9 - Rafaël

7 minutes de lecture

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Rafaël

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   Une dernière fois dans le miroir de l'ascenseur, je vérifie le nœud parfait de ma cravate, et me repeigne du bout des doigts. Rester présentable en toutes circonstnces, même lorsque je me prépare à coffrer un gros calibre.

L'hôtel où je me trouve, à seulement une heure et demie de Soledo, est plutôt chic : de la moquette au sol, des murs blancs joliment décorés de tableaux et de bibelots en tout genre, des portes de chambre en bois sombre marquées de numéros dorés.

Edward Pixie ne fait définitivement pas dans la finesse.

L'ascenseur sonne, et les portes s'ouvrent. Étage dix-huit, chambre 184, je reprends mon souffle avant de me mettre en condition. Mon arme de sécurité est bien à ma hanche, coincée entre ma chemise immaculée et mon pantalon de costard inconfortable.

Jay vient de m'envoyer un message sur ma montre connectée : « Je l'ai dans le viseur, si ça tourne mal, je le tire ».

J'espère que nous n'aurons pas à en arriver là.

Tranquillement, je m'arrête face à la porte 184, et toque trois fois avant que quelqu'un ne vienne enfin m'ouvrir.

Une femme en peignoir en soie me regarde d'un drôle d'air, tandis qu'une voix masculine lui demande en hurlant qui vient les déranger à une heure pareille.

— Monsieur Eward Pixie, agent Rafaël Portgas du département de surveillance et contrôle de la violence de gangs, je peux entrer ?

Une insulte en portugais me fait comprendre qu'il n'en a pas vraiment envie, mais la jolie jeune femme qui vient de m'ouvrir lui indique de ne pas rendre les choses difficiles.

Elle a tout à fait raison, et à son air je devine qu'elle a déjà eu affaire à mes collègues par le passé.

Je pénètre dans la jolie suite pour tomber sur ma cible, attablée au salon, une bouteille de rhum entre les mains.

— Est-ce le bon moment pour entamer cette bouteille ?

— Je suis foutu, laissez-moi profiter de mes derniers moments de liberté.

Je lui accorde, et m'assois en face de lui avant de sortir son dossier de ma sacoche.

Après l'armée, nous avons été recrutés, Jay et moi, pour servir une branche des renseignement spéciaux, uniquement consacrée au contrôle des gangs et à la gestion de leur violence. Et à dire vrai, notre boulot n'est pas vraiment de foncer dans le tas pour arrêter les guéguerre de quartier. Non, nous notre job, est de mener l'enquête sur des membres de gangs spécifiques que nous soupçonnons de préparer quelque chose de plus gros, de bien trop énorme pour ne rester que dans un cadre de la guerre de territoire. C'est vraiment un métier que j'aime, car il alterne parfaitement entre la recherche et l'intervention sur le terrain.

Jay était sur le coup depuis longtemps pour réunir assez d'éléments sur Pixie pour nous permettre de demander une force d'intervention spéciale afin de le prendre dans nos filets.

— Alors, qu'est-ce que vous avez sur moi ?

— Beaucoup de choses, mais à dire vrai, si je suis ici ce soir, c'est pour régler l'histoire de la petite Johanna.

Johanna Adriz, sept ans à peine, kidnappée il y a deux mois maintenant alors qu'elle rentrait de l'école. Fille d'un chef de gang aux alentours de Los Angeles, tous les soupçons se sont portés sur le chef du gang rival, avant qu'une véritable guerre civile n'éclate entre les deux groupes. On déplore une perte humaine relativement élevée, et beaucoup de destruction de mobilier urbain, dont de nombreux incendies, alors que depuis le début, la petite Johanna n'a pas quitté le gang de son père.

Un de ses hommes, Edward Pixie, officiellement déclaré mort au début des affrontements, à enlevé la petite et l'a caché dans un entrepôt sordide le temps de préparer la suite des événements.

— Vous allez m'envoyer en taule ? Je vais me faire tuer là-bas.

— Peut-être aurait-il fallut y penser avant d'enlever cette gamine ?

— L'autre fils de pute là... il a laissé tué mon gamin je..., je voulais juste qu'il comprenne ce que ça fait. Je lui ai pas fait de mal à la petite.

— Vos messages indiquent le contraire. Du moins, ils le prévoyaient. Vous n'aviez pas prévu de la noyer dans le Los Angeles River avant d'envoyer sa localisation à son père et d'ensuite partir en Europe ?

Je sors toutes mes captures d'écrans, nos intrusions sur ses réseaux personnels, ses relevés bancaires, tout. Il parcourt les différentes feuilles avec un air de plus en plus dérouté, avant que finalement il ne soupire et ne repousse les fiches vers moi.

— Elle est encore en vie.

— Oui, je le sais, une équipe vient d'aller la récupérer sur les quais. Mais nous avons ici des preuves qui vous incriminent de préméditation de meurtre sans passage à l'acte.

— M'envoyez pas en taule, je vous en supplie.

— Même sans vous incriminer pour cette histoire, nous avons assez contre vous pour vous enfermer au moins dix ans.

Edward renifle, se masse l'arrête du nez, avant de jeter un coup d’œil par sa fenêtre. En bas, au moins six voitures de police et un fourgon l'attendent, à la façon d'une haie d'honneur morbide.

— Faites pas de vagues, et peut-être que vous pourrez négocier l'emplacement de votre cellule.

