23 -  Ariana

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Ariana

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   Je rentre des quais en quelques minutes, et gare ma moto comme je le peux avant de courir rejoindre Rafaël. Sa voiture est déjà garée dans l'allée, immobile. Mes pas se pressent dans l'allée, je ne prends même pas la peine de sonner. À l'intérieur, j'entends le bruit caractéristique d'un clavier d'ordinateur que l'on frappe rapidement, et me dirige naturellement vers ce bruit alarmant dans ce silence de plomb.

— Raf ?

— Je suis là, marmonne t-il.

Assis devant son bureau, il pianote sur son ordinateur. Les lampes sont éteintes, seule la lumière crue de son écran renvoie sur son visage une ombre effrayante, une ombre qui l'enlaidit et rend son regard dangereux.

Sur l'écran, s'affichent plusieurs fenêtres, des codes de chiffres et de lettres.

Dans une case, je le vois rentrer un numéro de téléphone, puis un code à dix chiffres.

— Qu'est-ce que tu fais ?

— J'essaye de localiser le portable de Donni, murmure t-il.

— … quoi ?

— Ari, tu paniques pas ok, mais j'ai toutes les raisons de penser que Donni a... enlevé Dam.

Mon ventre se crispe, mes poumons se contractent violemment, expulsent l'air d'un seul coup brutal.

— Quoi ?

— Je vous expliquerai tout après mais...

Il n'achève pas sa phrase, tandis qu'une localisation GPS apparaît à l'écran. Je le vois hausser les sourcils, incrédule, et noter les coordonnées sur un carnet avant de réitérer la manœuvre. Une nouvelle fois il rentre le numéro, patiente quelques secondes, le temps que l'opération se fasse.

Même résultat.

— C'est pas possible..., grogne t-il. Ce... cette enflure !

Je reconnais la rue indiquée par le logiciel de Rafaël : la grande rue qui longe le quartier résidentiel, cette rue-même que Damian aurait dû emprunter pour remonter du lycée jusqu'à chez nous.

Ma gorge se noue, plus de colère que d'inquiétude.

Rafaël lui se prend la tête entre les mains, et exhale avec tension, avant d'attraper son portable.

— Si je cours, je peux aller récupérer son portable et être revenue en cinq minutes, je lance.

— Attends, j'appelle J... allô ?

Il débute alors une conversation avec son collègue, et à mesure que ses mots sortent de ses lèvres tremblantes, je comprends au ralenti que lui et Jay sont loin, très loin d'être de simples inspecteurs en prévention des risques. Les mots ''géoloc'', ''enlèvement'', ''mauvaise cible'', ressortent et me pétrifient, tant leur prononciation sonne familière dans la bouche de mon petit ami.

— Tu en es où avec Lorenzo ?

Je devine Jay en train de lui répondre, lorsque ce prénom fait tilt dans ma tête : Lorenzo Piani, l'homme rencontré au gala à l'hôtel Prado, le blanchisseur déguisé en pâtissier. Je ne l'ai jamais rappelé, et pensait que Damian ou les jumeaux avaient jeté sa carte.

— Ok, j'appelle H.

Il raccroche et je l'interroge d'un regard suspicieux.

— Comment peux-tu connaître Lorenzo ?

— … je t'expliquerai tout, je te le promets. Mais pour le moment, on doit rejoindre Jay.

Je secoue la tête, lui attrape le bras, et le force à me regarder.

— On va le retrouver, hein ?

— … bien sûr. Allez.

Il me pousse dehors, et je me hâte de monter à l'avant de sa voiture. Au même moment, je remarque que Fiona nous observe depuis la fenêtre de la cuisine. Elle me fait un signe de la main, me demande d'attendre, mais Rafaël a déjà démarré pour s'engager sur la route.

Nous roulons à peine quelques secondes avant de nous arrêter à l'endroit où devrait se trouver le portable de Donni. Je sors la première, inspecte le trottoir, et sens mon cœur faiblir à la simple vue de la petite mise en scène que nous a laissé le bras droit de mon frère.

