6 - Ariana 

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Ariana

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   Danny se tortille dans tous les sens alors que j'essaye de lui faire enfiler un sweat à capuche. Le match d'ouverture de ce soir est à vingt heure, et bien qu'il fasse relativement chaud en ce moment, je ne les laisserai pas gambader, lui et Miguel, sans au moins un sweat sur le dos. De plus, vu le temps pourri que nous avons depuis ce matin, il n'est pas impossible qu'une autre averse ne s'abatte sur nous ce soir.

— Non !

Je gronde, fais les gros yeux, et réussi enfin à le lui passer. Un noir pour lui, un rouge pour Mikky : les couleurs de notre équipe. Damian est rentré des cours à l'heure habituelle aujourd'hui, les entraînements étant annulés les soirs de match pour ne pas épuiser les athlètes. Il a goûté avec les jumeaux, un énorme milk-shake à la banane bourré de protéine en poudre, puis s'est rendu compte que nous n'avions plus de lait pour le corps. Le drame du siècle, il en a fait un scandale pendant au moins vingt minutes avant que je ne lui suggère d'aller voir si Samuel ne pouvait pas le dépanner.

Il a boudé, a pesté contre moi dans toutes les langues qu'il connaît, puis est enfin parti chez nos voisins. Je comptais de toute manière y passer pour proposer à Rafaël de nous accompagner, comme son frère s'y rend avec nous.

— On répète les règles de sécurité pour ce soir ?

— On parle pas aux inconnus, marmonne Mikky.

— On accepte pas les hot-dog et les frites de gens qu'on connaît pas.

— On ne dit pas qu'on s'appelle Cortez, ou alors on dit qu'on connaît pas H.

— On s'insulte pas, et surtout pas en espagnol.

Je les félicite d'un sourire, et les autorise à retourner jouer le temps que nous partions pour le lycée. Ils m'ont demandé de partir un peu en avance pour leur prendre un repas au Macdonald, et qui serais-je pour refuser ? Surtout lorsqu'on sait que Miguel a eu un autre A en dictée et que Daniel a eu une bonne note de participation en sport.

— Je vais voir chez Rafaël et Samuel pour récupérer votre frère et leur proposer de venir. Pas de bêtises, ok ?

Ils hochent la tête avec entrain, et commencent à se battre pour choisir quel programme mettre à la télévision.

De mon côté, je sors dans l'air tiède de début de soirée et traverse la route en trottinant avant de sonner à la porte avant de mes voisins.

J'ai déjà envoyé plusieurs messages à Rafaël depuis ce matin, notamment pour le remercier d'avoir une nouvelle fois pris en charge mon boulet de frère. De ce qu'il m'a appris, nos petits frères respectifs n'en menaient pas large ce matin à quatre heure trente. Il faut que je le remercie de vive voix, et surtout que je lui propose de faire garde alternée.

À peine ai-je toqué à la porte que celle-ci s'ouvre en grand. Cependant, l'homme qui se tient face à moi, je ne le connais pas. Il est immense, a de courts cheveux vacillant entre le blond et le roux, et a un visage marqué de différentes cicatrices.

— Bonsoir, ronronne t-il en me dévisageant.

— Euh, bonsoir ! Je viens voir Rafaël...

Cette apparition soudaine me perturbe quelque peu ; ce type fait un peu peur.

La silhouette de Rafaël se dessine derrière lui, et il m'offre un sourire complice en me désignant l'homme, dans le dos de ce dernier.

— Jay, Ariana. Ariana, Jay. Un collègue de travail. Ma voisine d'en face, la sœur de Damian.

L'homme me tend une main énorme, que je serre avec délicatesse. Ce qui est plutôt ridicule après coup, car si l'un de nous deux risque bien de briser l'autre, c'est lui.

— J'imagine que Dam est toujours chez vous ?

— Je le soupçonne de vouloir s'installer ici, sourit Rafaël. Vas-y, entre.

Jay se décale pour me laisser passer, tout en continuant de me fixer, et je suis Rafaël jusqu'à sa salle à manger. Quelques feuilles vierges traînent sur la table, et l'ordinateur de Rafaël est ouvert sur l'écran de veille. Il devait être en train de travailler avant que je n'arrive.

— Les jumeaux sont pas avec toi ?

— Ils doivent s'être entre-tués à l'heure qu'il est. Choix de programme télé difficile.

Nouveau rire.

Les escaliers grincent, et les garçons nous rejoignent en braillant. Mon frère semble plus détendu qu'après son énorme en-cas de seize heure, et a les cheveux brillants : il a donc réussi en plus de la crème hydratante, à se faire payer la douche.

— Tu étais pas censé juste venir chercher de la crème ?

— La vie est pleine d'imprévus, rigole Samuel en venant me saluer.

Il commence à prendre la sale habitude qu'a Damian de parler en sarcasme. Déjà qu'un adolescent de ce genre était compliqué à gérer, mais deux...

— Au fait, je lance à Rafaël, on va au match d'ouverture ce soir, tu veux te joindre à nous ? On emmène déjà Samuel.

— Quand est-ce que ça s'est décidé ça ?

