8 - Ariana 

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Ariana

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   Hugo est déjà au point de rendez-vous, lorsque je me gare au guidon de ma moto. Il a toujours cet air détaché qui me révulse et une clope au coin des lèvres. Son œil gauche est cerclé d'hématomes, et une contusion court le long de sa mâchoire.

À dire vrai, Hugo et Damian se ressemblent de plus en plus avec les années qui passent : même cheveux de jais et visages fins, aptes à se figer puis se tordre de colère en quelques instants. La seule différence notable reste leurs yeux, si différents, et pourtant animés de la même lueur.

— Comment va ton épaule ?

— À merveille, je te remercie.

Il hausse un sourcil à mon ton acerbe, mais ne rajoute rien. Au contraire, il préfère me proposer une cigarette que je refuse avec un mouvement de la main.

— Tes sbires sont pas là ?

— Non, ils sont occupés à autre chose. Donni m'a vaguement parlé d'un braquage quelconque.

— Oui, c'est sûr que ça ne demande aucune précision, c'est juste un braquage après tout.

Comment peut-il tout prendre autant à la légère ? On ne parle pas d'une course de santé, mais d'un acte criminel, que je devine à main armée.

H secoue la tête et me désigne la table de pique-nique derrière lui.

Lorsque nous avons à nous parler de façon officieuse lui et moi, nous préférons le faire ici, loin des oreilles indiscrètes de ses hommes, dans un endroit neutre.

Cette aire de repas est située à la sortie de la ville, en zone ''libre'' comme H l'appelle, c'est à dire dans un territoire non attribué.

Cette table n'appartient à aucun gang, nous ne risquons ainsi pas de nous faire flinguer par le premier type un peu pointilleux sur les délimitations.

— Alors, les King100, vraiment ? T'es malade ou quoi ?

— Ils ont cherché à empiéter sur notre territoire, et ont même menacé Julio la semaine dernière.

— Et donc toi, tu as... ?

— J'ai fait fracasser deux de leurs nouvelles recrues. C'était juste un avertissement.

Je secoue la tête, complètement ahurie par la bêtise de mon frère.

Je ne sais pas s'il se rappelle du jour où trois types des M-7 m'avaient agressée à la sortie du lycée, en ''avertissement'' comme il le dit. Notre père en l'apprenant, avait envoyé plusieurs hommes s'occuper du cas de ce petit gang fraîchement débarqué de New York, avec des rêves de territoire plein la tête. Trois victimes chez nous, une hécatombe chez eux. Et ce n'était qu'un avertissement.

— Hugo, les jumeaux étaient là. Dam était une cible facile au milieu du terrain.

— Comment je pouvais savoir qu'ils se serviraient de ce putain de match pour nous rendre la pareille ? Et puis, tu es pas censée te balader sans arme.

— C'est ton rôle de prévoir H, et figure-toi que Damian l'avait vidée pour s'entraîner avec Julio.

Il se masse le menton entre le pouce et l'index avec un vague air concerné au visage, avant de retrouver son masque d'indifférence.

Assis sur le rebord de la table en bois, il fixe la route s'éloigner à perte de vue, le teint terreux.

— Comment ça s'est fini hier ?

— Une perte de leur côté. Mais...

Il cherche ses mots, ravale un peu de sa salive avec un bruit sourd avant de reprendre.

— Je pense pas qu'ils en resteront là.

— C'est à dire ?

— Ari, le mec qui t'a braqué, c'est le frère de leur chef. Tu as dérouillé du gros calibre.

— Tu vas régler cette histoire, Hugo. Je ne vivrai pas dans la peur parce que tu es avide de territoire et de puissance de frappe. Ils ont dit quoi exactement ?

Il me raconte les quelques mots échangés avec le type avant qu'il ne s'évanouisse, où il était question de retour de flamme et de méfiance à avoir de notre côté. Que leur nombre avait augmenté, que leurs armes étaient plus performantes que les nôtres.

À mesure qu'il parle, mon estomac se noue, et je sens l'angoisse me gagner.

Certes, nous sommes sous la protection du gang, sous celle plus rapprochée, de H en personne. Bien qu'il ait décidé de couper tous liens avec nous après la fuite de maman et l'arrestation de papa, il ne peut pas nier qu'il doit un minimum tenir à nous pour avoir mis tant d'ardeur à nous protéger des attaques d'autres gangs. Je l'ai plusieurs fois vu tourner en voiture autour de la maison, ou bien mettre ses hommes sur le coup, à la sortie du collège l'année dernière.

Il sait que nous ne sommes en sécurité nulle part, avec tout cet acharnement autour de notre simple nom de famille. Juste par le sang, nous risquons chaque jour de nous faire tuer en pleine rue.

— Ariana, si tu revenais parmi nous, ce serait plus simple. Tu aurais accès à toutes nos infos et...

— Ne te fatigue pas, c'est toujours non. Tu devrais être content, tu as déjà récupéré Damian, et bientôt les jumeaux. Tu ne lui a pas parlé, malgré ce que je t'ai demandé ?

— Il a le droit de choisir.

— Ouais, choisir de bousiller sa vie, bravo H, tu es vraiment le grand frère du siècle.

— Si tu avais accepté qu'ils soient placés, il n'aurait jamais eu à faire ce choix.

Je tressaille, et plante mon regard dans le sien. Il a un léger mouvement de recul, mais ne se démonte pas.

— Tu sais que j'ai raison. C'est toi qui t'acharne.

— Tu... tu préférerais que je les fasse placer ?

— Non, mais juste que tu arrêtes de me balancer la faute. Bien sûr que Dam veut me rejoindre, c'est notre héritage, et il le sait. Il a choisi de commencer l'initiation parce que... c'est son ''devoir''.

La boule dans mon ventre grandit, encore et encore, avant d'exploser et de me donner la nausée.

— Il porte littéralement le nom de notre gang, Ari. Il baigne là-dedans depuis tout petit, que tu le veuilles ou pas. Il était là lorsque Lina...

Ses mots meurent dans sa bouche avant qu'il ne puisse achever sa phrase. Bien qu'il imagine le cacher, je remarque le tremblement de ses mains avant qu'il ne les enfonce dans les poches de son pantalon.

— Et tu as envie qu'il finisse comme elle ?

C'est la dernière question que je lui pose avant de me relever pour rejoindre ma moto. Il me regarde m'éloigner, le teint blafard et les mains toujours profondément cachées dans son jean large.

Sur tout le trajet du retour, le souvenir de Lina me poursuit et m'angoisse. L'impression de distinguer sa silhouette sur le bas côté, de voir grossir une flaque de son sang carmin au milieu de la route. Mon souffle est sacadé dans mon casque, j'ai du mal à respirer.

Damian ne finira jamais comme elle, et ce même si je dois couler avec lui pour mieux pouvoir le faire remonter à la surface.

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