Son portable est sagement posé sur le bitume, juste à côté de celui de mon frère, complètement explosé. L'écran n'est plus qu'une plaque de verre brisé, tandis que celui de Donni lui, est intact.

Raf en me rejoignant, se hâte d'attraper le portable de Donni pour l'allumer d'un geste sec.

La photo en fond d'écran me donne la nausée. Juste un cliché de mon petit frère étendu dans un coffre de voiture, avec en premier plan la main boudinée de Donni tenant une feuille de papier sur laquelle est inscrit : « Lina ? », avec un smiley souriant.

On ne voit pas la plaque de la voiture sur la photo, rien qui pourrait nous aiguiller, mis à part cette couleur de carrosserie rouge abîmée.

Rafaël se passe une main sur le visage, et commence à remonter dans sa voiture, tendu comme un arc, plus agité que jamais.

— Comment pouvait-il savoir que je le déposerais au lycée ?

— Peut-être qu'il a pisté le portable de Dam, comme tu viens de le faire avec le sien ?

— Peu importe. Ce fils de pute se fout de notre gueule, on doit le choper.

À peine attaché, il lance un nouvel appel à mon frère par le biais de son portable connecté.

Hugo répond presque immédiatement.

— Du nouveau... ?

— On est mal, se contente de répondre Rafaël en me coulant un regard peiné.

— Tu as du nouveau pour...

— C'est lui. On vient de retrouver son portable, tu vas adorer la private joke qu'il vous a laissée.

Des doigts, je me masse l'arrête du nez en tentant de contenir mon angoisse.

Lina. Tout me revient, tout remonte à la surface d'un seul coup, me submerge.

Je ne peux pas le croire. Il y a deux ans, j'étais persuadée qu'il avait un lien avec l'enlèvement de notre sœur, sa petite amie à l'époque. Hugo ne m'a pas cru, et mon père a été inculpé avant de pouvoir donner son avis sur cette affaire.

Aujourd'hui, je regrette de ne pas avoir fait entendre ma voix, de ne pas avoir réagi à temps, de ne pas avoir tué ce... ce monstre.

Mon petit ami raccroche, après avoir donné rendez-vous à mon frère à la pâtisserie de Lorenzo.

La main de Rafaël se pose sur ma cuisse, l'étreint, je sens son regard chercher le mien.

— T'étais au courant pour Lina, n'est-ce pas... ?

— … oui.

— T'es pas un inspecteur dans la prévention des risques ?

Un court silence, juste nos respirations qui se mêlent.

— Non.

J'inspire lentement, et tente de me calmer : j'aurais dû m'en douter.

Juste après ça, il m'explique tout. Son métier, son vrai métier, comment de militaire il a évolué dans une branche se rapprochant plus de la CIA que du militaire lambda. Comment après avoir récupéré Samuel en Nouvelle-Zélande, il a beaucoup voyagé, un peu partout dans le monde, pour mener à bien des missions de terrain à chaque fois portées sur les gangs et leurs dérivées.

Il me parle de son binôme, Jay, avec qui il agit depuis le début. Il se confesse sur le pourquoi officiel de sa venue à Soledo, me parle de ses fiches de renseignements, de son premier échec, puis de la révélation qu'il a eue en voyant Donni menacer mon petit frère.

Enfin, il me parle de sa faute, celle qu'il a commise en me surveillant moi, et non Damian, en pensant que j'étais la cible des menaces reçues par la poste.

Ça me fait mal au début, d'apprendre que depuis deux mois, je vis avec un ''agent-double'', avec un agent surentraîné, avec un infiltré. Puis, j'essaye de me rassurer. Il reste le même, il reste Rafaël, seul son métier change.

Seule la raison de sa venue change. J'espère simplement que la nature de nos sentiments elle, ne change pas.

