5 - Damian

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Damian

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   J'ai perdu la notion du temps. Onze heure, minuit, peut être moins, peut être plus ? Mon téléphone est resté avec Julio, qui déteste danser et reste donc à distance de la piste. Je sens la sueur me dégouliner le long du dos, coller à l'intérieur de cet abominable short en matière synthétique, alors je quitte la foule pour m'aérer la tête, Lu sur les talons. Elle me paraît encore bien sobre malgré la légère rougeur à ses joues.

Dehors, quelques personnes nagent dans la piscine, certaines toutes habillées, d'autres topless – filles comme garçons – tandis que Duke, quelques garçons de seconde et quatrième années, sont attablés autour d'une table en plastique usée.

À notre vue, ils nous apostrophent et nous proposent de se joindre à eux.

— Quoi de neuf les nazes ? s'enquit Lu en s'asseyant sur les genoux de son plan cul du moment, Mario.

— On allait commencer un ''Je n'ai jamais'', vous en êtes ?

— Putain ouais.

Je m'assois sur une chaise libre, et constate les shot que Duke commence à remplir avec rapidité. De la Tequila pure, ça va nous achever.

Nous répartissons les verres, et au moment où Lu ouvre la bouche pour lancer les hostilités, mon invité de la soirée pointe son nez par la baie vitrée.

— Samuel !

Je hurle, et il commence à rentrer à l'intérieur, mais je vois Julio le repousser et l'escorter jusqu'à la table.

— Ici mon pote, lui murmure t-il, lorsque Damian t'appelle, tu viens.

Mon ami ne bronche pas et se plante devant moi. J'attrape un shot sur la table et le lui tend, un sourire en coin.

— Je n'ai jamais abandonné quelqu'un sur la piste de danse, je lance.

Il doit connaître les règles, car résigné il avale le contenu de son petit verre avec une grimace.

— Je t'en prie, prends place, on va se marrer.

Il n'a pas l'air convaincu, mais s'assoit tout de même à côté de moi avant que Lu ne reprenne.

— Ok... je n'ai jamais été en cours bourrée.

Deux types boivent leur verre, et j'hésite à avaler le mien – ivre et stone, ce n'est pas la même chose.

« Je n'ai jamais été arrêté », je bois. « Je ne me suis jamais baigné nu dans une piscine », je bois. « Je n'ai jamais eu plus de trois partenaires sexuels dans une semaine », je détourne les yeux, et je bois.

Plusieurs tours passent, j'avale quelques verres, Samuel aussi. Les tours avancent, et il n'a encore pas participé, alors Julio le désigne du menton et lève son verre.

— Vas-y Sammy, montre-nous de quoi tu es capable.

Il panique, cherche une idée du regard, se mord l'intérieur de la joue, et finit par fixer son regard sur la bouteille de Tequila.

— Je n'ai jamais fait de Tequila Paf.

Nous buvons tous, et il hausse les sourcils.

— Sérieux ? lui demande Lu avec un air incrédule.

— Je...

— Dam, montre-lui.

Je soupire, plus agacé qu'autre chose qu'on me colle cette responsabilité sans même me poser la question et décide au dernier moment de divertir mon public. Au centre de la table, j'attrape un citron, un couteau et la salière.

Une petite voix en moi me hurle d'arrêter : je la censure.

— Je te montre, et si tu veux le refaire après, tu pourras.

Il me fixe avec un mélange de peur et d'appréhension dans les yeux. Ça en serait presque attendrissant. Ses grands yeux bleus font qu'il a un air doux, quoi qu'il arrive. L'air de quelqu'un qui ne devrait pas être à ce genre de soirée inutile et dégradante. L'air de quelqu'un qui ne devrait pas m'approcher.

Rapidement, je coupe le citron en quatre, et lui en colle un bout entre les dents, pulpe à l'extérieure. Puis, j'applique une fine couche de sel sur son cou, et surprend le regard consterné de Duke.

— C'est pas la version basique ça mec.

— C'est vous qui l'avez demandé. Et puis, c'est celle qu'on fait tout le temps ici. Hein Lu ?

Elle me fait un clin d'œil et Matio lui frappe l'épaule.

Mon sang bat plus fort à mes tempes lorsque je me penche pour lécher la lignée de sel étalée sur la jugulaire de Samuel, qui frémit sous le contact. Puis, je bois le shot, et croque dans le citron entre ses dents.

À quelques centimètres de son visage je considère son air ahuri, complètement perdu, et attarde ce moment avant de me reculer et de lécher mes lèvres pour récupérer les quelques gouttes de citron qui s'y trouvent toujours.

— Alors ? Tu veux essayer ?

Samuel est sous le choc de ce qui vient de se passer. Et qui pourrait l'en blâmer ? Je viens tout de même de lui lécher le cou.

Cependant, à notre grande surprise à tous, il hoche la tête, et attrape la salière.

— Tu restes mon partenaire ?

Il a pas froid aux yeux, rare sont ceux à qui j'accorde un Tequila Paf.

— Bien sûr.

Maladroit, hésitant, il applique le sel, et place le morceau de citron entre mes dents.

Les yeux sont rivés sur nous, et j'imagine que tous doivent remarquer mon frisson lorsque sa langue remonte le long de mon cou. Je penche la tête en arrière, lui donnant un plus large accès au sel, et revient à la normale lorsqu'il avale son shot pour venir croquer le citron.

