21 - Rafaël

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Raphaël

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   Neuf heures pile lorsque je reçois le message de Ariana : « On se retrouve à l'hôpital ? », je lui réponds brièvement et reprends ma tasse de café. Jay en face de moi soupire et vient poser une main rassurante sur mon épaule.

— Tu veux que je t'accompagne ?

— Non t'en fais pas, je murmure en buvant une nouvelle gorgée. Ari sera là.

Il hoche la tête, désapprouve, une nouvelle fois.

Lorsque nous sommes rentrés cette nuit, sur les coups de quatre heures du matin, il nous attendait chez les Cortez, les jumeaux à ses côtés. Danny dormait contre son épaule, et Mikky somnolait, la tête posée sur ses genoux. Mon ami, ses grosses mains occupées à triturer les cheveux des petits, nous a salué d'un simple geste de la tête, et s'est risqué à demander ce qui s'était passé. Ariana a blêmit, et Damian est monté dans sa chambre, à deux doigts d'à nouveau craquer.

En rentrant chez moi, il m'a simplement dit ceci : « Tu connaissais les risques », puis il est parti se coucher. Pour ma part, j'ai traîné, potassé mon dossier, avancé sur mon enquête, descendu une moitié de bouteille de rhum. Sur les coups de sept heures, je me suis écroulé sur mon lit, ai à moitié comaté dans le silence de ma maison trop vide. Mes pensées se tournaient toutes vers mon petit frère seul à l'hôpital, dans sa chambre aux soins intensifs. Que penserait-il en ouvrant les yeux, et en constatant la pâleur du monde autour de lui ?

Je voulais pas de ça pour lui. Je l'ai écarté de notre mère pour le préserver, et où en sommes-nous ?

— Tu vas arrêter cette mission ou pas ? me lance Jay.

— Je crois que j'ai mon gars. Je vais terminer. Sam se sera pas fait tirer dessus pour rien.

Il hausse les épaules, soupire, me traite ''d'irresponsable'' et ''d'acharné'', avant de quitter la cuisine.

Rapidement, je termine mon maigre petit déjeuner, et monte à l'étage faire un sac pour mon frère. S'il doit rester à l'hôpital, je préfère qu'il ait de quoi s'habiller et surtout de quoi se sentir bien. Dans son sac de sport, j'enfouis quelques sous-vêtements, des changes, son énorme sweat bleu, un sweat de l'équipe d'athlétisme que je devine être à Damian, ainsi que quelques livres, deux-trois bandes dessinées. Sur sa table de chevet, je remarque deux photos dans des cadres : l'une de nous deux, une de lui, Damian et Ariana. Je m'y attarde, prends le cadre entre mes mains, et m'assois sur le rebord du lit. Je n'avais jamais vu cette photo avant. Visiblement prise avec la caméra frontale de son portable, il est au premier plan. Derrière lui, Damian a la tête posée sur son épaule, et Ariana au dernier plan, sourit avec franchise

Pourquoi il ne me l'a jamais montrée... ?

J'entrepose délicatement le cadre dans le sac, et le referme avant de rejoindre mes voisins devant chez moi, mes clefs de voiture entre les mains.

Ariana ne semble pas avoir beaucoup dormi non plus, image usée de la jeune femme qu'elle peut être ternie par les cernes et le pull en laine gris qu'elle porte.

Ses yeux sont rouges, et ses traits tirés. Damian lui, lunettes de soleil sur le nez, mains dans les poches, me salue d'un sourire factice, avant de grimper à l'arrière de ma voiture. Il tient également un sac entre ses mains, le serre avec force contre lui.

Ma petite amie vient m'étreindre, dépose un baiser sur ma joue, et plante son regard dans le mien.

— Dam doit aller identifier le tireur avec d'autres gamins présents hier soir. Ils vont coffrer ce petit enculé.

— Tant mieux. Je souhaite pas du mal aux gens mais lui...

Mes poings se crispent et délicatement, elle prend mes doigts entre les siens pour y déposer un baiser.

— Allons voir notre Sam adoré, sourit-elle.

J'acquiesce et prends le volant, en direction de l'hôpital de Soledo.