Nous arrivons à la pâtisserie de Piani en quelques minutes. L'intérieur est éclairé, et par la vitrine, j'arrive à discerner la grande silhouette de Jay, puis celle plus menue de Lorenzo.

Rafaël se gare, je me hâte de descendre pour rentrer en trombe dans la pâtisserie. Le collègue de mon petit ami est penché en avant, fixe les mains de Lorenzo tourner les pages d'un large cahier dans de longs tremblements.

— Putain mais active ! hurle Jay à la direction de l'italien.

Lorenzo ne répond pas, préférant se pencher un peu plus sur les noms en haut de chaque page de son cahier.

À ma vue, Jay m'adresse un regard désolé, auquel je réponds d'un grondement furieux.

— Tu as trouvé quelque chose ? demande Rafaël en entrant à son tour.

— T'inquiète, notre ami Lorenzo va nous sortir sa fiche sur Donni le fils de pute.

Lorenzo relève la tête et me dévisage : il doit penser que depuis le début, j'agis avec eux.

Ses mains tournent une nouvelle page, et le prénom Donovan me saute aux yeux.

— Là !

Je pointe le prénom, et lui arrache le cahier des mains. Rafaël me le subtilise, et commence à lire avec attention.

En à peine trente secondes, sa lecture est terminée, et visiblement, ne le satisfait pas.

— On a rien sur la provenance du fric, gronde t-il.

— Du Mexique, marmonne Lorenzo.

— Wouah, merci génie ! Et où exactement ? Y'a trente-deux régions dans ce pays de merde ! On va pas y aller à la chance.

La réponse de Jay m'aurait presque donné envie de sourire, si les circonstances n'avaient pas été celles-ci. Le collègue de Rafaël s'agite, et se penche en avant pour attraper Lorenzo par le col de son tee-shirt. Brutal, il le tire vers lui, le soulève presque du sol, et rapproche son visage du sien.

— On a un gamin de quatorze ans qui doit être en train de rouler pour le compte de celui qui te fait marcher connard de rital, alors maintenant tu parles, ou je t'en colle une dont tu te remettras pas de si tôt !

La menace fait son effet : en quelques instants, nous apprenons que par le biais d'un appel téléphonique, Lorenzo a découvert que l'argent devait sûrement provenir d'une région proche de la frontière, car l'appel était plutôt net. De plus, lorsque dans les liasses il retrouvait parfois des pesos, il réussissait à remonter à leur base, toutes autour du nord du Mexique.

C'est tout ce qu'il arrive à nous apprendre. Jay ne le croit pas, mais moi si. À son air, à son regard, il a tout avoué, il ne garde rien pour lui.

Mon portable vibre, sur l'écran s'affiche le numéro de Fiona. J'hésite à décrocher, avant de me ressaisir : je lui dois une explication.

— Qu'est-ce qui se passe Ari ?

J'aimerais lui répondre, vraiment. Mais poser des mots, reviendrait à accepter. Et je refuse de croire que mon petit frère, que Damian, est actuellement dans le coffre de la voiture de Donni, sur la route en direction du Mexique.

Furieusement je me mords la lèvre, et baisse les yeux, avant de prendre une grande inspiration :

— Dam s'est fait enlevé, je murmure d'une voix blanche.

Silence au bout du fil. J'entends un glapissement, trop aiguë pour appartenir à Fiona, et comprends que les jumeaux devaient être à proximité du portable.

— … quoi ?

— On est chez... chez Lorenzo tu sais, le type de l'hôtel Prado et... on cherche mais...

Et voilà. Ma voix meurt et se mue en sanglots rapides et étouffants. Je hoquette, et avise Rafaël me subtiliser mon portable pour prendre le relais. Au même moment, la porte de la boutique s'ouvre, et Hugo apparaît. À ma vue, il s'approche, passe un bras autour de mes épaules. Sous le choc, sous la colère, je me dérobe et le repousse violemment. Puis, étourdie, je recule, et me laisse glisser au pied d'un mur.

