9 - Samuel

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Samuel

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   Il reste une semaine avant les vacances. Cinq malheureux jours. Ce n'est rien, une poignée d'heures et pourtant.

Lorsque nous arrivons au lycée lundi matin, la police est là, et nous demande de nous rediriger dans le calme vers le stade où notre proviseure nous attend pour une ''mise au point''.

Chiara à côté de moi, me jette de rapides coups d’œils interrogatifs ; elle n'était pas au match vendredi soir, elle ne peut donc pas connaître tous les détails. Elle sait ce que les journaux ont bien voulu livrer, en l'occurrence : « Un lycée témoin d'un règlement de compte entre gangs, la violence jusque dans les salles de classes, reportage exclusif », ou quelque chose du genre.

Rafaël m'a interdit de lire la presse, et m'a même proposé une petite visite chez le psychologue.

J'ai refusé, il a insisté, j'ai fini par céder.

Les gradins sont presque pleins lorsque nous prenons place aux alentours de l'endroit où j'ai abandonné Ariana il y a trois jours.

Madame Aubra est en bas des gradins, en grande conversation avec notre proviseure, madame Clint.

Elle ne semble pas vraiment dans son assiette, et s'agite avec nervosité tout en relisant quelques notes sur des feuilles froissées.

— Tu y étais toi ?

Les rumeurs vont bon train, et circulent à travers les rangées de sièges. Quelques groupes isolés proposent des théories, quels gangs se sont affrontés, combien il y a eu de morts.

Leur curiosité morbide me répugne un peu, mais comment leur en vouloir : ça s'est passé là, juste sous nos pieds.

— Sam, t'es dans la lune là.

Chiara me donne un coup de coude, et me désigne le bas des gradins, où Duke et Damian viennent d'être interpellés par madame Aubra.

— J'ai entendu dire qu'on avait tiré sur sa sœur, c'est vrai ?

Je tourne lentement la tête vers elle, et laisse échapper un soupir.

Oui, c'est vrai. Oui, c'est encore de leur faute, toujours les mêmes au milieu des embrouilles, putain de Cortez.

— Oui.

— Et elle va bien ?

— Oui.

Je n'ai pas la tête à répondre par autre chose que par monosyllabe ce matin.

J'ai réalisé ce week-end, que j'avais vécu plus de choses – qu'elles soient positives ou non – à Soledo, que durant tout le reste de ma vie. Et ça ne fait qu'un mois et des poussières que nous sommes là.

En bas, Duke pousse Damian dans les escaliers pour l'éloigner de madame Aubra qui continue de le houspiller à distance.

Ils passent à côté de nous, et nos regards se croisent : il a de sacrés cernes sous les yeux, mais à part ça, rien d'alarmant.

Je n'ai pas eu de ses nouvelles du week-end, et ce malgré mes différentes tentatives. Après sa dispute avec Ariana dans la cuisine, il est monté s'enfermer dans la salle de bain, et je ne l'ai pas revu avant le soir, encapuchonné et boitillant, à quelques rues de chez lui. J'ai interrogé Rafaël, pour savoir si lui avait des nouvelles de Ariana : il a fait la sourde oreille et m'a simplement répondu de lui envoyer un message.

Je ne l'ai pas fait.

— Salut, me lance t-il en s'asseyant sur un siège derrière moi.

— Salut. Salut Duke.

L'autre agite la main, le sourire aux lèvres. J'imagine qu'il ne s'attendait pas à ce que je connaisse son prénom. Chiara me dévisage et hausse les sourcils en donnant un rapide coup de menton dans leur direction.

— Votre attention s'il vous plaît !

Un agent de police a saisit le micro des mains de notre principale et réclame désormais notre attention à grands renforts de gestes et de cris qui font grésiller le micro. Un son strident retentit dans les enceintes, et je me bouche les oreilles en grimaçant.

— Désolé, s'excuse t-il en éloignant sa bouche du micro. Vous m'écoutez ?

— On a le choix ? hurle une fille dans le gradin voisin.

Vague de rire dans les sièges, indignation de madame Aubra.

— Nous voulions ce matin revenir avec vous sur de nouveaux points ajoutés au règlement à la suite des événements de vendredi soir.

Le silence retombe, et chacun se dévisage. On peut s'attendre à beaucoup de choses pour répondre au règlement de compte du match, et c'est ce qui angoisse.

— Comme vous avez pu le remarquer, des détecteurs de métaux ont été installés à l'entrée du lycée : chaque matin vous y passerez vos sacs, et des agents de sécurité vérifieront s'ils le souhaitent, que vous ne portez rien sur vous par une palpation.

