana – j'ai eu le temps de m'en informer dans la voiture.

Le type s'approche, inspecte Hugo d'un air songeur avant de me fixer de ses yeux bruns. Puis, il s'assoit, poids plume sur son tabouret en cuir noir.

Lui et le barman échangent quelques bribes de parole en espagnol, que Hugo suit d'une oreille attentive. Alors seulement le nouvel arrivant se tourne vers moi, un sourire en coin aux lèvres.

— Ici, le papa c'est moi, commence t-il. Tu dépends de quel gang ?

— Les Pirates, en Nouvelle Zélande.

— T'as fait du chemin dis-moi.

— Je suis détaché à Los Angeles pour gérer un commerce plus... international ?

Il acquiesce avec un air entendu, avant de me désigner H du doigt.

— Et lui ?

— Mon indic sur le territoire.

— Intéressant.

Il lui lance quelques mots en espagnol, auxquelles H répond avec facilité, avant de sourire, puis de rire avec entrain.

— Bon alors dis-moi, tu fais dans quoi ? De la nana ? Des jeunes, vieilles ? Mes clients aiment bien les blacks, ça les excite en ce moment.

— Non, caucasienne désolé. Et... de la jeune, plutôt.

— Quelle tranche d'âge ?

— Entre treize et seize.

Le type manque s'étouffer avec son verre d'alcool, avant de me couler un regard en coin.

— Sortie du berceau ouais. Je me charge pas de cette came-là. Mon frangin par contre, oui.

Je me suis renseigné il y a quelque temps, sur le fonctionnement des trafics. En soi, à Tijuana, plusieurs gros gangs se partagent les terrains, les quartiers, et proposent approximativement le même panel de services. Ici par exemple, un homme peut s'occuper de la prostitution, un autre du blanchiment d'argent, un autre de la drogue. Mais, dans la rue d'à côté, tout sera géré par un autre gang, par d'autres hommes.

La localisation de ce matin est restée bloquée longtemps sur ce bar, avant que le signal ne se coupe. Donni a donc forcément dû y passer, ce qui signifie que peut-être, en croisant les doigts, celui ou celle qui a entre ses mains Damian en ce moment, se trouve ici.

Et visiblement, le frère de cet homme pourrait représenter une première piste.

— Tu pourrais me brancher avec lui ? Il sera vraiment pas déçu.

— Il est assez pris en ce moment, mais il devrait pouvoir se libérer pour jeter un coup d’œil à ton catalogue.

Il éclate de rire, je me sens obligé de le suivre. Quelle horreur.

Je suis en train de négocier un possible échange de pédo-prostitution. Ça me donne la gerbe.

— Il est sur un arrivage ce matin, mais appelle-le dans la journée.

Il griffonne sur une serviette un numéro de téléphone, pour me le tendre et hocher la tête.

Solennel, fier : il vient de trouver un nouveau client à son frangin, quelle belle réussite.

   Ariana n'en revient pas. Depuis que nous les avons rejoints dans la voiture, numéro de téléphone de Sergio en poche, dont je ne connais pas le nom de famille, elle est hallucinée. Le commerce se partage, la confiance se mérite.

Personne ne m'a soupçonné, embêté ou même titillé sur ''mon'' gang. Les Pirates existent bel et bien, ce sont eux qui ont poussé ma mère dans la pente du désastre. Alors, si jamais ils découvrent la vérité, c'est sur ces connards que retombera la faute. Moi, je serais déjà loin.

— Il faut qu'on l'appelle, marmonne Ariana.

— On peut pas l'appeler tout de suite. Ce serait trop... voyant.

— Il a peut-être Dam et...

— Et si on lui saute dessus maintenant, on prend le risque de perdre sa trace.

Ma petite amie se tasse dans son siège, et grogne avant de jeter un regard à son frère. Elle espère le convaincre de me convaincre, mais H, toujours dans l'optique d'aller dans mon sens, refuse.

Jay quant à lui, toujours au volant, lui lance un regard à travers le rétroviseur.

— Crois-moi poulette, on a plus l'habitude de ce genre de chose que toi.

— M'appelle pas poulette ou je t'en colle une.

— Essaye.

La tension est maximale dans la voiture, c'est compréhensible. Je sais que ça doit peser à Ariana, de peut-être avoir entre ses mains, le prénom et le numéro de téléphone du ravisseur de son frère, mais comme je lui ai expliqué, il nous faut paraître crédible, afin de pouvoir accéder au cœur du réseau.

Je me suis présenté comme un possible fournisseur, à la façon dont Donni le fait. Ainsi, j'apprendrai peut-être en rencontrant Sergo, où sont retenus les gamins. Dans ce cas-là, nous pourrons faire une descente et récupérer Damian. Dans le cas inverse, je laisserai H s'entretenir avec lui.

Je suis répugné par notre manœuvre, et par ce qui se passe ici. Car admettons que nous retrouvions Damian, combien d'autres gamins comme lui resteront derrière nous ? On en sauvera un sur je ne sais pas combien d'autres, peut-on considérer cela comme une victoire à part entière ?

Ariana capte mon regard embêté, et attrape ma main.

— On est sur la bonne piste, j'en suis certaine.

Je n'arrive pas à statuer là-dessus.

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