— Ari...

— Ferme-là ! Je te jure H, ferme bien ta gueule.

Je vocifère, lui hurle dessus. Tous les regards convergent vers moi, alors la pression monte encore, la colère augmente, le désespoir aussi.

Mon frère fait un pas dans ma direction, mais Rafaël le retient : lui au moins à compris que dans la minute, je n'ai pas envie d'être réconfortée, plainte ou pire, consolée.

J'observe mon petit ami montrer le portable de Donni à Hugo. Il se décompose, blafard, et alors la fureur laisse la place au vide.

D'un regard absent, je regarde tous ces gens, Lorenzo, Jay, Raf, Hugo, Lu, en train de s'exciter, d'échanger des hypothèses. Ils m'oublient, l'espace d'un instant, avant de se rappeler de ma présence et de mon état.

— On doit prévenir la police, je murmure.

— On prévient personne, on va le retrouver, et sans leur aide ! Ça fait deux ans qu'ils sont sur le coup, et ils ont rien trouvé !

— Ne sois pas stupide au point de croire que tu peux réussir là où la police, où des agents comme Raf, ont échoué.

Mon frère dirige son regard vers Rafaël, qui toujours au téléphone avec Fiona, lui fait signe de se taire.

— Il doit déjà être loin de toute façon, je grommelle en remontant mes genoux sous ma poitrine.

Qu'avons-nous comme solution ? Pas de moyen de le localiser, nous ne savons pas où il va si ce n'est que dans très peu de temps, il aura passé la frontière mexicaine. Nous n'avons pas sa marque de voiture, pas sa plaque, s'il est avec des complices ou non.

On ne sait rien, on est au point mort.

— Si on prévient la police, ils pourront le faire arrêter à la frontière.

— La police ne nous a jamais aidés, Ari, me rétorque Hugo. Tu sais quoi, je pense même qu'ils en ont pas grand chose à battre de ce qui peut arriver à Dam. Tu te rappelles de leur enthousiasme à rechercher Lin ?

— Quand tu auras fini de mettre tout le monde dans le même sac, on pourra peut-être discuter posément ?

— T'es trop naïve.

— Et toi trop irresponsable ! Arrête de me faire de grandes leçons alors que tout ce qui arrive est de ta faute !

— C'est pas moi qui l'ai laissé rentrer seul à la maison.

— … non mais je rêve là ?!

Vivement je me relève et m'approche de lui d'un pas rapide, pour me planter face à son visage. Nous n'avons pas une si grande différence de taille alors, il me suffit de relever le menton pour le défier du regard, le défier de continuer sur cette pente-là.

Hugo me considère d'un œil attentif, balaye mon visage de son souffle chaud, avant de se crisper.

— Tu vas arrêter de te la jouer grand chef sans remord car écoute-moi bien : tu l'as dit toi- même, je suis l'une des meilleures en ce qui concerne les armes et le combat à mains nues. Tu le sais, tu l'as déjà expérimenté par le passé. Alors là, maintenant, tu vas bouger ton cul, ravaler ta verve, et nous aider à retrouver Dam car que ce soit clair, si jamais il lui arrive quoi que ce soit, que ton bras droit lui inflige ne serait-ce qu'un dixième de ce qu'il a fait à Lina, je te trouerai le bide, c'est clair ? T'as fait tes choix, j'en ai plus rien à foutre que tu crèves. Mais Dam ? C'est hors de question.

Je le repousse du doigt, portée par une colère froide, et me tourne vers Rafaël.

— Je rentre voir comment vont les jumeaux. Je fais mon sac, et on part pour le Mexique.

— Je... je vais aller récupérer Samuel.

— … oui, fais donc ça, oui.

Ma voix s'étrangle, alors je décide de ne plus parler. De rester muette, de me contenir, de faire avec.

Que puis-je faire d'autre de toute façon ?

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