Un murmure gronde dans les sièges, mais n'arrête pas l'agent, qui poursuit son speach avec entrain.

— Désormais, toute référence à une affiliation à un quelconque gang sera sanctionnée.

Le murmure se mue en protestation sourde, qui cette fois-ci fait tilter l'agent. Il s'éloigne du micro et balaye l'assemblée du regard, les poings sur les hanches. Il fait relativement peur, avec sa mâchoire carrée et ses petits yeux enfoncés dans ses orbites.

— Je vous demande de m'écouter, grogne t-il en reprenant le micro.

Chiara soupire, et j'entends Duke et Damian chuchoter derrière nous.

— Les bagarres, brimades, en lien avec une quelconque rivalité entre groupes, pourront faire l'objet de renvois temporaires ou définitifs.

Cette fois-ci, le murmure explose, et des cris jaillissent d'un peu partout. Je me perds dans toutes les voix qui s'élèvent, qui appellent au respect de la liberté d'expression et à l'opposition à la censure. Je remarque un groupe un peu plus virulent que les autres qui s'agite à quelques mètres de nous.

Damian leur jette un regard en biais, et me donne un léger coup dans l'épaule avant de me tirer en arrière pour chuchoter à mon oreille.

— Les types à côté, ils font parti des King100. De leur faute si on en est là, et ils osent encore ouvrir leur gueule.

Je hoche la tête et coule un dernier regard au groupe de perturbateurs avant de revenir à l'agent.

Il a passé le micro à madame Aubra, qui toussote avant de prendre la parole.

— Les activités de vos parents, frères, sœurs, amis, ne doivent pas venir perturber votre scolarité. Vous avez encore l'âge de choisir, de vous sortir de ces histoires qui chaque année, coûtent la vie à des centaines de personnes. Pensez-y : vendredi soir, nous avons été témoins d'actes de violence qui ne devraient pas se produire au sein d'un lycée. Nous déplorons un mort, un de plus, un de trop.

— Bien fait pour leur gueule à ces chiens de King !

Tout le monde se fige, et les regards convergent vers un type de troisième ou dernière année, debout sur son siège, qui ses mains en porte-voix, se remet à hurler.

— Ce sont eux qui ont attaqué les premier ! La légitime défense ça vous parle ?!

— Rasseyez-vous jeune homme, gronde la conseillère.

— Vous interdisez les affrontements au sein du lycée ? Ok, et comment vous allez régler ce qui se passe à l'extérieur ?

Une vague de réponses enflamme les gradins, et je me ratatine sur le mien : ce n'est pas une façon de débuter la semaine.

Je commence à me perdre dans mes pensées lorsque les mains de Damian se reposent sur mes épaules pour me tirer une nouvelle fois vers l'arrière. Je manque tomber de mon siège, et lui jette un regard assassin par-dessus mon épaule.

— Juste...

Il semble prêt à me dire quelque chose d'important, avant de constater le regard de Duke posé sur lui, et l'oreille traînante de Chiara.

Il se ravise alors, et se recule en se mordant l'intérieur de la joue.

Nous assistons à une fin de discours chaotique entre grandes idées balancées par l'agent et notre conseillère tandis que la principale reste en retrait, et observe. De ses petits yeux, elle localise les fouteurs de trouble, et je devine à son expression qu'elle se les réserve pour plus tard.

Puis, on nous renvoie en cours, comme s'il n'y avait plus rien à dire.

Sauf que c'est tout le contraire. À la sortie des gradins, l'ambiance est électrique, les élèves affiliés à des gangs adverses se dévisagent, certains crachent d'autres se menacent.

Au milieu de tout ça, je me fais tout petit, voûte les épaules et essaye d'oublier que ma position n'est plus aussi neutre que je le voudrais.

Bien sûr, je ne fais partie d'aucun groupe, ne revendique aucune supériorité de tel ou tel gang.

Mais...

Mes yeux se posent sur Damian et Lu, qui échangent avec entrain à quelques mètres de nous, et j'inspire par le nez, lentement.

Je ne suis définitivement plus neutre.

   La journée se passe dans un semblant de calme. Tout le monde est à cran. Après le discours de la police ce matin, les tensions n'ont fait que grandir, palpables. En voulant mettre un terme à une violence silencieuse jusque là, notre proviseure n'a fait que rapprocher l'allumette de la poudre.

Les membres adverses se bousculent dans les couloirs, mettent ça sur le compte de la maladresse. Des insultes fusent à travers les couloirs bondés, de telle sorte que l'on ne sache pas de qui elle proviennent. Au réfectoire à midi, un garçon a ''accidentellement'' renversé son plateau sur Lu. Elle a voulu riposter, mais l'un des nouveaux agents de sécurité lui a fait signe de circuler.