La femme en peignoir est horrifiée, mais ne fait aucun commentaire, préférant lire mes fiches avec intérêt. Apparemment, elle n'était pas au courant de cette partie du plan.

Notre boulot, c'est de prévenir les catastrophes. Et, nul doute que retrouver le corps noyé d'une gamine de chef de gang n'aurait fait qu'empirer une situation déjà incontrôlable.

Condamner une vie pour en sauver beaucoup d'autres.

Jay vient de m'envoyer un nouveau message : « On monte ma poule, le mec a pas l'air trop virulent ». Je hoche la tête pour moi-même, et me désintéresse de ma cible, juste assez longtemps pour qu'il ai le temps d'attraper une arme, et de s'assurer qu'il ne finira pas en prison.

La détonation me vrille les tympans, et les cris de la femme me donnent le tournis.

Et merde tiens.

   Las, fatigué, je fixe le verre de rhum face à moi avec un mélange de regrets et d'impuissance, décuplés par l'alcool. Jay lui, ne semble pas tant affecté que ça par la réussite partielle de notre mission, et descend une nouvelle bière tout en essayant de me dérider. Qu'il essaye, après tout je ne peux pas lui en vouloir.

Je n'en reviens pas d'avoir échoué de la sorte. Nous tenions Edward, il était presque dans le fourgon. Il aurait pu être jugé convenablement, au lieu de quoi il a préféré s'exploser la cervelle dans cette chambre d'hôtel de luxe.

Peut-être était-ce le seul échappatoire pour lui ? Situation désespérée, solutions extrêmes ?

— Tu comptes manger ton burger ou pas ?

La question de Jay me tire de ma torpeur, et fébrile, je pousse mon assiette vers lui.

Il est bientôt minuit, l'équipe chargée de récupérer la petite vient d'arriver à l'hôpital où Johanna va être prise en charge pour dénutrition et déshydratation. Rien de trop important, mais une petite observation ne lui fera pas de mal.

Edward Pixie n'avait pas menti au final, il ne l'a pas blessé, elle était clean au moment où les policiers ont forcé la porte de l'entrepôt. Apeurée oui, traumatisée à vie, certainement. Mais aucun coup, pas de trace de violences physiques ou sexuelles, rien.

La vengeance peut parfois nous conduire sur des pentes bien sombres, et notre cible de ce soir en était la preuve incarnée.

Je ne sais pas comment je réagirais si on m'enlevait Samuel, qu'on l'éloignait de moi.

— Raf, tu pars trop loin là, reste avec moi.

Je plante mon regard dans celui de mon collègue, qui en quelques instants à déjà dévoré les trois quarts de mon burger au poulet.

— Arrête de te biler comme ça. Ok, le type s'est foutu en l'air, mais de toute façon il se serait fait buter en taule, voir pire.

— Qu'est-ce qui peut être pire que mourir ?

— Tu vois très bien de quoi je veux parler.

Distraitement, j'attrape une frite et en croque un morceau avant de le regretter. Elle est froide et molle, un peu comme mon corps en cet instant précis.

Mon portable vibre, et j'y jette un rapide coup d’œil, avant de constater qu'il s'agit d'un message de Sam.

« J'espère que tout va bien pour toi, chez nous soirée jeux vidéo et tortilla chez Ariana. Tu aurais pu me prévenir que tu partais en déplacement ! Dors bien, fais gaffe à tes fesses », le tout ponctué d'au moins trois émojis cœur et de deux petits singes qui se couvrent les yeux de leurs pattes. Juste après ce message, je reçois une photo de mon petit frère qui se prend visiblement en photo avec la caméra intérieure de son portable, avec en arrière plan, un Damian étendu sur son lit, un livre énorme dans une main. De l'autre, il fait un doigt d'honneur à l'appareil.

— Tu souris comme un niais, c'est ta meuf ? La jolie poulette ?

— Raté, c'est Sam. Il s'est tapé l'incruste chez nos voisins ce gratteur.

— Ouais, chez la jolie poulette et le joli poulet que ton frangin apprécie tant.

Je le fusille du regard, avant de pianoter un rapide message à mon frère :

« Tout va bien de mon côté. Désolé, j'avais laissé un mot sur le frigo. Je passerai sur le fait que je désapprouve toujours autant la petite peste à côté de toi. Dors bien Sam, on se voit demain ». Dans les émojis, je choisis un petit cochon, et lui envoie le tout avant de soupirer.

— Tu penses avoir régler le dossier Cortez pour quand ?

— On pourrait éviter de parler boulot ce soir ?

— Dis-moi juste ça.

J'en ai aucune idée. Pour le moment, je n'ai pas assez d'informations sur le type que j'essaye de coincer. Il va falloir que je me rapproche de la source du problème pour en avoir le cœur net, et il est hors de question d'utiliser Ariana ou Damian pour y arriver.

Autant dire que pour le moment, je suis au point mort.

— Je sais pas du tout. J'ai pas assez avancé pour pouvoir me projeter.

— Mec tu sais l'autre soir, je voulais pas être désagréable, par rapport à ta voisine et tout ça...

Que c'est attendrissant, voilà qu'il essaye de s'excuser de mots imbibés d'alcool.

Je secoue la tête, et lui indique d'un mouvement de la main que c'est pardonné.

Pardonné, mais pas oublié.

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