7 - Samuel

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Samuel

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   Rafaël vient de m'envoyer un message : « Ariana est en sécurité, elle se douche chez nous, on arrive juste après. Comment vont Dam et les jumeaux ? ».

Je l'ai lu à Mikky et Danny, qui se sont immédiatement détendu en apprenant la nouvelle. Danny a voulu préparer à manger pour sa sœur, tandis que son frère voulait lui faire un dessin.

Au final, ils ont tout abandonné pour se mettre un film à la télévision.

Damian aussi est parti se doucher, et j'attends son retour en regardant le film avec les petits.

J'ai eu tellement peur tout à l'heure. Lorsque le premier coup de feu a retenti, Ariana nous a hurlé de partir et m'a confié la sécurité des jumeaux. Puis, elle a sorti une arme de son sac, à visé un homme derrière nous, avant de se rendre compte qu'elle n'était pas chargée. J'ai hésité à retourner l'aider en la voyant se faire menacer à son tour, mais ai repensé aux jumeaux et ai préféré retrouver Rafaël pour l'informer.

Au final, c'est lui qui nous a rattrapés sur le parking, en nous demandant si nous avions croisé Damian sur le chemin. Une nouvelle frayeur lorsqu'il m'a appris que mon ami lui avait échappé et était reparti vers le stade.

Heureusement, il est revenu de lui-même, escorté par Duke, qui est un peu remonté dans mon estime.

À l'écran, Simba vient de trouver le corps inanimé de son père. Il tente de le réveiller en lui donnant des petits coups de patte, et finit par abandonner lorsque son oncle apparaît.

Et si Damian n'était pas revenu ? Si comme pour le père de Simba, nous avions retrouvé son corps inanimé en bas des gradins ? Et Ariana ?

Je frémis des orteils aux cheveux, et inspire à plein poumons en tentant de relativiser : tout le monde va bien, tout le monde est en vie.

Pour combien de temps ?

Les escaliers grincent et Damian apparaît en bas des marches, les cheveux humides et un sweat trop grand pour lui sur le dos.

Avec un pas saccadé il s'approche du canapé et observe quelques instants l'écran de la télévision avant de venir s'asseoir à côté de moi.

— Alors, ça y est, tu es baptisé, murmure t-il.

Je souris malgré moi, étonné qu'il arrive encore à plaisanter de cette situation.

Dehors, les sirènes de police hurlent à tout va, accompagnées d'une voix stridente au microphone qui nous indique que le quartier est bouclé, et que nous devons resté chez nous. Jamais encore je n'avais vécu une telle situation. Et à dire vrai, je ne suis pas sûr de bien réalisé pour le moment.

— Tu..., enfin ça t'était déjà arrivé, tout ça ?

Il tourne son visage vers moi, et m'offre un sourire plus triste qu'arrogant.

— Ouais, plusieurs fois. Mais qu'on s'en prenne directement à ma famille, jamais non.

— C'est fou.

— Nan, c'est juste... habituel.

Je pianote rapidement un message à Rafaël, où je lui demande s'il pourra tout de même nous rejoindre malgré la réclusion.

— Au lycée, y'a que les Cortez, où il y a aussi des membres d'autres gangs ?

— On est pas tous seuls, non. Mais comme on est les plus nombreux, les autres mouftent pas trop. Question de nombre tu comprends.

C'est complètement insensé. Il me parle de ça comme si tout était normal. Comme si cette situation, le canon sur la tempe de Ariana, la fuite de la foule, les cris, les coups de feu, tout cela faisait partie intégrante du paysage. Il ne peut pas penser ce qu'il dit, ou du moins pas totalement, si ?

— Comment vous faites pour rentrer dans les gangs ? Y'a des tests ?

— En quelque sorte, oui. On appelle ça ''l'initiation'', mais ça varie d'un groupe à l'autre.

Je hoche pensivement la tête, et relance, désormais piqué au vif par cette histoire. Je n'avais jamais vraiment pensé me retrouver un jour au milieu de tout ça. Que ça n'arrivait qu'aux autres, que dans les films, que dans les romans.

— Tu l'as faite toi, l'initiation ?

— Que l'étape une pour l'instant.

— Parce qu'il y a plusieurs étapes ?

— Hum, trois.

Il est complètement détaché, et suit le déroulé du film en même temps qu'il répond à mes questions.

— Et... ça consiste en quoi ?

— Sam, pourquoi tu poses toutes ces questions ?