Ses dents refermées sur la pulpe, tirent doucement et délogent le fruit avec un sourire.

— Alors ? je demande.

— Plutôt sympa.

Une salve d'applaudissements suivent son geste, et je lui offre un sourire auquel il répond par un petit mouvement de tête. À la lueur étrange au fond de ses yeux, il commence à être ivre.

Si son frère savait.

— Chaud, tu es en forme Dami, ricane Julio. Et toi aussi gamin.

Il éclate de rire, mais je ne le suis pas. Mes yeux restent fixés sur Samuel qui le visage écarlate, s'applique à éviter mon regard.

Et alors, la peur me prend. Je crois que je viens de faire le con, pour changer. D'effrayer Samuel, de le mettre mal à l'aise, de lui donner l'envie de ne plus jamais m'accompagner nulle part. Le même sentiment que j'ai ressenti l'autre fois aux toilettes me submerge, et je ne sais plus où donner de la tête. Trop de chose se bousculent en moi, entre peur et amusement alcoolisé, je ne sais pas lequel doit dominer. Un instant, je ferme les yeux, et tente d'ignorer la brûlure de l'alcool dans ma trachée.

Le monde tangue autour de moi, et mon malaise n'en est que plus grand.

Mes doigts tremblent, alors je les cache sous la table.

— Je n'ai jamais fais quelque chose que j'ai regretté par la suite, lance Mario.

J'attrape mon shot et le bois : je suis le seul.

   À moitié avachi sur le canapé dans le salon de Julio, mes yeux ne discernent plus rien, si ce n'est les couleurs qui me heurtent et me font mal. J'ai l'impression que mes rétines vont rendre l'âme, que mes larmes vont se mettre à couler tant mes yeux sont secs.

Mes gestes, bien que minimes, sont totalement engourdis par la fatigue et l'égarement de mon esprit.

Je sens des mains passées sous mes fesses pour les empaumer, ressens la chaleur d'une bouche sur la ligne de ma mâchoire, mais suis incapable d'identifier la personne. Son odeur est celle de l'herbe et de la tequila, autant dire qu'elle pourrait appartenir à tout le monde ici. J'essaye de capter son regard, tente de reconnaître la couleur de ses iris : impossible.

Ses doigts s'enfoncent dans la chair de mes fesses, et il soupire à mon oreille :

— Tu veux qu'on monte ?

C'est un garçon, ça c'est certain. J'aurais dû m'en douter au poids exercé sur mes hanches.

— Nan..., je murmure en retour, balançant la tête en arrière.

Il ricane, et continue de me caresser, tandis que je perds pied à chaque nouvelle seconde qui passe.

J'ai envie de dormir, et ce type m'en empêche.

C'est assez effrayant de se sentir chuter alors que notre corps est physiquement soutenu. Ma tête me tourne alors que je ne suis même pas debout.

J'ai envie de vomir.

— Dami, on va rentrer je crois.

Je bats des cils, certain de reconnaître cette voix-ci. Ce n'est pas Lu, et Duke est déjà parti. Julio doit être en train de passer sur une fille quelque part à l'étage, alors ce ne peut être que Samuel. Depuis quand il m'appelle Dami... ?

— Tranquille mec, on s'amuse là, c'est cool.

— Que tu le crois ou pas, t'as l'air de plus t'amuser que lui.

Ils parlent comme si je n'étais pas là, et je les en remercie. Honnêtement, je n'ai pas la force de répondre.

— N'importe quoi, gronde le type avachi sur moi. T'aime hein bébé ?

Son haleine pue la tequila et tout un tas d'autres choses que je n'arrive pas à nommer. Je remue un peu sous lui, tends mon cou pour pouvoir capter le regard de Samuel, et lui offre un sourire.

— Je sais pas, je finis par lâcher, un léger rire dans la voix.

— Tu vois ? Aller, du vent, on allait monter.

Le type au-dessus de moi doit avoir au moins dix-sept ans, à en croire sa voix. Peut-être plus ?

— Bon écoute, soit tu le laisses rentrer avec moi, sois je demande à Ariana de venir le chercher.

Carte ''Ariana'' abattue, c'est son dernier coup.

Le poids disparaît d'un coup de mes hanches, et je retrouve l'air libre. Mes jambes se détendent, et je me tortille pour m'allonger en chien de fusil.

— D'où tu connais Ariana ?

— Et toi ? riposte Samuel avec assurance.

Est-ce qu'il bluffe ?

Le type s'éloigne, et Samuel se penche vers moi avant d'enrouler ses doigts autour de mon poignet.

Son haleine à lui ne sent pas trop l'alcool. Un peu, mais moins que celle de l'autre gars, et sûrement moins que la mienne.

— Aller viens, on rentre chez moi.

— Je veux dormir ici, je suis fatigué.

— Aller fais pas chier, lève-toi.

Samuel tire légèrement sur mon poignet, et alors que je me sens prêt à me relever, je vomis par terre. Tout se joue trop vite, je n'ai pas le temps de ravaler.

Il grogne, recule d'un pas pour éviter de marcher dans mon renvoi, et pose sur moi des yeux plus peinés que fatigués.

Il me redresse, et passe un bras sous les miens pour me soutenir.

Puis, on marche, et je sombre.

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