   À l'accueil comme convenu, le docteur Geker, qui s'est cette nuit chargé de garder mon frère en vie, vient nous accueillir et nous donner des nouvelles. Plutôt détendu, il nous apprend que Samuel est réveillé, et que pour le moment, il ne semble pas réagir à l'opération de façon négative. Sous cortisone, il gère assez bien la douleur, et a même réussi à dormir un peu après son réveil sur les coups de sept heures. Je tique en apprenant qu'il a prononcé le nom du frère de Ariana dès son réveil, et coule un regard à ce dernier. Neutre, il amorce la nouvelle d'un air entendu, et serre encore plus son sac contre lui

— Pas plus d'une personne dans la chambre, et vingt minutes chacun. Il a besoin de repos. Il se peut qu'il soit un peu incohérent : les effets de l'anesthésie générale, après tout ça ne fait même pas dix heures...

Je hoche la tête, et le suis à travers les couloirs, jusqu'à la chambre où mon frère, endormi, me semble éteint dans ce grand lit blanc. Réflexe épidermique lorsque je remarque le masque à oxygène, la perfusion à son bras, le monitoring à côté de son lit.

Ariana pose une main sur mon épaule, et me fait signe de prendre mon temps, avant d'aller s'asseoir avec Damian sur des chaises face aux chambres vitrées des soins intensifs.

Lentement, à pas feutrés, je pénètre dans la pièce après m'être largement désinfecté les mains . Un fauteuil auprès du lit me permet de m'asseoir et lui prendre les mains. Il ne réagit tout d'abord pas, puis commence à remuer, presque imperceptible pour quelqu'un qui ne serait pas attentif.

De ma main, je caresse ses cheveux, descends le long de son visage, m'attarde sur le rebord du masque en plastique qui remonte sur ses joues.

Ses yeux s'ouvrent paresseusement, et un fin sourire se dessine sous le masque.

De sa main, il vient attraper la mienne. Sa peau est glacée.

— T'as une sale tête, murmure t-il tout bas.

— Moins pire que la tienne je t'assure.

Il rit un peu, faiblement, je suis ahuri. Il est étendu sur un lit d'hôpital, a réchappé de justesse à une mort par balle, s'est fait opérer il y a à peine dix heures, est encore sonné par l'anesthésie et pourtant, il rigole. Ce n'est pas très fort, pas très vif mais pourtant, il rit, et c'est le principal.

Ça ne dure pas cependant : la contraction de son abdomen doit le faire souffrir car son visage se crispe dans une grimace douloureuse.

— Tu as mal Sam ?

— Non ça va. Juste quand je ris.

Il me sourit à nouveau, et ferme les yeux. On sent à sa respiration et les mouvements lents de son torse qu'il n'est pas loin de se rendormir.

Mes doigts étreignent les siens, alors il rouvre les yeux.

— Merci Raf.

— Merci pour quoi mon chat ?

Ce surnom sorti tout droit du néant m'étonne, et fait hoqueter Samuel qui en tentant de rire, se blesse à nouveau.

— Ariana aussi elle m'appelle comme ça.

— C'est vrai ?

Il hoche la tête, contre son énorme coussin et plante son regard sur le sac de sport sur mes genoux. Je l'ouvre pour lui présenter ce qu'il contient, et son sourire se fane. Ses yeux m'interrogent, me sondent, et je note un léger tremblement de sa lèvre.

— Je vais rester ici longtemps... ?

— Un peu, oui. Tu as eu de la chance, Sam.

— Je suis désolé. Je... je voulais juste pas qu'il tire sur Dam.

— C'est pas grave, t'en fais pas. Tu vas bien, c'est le principal.

Je caresse à nouveau son visage, lui masse le crâne : il adore qu'on touche ses cheveux, c'est son petit point sensible.

Ses yeux se ferment, et cette fois-ci, il ne les rouvre pas. Tranquillement, il retombe dans le sommeil, et je me retrouve à nouveau seul avec mes pensées, seul avec son corps blessé sur ce putain de lit trop blanc.

Au bout de quelques minutes, je décide de rejoindre Ariana et Damian, les bras ballants. Ma petite amie me fait signe de venir m'asseoir à ses côtés, tandis que Damian m'interroge d'un regard curieux.

— Il est réveillé ? Comment il va ?

— Là il s'est rendormi mais..., ça a l'air d'aller.

Il hoche vivement la tête, et remonte ses genoux sous son menton, minuscule sur la chaise de ce couloir d'attente. Je vois ses doigts se crisper sur ses genoux, et son regard s'assombrir de seconde en seconde.

— Raf, il faut que je te dise un truc...

— Dis-moi Dam.

Il hésite, je constate que Ariana n'a pas l'air plus au courant de moi de ce qui brûle les lèvres de son frère, alors je finis par poser une main rassurante sur le genoux de mon jeune voisin.

— Sam il... il avait un flingue hier soir.