Il a de nouveau les yeux braqués sur moi, et je ne peux m'empêcher de me sentir un peu honteux. Il vient d'assister à un règlement de compte où lui et sa famille étaient personnellement visés, et je l'assaille de questions assez intimes, auxquelles il n'a sans doute pas envie de répondre.

— Je t'en parlerai, finit-il par répondre, tout bas. Mais pas maintenant.

Du menton, il me désigne ses frères, qui bien qu'absorbés par le film, doivent bien avoir une oreille traînante de notre côté.

   Le retour de Ariana et Rafaël se mue en une explosion de sentiments contradictoires : les jumeaux surexcités, lui sautent au cou, avant de fondre en larmes en enfouissant leurs visages dans son cou, pour finalement se mettre en colère contre elle. Mikky est pour une fois, est celui avec le plus de retenue. Il se contente de pleurer une bonne fois puis retourne devant son film.

Bombe à retardement, je pense en le regardant faire, gestes saccadés et sourire figé.

Danny est plus difficile à calmer, et surtout impossible à éloigner de sa sœur. Agrippé à son jean, il refuse catégoriquement de la lâcher, même lorsqu'elle le lui demande avec une voix cotonneuse.

Damian lui, ne dit rien. Il observe la scène comme spectateur de sa propre vie, et reste assis sur le canapé, sans mot dire, le regard ailleurs. Il ne me paraît même pas mal à l'aise, ne se tord pas les mains, ne cherche pas à fuir les regards qu'Ariana lui porte.

— Je suis désolée d'avoir été aussi longue, susurre t-elle contre la tempe de Danny. Mais c'est fini. Vous avez été de vrais champions avec Mikky et Sam.

— Pourquoi t'es pas venue avec nous ?

— Tu sais bien que je cours pas vite, je vous aurais ralentis.

Elle rigole brièvement, offre une dernière longue étreinte à Danny avant de le renvoyer devant son film. Lorsqu'elle le pousse, du bout du bras, je perçois un morceau de bandage sous la manche courte de son tee-shirt. Tee-shirt qui, si je ne me trompe pas, n'est pas le sien. À en croire la taille, la couleur et les motifs, c'est l'un des anciens maillots de mon frère.

Damian doit en arriver à la même conclusion car il fronce les sourcils en inspectant la tenue de sa sœur.

— Bon, commence t-elle en tentant toujours de croiser le regard de Damian. J'imagine qu'après tout ça, une bonne nuit de sommeil ne nous fera pas de mal hein ?

Mon ami renifle, avec un certain mépris que je ne m'explique pas, avant de se lever du canapé pour se diriger vers les escaliers.

— Sam, tu dors toujours ici ?

Je coule un regard à Rafaël, qui hoche la tête et m'indique de le rejoindre. Une dernière fois avant de monter, je l'étreins en lui souhaitant tout de même une bonne soirée, et vais rejoindre Damian qui a déjà gravi les marches, sans accorder la moindre attention à Ariana.

Lorsque j'arrive dans sa chambre, je suis étonné du désordre qui y règne, mais surtout d'y trouver Damian assis au milieu d'une pile de vêtement, le menton posé sur ses doigts croisés.

Sa chambre est assez étonnante, avec ses murs couverts de posters en tous genres, son bureau minuscule encastré dans un coin de la pièce et sa housse de couette enfantine. On dirait un croisement entre une chambre d'enfant, d'adolescent, et de quinquagénaire dépressif.

— J'imagine que tu voudras pas d'un tapis de gym ?

— J'essaierai un jour, mais pas ce soir.

Il hoche la tête, toujours dos à moi, et je me rapproche pour m'asseoir à côté de lui.

Dans sa main droite, il tient une manche d'un quelconque sweat qu'il tort en tous sens, presse puis relâche, le tout avec un léger tremblement.

— T'as le droit de dire si ça va pas, je lance distraitement.

Il ne me répond pas, et continue de malmener son vêtement tout en fixant la fenêtre face à lui. Son visage est stoïque, mais au bout de quelques dizaines de secondes, je vois ses yeux commencer à briller, de plus en plus fort. Il regarde alors le plafond, penche un peu la tête en arrière, de façon imperceptible pour quelqu'un qui ne le fixerait pas comme je le fais.

Doucement, j'approche ma main de la sienne, et tente de le faire lâcher la manche du sweat, en attrapant ses doigts.

— Damian, il est si intéressant que ça ton plafond ?

Un minuscule sourire lui échappe, et le mouvement de son visage fait enfin déborder les larmes qui commencent à s'écouler lentement le long de ses joues.