Il lance un regard équivoque à Samuel qui hausse les épaules avec légèreté.

— Ce sera avec plaisir, et d'ailleurs, vous pouvez me garder Sam ce soir ? Jay a débarqué à l'improviste, j'ai pas de couchage et...

— Pas de soucis. Après tout, on a déjà deux nuits à rattraper.

Damian et Samuel échangent un long regard dépassé par les événements, et finissent par partager le rire de Rafaël.

Et c'est fou car en cet instant précis, j'ai l'impression de voir revivre mon frère,pour la première fois depuis longtemps.

   Nous avons abandonné Damian à l'entrée du lycée, où le reste de l'équipe de cheerleading l'attendait de pied ferme. Lu m'a poliment salué, et je lui ai répondu, bien que le désir de lui faire passer l'envie d'entraîner Damian dans ses conneries me titillaient le bout de la langue.

J'ai brassé les jumeaux avec toutes mes recommandations pour ce soir, ce n'est pas pour tout remettre en question en agressant une lycéenne à peine arrivés sur le parking.

Mikky a le nez fourré dans son sachet de frites, tandis que Danny termine tranquillement sa glace avec un flegme déroutant. Il n'a que neuf ans et pourtant, à sa nonchalance et sa posture, on pourrait lui en donner quarante.

— Tu pourrais pas faire semblant de t'intéresser un minimum ?

— Je m'en fiche moi du foot et des pom pom girls.

— Cheerleaders, je le corrige. C'est pas pareil. Damian te tuerait s'il t'entendait mélanger les deux termes.

Danny hausse les épaules, et Samuel éclate de rire.

Lui aussi s'est pris un repas au Macdonald, sous le nez de Damian qui lui s'est entêté à ne rien prendre, pour au final piocher dans tous les sacs.

— On va rejoindre les gradins, propose Rafaël en nous désignant la foule de lycéens.

J'opine et lui emboîte le pas, les enfants sur les talons.

Presque tout le lycée est présent, avec en plus des quatre niveaux un bon nombre de collégiens, et de jeunes adultes diplômés. Quelques personnes plus âgés se réunissent, discutent entre eux : les parents d'élèves, ceux dont mes parents n'ont jamais fait parti.

L'ambiance est bonne, entre les retrouvailles entre élèves diplômés et lycéens actuels, le food truck devant lequel une file immense patiente pour avoir un hot-dog aux qualités gustatives discutables.

La nostalgie me prend, et je me revois arpenter les allées du lycée dans la ridicule tenue de cheerleader que Damian portera fièrement ce soir. La passation du flambeau : espérons qu'il réussisse mieux que moi.

Alors que nous commençons à peine à escalader les gradins, je vois un groupe de jeunes me dévisager en haut des tribunes, casquettes à l'envers et survêtements de marque. Ils doivent être cinq ou six, et se sont tous arrêté de parler à ma simple vue.

L'un d'eux ne m'est pas inconnu, et ne doit plus être au lycée depuis un petit moment, à en croire ses traits durs et sa barbe noir et hirsute. Le gamin à côté de lui néanmoins, doit avoir l'âge de Samuel et Damian. Il arbore un air glacial en nous regardant progresser.

— Un problème ?

La voix de Rafaël me ramène à moi alors que je commence à sentir les paumes de mes mains devenir moites.

— Non, aucun.

Il hoche simplement la tête, et écarte Danny de Mikky avec un regard menaçant alors que les deux commençaient à s'échauffer.

Son ami Jay n'est pas venu avec nous, prétextant un dossier urgent à bouclé, tout en ajoutant qu'en plus de cela, il n'appréciait pas énormément les manifestations sportives. Rafaël n'a pas insisté, et lui a souhaité une bonne soirée avant d'exhiber ses clefs de voiture sous notre nez.

Tous assis, nous observons le terrain de football sur lequel s'échauffent les joueurs de notre équipe, mais également ceux de l'équipe du lycée adverse.

Et c'est là que je comprends d'où viennent les jeunes qui je le sens, ont toujours les yeux rivés sur mon dos. Leurs regard sont brûlant, et le mal-être de les savoir en hauteur à m'observer de la sorte ne me rassure pas du tout.

La ville comporte deux lycées de secteur : le nôtre, et un plus au nord. Aujourd'hui, ces deux lycées s'affrontent, mais ce n'est pas seulement une question de sport à mon avis.

Rapidement, je jette un coup d’œil à Raf, Samuel et aux jumeaux, et sors mon portable pour envoyer un message rapide à H : « Les Kings100 sont au match, et ils m'ont reconnue ».

   A vingt heure pétante, le speaker du match commence son long monologue de présentation des deux équipes, et accueille avec des exclamations ridicules, l'équipe de cheerleader du lycée de Soledo.

Lu entre la première – capitaine oblige – et est bientôt rejoint par le restant de son équipe, Damian y compris.

Il me paraît fier comme un coq dans son uniforme rouge et noir, et l'est encore plus lorsqu'à la mise en place pour le début de la chorégraphie, il se retrouve en première ligne.

— Allez Damian ! hurle Mikky en se mettant debout sur les gradins.