Mon sang bat plus fort à mes tempes, mais je n'en montre rien.

Que idiot : j'aurais dû me douter qu'il préparait quelque chose de cet ordre lorsque hier soir il m'a innocemment demandé où je rangeais notre arme en cas d'intrusion. Il m'a avancé qu'en cas de cambriolage ou même d'intrusion malveillante, il devait pouvoir se protéger. Alors je lui ai montré, le tiroir dans le meuble de la cuisine, juste à côté du frigo.

Il est complètement flippé depuis cette fichue agression au parc. Se munir d'une arme, c'est peut-être sa façon à lui de se protéger, de rester calme.

— D'accord, je réponds simplement.

— Il..., il l'a pris parce que... il devait penser que...

Voyant qu'il n'arrive pas à poser ses mots, je l'arrête d'un sourire en coin. Ma main sur son genoux l'agite légèrement. Ses grands yeux verts se perdent dans les miens, et j'y lis tellement de choses : de la reconnaissance, des regrets, de la culpabilité. Ses traits se déforment en une tentative maladroite de réponse à mon sourire.

— Tu devrais aller voit Sam, je lui glisse.

Il hausse les sourcils, et resserre son étreinte sur ses genoux.

— On devrait le laisser se reposer.

— T'es pas obligé de le réveiller. Juste, sois avec lui.

Ariana approuve mes mots, et fait signe à son frère d'y aller, tandis que je me tourne vers elle. Il se lève rapidement, récupère son sac, et fonce vers la porte vitrée de la chambre de Samuel.

Elle me sourit tendrement, avant de baisser les yeux.

— C'est gentil de... de pas lui en vouloir.

Vivement, je pose une main sur sa joue, et caresse sa pommette du pouce.

— C'est pas de votre faute.

— Un peu quand même.

— … p'têtre, j'admets finalement. Mais je t'interdis de penser que Sam est dans ce putain de lit à cause de toi ou à cause de Damian. C'est tout ça, c'est... cette ville de merde, et la rivalité entre gangs, et toute cette saloperie qu'il est là.

Peu convaincue, elle remonte ses genoux sous son menton à la façon dont son frère l'a fait il y a cinq minutes, et soupire un bon coup, les épaules basses.

Autour de nous ça s'active : les médecins, les infirmiers courent en tout sens, les aides soignantes passent de chambre en chambre, rassurent les familles, se font violence. Lorsque je vois l'état dans lequel nous étions ce matin, je me dis qu'elles ont du mérite. Récupérer les familles, les proches à la petite cuillère, ça ne doit franchement pas être facile tous les jours.

La main de Ariana attrape la mienne à la volée, et la serre doucement.

— J'y ai beaucoup réfléchi cette nuit, commence t-elle, et, je pense que je vais déménager. Partir loin, changer d'état, avec Dami et les jumeaux. Tant pis pour H il... il a fait son choix après tout.

Ses derniers mots sonnent légèrement faux. Je vois qu'elle se fait violence pour admettre qu'elle ne récupérera plus son frère aîné, qu'elle préfère le laisser plutôt que de continuer à perdre les plus petits. Le laisser mourir au fond de l'eau plutôt que de tous se noyer avec lui.

— Je refuse d'attendre que ton frère ou le mien y passent pour de bon.

Je ne réponds pas, me contente de hocher la tête et de serre plus fort sa main dans la mienne.

— … et j'aimerais que vous veniez avec nous.

Mon regard la balaye, à la recherche de la faille, du détail qui pourrait m'indiquer l'hésitation, mais rien. Elle est parfaitement sûre de ses choix.

— Vraiment ?

— Oui, murmure t-elle. Je tiens vraiment à toi et je comprends toujours pas pourquoi toi tu... pourquoi tu continues de rester avec nous malgré toute la merde qui gravite autour de notre maison mais, je...

Blocage. Elle perd ses mots, se fige un bref instant, avant de se dégonfler et de se murer dans le silence.

Ah ! Les Cortez et leur facilité d'aborder les choses qui les dérangent, j'adore.

— On partira avec vous, je réponds finalement en caressant ses cheveux.

Juste un sourire, un regard, puis sa tête vient se caler contre mon épaule.

Évidemment que nous partirons avec eux, comment pourrait-on faire autrement ?

Cette nouvelle me réjouit : je n'ai pas eu à proposer de partir, elle l'a fait d'elle-même.

Je vais boucler ma mission, récupérer Samuel, et partir de Soledo, c'est notre seule solution de repli.

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