Rapidement, il les essuie d'un revers de la main, mais ne fait que cacher la misère sous le tapis. Dès qu'il arrête de s'essuyer les yeux, elles repartent de plus bel, et s'écoulent sur ses pommettes, sur les ailes de son nez. En arrivant en bas de son visage, elles chutent et meurent sur son pantalon. Gouttes d'averse qui s'écoulent avec silence, je ne peux m'empêcher de me sentir mal pour lui.

— Putain..., murmure t-il en baissant la tête.

Je lâche ses doigts, et passe mon bras autour de ses épaules avant de l'attirer vers moi, son épaule contre la mienne, sa tête contre mon cou.

— Pourquoi t'as honte de pleurer comme ça ? C'est naturel tu sais ? Moi je pleure souvent.

— J'aime pas, c'est tout. Ça fait fragile.

— Même si tu pleurs, moi je trouve pas que tu sois quelqu'un de fragile. Loin de là même, Dam tu es retourné sur le terrain alors qu'il y avait tous ces coups de feu, tu es super courageux. Et puis, pas grand monde aurait oser faire le saut périlleux que tu as fait durant la chorégraphie.

Il renifle, s'essuie le nez avec la main, et je grimace.

— Ça par contre c'est dégueulasse, demande-moi un mouchoir au lieu de faire ça !

Je rigole un peu, et le serre plus fort contre moi. Ses mains ont recommencé à maltraiter ce pauvre sweat, alors de ma main libre je reprends ses doigts entre les miens.

— On fait peine à voir, rit-il faiblement.

— P'têtre bien, mais on s'en fout. Qui nous observe hein ?

— Monsieur Taylor. Je crois qu'il est dans l'arbre juste là.

Il me pointe un immense arbre qui donne sur sa fenêtre, et je souris un peu plus. Pour aller dans son sens, je pointe à mon tour le feuillage touffue et lui indique de suivre la direction de mon doigts.

— Ouais t'as raison ! Ce serait pas un bout de son crâne chauve et luisant juste là ?

— Je crois bien que t'as raison...

Je relâche la prise que j'ai autour de ses épaules, et me relève pour aller fermer les volets le plus rapidement possible avant de me plaquer contre le mur à côté de la fenêtre. J'exagère un essoufflement et m'essuie le front d'un revers de la main.

La chambre n'est plus éclairée que par sa lampe de bureau maintenant.

Il pleure toujours un peu, mais a le visage fendu d'un sourire que je qualifierais d'à moitié triste, et d'à moitié amusé par mes pitreries.

— T'es con, sourit-il en commençant à escalader son lit pour s'y asseoir.

— Pas con, juste prévoyant ! On va se coucher ? Je suis crevé.

Il hoche vaguement la tête, et me désigne un pan de son armoire où il a entreposé le sac à dos que j'ai déposé chez lui avant de partir tout à l'heure.

— Tu veux pas... euh..., aller voir Ariana, pendant que je me change ?

— Non, pas ce soir.

— Comme tu voudras.

Je quitte sa chambre avec mon sac à dos pour aller m'habiller dans la salle de bain, et reviens quelques instants plus tard pour le trouver étendu en étoile de mer au milieu de son lit, dans un drôle de pyjama constitué d'un débardeur noir avec le logo de Superman sur le torse, et un caleçon Batman.

— Tu nous fais Batman VS Superman en une seule tenue ?

— Faut croire.

— Tu sais qu'il va falloir que tu te décales d'un cul pour me laisser un peu de place ?

Il roule des yeux avec un sourire en coin, mais accepte tout de même de se pousser pour me laisser un peu de place. À peine suis-je allongé qu'il se remet en position ''étoile de mer'', sa jambe gauche par-dessus les miennes.

— Sérieux ?

— Mon lit, mes règles.

— Dami je vais te faire dégager tout ça fissa.

Je rue sur le matelas pour déloger ses jambes, et ne reçoit pour toute réponse qu'un de ses bras par-dessus mon torse.

Sans déconner... ? Il se fout de moi ?

— En fait t'es un mec relou comme ça... ?

— Surprise.

— Génial, quelle magnifique surprise, je ronchonne.

Je tends le bras pour éteindre la lampe de son bureau, et m'installe plus convenablement en faisant abstraction des membres de Damian toujours bien en place pour ne pas me faciliter la vie.

Au bout de quelques minutes cependant, il consent enfin à me libérer, et vient à la place coller son front contre mon épaule, lui en chien de fusil, moi sur le dos.

Et c'est dans cette position que nous nous endormons.

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