Son frère lui répond d'un sourire, avant que la musique ne soit lancée.

« Boss Bitch » de Doja Cat, vraiment ? Du Lu tout craché.

De ce que Damian m'a expliqué, leur capitaine met un point d'honneur à faire en sorte que garçons et filles soient égaux dans l'équipe. D'où le fait que mon frère et un autre gamin soient flyers, un rôle d'ordinaire réservé aux filles, et que les garçons aient exactement les même pas que les filles, malgré le fait qu'ils soient plus souvent réservés à un aspect sexy purement féminin. C'est bien une qualité que je dois admettre à Lu : elle aime mettre de grands coups de pied dans les clichés et les idées préconçues, pour mieux se les approprier.

Je frissonne, lorsque Dam est envoyé en l'air pour la première fois par deux garçons plus vieux que lui. Dans ma tête, je les vois déjà louper son atterrissage, le faire tomber. Mais tout se passe bien. Ils le réceptionnent avec une habitude qui me fait sourire, et mon frère retrouve le sol en un seul morceau, le sourire aux lèvres.

Le public et l'équipe ne font qu'un, les paroles de la chanson scandées au rythme de la musique, les applaudissements suivant chaque figure aérienne.

Rafaël à côté de moi frémit en même temps que moi lorsque mon petit frère tient en équilibre sur le bras tendu d'un garçon de dernière année, la jambe derrière la tête.

Danny et Mikky sont totalement avec leur frère, et tentent de l'imiter malgré mes discrètes réprimandes. Enfin, Samuel est totalement hypnotisé, en grimaçant tout de même lors de grand écarts et de sauts un peu violents.

Mon portable vibre, j'y jette un rapide coup d’œil : « Méfiez-vous, on a eu affaire à eux la semaine dernière. Je mets trois de mes gars sur le coup ».

Très rassurant.

Rafaël a suivi mon regard sur l'écran de mon téléphone, et m'interroge avec un haussement de sourcil. Doucement, pour ne pas éveillé le moindre soupçon, je me penche vers lui comme pour lui chuchoter quelque chose à l'oreille.

— On a un problème.

Son visage se tourne vers le mien, et je le vois aviser du coin de l’œil le groupe qui derrière, ne se gène pas pour parler de nous sans aucun filtre. Mon nom de famille revient plusieurs fois dans la conversation, et mes poils se hérissent à l'entente de « Damian » encore plus distinctement que tout le reste.

— Problème... gros problème ?

— Je crois qu'un règlement de compte est prévu..., je sais pas s'ils sont là pour ça.

— Ils font parti de l'autre lycée ?

— Oui, mais ça pourrait très bien être une simple excuse. Mon frère vient de me dire qu'ils avaient eu des soucis avec eux y'a pas longtemps.

Rafaël hoche la tête, et se rassoit correctement dans son siège. Il sort son téléphone de sa poche et pianote un bref instant.

« Si on part maintenant, on va se faire repérer » - Rafaël.

« Ils m'ont reconnue, et ils savent pour Damian, Lu et un tas d'autres gamins » - Ariana.

Je porte mes ongles à la bouche et commence à rageusement ronger l'ongle de mon pouce. Danny, qui surprend mon geste, vient vers moi pour me prendre la seule main qui me reste de libre.

— Tu te sens pas bien ? T'es toute blanche.

— Si si, j'ai un peu la nausée, ça va mi corazon.

Il se contente de ma réponse, et retourne jouer avec Miguel.

La chorégraphie des cheerleaders a pris fin depuis une minute déjà ; je ne les ai même pas vu quitter le terrain. Seule la salve d'applaudissement me ramène à la réalité et me percute. L'angoisse est en train de m'entraver à la gorge à mesure que les secondes passent.

« L'un d'eux à une arme, il arrête pas de vérifier un truc au niveau de ses hanches » - Rafaël.

Mon sang se glace dans mes veines. Grande inspiration, l'air a du mal à passer.

Du calme Ariana, je me répète en boucle, tu as déjà géré pire que ça.

Je sens la main de Rafaël se refermer sur la mienne, et la pression s'atténue un peu.

« Je peux gérer de ce côté, mais va vérifier que tout se passe bien du côté de Dam stp » - Ariana.

« T'es sûre ? Et pour Samuel ? » - Rafaël.

« Je m'occupe de lui. J'ai un flingue dans mon sac à main » - Ariana.

Il ne répond rien, hoche simplement la tête, et me coule un long regard en coin avant de se lever et de parler assez fort pour que le groupe derrière nous l'entende bien :

— Je vais chercher à boire, quelqu'un veut quelque chose ?

— Une bière, ricane Mikky en mimant une cigarette entre ses doigts.

— Hilarant. T'auras un jus de pomme.

Samuel se rapproche de moi son frère à peine descendu en bas des gradins.

Il semble préoccuper, et je devine que notre inquiétude à son frère et à moi a dû déteindre sur lui. Lui aussi se ronge l'ongle du pouce, et cette coïncidence nous fait sourire.

« Ariana, foutez le camp du stade. On vient de localiser trois voitures pleines de gars dans la rue qui remonte jusqu'au lycée » - H.

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