À midi, elle est venue me parler, à moi seul, alors que je terminais mon repas sur un banc dans la cour du lycée. Je me rappelle l'avoir vu approcher, me subtiliser mon livre des mains, et s'asseoir à côté de moi, avant de se mettre à parler. Un vrai choc, moi qui pensais qu'elle ne se rappelait même pas de mon nom, ou seulement comme le type qui n'avait jamais fait de tequila paf jusqu'à la fête d'Halloween chez Julio.

Négligemment adossée contre mon épaule, elle m'a fait un point sur les différents gangs qui se rencontraient au sein de notre lycée, les membres les plus influents, les fils et filles de, ceux à éviter. Elle m'a parlé de ceux de qui je devais me méfier, et que je devais surveiller s'ils approchaient trop de Damian.

— Je te demande pas d'être son garde du corps, loin de là. Pero el principe esta sangre.

J'ai simplement hoché la tête, et ai promis à demi-mots de faire attention.

Elle est repartie comme elle était venue, en me souriant et en agitant la main. Chiara, qui arrivait au même moment, n'en a pas cru ses yeux.

— Déjà que tu pactises avec l'autre pouffiasse de Damian, évite de faire ami-ami avec Lu.

J'ai opiné, et ai suivi Lu des yeux jusqu'à ce qu'elle quitte la cour.

À quatorze heure cinquante, je me hâte de quitter la salle d'espagnol pour intercepter Damian avant qu'il ne parte pour son rendez-vous avec l'éducateur.

Je le trouve, comme je l'imaginais, la tête dans son casier, en train de charger son sac de livres et de cahiers.

— Hé.

Il relève brièvement la tête vers moi, m'accorde un sourire en coin, et continue de remplir son sac définitivement trop petit pour tout ce qu'il souhaite y entasser.

— Pas trop stressé ?

— Non, juste saoulé. Un éducateur, sérieux.

Il me paraît totalement dépassé par la situation, et finit par claquer la porte de son casier avec mauvaise humeur.

— Franchement, c'est la honte. Si les autres l'apprennent, je suis mort socialement.

— C'est juste ça qui t'inquiète ?

— J'en sais rien.

Nous quittons le lycée côte à côte, sous le soleil tiède de milieu d'après-midi. Il marche lentement, semblant redouter le moment fatidique où il rencontrera son éducateur – ou son éducatrice. Comme si ce suivi symbolisait la mise à mort.

Nous arrivons chez nous un peu trop rapidement à son goût, et je remarque immédiatement que les voitures de mon frère et Jay ne sont pas garées dans la cour.

— Ils déconnent ou quoi ?

— T'as pas tes clefs ?

— J'ai jamais mes clefs, Raf est censé être un mec qui passe sa vie dans son bureau, à la maison .

— Surprise, ricane Damian en m'offrant un sourire moqueur que je balaye de la main.

Il m'attrape par la poignée de mon sac à dos, et me tire à sa suite, alors qu'il grimpe les marches de son porche.

La moto de sa sœur est dans la cour, mais étonnement, aucune voiture ne se trouve garée devant la maison, comme elle aurait dû.

— Dam non, tu dois...

Trop tard. Il vient de me pousser à l'intérieur avec fermeté : une aubaine pour lui en fin de compte. C'est la bonne excuse pour que je reste à proximité lors de son rendez-vous.

Ariana est attablée dans la cuisine, une bouteille de tequila à côté d'elle.

Mon ami s'est arrêté dans l'encadrement de la porte, et la fixe avec un étonnement mêlé d'inquiétude.

—Ari ? L'éducateur est pas là ?

Ariana se lève tranquillement pour ouvrir le frigo et en sortir une bouteille de lait.

— Samuel, ton frère a laissé un double des clefs ici. Il a dû partir en déplacement deux jours. Il devait t'envoyer un message... Tu peux dormir chez nous si tu veux.

— Jay est parti avec lui ?

— Oui, j'ai pas vraiment écouté ce qu'il m'a raconté, mais il m'a bien dit qu'ils partaient à deux.

Elle attrape le trousseau sur le comptoir de la cuisine, et me le jette avec adresse. Je le rattrape du mieux que je peux, et avise l'air totalement déconfit de mon ami, qui oscille entre sa sœur et moi dans un mouvement saccadé.

— Je repasse après ok ?

Son regard se fige sur moi, et je le vois amorcer un mouvement pour attraper mon poignet avant de se rétracter. À la place, il me donne un coup dans l'épaule, et me désigne la porte du menton.

— À tout à l'heure Sam.

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